Sur la défensive dès le moment où j'avais dû mettre les pieds dans la salle aux trônes, j'avais très mal accueilli le fait de devoir supporter les Cullen quelques jours, le temps d'en apprendre plus sur les projets d’Aznar et sur la stratégie à adopter. Il avait apparemment proposé une alliance au clan nord-américain pour nous renverser, qui l'avait refusé, mais il avait quand même attendu l'attaque pour nous en avertir. La même proposition semblait avoir été faite à la plupart des autres clans qui semblaient l'avoir également décliné. A l'exception des roumains, nous ignorions quelle position ils avaient choisi mais je doutais qu'ils se battent pour nous.
D'après la médium, Aznar avait des projets pour son futur règne qui ne pouvaient pas être ignorés par leur clan de végétariens. Il comptait créer des parcs à humains pour y stocker ses réserves de nourriture. Il espérait aussi pouvoir engendrer un grand nombre d'hybrides en laissant ses hommes profiter des humaines qui y seraient enfermées, quitte à révéler notre existence aux mortels. Les Cullen, qui n’avaient pas jugé bon de nous avertir plus rapidement de ces découvertes, étaient donc venus accompagner des Denali et de trois Quileutes. Cette déclaration de guerre ouverte ne pouvait plus être mise de côté. Même les maîtres n'auraient pas envisagé de pareilles monstruosités que nous devions empêcher alors qu'il ne soit trop tard. Si les végétariens acceptaient de se battre, ça ne serait certainement pas pour nous non plus, mais pour sauver les innocents qui pourraient être pris pour cible. Parce qu'ils avaient beau nous mépriser, nous faisions attention aux humains, en protégeant notre secret, et en veillant à ce que les responsables de massacres soient punis.
On allait donc probablement accueillir d'autres clans invités à participer à cette guerre, ce qui voulait dire une nuisance sonore permanente. Et beaucoup de pression pour Charlie. J'avais dû mettre volontairement mon écoute de côté avec Edward dans la même pièce. Mais sur le trajet pour mener nos très chers invités aux appartements qui leur étaient réservés, alors que je sentais la tension monter en bas, j'avais dû redescendre pour m'assurer que Charlie ne se prenne pas un coup par accident. Etant donné que j'avais eu le privilège d'entendre Jane se défouler sur l'américaine comme elle en avait souvent rêvé depuis notre retour de Forks, je me doutais que la situation pouvait dégénérer rapidement en une catastrophe irréversible.
Sauf que Santiago et Afton étaient de retour de leur ronde au même moment et qu'apparemment, ils avaient trouvé deux nouveau-nés de l'espagnol en chemin. Ils les avaient donc amenés à Aro pour essayer d'en savoir plus. Ceux-là étaient sûrement transformés depuis peu parce qu'ils étaient de vraies furies. Et alors que j'arrivais à l'extrémité du couloir qui menait au standard, j'en avais vu un se jeter sans hésitation sur l'humaine, n'étant pas importuné par son odeur menstruelle, aveuglé par la soif de sang. Il avait fallu un instant à la garde pour reprendre ses esprits alors qu'elle était encore en train de regarder Jane en venir aux mains avec Swan. Un instant de trop où l'enflure mordit violemment mon ange qui n'avait aucune chance d'échapper aux pulsions d'un nouveau vampire. Dans un cri mélangé à un grognement, je m'étais jeté sur lui pour l'écarter mais il s'était nourri tellement vite que la française n'avait aucune chance de s'en sortir. Pétrifié durant une seconde, la voix de Chelsea me parvint difficilement alors que je regardais son sang former une flaque sur le sol sans pouvoir agir.
- Demetri, elle va mourir !
Lentement, mon cerveau se reconnecta au moment où je reconnaissais la silhouette d'Afton s'agenouiller et la mordre à son tour pour lui injecter du venin. Si au début je le laissais faire, ne pouvant rien faire de plus à part attendre, j'avais finalement dû intervenir en voyant que ça devenait trop long, comprenant qu'il se nourrissait de son sang à son tour, ayant perdu le contrôle en voulant bien faire.
- Ça suffit Afton, ordonnais-je en l'encerclant de mes bras pour le forcer à relâcher sa prise sur la gorge de ma compagne. Lâche-la !
Chelsea arriva au même moment et parvint à lui faire abandonner le corps de Charlie que je pris immédiatement dans mes bras. L'incident avait eu le mérite de stopper les chamailleries autour alors que je serrais doucement la jeune femme contre moi. Si les circonstances avaient été différentes, j’aurais pu me réjouir qu'Aro n'ait pas réussi à l'avoir, mais j'étais trop tourmenté à l'idée que le peu de sang qui restait dans son organisme ne suffise pas pour tenir les trois jours de souffrance qui l'attendaient. Je n'avais jamais été aussi terrifié de ma vie, n'imaginant pas passer le restant de mon éternité sans elle après avoir patienté si longtemps pour la rencontrer.
- Elle va y arriver, fit l'athénienne en posant sa main sur mon épaule, voyant certainement la crainte qui m'envahissait.
Ne faisant pas attention à ce qu'il se passait autour, je filais vers mes appartements au moment où Aro arrivait au secrétariat. Ceux de la garde rapprochée étaient tout en haut de la forteresse alors que ceux des maîtres se trouvaient autour du cloître des jardins de la vieille bâtisse. Il ne me fallut pas plus d'une minute pour arriver devant ma porte et l'ouvrit à la volée d'une main sans jamais lâcher Charlie qui se tortillait dans mes bras. Le processus de transmutation avait commencé et j'appréhendais les prochains jours qui seraient une torture pour l'humaine.
En pénétrant dans mon espace personnel, je franchis le vaste salon pour rejoindre la chambre à grandes enjambées et la poser délicatement dessus alors qu'un gémissement de douleur franchit ses lèvres, suivit d'un cri, puis d'un autre... J'avais espéré que son don porté sur le feu l'aiderait à supporter la brûlure du venin mais je m'étais totalement fourvoyé, ce qui devenait une habitude depuis son arrivée à Volterra. N'ayant pas l'intention de quitter son chevet, je me séparais de la petite blonde juste le temps de lui trouver un t-shirt propre après avoir nettoyé le sang dans son cou, et la recouvrit de la couverture même si elle n'en aurait plus besoin. J'étais persuadé qu'elle serait toujours attirée par les sensations de chaleur alors que j'entendis bien plus bas le chaos que j'avais laissé. Pour ne pas attirer d'ennuis à son compagnon, Chelsea l'avait aussitôt défendu en soulignant sa rapidité à agir alors que la jeune femme était en train de mourir. Et je prendrais soin de le remercier personnellement dès que je pourrais, parce que j'en étais conscient aussi alors que je l'avais regardé se vider de son sang sans parvenir à réagir vite. Les jumeaux approuvèrent les propos de l'immortelle, plutôt dans un but de faire oublier la dispute causée par le petit diable blond. Puis Santiago tenta de s'excuser pour ne pas avoir retenu les nouveau-nés. Les Cullen étaient arrivés aussi au standard alors que le télépathe rejetait toute la faute sur l'anglaise. Tout s'était produit avec un tel enchaînement imprévisible que le souverain ne trouva rien à redire, surtout pas avec Edward qui aurait entendu sa volonté de contrôler ma compagne ce qui aurait continué d'entacher la réputation qu'il souhaitait redorer. Il avait été obligé d'accepter la situation qu'il ne pouvait plus changer, entraînant les deux bébés vampires en salle d'interrogatoire en remerciant Afton. Et j'avais l'impression qu'il le pensait, parce que cette attaque qui n'était pas préméditée se serait très mal terminée sans l'intervention du vampire américain. Aro dû se résigner à l'idée qu'il ne pourrait pas me contrôler ni tenter de le faire avec Charlie, mais ça ne voulait pas dire qu'il n'essayerait pas de la manipuler s'il en trouvait une occasion.
C'est alors que je perçus le couple s'approcher de mes appartements. Pour atténuer les sons auxquels j'étais très sensible à cause de mes sens, ils avaient été insonorisés davantage que ceux des autres gardes afin de permettre d'avoir un peu de calme, même si c'était toujours infernal à vivre. Mais pour une fois, aujourd'hui, j'appréciais ce que j'entendais parce que ça me permettait d'évaluer le degré de tensions présentes tout autour. Regardant impuissant le venin faire son œuvre avec virulence, je jetais à peine un œil au créateur de Charlie et sa moitié qui venait d'entrer sans attendre que je leur donne l'autorisation, me faisant grogner sans quitter Charlie des yeux.
- Demetri je... commença le vampire en cherchant ses mots, l'arrêtant d'un simple échange visuel.
- Tu as réussi là où j'ai échoué. Je ne suis pas certain que j'aurais réussi à la mordre à temps à cause de ce manque total de réaction, et c'est pour cette raison que je ne vais pas te reprocher de t'en être nourri, fis-je en acceptant la réalité. Même si je ne m'attendais pas à ça de ta part, je te remercie sincèrement Afton.
- Je suis au courant pour le pacte, ainsi les dettes sont payées, et Chelsea ne te doit plus rien, lâcha-t-il alors que je le regardais estomaqué, puis je jetais un œil à sa moitié.
- Je lui en ai parlé à notre retour, après notre discussion. Si des fois je ne pouvais pas le faire, j'ai demandé à Afton de s’en charger parce qu'il ne serait pas soupçonné. Et je ne t'en ai pas parlé pour ne pas donner de raisons à Aro de douter.
- Et tu ne t'ai pas dit qu'il s'en douterait en lisant son esprit ?
- J'ai appris à utiliser mon pouvoir pour cacher certaines conversations, dit-il sans que je ne m'y attende.
- Quoi ?
- Chelsea m'a fait travailler cet aspect pendant des années et avec de la persévérance, j'ai réussi à étendre mon invisibilité de façon permanente à certaines discussions qui sont rangées dans un coin de ma tête, m'assura-t-il en m'impressionnant.
Il avait réussi ce que j'avais voulu enseigner à Charlie, autrement dit c'était bien possible et ça me redonnait de l'espoir pour la suite, parce qu'Aro voudrait lire son esprit à son réveil. Je comptais donc sur le venin pour flouter ses souvenirs humains en attendant de maîtriser cet art.
- Ecoute, je suis ravi de savoir que ma compagne soit en route vers l'immortalité, mais j'ose espérer que tu n'useras jamais de ton emprise de créateur sur elle, ou je n'aurais aucune hésitation d'utiliser la mienne pour t'en dissuader, l'avertis-je alors que Chelsea me lançait soudainement un regard beaucoup moins amical.
- Je tâcherais d'être aussi respectueux à son égard que tu l'as été avec moi, me promit-il alors que j'hochais la tête heureux de le savoir. Je suis bien conscient que les créateurs ont une responsabilité envers ceux qu'ils transforment, que ce soit dans sa nouvelle éducation ou dans sa future formation, alors je veillerais à être à la hauteur.
- Bien. Tu peux rapatrier ses affaires ici, demandais-je poliment à l'athénienne pour qu'elle ne refuse pas après que j'ai menacé son compagnon en toute subtilité.
Il était hors de question qu'elle reste dans ce cagibi de secrétaire même si elle en avait fait quelque chose de chaleureux, et encore moins maintenant qu’elle s’apprêtait à devenir immortelle. Je tenais à l’installer avec moi, où elle serait loin des Cullen, de toutes tentations humaines, et d'Aro. Le souverain lui attribuerait sûrement une chambre similaire à celle des gardes de rang inférieur, et je voulais que Charlie puisse bénéficier du meilleur. Je savais qu’en plus elle était peinée de ne pas pouvoir profiter du paysage et de la lumière du jour dans sa chambre actuelle, ici elle pourrait bénéficier d’une très belle vue sur les toits de Volterra et la campagne environnante. Et puis j’avais terriblement envie de sentir son odeur s’imprégner dans tous les recoins de mes appartements et de profiter de sa présence en permanence, je n’avais pas trouvé ma compagne pour la laisser croupir dans un coin de la forteresse comme si elle n’avait pas la moindre importance pour moi.
- Très bien, mais ne t'avise plus de le menacer ou tous les deux, nous aurons un problème Demetri, céda Chelsea avec agacement en sortant et en emportant Afton avec elle.
La laissant partir en levant les aux yeux au ciel face à son ton dramatique, alors que je voulais juste m'assurer que l'américain avait conscience de ce que son geste impliquait, je reportais désormais toute mon attention sur Charlie. Elle gémissait toujours de douleur en continue, lâchant parfois des cris qui me procuraient des frissons dans le dos. Sa douleur se montra aussi intense et invasive que je l'avais redouté. J'ignorais quand aurait lieu l'affrontement mais il se rapprochait dangereusement et je n'aurais pas le temps de l'entraîner à la fois au combat, et de l'aider à maîtriser son don. Nous serons vite pris de court et l'issue m'inquiétait parce qu'en deux millénaires d'existence, je n'avais jamais eu aussi peur, alors que maintenant j'étais angoissé à l'idée de la perdre. Au moins elle pourrait profiter de sa propre force de nouveau-né, si elle parvenait à ne pas céder à ses pulsions dès qu'elle serait à proximité de corps chauds remplis de vie et de sang.
J'entendis au loin les souverains donner des ordres aux gardes présents dans la salle aux trônes pour aller à la rencontre de chaque clan. Afin de les inciter à venir jusqu'à la forteresse pour que nous puissions les avertir de l'avenir, et les convaincre de se battre avec nous. Ce qui s'annonçait délicat, alors que la dernière fois que nous nous étions retrouvés tous au même endroit, nous étions l'ennemi à abattre à leurs yeux, et que nous étions prêts à les éliminer à cause de la cupidité d'Aro. J'aurais aimé pouvoir me rendre moi-même au Caire pour parler à Amun, mais je ne pouvais pas partir et laisser la jeune femme qui allait débuter sa vie d’immortelle. J'espérais que ce soit l'athénienne qui se rende en Egypte pour échanger avec le vieux vampire, puisque les gardes aux dons les plus précieux resteraient dans le palais afin de le défendre en cas de nouvelle attaque surprise. Son compagnon et les jumeaux notamment, étaient désormais assignés à résidence, ce qui était également le cas de Derren. La moitié de Corin avait développé un don similaire au sien, mais à l'inverse de faire ressentir aux autres du bonheur par contentement addictif, il leur insufflait du désespoir, et la puissance de son don était vraiment redoutable. Pour y avoir goûté quand il ne se maîtrisait pas encore et qu’il s’en servait à outrance sur la garde, c'était vraiment moche à ressentir. Malheureusement, c'était aussi un don psychique, il suffisait qu'Aznar ait aussi un bouclier mental et tous les précieux dons d'Aro seraient à nouveau inutiles. Hormis celui de Charlie, sous couvert de pouvoir s'en servir.