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MP_Blake
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CHAPITRE 20

LE POIDS D'UNE DÉCISION

L’assassine

La nuit tombe rapidement sur Aridia, enveloppant le paysage sablonneux d’un voile sombre. Les étoiles scintillent comme des diamants dans le ciel d’encre, ajoutant un peu de glamour à ce décor de fin du monde. Une brise glaciale siffle à travers les formations rocheuses, et me fait frissonner. À l’horizon, les montagnes se dressent comme des sentinelles silencieuses, leurs silhouettes sombres se découpant contre le ciel étoilé. La poussière tourbillonne dans l’air, poussée par le vent frais. Le paysage est un enchevêtrement de cratères, de ravins et d’énormes rochers, presque invisibles dans le noir.

Devant la rampe d’accès du vaisseau, un feu de camp craque, allumé par Vania. Les étincelles dansent dans la nuit, réchauffant la carcasse métallique du Universe One en pleine réparation. Les flammes crépitent joyeusement, illuminant nos visages d’une lueur dorée et réconfortante. J’ai du mal à me dire qu’il y a quelques heures, je mourrais littéralement de chaud et que maintenant, c’est l’inverse. Je ne suis vraiment pas du tout habituée à ce genre de climat extrême. C’est vrai que dans le vaisseau, il ne fait jamais chaud ou froid. Tout est paramétré pour que notre environnement soit optimal. Ça me rend nostalgique des saisons sur Terre ; ma préférée était l’automne.

Kathy revient de la cuisine, un plateau-repas dans les mains. Kaï ne la quitte pas des yeux depuis notre retour de la ville, mais je ne sais pas si c’est par amour ou par désir. Ses yeux s’écarquillent lorsque sa jupe fendue remonte jusqu’à la naissance de ses cuisses, alors qu’elle s’assoit à côté de lui. C’est vrai que cette nouvelle tenue n’a plus rien à voir avec sa combinaison de prisonnière. La seule qui n’a pas l’air d’apprécier ce changement est Vania. Elle nous regarde tour à tour, Kathy et moi, avec jalousie et agacement, et j’avoue que ça me fait doucement sourire.

— Kathy… t’es vraiment… magnifique. Ça te va super bien, bave Kaï, avec un sourire béat sur le visage.

Il se gratte l’arrière de la tête, et je me demande s’il est vrai gêné ou si c’est de la comédie. Kathy se délecte de chaque mot, comme s’il venait de lui faire la plus grande déclaration d’amour de l’univers. Je les observe, et je dois admettre qu’ils sont mignons, dans leur genre. Kaï incarne la brute épaisse, tandis que Kathy joue les tendres. Un couple parfait pour un film à l’eau de rose.

— Merci, dit-elle en posant doucement sa tête sur son épaule.

Elle ajuste légèrement sa tenue sous ses yeux désireux, lui offrant une partie de sa cape comme couverture. C’est la goutte de trop pour Vania, elle ne peut plus se retenir.

— Quelle potiche ! lance-t-elle avec un air dédaigneux avant de se lever avec colère.

Tout le monde l’ignore, sauf moi. Je fais un petit geste discret du bout des doigts, et elle trébuche sur un caillou imaginaire avant de s’étaler de tout son long devant nos yeux amusés. Kathy ne peut retenir un éclat de rire et me fait un clin d’œil. Je lui souris malicieusement. Ma télékinésie est parfaite pour jouer des petits tours…

Vania se relève en râlant, époussette ses vêtements couverts de sable et disparaît dans le vaisseau. Enfin débarrassés d’elle ! Kathy se blottit contre Kaï et ferme les yeux. Elle a de la chance, je n’ai personne contre qui me reposer.

Je tourne la tête vers la dune de sable à quelques mètres de nous, où Kyle s’est installé. Bien sûr, il est hors de question pour lui de venir autour du feu avec nous. Non, il préfère mourir de froid tout seul, cet idiot. Je suis un peu déçue, je l’avoue. Je m’attendais à une réaction de sa part sur ma tenue, mais rien. Il n’a pas bougé d’un pouce, pas levé un sourcil. Ça ne devrait pas m’importer, pourtant...

Si.

Mais c’est la réaction de Viktor qui m’a surprise. J’ai cru que sa mâchoire allait se décrocher et que ses yeux allaient sortir de leurs orbites. Kathy avait raison, il en pince pour moi, et ça devient de plus en plus évident maintenant que j’y fais attention. Il ne me lâche pas du regard, s’arrange toujours pour être près de moi et me gratifie toujours d’un petit sourire en coin quand nos yeux se rencontrent.

— Ça caille, putain ! s’exclame alors l’intéressé en frottant ses mains près du feu. Quand je pense qu’il faisait plus de 40°C tout à l’heure !

— C’est clair, acquiesce Kaï. On est tombés sur la pire planète. En plus, le chauffage du vaisseau est HS.

— Je trouve que c’est plutôt agréable, répond Kathy en lui faisant les yeux doux.

Kaï pose sa tête sur la sienne et la rapproche encore un peu de lui. Plus je les regarde, plus je les envie. Je me retourne pour observer Kyle. Il est dos à nous, assis dans l’obscurité. Je ne sais même pas s’il entend notre conversation. Il a les yeux rivés vers le ciel, comme s’il était perdu dans ses pensées. Cette allure de rêveur ne colle pas à son attitude habituelle, ça ne lui va pas. Je me demande ce qui peut bien le tourmenter, lui qui a l’air toujours si sûr de lui, si intouchable. Peu importe, ça ne me concerne pas.

Je soupire et me lève. Il est l’heure d’aller se coucher sinon je vais faire quelque chose que je vais regretter. Je suis en haut de la rampe lorsque Vania surgit de nulle part et manque de me percuter sur son passage. Je la fusille du regard, mais elle m’ignore totalement. Elle fonce vers Kyle, courant presque. Je plisse les yeux, intriguée, et finalement, je décide de la suivre. Je suis curieuse, j’ai envie de savoir ce qu’elle lui veut.

Je me glisse derrière un rocher pas très loin d’eux – discrétion oblige – et me poste en mode espionne. Habitude d’assassine, sauf que je ne vais tuer personne.

— Kyle ? l’appelle-t-elle doucement en posant une main sur son épaule.

Il lève les yeux vers elle, et je vois tout de suite que ça ne va pas. Ses traits sont tendus, son regard fuyant et ses sourcils froncés.

— Qu’est-ce que tu veux ? lâche-t-il brusquement.

Vania s’installe à côté de lui, enfin sur lui plutôt. Elle le colle, comme Kathy avec Kaï, et j’ai envie de la pousser dans le ravin en face. Sa tête sur son épaule, elle le fixe avec ses grands yeux verts de biche.

Elle m’énerve, bon sang, mais qu’est-ce que qu’elle m’énerve !

— Je vois bien que ça ne va pas, murmure-t-elle en lui caressant tendrement le bras. Tu peux me parler, tu sais. Je suis là pour toi, chéri.

Autant ses paroles sont ridicules, autant la sincérité qui les accompagne me surprend.

Il reste un moment silencieux, ses yeux rouges dans les siens. Il la regarde comme s’il allait l’embrasser, et j’entends mon cœur s’accélérer. Vania passe ses doigts manucurés dans ses cheveux cendrés. Elle s’approche de lui et humecte ses lèvres. Je regarde la scène, impuissante, et je regrette instantanément ma curiosité.

S’ils s’embrassent, c’est moi qui saute dans le ravin. Mon cœur se tord de plus en plus à mesure que leurs lèvres se rapprochent. Je voudrais détourner les yeux, mais j’ai besoin de savoir. L’idée qu’elle l’embrasse fait monter la colère et cette jalousie que je m’efforce de repousser. Je voudrais être à sa place. Je voudrais que ce soit moi qu’il regarde comme ça. Je voudrais ne plus être une figurante dans sa vie. Les larmes montent.

Non, pas maintenant. Pas pour lui.

Je me force à les ravaler et à tourner les talons. Je n’ai rien à faire ici, ce qu’ils font ne me regardent pas. Kyle ne me concerne pas. Même si ça me déchire, je dois me faire violence : il ne s’intéresse qu’à moi pour satisfaire ses propres désirs. Je ne suis rien d’autre qu’un jouet pour lui, et c’est tout. Il faut que je l’intègre une bonne fois pour toutes, peu importe ce que je ressens.

Je rejoins notre campement improvisé. Kathy et Kaï ont disparu. Évidemment, ils sont probablement partis se rouler dans le sable… Viktor est seul devant le feu, les yeux fixés sur les flammes dansantes, les avant-bras posés sur ses genoux, silencieux. Je l’observe un instant et repense à ma discussion avec Kathy. C’est vrai qu’il est beau, et qu’il est gentil. Pourquoi je n’essaierais pas ? Mes jambes bougent avant que je réalise ce que je fais : je marche dans sa direction.

Un large sourire étire ses traits graves en me voyant approcher, et pour une raison qui m’échappe, ça me fait un drôle d’effet. Je m’assois près de lui, sentant immédiatement la chaleur du feu m’envelopper. Le silence est lourd. Il a l’air gêné. Il ne me regarde pas, continuant de fixer le feu, tendu.

— Ils t’ont abandonné ? je lui demande, dans l’espoir de briser la glace.

— Ouais... répond-il en se raclant la gorge.

Sa voix est rocailleuse, comme s’il venait de se réveiller. J’adore ça. Je m’attends à ce qu’il enchaîne, mais il ne dit rien. Il n’a jamais été très bavard, pourtant je sens qu’il a envie de parler – ses mains agitées le trahissent.

— Ça va ? Tu as l’air ailleurs.

— La journée a été longue.

Il me jette un coup d’œil furtif. Il est clairement mal à l’aise, plutôt nerveux, comme la première fois où l’on s’est parlés. Il lèche ses lèvres, les mord et les pince. Je le regarde du coin de l’œil. Depuis combien de temps ça dure ? Depuis combien de temps il ressent ça pour moi ? Pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’être bêtement passée à côté ? Et surtout, pourquoi ça me touche ?

Je ne sais pas ce qu’il me prend, je suis poussée par un excès de folie. Je n’aurais jamais fait ça en temps normal, mais là, l’ambiance, le paysage, le ressenti… Je me penche vers lui et pose ma tête sur son épaule. Je ferme les yeux. Je ne dis rien, je ne pense même plus. Je sens juste sa chaleur contre moi, le parfum subtil de la poussière et du feu qui imprègne ses vêtements, mêlé à sa propre odeur.

Il reste figé quelques secondes, sûrement trop surpris pour réagir. Puis, doucement, je le sens glisser son bras dans mon dos, presque hésitant, comme s’il avait peur de faire un faux pas. Je m’attends à ce qu’il me repousse, mais sa main s’accroche à ma taille. Il me garde contre lui. C’est… étrange. Et inattendu. Mais, pour la première fois depuis longtemps, je me sens apaisée.

***

Le matin se lève sur la planète désolée. Je suis réveillée par les rayons brûlants des soleils. Je cligne des yeux plusieurs fois pour m’habituer à la lumière éblouissante.

Je suis dans les bras de Viktor.

J’observe l’agitation autour de nous. Les robots se sont affairés toute la nuit, et le vaisseau semble opérationnel. Notre départ est pour bientôt. Nous sommes allongés dans le sable, devant le feu de camp qui fume encore. Je repense à hier soir où j’ai choisi de passer la nuit dans ses bras plutôt que seule, dans ma chambre froide. Je me suis laissée tenter, juste pour une nuit. J’étais tellement bien contre lui que je n’ai pas voulu que ça s’arrête, et on a fini par s’endormir, l’un contre l’autre. Pour être honnête, ça faisait longtemps que je n’avais pas aussi bien dormi. J’ai pu fermer les yeux sans ressentir cette angoisse grandissante. Viktor a cette aura rassurante, cette énergie qui me donne l’impression que rien ne pourra m’arriver.

Je le regarde, encore endormi à côté de moi. Ses mèches noires tombent sur son front, il est complètement détendu. C’est un bel homme, l’archétype du beau brun mystérieux. Un visage sculpté, des traits fins, des cils longs, des lèvres bien dessinées et un physique parfait, avec des muscles là où il faut et juste ce qu’il faut de graisse pour les garder bombés. N’importe qui craquerait pour un homme comme lui, et ce serait mentir de dire qu’il me laisse indifférente, mais quand je le regarde… il ne se passe rien dans mon cœur.

Je pense à Kyle.

Encore et toujours lui. Malgré tous mes efforts, je ne peux pas ignorer ce que je ressens. Des sentiments profonds, complexes, malsains et destructeurs. Ils me tiennent par la gorge, m’étranglent. Et je sais que ce que je suis en train faire est mal. J’utilise Viktor. Je profite de son attirance pour moi pour m’échapper, mais en faisant ça, je me sens coupable.

J’ai l’impression de trahir Kyle, ce qui est complètement ridicule, j’en suis consciente. Je ne sais pas pourquoi, une part de moi croit que ce qu’il s’est passé entre nous a tissé un lien. Un lien puissant qui surpasse son petit jeu de pouvoir. Je me voile la face, c’est clair. Ce qui s’est passé hier soir avec Vania n’a fait que confirmer la triste vérité de ma réalité : Kyle n’en a rien à faire de moi. Ça m’a achevée de voir à quel point j’étais remplaçable, et par Vania en plus. Pourtant, je suis toujours là, à espérer. C’est ça, l’amour, peut-être ? Espérer même quand il n’y a aucune chance ? J’ai touché le fond : me voilà à parler d’amour, d’espoir et de Kyle. Un trio qui ne fait pas bon ménage, surtout dans mon cœur.

Mes pensées se mélangent, s’entrechoquent au rythme du souffle de Viktor contre ma peau. Il est ce qui se rapproche le plus de l’homme parfait. Avec lui, pas de jeu de pouvoir, pas de manipulation. Pas d’agressivité, pas de violence. Pas de mots cruels ou de gestes déplacés, seulement de la paix et de l’amour. Il a l’air honnête, il m’aime comme je suis, comme je semble le mériter. C’est quelqu’un de bien, comme l’a dit Kathy. Je n’ai plus qu’à sauter sur l’occasion, pas vrai ? Plus facile à dire qu’à faire…

Une lame glisse sur ma joue. Je pleure encore. Ce n’est même pas pour Viktor ou Kyle que je pleure, mais pour cette idiote que je suis. J’essaie de ravaler ma peine, de me rappeler que je dois avancer. Viktor est là, il est bien, et je devrai me forcer à lui donner une chance. Mais est-ce que j’en ai vraiment envie ?

Je le regarde, et je sens cette drôle de sensation de calme m’envahir. Ça me fait peur. Parce que si je me laisse aller avec lui, c’est admettre que Kyle n’est plus une option. C’est couper définitivement ce fil invisible qui me relie à lui, sans retour possible en arrière.

Kyle a été le premier à me donner cette sensation si particulière, à réussir à me faire oublier un instant mes névroses. Oui, mais à quel prix ? Au fond, il n’y a pas de choix à faire. N’importe qui de censé irait vers Viktor sans hésiter. Mais moi, évidemment, il faut que je complique tout. Pourquoi faire simple quand on peut se compliquer la vie ?

Je respire profondément et ferme les yeux. J’ai mal à la tête, je suis épuisée, mentalement. Je dois prendre une décision. Parce que si je ne fais rien, Kyle me détruira si je continue à m’accrocher à lui. La paix que je ressens dans les bras de Viktor est irremplaçable, et je mérite d’avoir quelqu’un de bien à mes côtés. Alors, je dois essayer. Même si ça me bouffe de l’intérieur, même si ça fait mal. Je dois lâcher prise et arrêter de fantasmer sur l’idée que Kyle en a quelque chose à faire de la pauvre fille que je suis. Viktor est la clé de ma liberté.

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