Vers 1570
Depuis l’annonce officielle révélant l’existence de Jane et Alec, le règne des Volturi n’avait jamais été aussi tranquille. Le clan italien était déjà redouté de beaucoup, notamment par les présences de Demetri et Charmion qui représentaient la base solide, ils étaient les deux gardes les plus anciens. Puis les arrivées de Corin et Félix, et depuis quelques décennies de Renata, avait permis à Aro de renforcer son autorité sur leur communauté. Cependant aucun d’eux n’avaient jamais autant terrorisé leurs ennemis, et pourtant le traqueur était un adversaire redoutable. Mais quand la rumeur de l’existence des jumeaux avait commencé à se répandre, beaucoup avaient été pris de panique et se tinrent d’eux-mêmes à carreaux, redoutant de subir leurs sombres pouvoirs. Et les rares vampires qui osèrent s’opposer aux souverains volturiens le regrettèrent rapidement, suppliant presque pour qu’ils soient exécutés plutôt que d’être soumis aux dons de Jane et Alec.
Pourtant, il arrivait parfois que certains tentent de passer à travers les mailles du filet, pensant sûrement qu’ils parviendraient à être assez discrets pour échapper aux italiens. C’est ainsi que le clan d’Hilda, situé quelque part en Allemagne, au départ très paisible et sans histoire, a fini par attirer l’attention d’Aro à cause de leur nouveau-né Noela, qu’Hilda ne parvenait pas à maîtriser. La jeune immortelle se lançait dans des massacres ostentatoires qui éveillé la curiosité et les soupçons des humains, contraignant les Volturi à intervenir. Il s’agissait d’autant plus d’une opportunité à saisir car le leader principal du clan avait entendu parler du don de l’une des femmes du clan, qui détiendrait un pouvoir d’attraction physique pour lequel Aro avait des projets.
Le clan d’Hilda fut rapidement détruit, à l’exception de deux femelles. Victoria, qui s’était enfuit et Caïus concéda à la laisser vivre, estimant qu’elle n’était pas dangereuse, et son don pour la fuite n’intéressait nullement Aro. Mais il s’empara de la seconde immortelle, Heidi, qu’il voulait à tout prix ajouter à sa collection, y voyant là un moyen efficace de se nourrir plus aisément sans attirer l’attention des humains.
C’est ainsi que la sublime femme au corps ravageur, aux courbes tentatrices et au don si attirant fit son entrée à Volterra. Aro la voyait déjà comme une acquisition précieuse, une façon pour les Volturi de renforcer leur puissance sans avoir besoin de se servir de la force physique. Lorsqu’elle pénétra pour la première fois dans la salle aux trônes, ses yeux sanglants balayaient la pièce pour étudier son nouvel environnement, écoutant néanmoins son nouveau maître qui s’empressait déjà de lui attribuer ses nouvelles fonctions. Elle n’avait pas envie d’être là, elle pleurait intérieurement son clan désormais éteint, à commencer par sa créatrice Hilda, qui avait fondé un clan entièrement féminin, basé sur le respect et l’entraide, ce qui n’était pas le cas chez les Volturi. Elle fréquentait les hommes uniquement pour les séduire, et là, dans cette pièce, entourée de gardes masculins qui la regardait comme un morceau de viande, la belle rousse se sentait étrangère. Demetri était là aussi, appuyé contre l’un des piliers de la salle, observant sans grande attention ce qu’il se passait, habitué de voir Aro exerçait sa domination sans remettre en question sa façon de voir sa garde, alors que c’était grâce à elle que les Volturi étaient aussi redoutés. Il était dans sa bulle, comme bien souvent, se complaisant dans le silence plutôt que s’engager dans des discussions sans fin et sans intérêts, lancés justement par ceux qui étaient mal à l’aise face au calme. Et Heidi l’avait vu. Elle avait vu que parmi la vingtaine d’immortels présents autour d’elle, l’un d’eux semblait insensible à ses charmes, elle n’était même pas certaine qu’il ait remarqué sa présence. Les autres, y compris les souverains qui étaient influencés par son don, la dévoraient des yeux, hypnotisés par sa présence sans même avoir cherché à activer son pouvoir. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui puisse l’ignorer aussi facilement. Elle en fut intriguée, mais aussi irritée.
Au fil des jours qui suivirent son intégration au clan, Heidi s’amusa avec son don, testant les limites et les résistances de ses nouveaux compagnons. Il était facile d’obtenir ce qu’elle voulait des autres membres de la garde, allant parfois jusqu’à manipuler Aro sans qu’il ne s’en rende compte pour avoir davantage de libertés, avant que Sulpicia n’intervienne pour le contraindre à s’éloigner de l’allemande, ressentant pour la première fois de la jalousie à cause d’une autre femme. Heidi savait comment jouer de ses charmes, et pas seulement à cause de son don, mais grâce à son physique ravageur, habituée à s’en servir pour nourrir son ancien clan en rapportant des hommes totalement envoûtés. Il lui suffisait d’un regard, d’un sourire, d’une position plus aguicheuse… et ils devenaient doux comme des agneaux. Elle ne cherchait d’ailleurs pas seulement à les séduire, mais aussi à les contraindre par son don à se tenir à distance, car elle se lassait vite d’être le centre de l’attention une fois qu’elle avait capté leur intérêt. Mais il demeurait un garde qui restait de marbre. Demetri ne semblait toujours pas la voir, du moins pas tel qu’il aurait dû.
Heidi devint alors plus subtile, modulant son don pour qu’il soit moins perceptible. Elle usa à nouveaux de ses charmes physiques. Quand il était à proximité, elle l’abordait avec une voix enjôleuse, un regard appuyé qu’elle faisait glisser sur le traqueur pour obtenir son attention, elle le frôlait « par mégarde » dans les couloirs… mais rien. Le spartiate ne réagissait pas.
Un jour où il était seul dans les allées de l’une des bibliothèques de la forteresse, assis sur un fauteuil, l’immortelle l’avait approché de manière féline, s’asseyant sur l’accoudoir pour être aussi proche que possible du blond qui restait plongeait dans son livre, imperturbable.
- Comment fais-tu pour demeurer insensible à mon charme Demetri ? Lui avait-elle demandé en se penchant sur le traqueur dans l’espoir qu’il lui accorde un regard, elle en devenait presque insultée d’être ainsi ignorée.
- Disons que je vois derrière les illusions.
- Vraiment ? Et que vois-tu ? S’était amusée la rouquine en croisant les bras.
- Je vois une femme qui a passé trop de temps à être utilisée comme appât et qui s’est conditionnée à se voir comme tel.
La jeune femme avait perdu l’usage de la parole durant quelques secondes, désarçonnée par la révélation de Demetri.
- C’est pourtant ce que je suis, un appât, avait presque craché Heidi avec amertume, perdant son sang-froid.
Elle qui se cachait derrière ses charmes, n’avait pas l’habitude d’être vu autrement, elle-même avait fini par cesser de se considérer comme une femme à part entière. Le traqueur venait d’appuyer sur une corde sensible, bien que sa remarque la troublait. Il était différent des autres gardes, il ne la traitait comme un outil, un trophée, et encore moins comme un objet à posséder sans se soucier de ce que voulait Heidi.
- Tu es bien plus qu’un simple instrument au service des rois Heidi, lui avait alors répondu avec bienveillance le traqueur en lui accordant enfin un réel regard. Tu n’as pas besoin d’user de tes artifices avec moi, et si tu attends que je te regarde comme le font les autres, tu vas attendre longtemps.
- Et je suis quoi selon toi ?
- Une femme qui n’a pas besoin des autres pour définir qui elle est, avait tout simplement répondu Demetri en se levant pour la laisser seule dans la bibliothèque.
L’immortelle l’avait suivi des yeux jusqu’à ce qu’il sorte de son champ de vision, déconcertée par cette discussion, ressassant ce qu’il venait de se passer. Le traqueur qu’elle pensait froid et distant était sûrement le seul à l’avoir regardé indépendamment de son don, et la rousse le respecta immédiatement.
Après une audience avec les rois qui étaient repartis dans leurs appartements privés, plusieurs gardes anonymes sortirent de la salle aux trônes au moment où Heidi revenait d’une mission, réajustant sa cape après s’être battue. L’un d’eux, qui n’avait aucun scrupule à voir l’immortelle comme un vulgaire appât, lui lança au même moment des remarques moqueuses. Il était d’autant plus enclin à se comporter de manière aussi virulente depuis que la belle immortelle à la chevelure acajou avait décliné ses avances, à plusieurs reprises. Malgré son goût prononcé pour la séduction, l’allemande ne s’offrait pas pour autant à n’importe qui, ce qui avait vexé le garde de rang inférieur au sien.
- Alors Heidi, combien de mortels comptes-tu nous ramener la prochaine fois ? Tu es vraiment une bénédiction, tu nous offres le repas et la vue qui va avec. C’est dommage que tu ne nous laisses pas la voir de plus près pour en profiter davantage.
Les autres gardes présents rigolèrent bêtement alors que l’immortelle, habituée à ce genre de commentaires, préféra les ignorer en levant les yeux au ciel, les contournant sans leur accorder un mot, ne voulant pas leur faire le plaisir de voir qu’elle était pourtant blessée.
- Si tu apprécies tant la vue, tu ferais mieux de te rendre utile et aller admirer la fosse, avait résonné une voix calme et tranchante.
Un silence profond s’était installé dans le couloir après l’apparition menaçante de Demetri qui était agacé par ce genre d’abrutis, mais encore plus par Aro qui ne faisait rien pour que les moqueries à l’égard de l’allemande cessent.
- C’est bon, je plaisantais Demetri, avait alors sourit le garde en voulant dédramatiser la situation.
- En ce qui me concerne, je ne plaisante jamais. C’est moi qui ait le dernier mot sur la promotion ou la rétrogradation d’un garde, si j’entends encore l’un de vous manifester l’absence de matière grise dans vos cerveaux, vous ne verrez plus rien du tout, leur avait promis le traqueur avec un regard plus intimidant encore que ceux de Jane.
Les jeunes recrues s’étaient rapidement dispersées sous le regard satisfait du spartiate qui s’était tournée vers l’allemande pour s’enquérir de son état. Mais Heidi n’aurait jamais admis quoi que ce soit qui la rende encore plus faible aux yeux des autres. Elle s’était contentée de sourire, les bras croisés sur son buste.
- Je peux me défendre seule, traqueur, inutile de me protéger.
- Je n’en doute pas, mais je préfère protéger la cohésion de la garde avant que tu ne décides de les hypnotiser pour pouvoir les faire disparaître discrètement, souffla Demetri sous les rires amusés de la rousse. Mais si tu veux me remercier, tu pourrais le faire en arrêtant d’utiliser ton don sur moi pendant une semaine.
La sculpturale allemande avait souri, bien que touchée par l’intervention du traqueur.
- Je vais y réfléchir, avait-elle sourit, satisfaite de voir le traqueur sourire à son tour.
Quelques semaines s’écoulèrent après cet incident. Les meilleurs éléments de la garde étaient toujours respectueux envers Heidi, même s’ils préféraient l’éviter par crainte d’être envoûtés. Et l’immortelle parvenait à s’intégrer lentement, se sentant mieux considérée au fil des jours. Même les maîtres avaient commencé à la voir autrement, après avoir été sévèrement rabroués par leurs compagnes sur leurs attitudes. Mais parmi les anonymes de la garde, certains refusaient toujours de se conformer aux ordres de Demetri, notamment celui qu’il avait ouvertement menacé d’exécution. Son ego en ayant pris un coup, ne digérant pas cette humiliation publique, le concerné avait été se plaindre auprès d’Aro, espérant qu’il prenne son parti en sermonnant le blond. En vain. Le traqueur était le commandant de ses armées, même depuis l’arrivée de Jane et Alec, il était celui qui avait le droit de prendre n’importe quelle décision dans le but de renforcer la garde. Le roi télépathe ne prendrait aucune mesure envers le spartiate, ce qui frustra le jeune vampire. Alors il changea de cible, et décida de mettre le blond dans son collimateur.
Il profita d’un soir où Demetri rentrait d’une mission éprouvante, accompagnait de plusieurs gardes, dont Félix. Ils avaient passé plusieurs jours à traquer un groupe de nomades qui s’exposaient délibérément à la vue des humains, et le traqueur était d’une humeur maussade. Il se plaça à son poste habituel dans la salle aux trônes pendant que les autres faisaient leur compte rendu, quand le vampire qui avait insulté Heidi se dirigea vers lui avec un sourire narquois sous les yeux de tous les autres.
- Alors traqueur, toujours en train de courir après les autres comme un bon chien de chasse ? Ça doit être fatiguant d’être celui qui est le plus sollicité. Ça fait quoi d’avoir une laisse autour du cou ?
Il s’était exprimé à haute voix dans le but d’humilier à son tour Demetri, regardant autour de lui en espérant les faire rire. Mais il fut accueilli par un silence des plus pesants. Toutes les conversations avaient cessé. Personne ne souriait, certains s’étaient éclipsés pour ne pas subir de représailles. Même Jane, qui était postée derrière ses maîtres, semblait redouter la suite des évènements. Les jumeaux pourtant si terrifiants, avaient appris à se méfier des colères froides et imprévisibles du traqueur. Les rois observaient avec anxiété leur garde, qui malgré son calme apparent, n’était pas à prendre à la légère. Le seul qui souriait, c’était le colosse, mais pas parce qu’il avait trouvé la blague drôle. Non il attendait la réaction de Demetri, sachant mieux que personne que sa meilleure arme, outre son don, c’était sa capacité à mettre à terre n’importe quel adversaire avec une répartie piquante. Le traqueur, comme à son habitude, ne réagit pas immédiatement, fixant le vampire impassible, le temps de lui faire regretter ses paroles, appréciant de le voir reculer en baissant les yeux. Il savourait à travers son don, les sentiments de peur et nervosité qui s’emparaient de l’imbécile qui l’avait défié. Mais avant qu’il n’ait le temps de lui répondre avec réplique cinglante, se fut une voix féminine qui s’éleva, aussi tranchante qu’une lame bien affûtée.
- Et toi, que fais-tu à part cracher ton venin pour te sentir exister ?
Bien qu’Heidi se sentait redevable envers Demetri pour remettre à sa place l’énergumène, son intervention n’était pas uniquement pour rembourser sa dette. Elle tenait aussi à montrer aux autres qu’elle savait se défendre seule, pour qu’à l’avenir, on la laisse tranquille. Elle ne voulait plus être perçue comme une décoration au milieu de tous ces vampires aux dons bien plus précieux que le sien, comme lui rappelaient souvent certains anonymes, eux-mêmes dépourvus d’un quelconque pouvoir.
Tous les immortels avaient reportés leur attention sur l’allemande, qui dévisageait le fauteur de troubles avec une haine si viscérale que Demetri lui-même aurait pu en frémir si elle lui était destinée. Le traqueur n’avait pas pour habitude de laisser les autres intervenir à sa place, préférant mener ses combats seul, mais une fois encore, il sut lire en la rousse. Il l’avait affaibli aux yeux du reste de la garde en la défendant sans lui laisser l’opportunité de le faire elle-même. Et bien qu’il aurait pu terrasser le garde dont il ignorait superbement le prénom, il le laissa en pâture à Heidi, laissant l’allemande rectifier son erreur, obtenant par la même occasion le respect et la loyauté de Demetri, qui étaient pourtant si difficile à gagner.
- Le plus utile ici, il me semble bien que c’est le traqueur, qui a éliminé plus de vampires que n’importe qui ici, pendant que tu n’existais même pas encore. Et maintenant que tu es là, à part faire voler la poussière derrière ton passage, tu fais quoi ? Rien, tu sers de tapisserie, releva l’immortelle qui prenait plaisir à le rabaisser, avec un sourire des plus innocents.
Le rire tonitruant du colosse français avait résonné dans la salle, suivi du sourire mesquin de Demetri qui ne quittait pas des yeux la rousse, l’observant le défendre avec une épaule adossée à une colonne de marbre. L’inconnu, dont la fierté avait été violemment heurtée par la rabatteuse, avait cherché une réplique pour humilier à son tour l’allemande, mais elle fut plus rapide que lui.
- Peut-être que si tu te montrais compétent à autre chose que dénigrer ceux qui ne passent pas leur temps à glander, et baver sur les femmes qui ne veulent pas de toi, tu serais davantage sollicité dans la protection du clan.
Des rires aux consonances féminines cette fois, résonnèrent dans la salle, aux dépens du provocateur qui lança un regard plein de mépris à Heidi, avec une profonde envie de la démembrer. Il ne voulait pas laisser passer cet affront de la part de la rousse, bien décidé à lui faire payer. Il n’eut cependant pas le temps de faire le moindre geste qu’il fut arrêté, le traqueur l’ayant devancé en lui faisant une clé de bras debout avec tant de fermeté qu’il eut juste à tirer un peu dessus pour le détacher du reste du corps, sous les hurlements de souffrance du garde. Personne ne tenta de l’aider, personne n’en avait envie d’ailleurs, et personne ne fit un geste lorsque Demetri ordonna à un autre d’aller chercher une torche pour se débarrasser de l’indésirable vampire. Puis, comme si rien n’était jamais venu perturber l’assemblée, chacun retourna vaquer à ses occupations, ayant déjà oublié la destruction du malheureux.
Le traqueur laissa les hommes qui étaient sous son commandement lors de la mission achever le compte rendu, et quitta la salle sans plus de cérémonie. Au plus profond de lui, il avait été atteint par les paroles de l’imbécile, parce qu’elles étaient véridiques. Il servait les Volturi depuis plus de mille cinq cent ans, non pas par loyauté envers eux, mais par loyauté envers Amun, car tant qu’il suivrait les ordres, l’égyptien vivrait. Mais jamais il ne laisserait l’occasion de montrer à qui que ce soit, qu’on pouvait le blesser.
Il entendit dans les secondes qui suivirent, l’écho des pas aériens de l’allemande qui se rapprochait de lui. La belle rousse se posta devant lui, l’obligeant à s’arrêter avec un sourire satisfait aux lèvres.
- Oh mais de rien.
Le traqueur leva les yeux au ciel, trop fier pour la remercier en public, mais il n’était pas ingrat. Heidi l’avait vaillamment défendu, et surtout, elle s’était très bien défendu.
- Tu vois que tu es plus qu’un instrument, lui avait fait remarquer Demetri en lui retournant son sourire.
Une lente mais sincère amitié s’établit alors entre les deux vampires.
Mais Heidi ne voulait pas en rester là. Elle avait testé son pouvoir sur d’innombrables personnes. Qu’ils soient des vampires, nouveau-nés, ou âgés de plusieurs siècles, des humains, des hommes, des femmes, de jeunes adultes ou proche de mettre un pied dans la tombe… tous avaient succombé, aucun ne pouvait lui résister longtemps quand elle activait son don, surtout en générant davantage de puissance. Le pouvoir attractif qu’elle générait allait bien au-delà une simple beauté, il devenait un appel primitif pour ses cibles, ressentant le besoin impérieux de la posséder, de s’abandonner à elle. Personne ne pouvait résister à son don, à l’exception de quelques vampires dotés de protection mentale. Personne, sauf Demetri.
Ils avaient beau être amis, elle continuait de lancer son irrésistible pouvoir sur le traqueur, se sentant presque complexée d’être ainsi ignorée. Elle savait qu’il possédait une maîtrise hors du commun, mais elle ne parvenait pas à comprendre comme il pouvait la regarder sans désir ni admiration pour son physique, conservant une neutralité impériale. Il la détaillait, mais de la même façon que pour tout le reste, comme s’il évaluait un adversaire, un lieu, une cible… et ce n’était pas faute d’avoir tenté le tout pour le tout en l’accueillant une fois d’un retour de mission en tenue d’Eve. Il l’avait pourtant regardé, mais sans démontrer le moindre intérêt, la moindre réaction qui témoignait d’un besoin primitif de s’approprier l’immortelle. Heidi en était restée bouche bée. Demetri avait même réussi à la faire douter pendant un bref instant de la confiance qu’elle avait en son don, et surtout envers son charme corporel. Elle avait besoin de savoir comment il faisait.
L’allemande en était même venue à l’ignorer, ne supportant plus les messes basses de certains gardes qui se moquaient justement de son incapacité à charmer le traqueur, remettant en question sa présence et son utilité pour les Volturi. Elle s’était donc recluse dans ses appartements, n’en sortant que pour nourrir son clan avant de se renfermer dans sa chambre, ignorant les visites de ses amis, donc Félix, qui se souciait du bien-être de tout le monde dans cette forteresse. Et comme il n’arrivait pas à la convaincre de se confier à lui, il avait fini par en parler au spartiate, qui devenait lentement le meilleur ami d’Heidi. Le traqueur avait vite comprit d’où venait le problème, réalisant qu’une conversation pour mettre les choses au point était indispensable. Pourtant respectueux des intimités de chacun, il avait profité de son absence pour se faufiler dans sa chambre avant qu’elle ne revienne pour s’y enfermer à clés. Le traqueur savait masquer sa présence dans une pièce jusqu’à ce qu’un vampire se retourne pour le voir, ce qu’il avait fait.
- Tu m’évites ? Avait-il lancé en esquissant un sourire en voyant la rousse sursauter.
Son expression ahurie de ne pas avoir remarqué Demetri était divertissante pour le blond qui alla s’asseoir sur un des fauteuils de son salon privé.
- Tu n’as rien à faire ici !
- Pourquoi restes-tu seule ?
- Parce que je ne veux voir personne, avait grogné l’allemande en s’emparant du bras de Demetri pour le soulever mais le traqueur n’avait pas bougé d’un iota.
- J’ai surtout l’impression que c’est moi que tu ne veux pas voir. D’ordinaire, il ne se passe pas un jour sans que tu viennes me raconter les ragots du moment. Soit tu n’éprouves plus d’intérêts du tout pour les commérages, ce dont je doute fort, soit tu m’évites sciemment.
- Pourquoi je continuerais de passer du temps avec quelqu’un qui me donne l’impression d’être une statue ? Ou alors c’est parce que tu préfères les attributs phalliques ?
Chose qui n’arrivait pas souvent, Demetri avait éclaté de rire en entendant la supposition de l’allemande, et sous son air ahuri, il avait eu du mal à s’arrêter, appréciant trop l’incompréhension qui émanait de son amie.
- Je savais que c’était à cause de ça que tu m’évites, avait-il sourit.
- Ton indifférence est insultante ! Fascinante aussi, je le reconnais, mais insultante, avait avoué Heidi désemparée, alors qu’un sourire espiègle la narguait.
- Vraiment ?
- Parfaitement. Ils succombent tous, d’une manière ou d’une autre, même quand ils essaient de me résister. Et toi, tu restes là à me regarder sans rien éprouver, rien.
Le sourire du traqueur s’était agrandi, ne ressentant pas une once de culpabilité face à la frustration de son amie.
- Je ne suis pas aveugle Heidi, ta beauté est incomparable, mais mon don me permet de voir autrement que les autres.
- Autrement ? Avait interrogé la rousse en devenant curieuse, n’ayant pas une seconde envisagé cette possibilité.
- Je suis un traqueur, mais contrairement aux autres qui se basent en général sur les odeurs et uniquement sur les odeurs, je chasse de manière instinctive. Mon instinct et mes sens sont ancrés dans l’analyse et l’observation, dans la perception du moindre détail. Quand tu recours à ton don, je le ressens comme un parfum qui devient trop puissant, presque désagréable pour mon hyper sensorialité. Alors je sais que ce qu’il se passe est factice, je parviens à voir les réalités que certains dons psychiques tentent de masquer. C’est ce qui m’empêche d’être aveuglé par ton don, ou celui de Charmion par exemple, mais je reconnais que cela m’a pris du temps pour y parvenir aussi facilement.
- Donc pour toi, je suis une illusion ?
- Une illusion bien réelle, j’ai conscience que tu es là, mais ton don reste une illusion.
La rouquine avait souri, impressionnée par le vampire grec, mais aussi soulagée de savoir que le problème ni de son don, ni d’elle.
- Tu aurais pu me le dire plus tôt, avait-elle marmonné, faisant à nouveau rire le blond. Pourtant les dons psychiques des jumeaux peuvent t’atteindre…
- Personne n’est parfait, avait alors ronchonné Demetri.
Au fil du temps, Heidi avait appris à mieux connaître son ami, et ses petites particularités uniques qui le rendaient aussi complexe et mystérieux. Malgré sa froideur permanente, il était avant tout sélectif. Et elle avait réalisé qu’il ne rejetait pas les plaisirs charnels, lui confirmant qu’il était bien un amateur des charmes féminins. Alors qu’elle revenait d’une mission, elle l’avait croisé dans un couloir alors qu’elle percevait sur lui une fragrance purement efféminée, mélangée au parfum typique de la luxure. Il n’y avait aucun doute possible sur les récentes activités de Demetri, et son amie l’avait dévisageait avec amusement.
- J’avais vraiment fini par penser que tu étais insensible aux femmes.
- Je suis insensible aux illusions, et à toi, parce que tu es mon amie, ce n’est pas la même chose, releva Demetri en levant les yeux au ciel.
Ils pénétrèrent dans le salon privatif du traqueur alors que la rouquine s’asseyait sur l’un de ses fauteuils sans le quitter des yeux.
- Alors, tu t’accordes quelques plaisirs pour passer le temps, mais sans jamais t’attacher ?
- Jamais, confirma son ami.
- Pourquoi ? Tu pourrais avoir n’importe qui, que ce soit ici ou en-dehors de la forteresse.
- Parce que je veux être prêt, rétorqua Demetri.
- Prêt pour quoi ?
- Pour elle.
Le silence s’installa entre les deux amis, et Heidi comprit immédiatement à quoi faisait allusion le blond, envahie par l’étonnement et le respect envers la décision du grec.
- Tu attends ta compagne…
- Si je m’attache et que je me lie à quelqu’un d’autre, je risque de ne pas la reconnaître quand je la verrai. Mon esprit sera ailleurs, fidèle à une autre, et mon jugement sera biaisé. Je veux être pleinement conscient quand je la rencontrerai. Je veux être libre de la choisir, sans être déconcentré par autre chose. Mais tu peux être rassurée Heidi, oui j’aime passer du bon temps avec une femme, je ne suis ni puceau, ni chaste.
- Tu sais que tu peux la rencontrer demain, comme l’attendre encore longtemps… lui rappela Heidi en souriant face à son aveu.
- Je ne suis plus à un ou deux siècles près, répliqua Demetri malgré l’impatience qu’il ressentait chaque jour.