En 376 avant notre ère
Quatre années se sont écoulées après cette rencontre entre Demetri et l’immortel égyptien. Plutôt que de précipiter les choses par une transformation immédiate, Amun prit soin de son protégé, la toute première raison était la plus évidente. Il vivait depuis longtemps, il avait croisé bien des nouveau-nés, et s’était désolé de constater à quel point ils étaient mal préparés à l’éternité. Il voulait créer des vampires sains d’esprits et qui ne risquaient pas d’être un problème pour lui, surtout si cela impliquait d’attirer l’attention de vampires étrangers alors qu’il espérait ne plus entendre parler des Volturi.
Le rescapé du clan d’Alexandrie prit son temps pour préparer Demetri et s’assurer qu’il reste stable une fois la transmutation terminée. Cela lui a permis de découvrir davantage les aptitudes du spartiate et de découvrir de quoi il était capable exactement. Il l’avait mené jusqu’à son palais dans la vallée du Nil, à proximité de somptueuses pyramides, sans tenir compte de la méfiance de sa compagne Kebi qui voyait l’humain d’un mauvais œil, n’appréciant pas l’intérêt que lui portait Amun. Il le fit installer dans une chambre spacieuse et avait veillé à ce que Demetri se remette d’abord de ses blessures et ne risque pas de mourir, notamment à cause d’une infection. Et bien qu’il soit indifférent depuis longtemps aux problèmes des humains, il avait dû prendre sur lui pour inciter Demetri à ne pas culpabiliser pour la mort de ses marins qui était de toute façon, inévitable. Bien qu’il n’y ait pas de lois officielles à ce sujet, les créateurs étaient responsables de leurs vampires, Amun se devait donc d’être présent pour Demetri, quelle que soit la raison.
Une fois que l’officier fut totalement remis, ils purent démarrer un apprentissage intensif et productif, visant à perfectionner les talents de Demetri, ainsi que ses connaissances du monde. Pendant quatre ans, il lui enseigna les différentes langues qui étaient utilisées de la vallée du Nil jusqu’au nord de l’empire romain, y compris les plus vieux dialectes, dont les hiéroglyphes. Il lui fit étudier des cartes de différentes contrées, afin d’améliorer sa perception des lieux, y compris ceux qui se trouvaient très loin de leur position. Il lui expliqua longuement le mode de vie des pharaons et l’amena au pied de leurs plus beaux ouvrages, fier de présenter à un étranger sa culture d’autrefois. Mais surtout, ils passèrent des heures dans le désert à apprendre à l’officier grec l’art de la traque en le confrontant à divers défis, fasciné par le fait que Demetri se basait sur une intuition et non sur une trace physique ou olfactive. Amun se demandait si cette spécificité demeurerait une fois transformé, et il priait le dieu Rê tous les jours en ce sens. Il avait déjà croisé plusieurs traqueurs mais aucun ne s’était autant démarqué que son protégé. Cela dit, il leur faudrait envisager des entraînements basés sur la traque olfactive, dans le but de contrer dans un futur plus ou moins proche, des vampires capables de bloquer le pouvoir de Demetri qui demeurait psychique, aussi incroyable soit-il. Grâce à d’autres exercices, il exploita les sens de l’humain qui semblaient se développer et s’affiner en continu, et Amun ne pouvait que rêver en imaginant le blond en vampire. Il pourrait bien devenir sa plus belle création et l’immortel commençait à croire qu’un jour, il pourrait à nouveau régner sur les autres vampires. Mais les séances imposées par le vieux vampire ne se limitèrent pas au développement du don de Demetri. Il mit en place des sessions pour évaluer ses aptitudes physiques et ainsi maintenir son expérience au combat, lui permettant de voir jusqu’où le grec pouvait aller en demeurant humain. Il voulait voir s’il possédait la volonté de repousser ses limites et s’assurer que son esprit soit assez fort pour supporter tout ce qu’impliquait la vie éternelle.
La présence du jeune homme permit également à Amun d’entrer en contact avec des humains influents d’Égypte et de Grèce, dans le but de faire du commerce et de s’enrichir, permettant ainsi d’apaiser un peu la jalousie de Kebi en lui offrant de beaux bijoux des plus riches reines égyptiennes. Demetri devint un émissaire et négociateur précieux pour diverses affaires discrètes, lui permettant d’accéder à de prestigieuses cours, notamment à Louxor, jusqu’en Asie Mineure. Ces missions diplomatiques étaient une réussite, notamment grâce au caractère sage et posé du traqueur. Il était patient et courtois, poli et discipliné, augmentant sa côte de popularité aussi bien auprès de la gent masculine, qu’auprès des femmes, bien que le spartiate leur porte peu d’intérêts, se concentrant sur ses missions pour ne pas décevoir Amun. Car si Demetri était fasciné de découvrir de nouveaux peuples et de converser avec eux, il le faisait surtout de bon cœur, convaincu d’être libre de ses mouvements. Une véritable relation paternelle s’était installée entre les deux hommes. Le spartiate se sentait enfin respecté, et ne s’était jamais senti inférieur au vampire qui le considérait comme un égal. Et Amun espérait en permanence que le clan d’Alexandrie retrouve sa noblesse et sa splendeur de jadis. Mais surtout, l’égyptien était intelligent et émettait rarement des contraintes envers son protégé. Il avait beau être possessif, craignant que Demetri se rebelle et souhaite retourner auprès des siens qui le croyaient mort en mer depuis longtemps, il veillait à lui donner l’illusion du libre arbitre. Il ne précipita pas sa transformation, lui laissant croire qu’il pouvait repartir quand il le souhaitait.
Amun se souvenait d’une discussion entre Demetri et lui qui était la plus précieuse de toute pour son espèce. L’existence des compagnons. Il avait pris soin de le rassurer quand Demetri avait exprimé des doutes sur le fait de devenir immortel et passé une éternité seule. Avant de le regretter pendant un temps, parce que le grec avait émis le souhait de partir à sa recherche, convaincu de pouvoir la trouver grâce à ses aptitudes de traqueur. L’égyptien avait donc dû lui dire qu’il pouvait se passer des décennies, voir des siècles avant qu’un vampire ne trouve son âme-sœur, car elle pouvait apparaître n’importe où et à n’importe quelle époque. Après cela, Demetri n’avait plus mentionné le souhait de quitter Amun et l’égyptien avait retrouvé sa sérénité, ne lui imposant toujours pas une ligne de conduite afin de préserver sa confiance. D’ailleurs, le blond se mettait rarement en colère, et même lorsqu’il s’emportait, il demeurait calme, ce qui le rendait encore plus inquiétant. Rien n’était plus redoutable qu’une colère froide.
Amun espérait que sa personnalité ne serait pas amoindrie par la transformation, redoutant de voir l’impulsivité caractéristique des nouveau-nés s’emparer du grec lors de ses premières années d’immortel. Ils travaillaient d’ailleurs également sa transmutation à venir, au moyen de ressources que peu des siens connaissaient. Les vampires de l’Égypte antique avaient étudié leur venin afin d’en comprendre son fonctionnement, et ainsi peut-être remonter les traces du tout premier immortel qui demeurait un mystère. Certains étaient convaincus que le vampirisme était né lorsque les humains côtoyaient les divinités égyptiennes et vivaient à leurs côtés en toute harmonie. Mais même en partant du principe qu’elles aient un jour réellement existé, ils n’avaient jamais pu prouver cette théorie. Cependant, ils firent d’autres découvertes intéressantes qu’ils gardèrent jalousement, refusant de les partager avec leurs congénères étrangers qu’ils considéraient comme des envahisseurs cupides. Après des siècles de recherche, ils s’étaient rendu compte que l’ingestion d’une toute petite quantité de venin avait des effets bénéfiques pour guérir certaines plaies, même les plus graves. Mais cela ne s’appliquait qu’aux blessures et que la guérison de maladies n’était en revanche pas possible. Mais le venin de vampire était à manipuler avec précaution, car il ne garantissait pas une transformation en vampire. En effet, un individu trop affaibli risquait de mourir durant le processus à cause des toxines contenues dedans. C’est ainsi que d’autres théories virent le jour. Certains vampires pensaient que cela arrivait lorsque les dieux avaient décidé qu’un homme ne méritait pas l’immortalité. Encore une fois, sans pouvoir le prouver.
Néanmoins, c’était une raison supplémentaire qui justifiait les réticences d’Amun à ne pas transformer Demetri rapidement. Le grec était tellement mal en point lorsqu’il l’avait trouvé qu’il avait craint qu’il ne survive pas à la transformation. C’était à ce moment qu’il avait pris la décision de retarder cet instant, et avait préféré privilégier l’éducation de son protégé. En contrepartie, il lui donnait de temps en temps de petites doses de venin afin d’habituer l’organisme de Demetri, dans l’espoir que la transmutation soit moins douloureuse pour l’officier. Malgré bien des recherches, les vampires de l’Égypte antique n’avaient pas encore trouvé le moyen d’amoindrir les ravages causés par ce processus qui changeait à jamais un être fragile en une créature surpuissante au sommet de la chaîne alimentaire. Certains individus supportaient mieux ces quelques jours de souffrance en s’habituant au venin, mais cela différait d’un humain à l’autre, selon ses sensibilités et ses perceptions. Demetri étant en train de développer une hyper sensorialité, il subirait sûrement de plein fouet les brûlures du poison.
Pourtant, le jeune traqueur aspirait à cette nouvelle vie. Maintenant qu’il savait qui il était et de quoi il était capable, qu’il avait eu des réponses à ses questions et qu’il savait qu’il n’y avait rien d’anormal chez lui, Demetri voulait devenir un vampire. La principale raison étant l’envie d’être encore meilleur traqueur une fois immortel. Amun l’avait progressivement habitué à ne pas craindre d’ôter une vie pour se nourrir, lui rappelant qu’un tel pouvoir ne s’obtenait pas aussi facilement et qu’il fallait concéder à des sacrifices. Sans parler de conditionnement, l’égyptien avait inculqué au spartiate son nouveau mode de vie avec tant de patience qu’il était perçu comme totalement naturel pour Demetri. Et pourtant son humanité ne semblait pas être impactée. Du moins pour le moment.
Malgré l’attrait de sa nouvelle vie auprès d’Amun, l’officier finit par ressentir l’appel de l’honneur, et aussi du sang, car il avait fini par aimer se battre face à ses ennemis. Il ne pouvait oublier qu’il avait délaissé son propre monde et les valeurs qu’on lui avait inculquées durant trente ans. Bien qu’Amun lui avait assuré que les siens le pensaient mort, par moment il se sentait comme un fugitif ou un traître d’avoir abandonné ses responsabilités. Il demanda à plusieurs reprises à l’homme qui était devenue une figure paternelle de lui confier une mission en Grèce pour lui permettre de renouer avec Sparte, mais Amun savait qu’en le laissant partir, Demetri serait tenté d’un retour définitif parmi les siens, ou pire, il serait exposé aux risques humains. Cependant, malgré les réticences de l’égyptien, le grec ressentait le besoin de se prouver à lui-même qu’il n’avait pas besoin d’Amun pour survivre et qu’il pouvait décider de comment vivre sa vie avant d’y renoncer pour de bon. C’est ainsi qu’un matin il quitta l’Égypte lorsqu’Amun avait le dos tourné, montant dans un navire qui le ramena sur les côtes grecques.
Ne pouvant retourner à Sparte où son visage demeurait connu même après s’être coupé les cheveux, Demetri décida de vivre sous une fausse identité dans les villages alentours. A son grand regret, au fil des jours, il ne put que constater qu’il n’avait plus sa place dans le monde des hommes. Il était devenu trop conscient du monde occulte, trop puissant en tant que traqueur malgré sa condition humaine, pour se contenter de si peu désormais. Il réalisait que son temps en tant qu’humain devait cesser afin d’embraser le destin d’éternité auquel il avait été formaté. Le moment était venu, il était prêt à retrouver Amun pour devenir un vampire.
Malheureusement, il fut rattrapé par les devoirs de la vie humaine. Les conflits entre Sparte et les autres cités faisaient rage, et il fut réquisitionné par l’armée, comme tout homme capable de se battre. C’est ainsi qu’il participa à la bataille de Naxos face à Athènes et sa nouvelle flotte, et qui fut une défaite décisive pour Sparte qui perdit durablement de sa puissance sur le domaine maritime. Demetri était bien plus rapide et fort que la plupart des humains grâce à ses entraînements. Malgré tout, il fut mortellement blessé. Il s’était battu avec férocité et loyauté envers Sparte, mais ses forces l’abandonnaient, alors que le navire sur lequel il était, s’apprêtait à sombrer dans les profondeurs de la mer Égée.
Amun s’était senti trahi par la fuite de Demetri, et en colère car ce qu’il avait redouté depuis le début avait fini par arriver, et regrettait de ne pas s’être montré davantage ferme à l’égard du spartiate. Mais la frustration avait vite été remplacé par l’effroi de le perdre. Demetri était devenu bien plus qu’un simple élément dans sa quête de pouvoirs, il l’avait traité comme un fils, il s’était attaché à lui et il ne supporterait pas sa perte. Il avait découvert son absence quelques jours après, réalisant que l’officier mettait beaucoup trop de temps à revenir de sa mission dans le Delta du Nil. Il avait vite compris où était parti le traqueur qui avait négocié durant des jours pour retourner chez lui. Il se sentait bête de l’avoir envoyé en mission sans le surveiller, mais il lui faisait tellement confiance qu’il avait préféré ignorer le risque qu’il puisse l’abandonner. Il était tellement obnubilé par le fait de le retrouver avant qu’il ne soit trop tard qu’il en avait rejeté Kebi qui se sentait toujours plus délaissée par son compagnon, et qui haïssait un peu plus chaque jour le traqueur pour lui voler son âme-sœur. Elle espérait que Demetri périsse, et l’avait ouvertement exprimé à Amun, ce qu’elle faisait rarement, étant habituellement une compagne obéissante et effacée. Ce qui avait aggravé la colère de l’égyptien qui avait ordonné à Kebi de rester chez eux pendant qu’il ramenait Demetri. Il se fiait aux rumeurs qui parvenaient jusqu’en Égypte, et avait entendu qu’une bataille se préparait entre Sparte et sa rivale de toujours, Athènes. Il savait que Demetri y serait, l’officier avait trop d’honneur pour abandonner sa cité après être revenue pour elle. Il n’eut aucun mal à se trouver un navire qui le mena jusqu’à Naxos, constatant les dégâts. Des centaines de navires gisaient autour de lui, tandis que des odeurs de chairs brûlées et de sang se propageaient à des lieues à la ronde. Il chercha du regard la chevelure blonde désormais courte de Demetri, qu’il repéra un peu plus loin. Il bondit avec grâce sur le bateau qui coulait pour en extirper le jeune homme à temps, et le ramena sur le sien qui vira de bord pour retourner en Égypte.
Il s’agenouilla le regard sévère auprès de Demetri qui était à moitié conscient, tentant d’ignorer la peur qui s’animait en lui, un sentiment humain qu’il ressentait rarement.
- Es-tu prêt mon garçon ? Demanda-t-il froidement pour ne pas laisser transparaître ses émotions tandis que le grec le regardait avec soulagement de voir qu’Amun était venu le chercher malgré son départ en catimini.
- Depuis le premier jour. Pardonne-moi… ajouta-t-il honteusement, les joues rougies par le sang et la gêne, se sentant comme un petit garçon prit en faute par son père. Je suis désolée d’être parti Amun…
Le regard dur de l’égyptien s’adoucit légèrement malgré lui mais ne prononça pas un mot de plus. Il plaça une main sous la nuque de Demetri, conscient qu’il pourrait ne pas survivre au poison dans son état, mais il n’avait plus le temps de prendre une autre décision. Son regard croisa une dernière fois le regard bleu du traqueur et le mordit sans attendre, luttant pour ne pas s’abreuver de son sang qui était un délice. Une fois le venin circulant dans son organisme, Amun se fit violence pour se détacher du corps chaud du spartiate, le poison incandescent se propageant déjà comme une marée brûlante à travers ses veines. La douleur fut insoutenable, et malgré ses plaintes de douleur, Demetri savait au fond de lui qu’il ne brûlait pas vraiment. Non, il renaissait.