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MP_Blake
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CHAPITRE 4

MONSTRES & MERVEILLES

L’assassine

La révélation de nos capacités a plongé le vaisseau dans un chaos incontrôlable. Dans la baie de chargement, tous s’agitent comme des enfants découvrant un nouveau jouet. Entre exaltation et angoisse, chacun réagit à sa manière.

Je reste en retrait. Installée sur un vieux caisson, bras croisés autour de mes genoux, j’observe ce défilé de super-héros en herbe sans savoir quoi en penser. Ce n’est pas la peur qui me retient, mais la prudence. Si je le voulais, je pourrais tous les envoyer valser d’un claquement de doigts. N’importe qui serait grisé par une telle puissance. Pas moi. Pas dans ces circonstances. Je suis un être vivant, pas une machine de guerre.

Autour de moi, le spectacle s’intensifie, et je me demande si je suis la seule à me torturer l’esprit. Après les révélations de l’IA, nous nous sommes tous réunis sur le pont pour analyser la situation, pour peser les pours et les contres. Même les plus discrets se sont joints à nous. Nous ne sommes plus des rivaux, nous avons mis nos différends de côté, conscients d’avoir un adversaire commun bien plus redoutable : le Gouvernement. Pourtant, en les regardant, j’ai l’impression qu’ils ont déjà oublié pourquoi on en est là. Ils s’amusent, prennent plaisir à expérimenter comme si c’était un jeu.

Kathy, la petite brunette aux cheveux soyeux, manipule l’eau comme une naïade[1], transformant une simple carafe d’eau en un ballet aquatique. C’est beau, presque apaisant, jusqu’à ce que je remarque ses mains tremblantes. Elle n’est pas aussi sereine qu’elle essaie de le faire croire.

À côté d’elle, la rouquine s’amuse avec son lance-flammes intégré. Son regard brûle autant que les flammes qui s’élèvent entre ses doigts. Elle joue avec, les fait danser comme des marionnettes. Ses lèvres s’étirent en un sourire carnassier. Elle est tellement fière de son pouvoir qu’elle pourrait s’embraser d’orgueil à tout moment.

Kaï, lui, n’a rien à prouver. Il gonfle ses muscles, et sa peau se mue en une armure métallique semblable à un blindage indestructible. L’homme aux poings d’acier n’a jamais aussi bien porté son surnom.

Et Viktor, c’est un vrai tour de magie à lui tout seul. Il apparaît, disparaît, traverse les murs et les objets avec une aisance troublante. Je suis curieuse de savoir comment il gère ce mélange d’invisibilité et de perméabilité. Ça doit être déroutant de ne jamais savoir si tu es entièrement là ou pas. Ça ne semble pas l’inquiéter. Au contraire, il le manie comme s’il avait toujours fait partie de lui.

Quant à Anna et Eden, le petit couple de hackers aussi discrets qu’inexistants, ils passent plus de temps à philosopher sur leurs pouvoirs qu’à les utiliser. Elle fait naître des plantes sur sa peau, leurs tiges s’enroulant gracieusement autour de son bras en diffusant un parfum de chlorophylle. Il matérialise des objets et répare les dégâts des autres avec une lassitude qui me fait sourire.

C’est un cirque de l’impossible, une mascarade où chacun cherche à apprivoiser l’anomalie qui sommeille en lui. Tous, sauf moi.

Et Kyle.

Mes yeux s’attardent un instant sur l’endroit où nous nous sommes affrontés. Enfin, « affrontés » est un bien grand mot. Il a dominé du début à la fin. Ai-je tant perdu de ma force et de ma volonté, enfermée toutes ces années ? Non, je refuse d’y croire. C’est lui qui est… plus fort. Sur tous les points. Même si ça me coûte de l’admettre.

Je le vois de l’autre côté de la pièce, adossé contre la paroi, les bras croisés sur la poitrine. Son expression est fermée, indéchiffrable. Ses yeux rouges sont rivés sur le sol, il est perdu dans ses pensées. Quand je le regarde, mon ventre se noue, mon cœur palpite. Je ne dois plus le laisser m’approcher.

Un hurlement retentit et nous fait sursauter tous les deux.

C’est Kathy. Elle vient de geler le bras de Kaï par accident. Elle se confond en excuse, tandis que lui rit doucement. Il y a une alchimie entre ces deux-là, quelque chose que je n’arrive pas à expliquer. Depuis le début, j’ai remarqué les regards furtifs, les gestes tendres et les sourires en coin. Ce n’est pas étonnant. surtout entre des prisonniers peu habitués au contact humain, en particulier de l’autre sexe.

Je descends d’un petit saut habile de mon siège, aspirant à un peu de calme. Le silence du couloir me fait l’effet d’un baume. Je me retourne une dernière fois pour contempler le champ de ruines qu’est devenu la baie de chargement. Les murs, autrefois impeccables et lisses, sont brûlés, fissurés. Le sol est jonché de morceaux de glace, de flaques d’eau. Les Skyblades, autrefois d’impeccables vaisseaux d’appoint, ressemblent à des pots de fleurs négligés. La station de rechargement des robots en fait aussi les frais.

Je me soupire profondément, me demandant si un jour tout redeviendra normal. Probablement que non, je vais devoir traîner ce maudit pouvoir pour le restant de ma vie. J’étais une criminelle, me voilà un monstre. Moi qui étais si déterminée à me repentir, maintenant je me demande si cette mission en vaut encore la peine. La liberté ? À quel prix ? Ma propre humanité semble fondre comme neige au soleil, et je commence à me dire que ça n’en vaut plus le coup. Douter ne me ressemble pas, mais j’ai l’impression que tout change et que je ne fais pas exception à la règle. Un sentiment qui me donne envie de tout envoyer valser.

Sans vraiment réfléchir, je marche jusqu’à atterrir dans la cuisine. Elle est étrangement spacieuse pour un vaisseau. Le sol en damier noir et blanc contraste avec les murs en acier poli. Une grande table trône au centre, entourée de chaises au style rétro. Des robots cuisiniers s’affairent en silence, découpant, mélangeant, surveillant la cuisson avec une précision froide. L’odeur d’épices synthétiques flotte dans l’air, imitation maladroite d’une vraie cuisine. Malgré les efforts pour rendre l’endroit accueillant, une sensation de vide persiste. Comme si cet espace cherchait à imiter la chaleur d’un foyer… sans jamais vraiment y parvenir.

Ce n’est pas la solitude qui m’étouffe, mais la tension. Cette pièce est l’un des rares endroits où je peux souffler. J’ouvre un placard, attrape un verre et le remplis d’eau. Lorsque je porte le liquide à mes lèvres, je réalise que ma main tremble.

Pourquoi est-ce que Kyle me met dans cet état ?

Je bois lentement, laissant l’eau fraîche apaiser ma gorge. L’espace d’un instant, je me dis que ça ira. Que je vais reprendre le contrôle. De moi-même, de la situation. Que ces tremblements vont cesser. Mais plus je me répète ces mots, plus l’angoisse s’accentue, renforcée par un frisson glacé qui me traverse le dos. C’est comme si une pression invisible se resserrait autour de ma poitrine, me forçant à respirer plus lentement.

Quelque chose ne va pas.

Je baisse mon verre et balaie la pièce du regard. Rien. Pourtant, une tension désagréable me crispe la nuque. J’ai cette sensation, familière et oppressante, d’être observée. Mon cœur s’emballe, comme si quelque chose de mauvais allait se produire. Un reflet furtif accroche mon regard sur la surface métallique du plan de travail. Il y a quelqu’un derrière moi.

Je me retourne brusquement, le cœur battant. Kyle est là, à quelques centimètres de moi, son éternel sourire en coin plaqué sur le visage. Il est si près que je peux sentir sa respiration caresser mon visage. Comment il a fait ? Je n’ai rien vu, rien entendu…

Ses yeux glissent sur moi avec une lenteur calculée, captant le moindre détail, analysant chaque tressaillement.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Ma voix est ferme, elle ne me trahit pas. Contrairement à mes yeux qui fuient délibérément son regard. L’intensité qui se dégage de ses pupilles me trouble. Leur couleur, semblable à celle d’un rubis, est à la fois hypnotisante et terrifiante.

— Terminer notre petite discussion d’hier soir, lâche-t-il, sans détour.

Je serre le verre dans ma main. S’il tente quelque chose, je lui éclate sur la tête.

— Je te préviens, ne me touche pas.

— Ça n’avait pas l’air de te déranger, hier.

Il lève sa main carbonisée et la pose sur ma joue. Sa paume est chaude, douce même, une odeur gourmande – comme s’il avait trempé sa main dans du miel – s’en dégage. Une douceur qui contraste avec l’intensité du moment. Qui me ramène plusieurs heures en arrière, à cette question qui me torture depuis notre affrontement : si nous n’avions pas été interrompu, que ce serait-il passé ?

— Arrête ! je crie en le repoussant. Si tu comptes me tuer, fais-le !

— Te tuer ? Pourquoi faire ? demande-t-il d’un ton léger. Je veux juste m’amuser.

Il ricane doucement, et c’est peut-être ça, le plus dangereux chez lui. Ce calme, cette façon de tout tourner en dérision alors qu’il pourrait vriller à tout moment, me pousse à faire attention.

— Trouve-toi un autre jouet et laisse-moi tranquille, Kyle.

Mais mesurer chacun de mes mots n’est pas suffisant.

— Tu parles trop, Amyris, et si tu ne la fermes pas, je vais t’arracher la langue.

Il prononce mon nom comme s’il en goûtait chaque syllabe, comme si le simple fait de le dire lui procurait un pouvoir total. Ça me fait frissonner, trembler de plus belle, pourtant je ne baisse pas la tête. Être vulnérable ne fait pas de moi une cible facile. Je reste une femme redoutable, encore plus avec mon nouveau pouvoir.

Je le fusille du regard, non sans lâcher une dernière réplique pleine de sarcasme :

— Arrache-la, si ça te fait plaisir. Ça t’évitera d’entendre ce que je pense de ta sale tronche.

Le silence s’étire entre nous. Il aime ça. Me voir jouer le même jeu que lui, sans jamais être sûre de la finalité.

— Ne me provoque pas, poupée. Tu pourrais le regretter.

Une vague de dégoût me submerge en l’entendant m’appeler par ce surnom dégradant. Mais je ne relève pas. Non, ça lui ferait trop plaisir.

— Le regretter ? Je croyais que tu ne voulais pas me faire de mal.

Il s’esclaffe, son regard toujours planté dans le mien, un éclat sadique l’animant.

— On dirait qu’on s’est mal compris, susurre-t-il en se collant à moi. Ce n’est pas ce genre de mal que j’ai envie de te faire…

Il sourit, et je comprends enfin la vraie nature de son jeu. Ses mots sont chargés de sous-entendus obscurs, et le sens de sa menace est bien clair dans mon esprit. Instinctivement, j’essaie de reculer mais le comptoir me bloque. Je serre les dents. Je voudrais lui balancer une réplique cinglante, mais rien ne vient. Je suis perdue dans mes pensées, troublée par ses paroles et par ce qu’elles font naître en moi.

Je me retrouve à m’interroger sur mes émotions. Qu’est-ce que je devrais ressentir dans un moment pareil ? De la peur ? De l’excitation ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Ça fait tellement longtemps que mon cœur est anesthésié, vide.

— Recule, ordonné-je en posant une main sur son torse. Moi, je n’ai jamais dit que je n’allais pas te tuer.

Mais il prend ma menace comme un défi. Son corps se presse contre le mien, ses muscles raides s’imprimant sur moi comme une empreinte. Je la sens, cette chaleur animale qui m’envahit malgré moi, et je n’arrive pas à la repousser. Mes seins s’écrasent contre lui, mes fesses contre le meuble. L’opposition entre sa chaleur et le froid du métal est presque insupportable.

— Essaie pour voir.

Je serre son tee-shirt dans ma main. Je n’ai qu’une seule chose à faire pour me débarasser de lui, une petite impulsion est tout est fini. Je sais que je pourrais lui faire mal, que j’ai ce pouvoir. Seulement, j’en suis incapable, comme paralysée par l’idée de devenir officialement un monstre. Je baisse les yeux.

— C’est bien ce que je pensais, glousse-t-il, en glissant une main dans mes cheveux.

Mes paupières se ferment doucement. Je sais que si je cède maintenant, il n’y a plus de retour possible. Sa main est d’une douceur insupportable, et son corps m’enveloppe comme une étreinte dangereusement chaleureuse. La tentation de me laisser aller est forte, mais pas assez.

Et puis, je sens quelque chose effleurer mon entre-jambe. Ce sont ses doigts qui essaient de se frayer un chemin entre mes cuisses et le tissu. Une décharge électrique me traverse, mêlant excitation et dégoût.

— Ne me touche pas ! je hurle en le repoussant de toutes mes forces.

Il recule d’un pas, et son regard se durcit. Le calme est brisé, remplacé par un danger palpable.

— Je t’ai dit de la fermer…

Sa voix me cloue sur place, glacée et terrifiante. Il tend la main vers ma gorge, et c’est le moment que choisissent Anna et Eden pour entrer dans la pièce. Nos regards se croisent un instant, et Kyle finit par s’éclipser en poussant un juron, visiblement agacé d’avoir été dérangé. Il n’avait pas prévu l’éventualité qu’on soit interrompu. Moi, je n’espérais que ça. Même si je sais que ça ne sera que partie remise.

Mon cœur s’emballe alors qu’il disparaît au bout du couloir. Je me tourne vers le petit couple, soufflant un « merci » à peine audible. Ils l’ignorent peut-être, mais ils viennent de me sauver la mise.


[1] Dans la mythologie grecque, les naïades sont des nymphes aquatiques.

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