LES NÉVROSES DE KYLE
L’exécuteur
Je suis adossé contre le mur froid du couloir, juste en face de la porte de la chambre d’Amyris. Le calme qui règne ici est rare, alors j’en profite tant que la brunette n’est pas dans les parages. Je ne sais pas ce qu’elles fichent, elle et ma petite nerveuse, mais elle passe son temps à lui rendre visite. Je parie qu’elles sont devenues amies par la force des choses, et ça ne m’arrange pas.
Ça fait trois jours qu’Amyris s’est barricadée dans sa chambre, refusant de sortir. Et je sais exactement à cause de quoi : moi. Elle me fuit, et ça me rend fou. Sans elle, le jeu est fade. Je suis obligé de me rabattre sur la rouquine amaigrie nymphomane, mais ça ne me suffit pas. C’est comme manger sans jamais être rassasié. Je suis à deux doigts de défoncer cette foutue porte. Si je pouvais, je le ferais, mais ce serait une énorme connerie. Les autres, entre autres mon traître de frère, me tomberaient dessus, et ils m’expulseraient probablement du vaisseau sans poser de questions.
Un bruit léger attire mon attention. Je tourne la tête, certain d’avoir vu un mouvement près de la porte du nerd. Mais il n’y a rien, juste le vide et ce mur terne. Mon instinct ne me trompe pas ; quelqu’un m’épie. Et je connais qu’un seul enfoiré capable de jouer à ce petit jeu avec son maudit pouvoir. Mon regard se durcit alors que je fixe le mur à ma droite. Le binoclard est là, quelque part, invisible à mes yeux. Cette sensation désagréable d’être observé me suit depuis des jours. À chaque sortie, je sens son regard perçant. Ça me met hors de moi.
Je me redresse et retourne dans ma chambre. La lumière est faible, presque inexistante, les néons en veille diffusant une lueur blafarde. La porte claque derrière moi, un message clair pour le rat caché : je sais que tu es là, et je te conseille de me foutre la paix. Je dois l’admettre, son pouvoir est parfait. Il se faufile partout, sans jamais être visible. Putain, si je pouvais je lui volerais ! C’est tellement pratique, et je pourrais l’utiliser à merveille…
Je m’effondre sur le lit, épuisé. Pas physiquement, mais mentalement. Je suis fatigué d’attendre, fatigué de ne pas pouvoir jouer, fatigué de ne pas pouvoir éteindre le feu qui me brûle l’entre-jambe. L’échec de notre dernière rencontre me hante, un goût amer dans la bouche qui reste. Un simple baiser volé, loin de ce que j’avais prévu. Qui aurait cru qu’elle aurait le cran de me repousser, et en plus, de me blesser ?
Une petite égratignure à la lèvre, rien de grave. Pourtant la douleur est toujours aussi vive. La sensation de ses dents s’enfonçant dans ma chair ne me quitte pas, ravivant sans cesse ma frustration. Ce n’était pas censé se passer ainsi. Je voulais que ce soit… différent. Plus doux, peut-être, mais elle ne me laisse pas le choix. Elle me pousse à bout, et je ne peux pas me contenir.
Chaque fois que je repense à ce moment, je sens cette rage particulière monter en moi. Je veux la rattraper, continuer ce que j’ai commencé, et cette fois, aller jusqu’au bout. La bâillonner, l’attacher, l’étouffer avant qu’elle puisse protester. Mais pour ça, il faudrait qu’elle sorte de cette foutue chambre !
Elle est têtue, trop têtue. Elle ne comprend pas encore ce qui est bon pour elle, ou peut-être qu’elle commence juste à le comprendre. Quoi qu’il en soit, nous nous reverrons bientôt, c’est inévitable. Mais l’attente me ronge.
Je me repasse en boucle ce moment où je l’ai tenue contre moi, où j’ai capturé ses petites lèvres humides et tremblotantes. La sensation de son corps frémissant contre le mien, ses seins ronds et tendus, ses tétons durs, pressés contre mon torse. Ça n’a duré que quelques secondes, mais c’était suffisant pour attiser les flammes de mon désir, pour me consumer de l’intérieur.
Mon sexe se tend involontairement sous la combinaison. C’est toujours à ce moment que je vais chercher mon jouet normalement, mais cette fois, je dois me retenir ou me contenter de mes mains. Je refuse de retourner voir Vania. J’ai besoin d’une vraie femme, une femme bien en chair. Vania n’est qu’un vulgaire plan B, usée, à moitié foutue. Je n’ose pas imaginer le nombre d’hommes qui lui sont passés dessus. Dire que j’en fais partie maintenant… Ça me dégoûte. Quand je pense qu’Amyris est au courant de mes petites affaires avec elle…
Merde !
Elle nous a surpris sans faire exprès. En même temps, l’autre n’est pas très discrète. N’importe qui, si ce n’est pas tout le vaisseau, a dû entendre ses gémissements de crécelle. Mais il a fallu que ce soit Amyris qui soit là, au pire moment.
Bordel !
Rien que d’y penser, la colère monte. Je souffle, essuie mon front d’un revers de bras. J’ai chaud. Je me sens… mal. Pourquoi ça me fait chier qu’elle ait vu ça ? D’habitude, je me fous de ce que pensent les autres. Ce n’est pas leur avis qui compte. Mais là… Putain, ses yeux. Ils étaient remplis de déception, comme si j’avais fichu en l’air quelque chose d’important. Ça m’agace, me met hors de moi. Ça me reste dans la tête, comme une épine empoisonnée qui refuse de sortir, s’enfonçant de plus en plus, répandant sa toxine.
Je suis Kyle ; je prends ce que je veux, quand je veux. Je n’ai jamais eu à regretter quoi que ce soit ou à m’excuser. Sauf que cette fois-ci, j’ai cette maudite petite voix dans ma tête qui me murmure que j’ai merdé.
J’imagine sans cesse le moment où elle m’a surpris avec Vania, de ce qu’elle a dû entendre, peut-être même voir. Ce n’est pas la honte, non, je suis au-delà de ça. Plutôt quelque chose… que je ne comprends pas. Ou que je refuse de comprendre. C’est comme si, pour une fois, je voulais qu’elle me voie autrement. Pas seulement comme le salaud qu’elle pense que je suis. Peut-être comme quelqu’un de différent. Juste un homme un peu paumé en quête d’autre chose.
Non, c’est idiot. Il faut que je me débarrasse de cette idée à la con, peu importe à quel point elle persiste.
Quand elle m’a questionné, j’ai hésité à lui dire qu’elle n’avait pas à s’en faire, que personne ne pourrait lui voler sa place. Vania n’est pas mon type de femme, loin de là, mais ce qu’elle avait à proposer n’était pas déplaisant, et ça a suffi à combler mes besoins l’espace d’un instant. Elle s’est soumise sans résistance, ce qui m’a laissé sur ma faim. Mais le plaisir était là, suffisant pour patienter jusqu’au dessert. J’aurais dû lui dire tout ça, peut-être que ça m’aurait évité d’avoir à fuir, d’affronter ses petits yeux caramel dégoûtés.
Je me souviens de son regard, de cette colère mélangée à la blessure. Je sais qu’elle m’a menti lorsque je lui ai demandé ce que ça lui faisait de me voir avec une autre femme. La vérité c’est que ça lui a fait de la peine, même si elle essayait de le cacher. J’ai même envie de croire qu’elle était jalouse. Une part de moi jubile à cette idée, mais l’autre… l’autre se demande si je ne suis pas en train de gâcher quelque chose de plus gros que ce que j’avais prévu. Si je ne suis pas en train de me détruire moi-même en la poussant trop loin.
Quel étrange sentiment, de savoir qu’elle pourrait possiblement m’aimer. Elle ne l’a pas dit, pas clairement, mais je commence à le sentir. Ça chamboule tout, ça me fait me sentir… différent.
Amyris est différente.
J’ai envie de l’avoir rien que pour moi, de briser ses défenses une à une, mais en même temps, j’ai peur de ce que cela signifie. Ce n’est plus seulement la soumettre qui m’obsède. Une part de moi veut comprendre cette force en elle, celle qui me fascine autant qu’elle me repousse.
Je secoue la tête. Ces pensées-là sont dangereuses. Je dois y faire attention. Si je les laisse m’envahir, elles vont me bouffer de l’intérieur.
C’est ridicule, je le sais. L’amour, la tendresse, c’est pour les faibles. Ça n’a pas de place dans ma vie. J’en ai déjà souffert, je connais les risques, et je me suis promis de tout faire pour que ça n’arrive plus jamais. Et j’ai ma propre méthode pour l’éradiquer. Il ne faut pas le laisser prendre racine, mieux vaut l’arracher, jouer avec, et s’en débarrasser quand il devient trop envahissant.
Pas vrai, Castiel ?
Je n’ai pas le temps de m’attarder sur ces conneries. Ce qui m’importe, c’est d’obtenir ce que je veux, quoi qu’il en coûte. Les dégâts sur le chemin ? Rien à foutre. Si Amyris a des sentiments pour moi, c’est son problème, pas le mien. Moi, je suis là pour jouer, pour me divertir, jusqu’à atteindre la fin du voyage. Mon cœur est vide, et il le restera.
Ce que j’aime par-dessus tout, c’est ce pouvoir que j’ai sur elle. C’est tellement plaisant, jouissif. D’autant plus que j’ai maintenant un atout de taille pour la faire plier. En se montrant si vulnérable, elle s’est tirée une balle dans le pied. Maintenant, je peux en abuser sans la moindre pitié pour obtenir ce que je veux.
Je passe ma langue sur ma lèvre blessée.
Cette petite garce a osé me défier, et ça me fout en rogne. Elle a réussi à me toucher, à laisser une marque sur moi. C’est la première qui réussit, en dehors de Castiel. Mais le pire, c’est que plus j’y pense, plus j’exulte. Sur le moment, j’ai souffert, mais maintenant ? Maintenant, je n’ai qu’une envie : qu’elle recommence. Qu’elle enfonce encore ses petites dents pointues dans ma lèvre, qu’elle me fasse sentir cette douleur brûlante une nouvelle fois. Rien que d’y penser, je suis en feu.
Et moi aussi, j’ai envie de la mordre, de la dévorer toute entière. L’idée de laisser ma marque sur elle, de la posséder à ma manière… Ça me rend dingue. Je veux qu’elle se souvienne de moi à chaque instant, qu’elle sente ma présence jusque dans sa chair, qu’elle comprenne qu’elle m’appartient.
Je me lève, les nerfs tendus comme des fils de plomb. Je fixe mon reflet dans le morceau de verre suspendu à l’armoire. Je ne suis pas du genre à changer. Je resterai toujours cet homme sans foi ni loi, quoi qu’il arrive. Je passe une main sur ma lèvre, sentant encore la brûlure de l’égratignure. Ce goût métallique, cette douleur, c’est ma promesse. La nuit va être longue, trop longue, mais je m’en fous. Je suis prêt à attendre, à user la paume de ma main sur mon frein. Chaque instant sans elle, chaque minute à patienter, me nourrit d’une anticipation perverse. Je sais exactement ce que je dois faire. Une fois que je l’aurai attrapé, je ferai en sorte que chaque seconde soit marquée de cette empreinte que je brûle de laisser sur elle.
Je veux qu’elle se souvienne de moi, de cette douleur et de ce désir qui s’entrelacent, que ça la consume, et qu’elle y soit accro. Ce ne sera pas un simple jeu pour elle, non. Ce sera une leçon, une douleur douceâtre que je m’assurerai de faire perdurer jusqu’à la fin. Parce qu’elle le mérite. Elle mérite que quelqu’un lui montre qu’elle n’est rien de plus qu’une femme qui s’est perdue dans un monde trop grand pour elle.