Je n'avais jamais connu quelque chose d'aussi merveilleux que de parcourir le monde avec Charlie pour seule compagnie. Nous étions partis juste après la veillée funéraire, le temps d'enfiler nos capes de voyages et d'expliquer à Félix, qui ne voulait pas nous voir partir, que nous comptions bien revenir à Volterra.
J'avais un sérieux besoin de prendre de la distance avec la forteresse pour le moment qui me rappelait trop de souvenirs partagés avec Heidi. Sa perte était difficile à accepter après tous ses siècles passés ensembles depuis que nous avions détruit son ancien clan avec sa créatrice Hilda. J'aurais besoin de temps pour m'y faire, et un voyage était le bienvenu aussi bien pour moi que pour Charlie qui était encore tendue, ressassant en permanence les scènes de la guerre à laquelle elle avait été mêlée. Et avec le recul, je réalisais la chance que j'avais eue qu'elle devienne notre secrétaire pour quelques semaines. Si elle n'avait pas accepté ce travail, Aznar et Charlotte l'auraient trouvé plus tôt et transformé pour l'ajouter aux vampires que nous avions dû combattre. Notre première rencontre aurait pu être bien pu houleuse, pire elle aurait pu périr au cours de la bataille sans que je en sache que ma compagne était là.
En ce qui me concernait, j'aurais pu être encore plus ravagé si Félix ne m'avait pas retenu sur les ordres d'Aro. Parce que j'avais senti pour la première fois l'autorité de mon créateur empiéter sur mon libre arbitre lorsqu'il m'avait ordonné de le libérer de son éternité. Je frissonnais d'effroi en y repensant parce que j'avais été incapable de reprendre l'ascendant sur la contrainte d'Amun. Si Didyme et Charlie n'avaient pas rafistolé Kebi, je n'aurais jamais pu me remettre de l'exécution de l'égyptien de ma main après toutes ces années de loyauté envers les Volturi pour préserver son clan.
La jeune femme m'avait suivi tout en essayant de savoir quelle était la destination, et à vrai dire j'en avais deux en tête que je voulais lui faire découvrir. C'était les deux endroits qui avaient le plus d'importance pour moi, mais avant, j'avais tenu à en savoir plus sur la vie humaine de Charlie, la laissant me guider dans sa ville natale dont je connaissais déjà une partie de l'histoire par le biais de mon meilleur ami. Mais la voir sous l'angle de la petite blonde était tout aussi instructif, déambulant derrière elle dans le centre historique de Reims sans nous soucier de la météo qui était particulièrement pluvieuse, nous étions les seuls à avoir osé nous aventurer dehors. Charlie n'avait pas voulu retourner devant son petit studio qui n'avait pas d'importance pour elle. Mais elle m'avait montré la vieille bâtisse dans laquelle elle avait grandi avec ses parents, et je fus assez surpris de réaliser qu'elle était placée au même emplacement où avait vécu Félix des siècles plus tôt, à quelques pas d'un vieux cryptoportique qui remontait aux premiers romains qui avaient colonisé la cité des sacres. Ce n'était évidemment pas la même maison parce qu'elle avait été rasée depuis longtemps, mais c'était amusant de voir combien le colosse et sa descendante avaient de points communs.
- Tu savais que Félix avait voulu transformer Jeanne d'Arc ? Lui demandais-je alors qu'elle vérifiait les nombreuses photos faites sur son téléphone pour garder des souvenirs positifs de sa vie à Reims.
Je savais combien le sujet était sensible chez les deux français qui vouaient un véritable culte à la Pucelle d'Orléans, alors que je vis la mine outrée de Charlie, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire.
- Je peux savoir pour quelles raisons il a décidé de ne pas le faire ? S'emporta la jeune femme qui avait quitté son écran des yeux qui représentait la cathédrale des rois.
- Il ne pensait pas que Charles VII l'abandonnerait aux mains d'un procès d'Inquisition, et à l'époque nous devions gérer les jumeaux. Ils étaient immortels depuis plusieurs siècles, leur période de nouveau-nés était donc achevée. Mais disons qu’ils ont eue plusieurs crises d’adolescence, qui ont vraiment des plaies à gérer comment ils n'avaient pas fini de se développer en tant qu'humain. Quand il a appris qu'elle était condamnée au bûcher, il s'est rendu en France aussi vite que possible, mais il y avait trop de monde pour intervenir, il aurait fallu faire disparaître les centaines de curieux témoins du sauvetage de Jeanne, et Aro ne l'aurait pas accepté, il pensait qu'elle sèmerait la discorde au sein de la garde... il l'a alors regardé partir en cendres malgré les remords, mais il lui a fallu des décennies pour s'en remettre. C'est d'ailleurs pour ça qu'il a décidé de transformer Gille de Rais malgré sa réputation, il pensait se racheter en sauvant un de ses compagnons d'arme qui était également condamné à mort.
- Je ne cracherais par sur le personnage parce qu'il m'a sauvé la vie lors de la bataille, mais entre Jeanne d'Arc et de Rais, il y avait une grosse différence... fit-elle alors que nous marchions depuis quelques heures à travers les paysages du nord de la Grèce, n'ayant peut-être même pas conscience d'où elle se trouvait.
- Et c'est pour cette raison que je ne pourrais jamais en vouloir à Félix d'avoir accordé l'immortalité à un homme qui est venu à ton secours, même si sa moralité était plus que discutable, ajoutais-je.
Je pris alors sa main dans la mienne pour continuer à avancer entre les montagnes des Météores alors qu'elle remettait son portable dans sa poche.
- Des personnalités historiques connues, il y en a eu bien d'autres qui sont devenues vampires ou qui ont failli le devenir, mais la plupart se sont recluses du monde, et d'autres sont mortes pour une seconde fois, notamment lors de batailles de clans. C'est le cas de Cléopâtre, Amun a tenté de la transformer mais elle n'a pas supporté le venin qui n'a pas pu opérer.
- Elle n'est pas morte empoisonnée ?
- La version officielle qui a circulé à travers les siècles est vraie, Amun est arrivé trop tard sur les lieux pour que son venin puisse agir. Il espérait en faire ma compagne à l'époque... lui confiais-je avant de le regretter en voyant son regard devenu si sombre.
C'était bien la première fois que Charlie manifestait une quelconque jalousie, et j'hésitais entre rire et me maudire parce que je savais que j'allais en entendre parler pendant encore longtemps.
- Il ne s'est absolument rien passé avec Cléopâtre ! Me défendis-je rapidement alors que j'entendis un bref grognement émaner de sa gorge.
- J'espère, siffla la petite blonde en se mettant à bouder, la rendant désespérément mignonne.
Bon sang ce petit bout de femme me rendait dingue et ce n'était pas donné à tout le monde de mettre à l'épreuve ma patience. Lorsqu'elle tourna la tête sur le côté pour observer la citadelle des Météores au loin, je profitais de son inattention pour la soulever sans la moindre difficulté, la porter sur mon épaule et déposer un baiser sur sa hanche recouverte par ses vêtements, la faisant râler au passage.
- Arrête de ronchonner, tu passes beaucoup trop de temps avec Jane mon ange, m'amusais-je en me mettant à courir durant une bonne heure sans jamais la relâcher. Je sais que tu aimes quand je te touche, souris-je avec assurance.
- Mmmm... l'entendis-je marmonner de mauvaise foi alors que je sentais son corps pourtant parfaitement détendu contre le mien, ne cherchant pas à se débattre. J'ai tendance à oublier que tu as connu un certain nombre de femmes en plus de deux millénaires.
- Aucune n'a jamais eu la moindre importance pour moi. Elles ne m'étaient pas destinées, et elles n'étaient pas toi, lui susurrais-je alors que j'étais certain qu'elle ne croyait pas à mes paroles mielleuses qui étaient pourtant sincères. Mon ange, je t'aime plus que tout, mais je ne connais aucun homme, ni aucune femme, qui aurait été capable de faire vœu de chasteté pendant plus de vingt siècles sans ressentir la moindre frustration... mes bourses auraient explosé plus d'une fois si j'avais essayé, lui signalais-je alors que la jeune femme se mettait à rire en imaginant la scène. Et je te signale que je ne fais aucun commentaire sur les aventures que tu as eu avant de débarquer à Volterra, ajoutais-je en retenant un grognement possessif à cette pensée.
- Touché, concéda la jeune femme.
Nous arrivâmes alors dans le sud de la Grèce, où demeuraient peu de constructions, laissant la nature sauvage de Sparte intacte, telle que je l'avais connu ou presque.
- Alors, où sommes-nous ?
- Dans ma cité natale, ou en tout cas, ce qu'il en reste.
A contrecœur, je reposais Charlie sur ses pieds mais en gardant sa main dans la mienne alors qu'elle regardait autour d'elle avec une curiosité qui n'était pas feinte. J'avais l'impression de la revoir m'écouter en train de raconter mon histoire avec intérêt.
- C'est difficile d'imaginer à quoi ça pouvait ressembler à l'époque, commenta Charlie qui devait essayer de se représenter les lieux tels que je les avais connus.
Je ne pouvais malheureusement pas la contredire parce qu'il ne restait que des ruines, comme la plupart des cités qui avaient eu le malheur d'être jugées trop dangereuses pour l'empire romain. Une nouvelle ville avait été construite un peu plus loin, portant le glorieux nom de Sparte, mais le passé historique de la cité se trouvait devant nous. Posées ici et là dans l'herbe haute qui n'était pas entretenue, se trouvaient des bouts de pierres pour seuls vestiges. On pouvait voir quelques morceaux de colonnes et l'amphithéâtre était l'un des monuments les mieux conservés par le temps, mais globalement, l'ancienne et prestigieuse cité grecque n'était plus.
D'où j'étais, je pouvais sentir l'odeur salée de la Méditerranée qui avait vu les dernières minutes de mon humanité prendre fin. Je ne pourrais même pas retrouver la localisation exacte de ma maison, mais je savais que c'était quelque part sur ma droite, à proximité de l'ancien site militaire où chaque homme devait faire son service jusqu'à ses trente ans. J'étais déjà revenu de temps à autre sur les lieux de mon enfance, mais ça me rendait toujours aussi nostalgique, parce que c'était une partie de l'histoire de mon pays. Une partie dont les historiens ne savaient pas grand-chose parce que chaque ennemi de Sparte avait toujours veillé à détruire les preuves de son existence. Une fois encore, j'étais envahi par l'émotion, d'autant plus que cette visite était encore plus symbolique en ayant amené Charlie avec moi. Je sentais son regard sur moi alors que je déambulais dans ce qui était autrefois le cœur de la vie commerciale des spartiates, me laissant quelques minutes avec mes souvenirs dont la plupart avaient disparu avec la transmutation. C'était Amun qui avait participé à combler les trous de mémoire une fois devenu vampire quand il avait compris que cela me tenait à cœur.
- Est-ce que tu veux que je te laisse seul quelques instants ? Demanda Charlie vers qui je m'étais tourné, m'observant sans manifester le moindre jugement à mon égard.
- Certainement pas, je ne t'ai pas emmené à Sparte pour te laisser dans un coin, l'arrêtais-je doucement, n'envisageant pas une seconde de nous séparer. J'étais juste perdu dans mes pensées, mais je tiens à ce que tu restes.
La petite française me rejoignit très rapidement, venant me prendre dans ses bras alors que je me laissais faire sans hésiter, embrassant son front avec tendresse.
- J'ai toujours trouvé ça séduisant un homme qui ne joue pas les insensibles, ronronna Charlie contre mon torse alors que sa remarque me faisait sourire, mon ego était toujours flatté par ses compliments, même les plus anodins. Cela dit je suis d'accord, on ne laisse pas bébé dans un coin comme dirait Patrick Swayze ...
- Encore une fois, je n'ai pas la moindre idée de qui tu parles, mais je n'ai aucune raison de jouer les insensibles avec toi, chuchotais-je en embrassant sa mâchoire.
J’appréciais son soupir de bien-être qui traduisait sa sérénité intérieure, parce que ça avait été compliqué de l'aider à se détendre après notre retour à la forteresse.
- Et je suis vraiment rassuré de te voir aller mieux au fil des jours.
- J'ai été de suite emballée par ta proposition, mais j'avais sous-estimé le bien que ça me ferait de changer d'air, je me sens beaucoup plus en paix et je n'aurais pas réussi à passer à autre chose aussi rapidement en restant enfermée à Volterra, se confia la jeune immortelle que je rapprochais de mon torse pour poser mon menton sur son front.
- Eh bien j'espère que tu n'es pas lassée par nos balades parce que ce n'est pas fini, Sparte n'était que la première étape, notre destination se trouve encore plus au sud, de l'autre côté de la Méditerranée. Tu as déjà vu le site des pyramides de Gizeh ?
- Pas de mes propres yeux, répondit la jeune femme dont le regard s'était illuminé.
- Avant de te rejoindre à la veillée funéraire, je suis parti voir Amun pour lui confier que l'Égypte me manquait et que j'aimerais y passer quelques temps avant de reprendre mon rôle de garde. J'ai vu à son regard combien ça lui plairait de nous héberger dans son palais, enfin surtout toi, il n'oubliera jamais que tu as sauvé Kebi, peu importe ce que tu pourras dire sur le déroulement des choses. Est-ce que ça te plairait ? Lui demandais-je alors que je sentais son esprit s'agiter pour éprouver de l'impatience.
- Carrément ! S'exclama Charlie en venant m'embrasser avec fougue, posant mes mains sur ses joues pour lui répondre avec la même intensité, grognant légèrement de satisfaction.
Pendant que nous étions en train de marcher vers la ville des sacres, elle m'avait confié combien c'était difficile de rester dans la forteresse qui était si sombre avec ses couloirs étroits après avoir été enfermée à Castelul Bran et personne ne pouvait lui reprocher. Le fait d'être libre de ses mouvements lui apportait un réconfort qu'elle n'aurait pas trouvé en Toscane, pas en si peu de temps.
- Je te suivrais où que tu ailles de toute façon Demetri, tu pourrais me demander n'importe quoi que je le ferais, gloussa la jeune femme alors qu'un sourire espiègle se dessina sur mes lèvres.
- Vraiment n'importe quoi ? Fis-je avec un sourire qui sous-entendait beaucoup de choses.
- Parfaitement, assura Charlie sans se démonter malgré le sous-entendu explicite de ma question. Je t'aime et je te fais une confiance aveugle, parce que je sais que tu ne ferais jamais rien qui puisse me desservir, je n'ai aucune raison de me méfier de toi, affirma-t-elle alors qu'elle atteignait les tréfonds de mon âme avec seulement quelques mots pour me faire vibrer de l'intérieur.
- Qu'on soit bien d'accord, l'inverse est également valable, précisais-je avec tendresse en l'entraînant dans ce qu'il restait des ruelles de la cité antique sans la quitter des yeux. Et je compte bien passer mon éternité à te le montrer...