Hiver 2012
Charlie était accoudée sur les rebords en bronze de la baignoire, tandis que je me laissais retomber contre son dos, cherchant à reprendre mon souffle après avoir passé une nuit divine à ses côtés, comme le restant de mes journées. Nous étions arrivés chez Amun dans le courant de la semaine, et je n’avais pu m’empêcher d’être surpris en voyant combien la région avait changé. Jadis au beau milieu du désert, les somptueuses pyramides étaient désormais presque dans la ville du Caire, qui n’existait même pas lorsque je vivais auprès des égyptiens. Amun avait néanmoins réussi à garder son palais éloigné de la civilisation, ayant fait circuler des rumeurs sur des disparitions d’humains lorsqu’ils s’éloignaient trop de la ville. Ainsi, son palais demeurait dans une zone assez déserte, lui permettant de préserver son secret, et sa tranquillité. Le palais avait d’ailleurs subi de nombreuses rénovations afin de masquer sa présence aux humains, sans perdre son charme d’autrefois.
Mon mentor nous avait accueillis chaleureusement, serrant Charlie dans ses bras avec une tendresse rare chez le vieil homme, ne pouvant oublier qu’il avait failli perdre Kebi à jamais sans son intervention. Il avait pris le temps de lui faire visiter son temple, sous les yeux émerveillés de ma douce compagne qui souriait en permanence, sa main solidement liée à la mienne. Kebi aussi nous avait accueilli, se montrant étonnamment bienveillante à notre égard, signe qu’une paix s’installait entre la brune et moi malgré les rancœurs du passé. Aznar était mort, nous étions en paix avec les autres clans, il était temps de passer à autre chose. Nous avions ensuite fait plus ample connaissance avec Tia et Benjamin, que Charlie avait peu côtoyé avant d’être enlevée par les Roumains. Elle découvrait une autre culture, totalement différente de celle d’Europe Occidentale, avec des paysages qui la fascinaient, me remerciant souvent pour l’avoir emmené avec moi.
Je lui avais ensuite fait découvrir mes quartiers, qui n’avaient presque pas changé depuis mon départ, hormis un entretien régulier contre l’usure du temps, et quelques rénovations au niveau des textiles. La suite avait vite dérivé sur un besoin pressant de nous câliner, d’abord dans la chambre, avant de finir dans la salle de bains. Raison pour laquelle nous étions immergés dans une eau chaude, bouillante, alimentée par la simple présence de la jeune vampire, dont la chaleur corporelle avait continué d’augmenter à mesure que je la touchais. Désormais rassasiée, pour le moment, elle avait les yeux rivés sur la vue qu’offraient les arcades ouvertes sur l’extérieur, lui permettant d’admirer le site des pyramides de Gizeh qui se trouvait à une dizaine de kilomètres de notre position. Quant à moi, le torse doucement calée contre son dos, et le menton posé sur son épaule humide, je m’intéressais aux couleurs vives des murs, qui me paraissaient plus colorés qu’autrefois, mais la présence de Charlie influençait beaucoup mon ressenti depuis notre rencontre.
- C’est magnifique… s’émerveilla Charlie pour la énième fois alors que je souriais niaisement devant ses réactions à mesure qu’elle découvrait des fragments de mon passé avant d’appartenir aux Volturi.
Je m’étais toujours senti chez moi dans le palais d’Amun, mais il m’avait toujours manqué quelque chose pour que tout soit parfait : avoir ma compagne à mes côtés pour le partager avec elle.
- Je me sens minuscule dans ce temple, j’ai presque l’impression d’être une intruse dans un sanctuaire sacré…
- Tu n’es pas une intruse, tu es à ta place, lui assurais-je en me pressant contre son dos pour embrasser sa nuque et sa clavicule, la faisant soupirer.
- C’est… c’est tellement plus chaleureux que Volterra. J’aime beaucoup la forteresse, mais c’est l’exact opposé de ces lieux. Tout y est sombre, étroit, oppressant, alors qu’ici, tout est ouvert sur le monde, c’est si spacieux, si lumineux…
- Je sais, il m’a fallu du temps pour m’adapter à ce changement radical, confessais-je en laissant mes doigts tracer des lignes invisibles sur ses bras et ses côtes, lui arrachant de délicieux frissonnements. Je suis bien soulagé que les autres clans soient en paix avec les Volturi, ou je n’aurais pas pu revenir ici, et j’ai toujours espéré pouvoir te faire découvrir ce que j’avais vécu avant qu’Aro ne vienne…
Charlie se mouva avec aisance dans l’eau chaude pour me faire face, sa délicatesse contrastant avec ma force brute, et je voyais dans son regard une tendresse infinie, celle que j’avais vu dans les yeux de nombreux couples, et que j’avais longuement convoité. Ses mains vinrent se réfugier dans mon dos alors que je sentais ses lèvres effleurer ma mâchoire avant de venir m’embrasser avec un amour pur et renversant. J’étais fasciné de voir la française s’abandonner à moi avec une confiance absolue, consciente qu’elle était liée au traqueur infaillible, mais qui était pourtant sien, et je sentais ma peau tressaillir à son tour sous les caresses délicates de Charlie, qui avait plongé ses doigts dans mes cheveux pour un massage crânien des plus agréables.
- Je t’aime… souffla la jeune femme alors que je souriais comme un crétin, lui murmurant en retour ces même mots qu’elle méritait d’entendre tous les jours. Et je suis bien contente que tu m’ai attendu… !
Je comprenais très bien son sous-entendu, lui ayant confié que j’avais failli tout abandonner lorsque Derren m’avait heurté avec son don.
- J’imagine que peu t’ont fait cette remarque, mais je trouve ça courageux d’avoir vécu aussi longtemps, d’avoir traversé les siècles à attendre une compagne qui n’arrivait pas, d’avoir cherché une place que tu ne trouvais pas chez les Volturi… c’est ce que j’appelle avoir une patience à toutes épreuves, je ne suis pas certaine que j’aurais pu en faire autant, et honnêtement, je pense que peu de vampires en auraient été capable, souffla Charlie, me touchant profondément.
- Veux-tu bien cesser d’être parfaite ? Souris-je malicieusement en enroulant une de ses mèches de cheveux autour de mon index. Mais tu as raison, je t’ai tellement attendu… confirmais-je soulagé de ne plus avoir ce sentiment de solitude sur les épaules.
- Alors arrête d’attendre maintenant. Tu n’en as pas conscience mais tu me regardes comme si je pouvais m’envoler à tout moment, s’amusa la blonde sous mon regard surpris. Tu penses encore à mon enlèvement ?
- J’essaie de l’oublier… grimaçais-je en repensant à la terreur qui m’avait habité quand j’avais retrouvé son téléphone devant le secrétariat, sans Charlie à côté.
- Il est mort, il ne pourra plus nous séparer, ni lui ni personne d’autre. Pas même le temps.
- J’en déduis que tu ne regrettes pas ta vie humaine ? L’interrogeais-je avec curiosité, je n’avais jamais cherché à lui poser la question avant, craignant sa réponse.
- Non, assura-t-elle tranquillement. Ma vie humaine m’a mené jusqu’à toi, mais elle ne m’aurait pas permise de rester à tes côtés, et j’aime ce sentiment d’être invincible. Je trouve cela fascinant de voir à quelle rapidité les priorités d’un individu peuvent être remises en question et totalement bouleversées en fonction des rencontres qu’il peut faire.
Je ne me lassais jamais de regarder cette lueur enflammée qui brillait dans les yeux de Charlie, qui n’avait aucun mal à me captiver avec quelques mots. Je me mis à la contempler en silence durant un moment, provoquant chez la jeune femme une délicieuse gêne, et je l’imaginais sans mal rougir si elle l’avait pu. Elle s’extirpa avec grâce de mon étreinte pour se glisser dans une serviette qui masqua ses courbes tentatrices, m’obligeant à reprendre mes esprits.
- C’est une infamie de couvrir cette vision angélique.
- Tu avais l’air tellement ébloui par ma beauté renversante que je me suis sentie obligée de la cacher pour t’empêcher de perdre la vue, sourit malicieusement Charlie qui ne s’était toujours pas habituée à l’intérêt que je lui portais, y compris physiquement. Elle avait beau être ma compagne, son corps me plaisait tout autant que sa personnalité, et ses petits détails qui la rendaient spéciale.
- J’apprécie l’attention. Maintenant retire ce drap que je puisse admirer ce que la nature m’a accordé, j’ai attendu trop longtemps pour ne pas pouvoir te contempler, lui ordonnais-je doucement alors que son sourire s’agrandissait, jouant avec l’extrémité de la serviette pour titiller mes terminaisons nerveuses. Charlie… grognais-je.
- Non, je vais rester comme ça, et tu vas continuer à me regarder comme tu le fais. Si tu as attendu longtemps pour admirer ta compagne, moi je suis plus que ravie que mon compagnon soit aussi facilement charmé par mon apparence, et je veux que tu continues de me regarder, même quand je ne suis plus nue, répondit Charlie alors que je souriais, fou de ce petit bout de femme qui s’affirmait sous mes yeux.
- Je vais passer mon éternité à te regarder, peu importe comment tu es vêtu, lui promis-je doucement. Le moindre détail chez toi me plaît, me séduit, m’envoûte… je ne peux pas me lasser de ta présence, et ce n’est pas juste une question de physique Charlie.
- Je sais, mais je commence à apprécier un peu trop tes compliments…
- J’espère bien, c’est le but. Je veux que tu te vois comme moi je te vois, je veux que tu comprennes à quel point tu es spécial pour moi.
- Oh je le sais, rigola doucement la jeune femme. Tu me le répètes tous les jours.
- Je continuerais de le faire même quand tu t’en seras lassée.
- Il faudrait vraiment être ingrat pour que cela arrive… souris la jeune femme en s’approchant de la baignoire pour me tendre une autre serviette que je finis par prendre pour m’envelopper dedans.
- Je t’aime aussi, plus que tout, soufflais-je en capturant son visage entre mes mains, avant de déposer un baiser sur ses lèvres, puis sur son front en ronronnant de bonheur, puis mon regard capta ses prunelles assombries par la soif. Allons chasser, on a passé tellement de temps dans cette salle de bains qu’on ne s’est pas nourri depuis un moment.
- Faisons vite alors, je veux profiter de l’Égypte le plus possible avant de rentrer à Volterra, je veux tout voir !
- On a encore le temps mon ange, plusieurs jours avant de repartir en Italie, la rassurais-je alors que je la regarder enfiler une robe blanche asymétrique qui dénudait l’une de ses épaules, avec une ceinture de perles autour de la taille, la tenue lui ayant été offerte par Tia.
J’avais moi-même délaissé mon uniforme habituel de garde, pour porter une tenue plus décontractée, avec un simple t-shirt blanc rentré dans mon jean, même si Amun m’avait proposé des vêtements pour traditionnels de l’Égypte, mais même si nous avions pu prendre quelques vacances, je voulais éviter d’éveiller de nouvelles méfiances chez Aro et lui donner des raisons de douter des intentions d’Amun, qui était simplement un hôte accueillant.
Nous quittâmes enfin mes appartements qui étaient désormais tout autant ceux de Charlie pour traverser les couloirs du temple qui étaient plongés dans le silence, les deux autres couples qui y vivaient semblaient être sortis, probablement pour se nourrir aussi. On quitta le palais pour parcourir l’infini du désert égyptien, où les seuls sons qui se distinguaient étaient le débit du Nil, le bruissement du vent et les échos d’animaux situés bien plus loin.
Il nous fallut que quelques minutes pour trouver des humains. Un couple de touristes imprudents s’était engagé dans la partie du désert qui était pourtant réputée dangereuse à cause des disparitions qui survenaient régulièrement. L’assurance qui les habitait il y a peu avait disparu de leurs traces mentales en constatant qu’ils s’étaient perdus et qu’ils étaient désormais bien loin du Caire. Ils regardaient beaucoup autour d’eux dans l’espoir de retrouver leur chemin, quand ils nous aperçurent, venant vers nous sans réfléchir un instant sur la pertinence de cette décision. Le soleil se levait lentement, encore caché par la hauteur des dunes et des pyramides qui nous entouraient, par conséquent nos peaux n’avaient pas encore commencé à scintiller. Mais quand ils furent à notre hauteur, et qu’ils virent à quel point nous étions pâles, et que nos yeux noirs n’avaient rien de commodes, ils regrettèrent rapidement cette décision, et sans même se concentrer, prirent la fuite chacun dans une direction opposée.
- Les femmes d’abord, souris-je à Charlie en la laissant choisir sa proie, l’observant rattraper avec une rapidité incroyable l’humaine qui se mit à hurler de terreur avant d’être exsangué par la française tandis que je mettais à la poursuite du mari, n’ayant même pas besoin d’utiliser mon don pour le traquer tant il est facilement de le suivre vu sa respiration bruyante.
Quelques secondes me suffirent pour engloutir mon repas, savourant le sang chaud qui se déversait dans ma gorge, me rendant encore plus vivace. J’essuyais une goutte du précieux nectar qui restait sur mes lèvres, bercé par les pas légers de Charlie qui m’avait rejoint, usant de son don pour faire disparaître les dépouilles des touristes pour qu’ils ne soient jamais retrouvés.
- Ce silence est une bénédiction, pas d’odeurs parasites, pas de bruits désagréables provoquées par la présence humaine, et pas de Jane dans les parages pour pester sur quoi que ce soit, soulevais-je sous le rire amusé de la jeune femme.
- Eh bien, j’imagine qu’elle sera plus apaisée quand on la reverra, maintenant qu’elle a trouvé Alexei, sourit Charlie malgré le frisson qui la traversa, se souvenant certainement de son pouvoir si sombre.
- Ou bien elle sera encore pire, soupirais-je en espérant que Félix ne soit pas trop malmené par ces deux petits démons.
Il y a eu alors un faible bruit qui attira notre attention, provenant d’une oasis déserte sur notre droite.
- Tu as entendu ? Demanda Charlie alors que je contenais un sourire moqueur face à cette question qui ne nécessitait pas de réponses.
Le son se manifesta de nouveau, que j’identifiais comme un miaulement alors que la française avait déjà rejoint un amas de roches et sable au pied d’une dune, pour se baisser avec un sourire charmé, se mettant à parler d’une voix anormalement aiguë déformée par l’attendrissement.
- Oh mais qu’il est tout chou… s’émerveilla ma compagne en prenant doucement une petite boule de poils dans ses bras.
Un chaton noir, amaigri et tremblant se réfugia contre son cou en miaulant, plantant ses griffes dans la robe de Charlie qui ne ressentit aucune douleur.
- Qui a bien pu abandonner ce petit ange dans le désert ?
- Il s’est probablement échappé de la ville ou d’une caravane de nomades quand qu’ils avaient le dos tourné. Mon ange… je ne pense pas qu’il survivra, essayais-je de lui dire avec tact, ne voulant pas qu’elle s’attache à un animal condamné, je la connaissais assez pour savoir qu’elle serait peinée.
- Tu ne veux quand même pas qu’on le laisse mourir ici ? S’offusqua Charlie en me regardant choquée, sans cesser de laisser ses doigts câliner la fourrure du félin pour l’apaiser.
- Amun va nous prendre pour des fous si on le ramène… tentais-je de me justifier.
- Je croyais que les chats étaient vénérés dans l’ancienne Égypte ? Arqua la jeune femme.
- C’est… vrai, affirmais-je après un bref silence.
- Tu as peur d’un mini fauve ?
- Je suis un traqueur, une créature de la nuit, un prédateur redoutable, je n’ai peur de rien, et sûrement de cette petite chose, répliquais-je en cherchant à lui expliquer le fond du problème. Mais il n’a aucune chance de survie à Volterra au milieu de la garde.
- Depuis quand les Volturi sont-ils végétariens ?
- Tu as l’intention de me contredire à chaque phrase ?
- Je vais le garder et en prendre soin ! Et si les rois ne sont pas d’accord, alors je ferais les yeux doux à Didyme pour qu’elle prenne mon parti, fit la française sur un ton si ferme que je ne peux laisser un rire m’échapper.
- Je vois que tu apprends vite comment le clan fonctionne… souris-je amusé.
- Je peux garder Salem maintenant ? Me supplia Charlie avec des yeux malheureux à l’idée que je refuse, me retenant au passage ne pas faire de commentaire sur le nom qu’elle lui avait donné.
- Bien sûr mon ange… soupirais-je, incapable de lui refuser ce caprice alors qu’on reprenait la route pour rentrer au temple.
- Tu imagines un chat immortel ?
- Charlie… notre venin est mortel pour les animaux… tu peux le garder, mais tu ne pourras pas en faire un chat vampirisé, lui précisais-je alors que ma compagne ne semblait pas convaincu.
- Un jour je trouverais un vampire possédant un don capable de changer ça, et un autre qui me permettra de remanger comme un humain. J’ai trop envie d’une raclette… marmonna Charlie en embrassant le chaton entre ses deux oreilles.
Un sourire niais m’échappa à nouveau, attendri par ses réactions. Elle avait beau être désormais une immortelle aux instincts de chasseuse hors-pair, elle gardait cette humanité lumineuse et rafraîchissante qui la distinguait des autres vampires. Et j’espérais qu’elle ne s’amenuiserait pas au fil des siècles, parce que j’aimais Charlie tel qu’elle était aujourd’hui.