Décembre 2006
Demetri aurait aimé être à n’importe quel endroit plutôt que celui-ci. Pourtant il était là, comme l’intégralité des Volturi. C’était la totalité du clan qui s’était déplacé jusqu’à Forks pour faire justice. L’objectif de départ était on ne peut plus clair pour chacun, tuer ceux qui avaient commis l’un des pires crimes, pourtant prohibé, en créant un enfant immortel. Aussi surprenant que cela puisse être venant des Cullen, ce qu’ils avaient fait devait être puni.
Au fil des mois, le clan italien avait entendu bon nombre de rumeurs sur la tentative de Carlisle et sa famille de rassembler des témoins. Le traqueur avait trouvé cette idée ridicule de réunir autant de vampires différents, pour certains inconnus, au même endroit. Car si un combat devait avoir lieu, et que ces vampires possédaient un quelconque pouvoir, ils deviendraient aussi des cibles pour Aro qui chercherait à s’en emparer. Il avait d’autant plus détesté le médecin quand il avait compris qui il avait décidé d’inclure dans son projet. Cela faisait des mois qu’il sentait les empreintes de dizaines d’immortels réunis au même endroit, à commencer par celle qu’il connaissait la mieux car il la cherchait régulièrement. Les Cullen avaient décidé de mêler le plus ancien clan encore existant à leurs recherches de témoin, et depuis, les signatures d’Amun et Kebi ne bougeaint plus, signe qu’ils seraient présents lors de la confrontation.
Et lorsqu’ils s’étaient mis en marche pour le nouveau continent, il avait senti son anxiété monter même s’il faisait de son mieux pour ne rien montrer. Jusqu’à exploser en lui au moment où ils mirent les pieds dans cette clairière entièrement recouverte de neige. Le traqueur avait avancé avec la même détermination que les autres, n’ayant pas le choix, mais le cœur n’y était pas. Dès qu’ils entrèrent dans son champ de vision, un mélange d’amertume et de colère se battait en lui, sans réussir à se contenir. Ils ne les avaient pas vus depuis des siècles, depuis une éternité même, et cette vision le bouleversa avec la même violence qu’autrefois. Amun était là, accompagné de Kebi qui était accrochée à son bras, presque terrifiée par la présence des Volturi, et il ne pouvait pas lui en vouloir. Tandis que chaque adversaire fixait les rois, ou encore les jumeaux, et que les Volturi ne voyaient que les Cullen, Demetri croisa le regard de son mentor. Il aurait aimé dire à son paternel que leur lien n’avait jamais cédé, même en le laissant tomber. L’égyptien le fixait également, et malgré le silence pesant qui sévissait dans la clairière, d’un simple regard, ils eurent presque le loisir de converser. Il y avait cette intensité familière dans les yeux du vieux vampire, éclairée par une colère contenue depuis longtemps, ainsi qu’une douleur, celle d’avoir laissé les Volturi le briser une seconde fois en venant s’emparer du traqueur. Demetri savait qu’Amun ne lui avait jamais pardonné sa défection, même s’il l’avait pour le protéger, et qu’il servait les Volturi chaque jour dans le but que son mentor puisse vivre. Il n’avait pas oublié non plus la menace explicite d’Aro pour le contraindre à le suivre.
La crainte s’insinua à nouveau dans l’esprit du spartiate. Si un combat éclatait, Amun et Kebi seraient inévitablement pris pour cible pour avoir osé s’opposer à Aro, et ce malgré les efforts de Demetri pour tenir ses engagements. La chance pour qu’ils soient épargnés était trop infime pour qu’il garde espoir, et son cœur mort se serra. Il voulait rentrer à Volterra, sur le champ. Il ne voulait pas qu’un combat éclate, cet incident devait se régler sans effusion de sang. Il glissa ses mains dans ses poches avec détachement, mais en réalité, il ne voulait pas qu’on voit ses poings serrés. Oh oui, il espérait de toutes ses forces pour que les Volturi rentrent vite en Italie sans qu’il n’y ait la moindre étincelle. Parce que si un combat avait lieu, il savait déjà ce qu’il ferait. Jamais il ne laisserait qui que ce soit lever la main sur Amun, non il tuerait quiconque s’y essaierait. Même si cela signifiait se retourner contre les Volturi et finir exécuté. Il l’avait abandonné pour le protéger. Si les égyptiens venaient à être en danger, il renierait tous ses serments envers Aro sans la moindre hésitation pour les sauver. Il ne le laisserait pas le détruire sans rien faire, il ne serait pas témoin de cette vision d’horreur. Alors Demetri scruta chaque mouvement d’Amun, pour s’assurer qu’il ne tenterait rien d’imprudent. Et c’est là qu’il les vit.
Il y avait un second couple qui attira son attention, se tenant aux côtés d’Amun et Kebi. Deux vampires assurément égyptiens aussi à en juger par les traits de leurs visages, et leurs proximités avec son mentor. L’homme, qu’il n’avait jamais vu jusqu’à maintenant portait autour du cou le pendentif aux armoiries du clan d’Alexandrie, le même qui pendait autour de celui de Demetri et qui était à moitié visible d’ailleurs. Le traqueur n’avait pas besoin d’en savoir plus, Amun l’avait transformé. Une information qui lui laissa un goût amer dans la bouche. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas vu les égyptiens qu’il n’avait jamais envisagé cette possibilité, pensant égoïstement qu’Amun renoncerait à créer de nouveaux vampires après son départ. Il ignorait qu’il avait agrandi son clan. Il ne savait rien de cet inconnu, il ne savait pas s’il avait un don, ni qui était sa compagne, mais il voyait le plus évident. Il était proche physiquement d’Amun, cela ne faisait aucun doute qu’il était devenu un fils pour lui, prenant la place laissée vacante par Demetri. Cela n’aurait pas dû, mais ça le dérangeait. Il n’aurait pas dû se sentir remplacé, Amun faisait ce que bon lui semblait. Mais cette vision lui fit si mal qu’il eut envie de pleurer. Il ressentait de la jalousie envers ce vampire inconnu qui avait pu vivre tranquillement en Égypte pendant que lui faisait les basses besognes des maîtres, comme un bon chien de chasse. Il n’avait jamais oublié cette phrase du garde anonyme qu’il avait tué. Le traqueur voyait très bien la manière dont Amun se plaçait instinctivement devant lui pour le protéger, presque pour le cacher. Exactement comme il l’avait fait avec Demetri autrefois. Une multitude de vieilles blessures se réveillèrent et nouèrent l’estomac pourtant figé du spartiate. Il avait refusé de retourner en Égypte depuis des siècles, incapable de supporter le poids des souvenirs positifs qu’il en avait, ou de supporter la déception d’Amun, s’en voulant encore lui-même d’être parti sans avoir cherché à se battre davantage. Il n’avait jamais pu oublier le lien si spécial qu’il avait partagé avec Amun, espérant qu’il en soit de même pour son mentor. Mais en voyant ce vampire, Benjamin, même s’il ignorait encore son nom, recevant la farouche protection d’Amun lui montra à quel point il s’était trompé. Le vieux vampire égyptien l’avait oublié, il ne comptait plus pour lui, il en était certain. Il le haïssait trop pour lui accorder une autre importance, et Demetri ne lui reprocha pas. Il était le seul responsable de cette fin.
Cette révélation prit une autre tournure pour le traqueur qui était résolu à protéger Amun. Mais désormais, ce n’était plus seulement lui et Kebi qui étaient menacés, les deux autres vampires l’étaient également. Il ne connaissait pas ce vampire, il n’avait pas envie de le connaître, pourtant, en cas de combat, il le sauverait avec la même détermination que s’il s’agissait d’Amun. Il était prêt à mourir pour sauver son ancien clan. Il était prêt à mourir plutôt que voir une seconde de plus la déception de son mentor, qui ne ferait qu’empirer si Aro s’en prenait à son nouveau fils. Demetri préférait mourir sans jamais avoir eu l’occasion de trouver sa compagne plutôt que risquer de décevoir à nouveau Amun, cette pensée lui fendit le cœur, et s’il avait été humain, il serait tombé à genoux sous le poids des larmes qui auraient dévalé le long de ses joues.
Le traqueur se força à détourner le regard lorsqu’il croisa celui de Benjamin, qui visiblement savait qui était le blond. Il serra les dents pour cesser de se laisser envahir par ses émotions, cherchant à reprendre le contrôle sur cette lutte intérieure. Il verrouilla férocement son esprit, comme il le faisait à chaque fois, pour que personne ne puisse savoir ce qu’il se tramait dans sa tête, et surtout pas le télépathe, parce que tout cela était de sa faute, c’était à cause de lui si Amun se trouvait face aux Volturi. Il n’avait même pas vu qu’ils s’étaient arrêtés, et qu’Aro et Edward conversaient, n’écoutant que d’une oreille ce qu’ils disaient, parce qu’il n’en avait strictement rien à faire. Il était fatigué de devoir se préoccuper d’un clan aussi insignifiant. S’il avait été à la place du roi télépathe, il aurait accédé à la requête suicidaire de l’autre abruti, quand il était venu ramper devant eux pour se faire descendre, après avoir cru que son humaine s’était suicidée du haut d’une falaise. Ils n’auraient plus entendu parler des Cullen, ils n’auraient jamais su qu’ils avaient une voyante, et Aro ne l’aurait jamais convoité. Demetri savait que c’était ce qui avait motivé le vieux vampire à venir jusqu’ici en si grand nombre. L’enfant immortel était une excuse pour s’emparer d’un nouveau don, comme il le faisait à chaque fois, sans même se soucier des avis des autres. Aucun Volturi en-dehors du souverain principal ne voulait de Cullen à Volterra. Aucun garde ne voulait se mêler à des vampires avec qui ils ne partageaient aucun centre d’intérêts. Même Caïus ne voulait pas de la vampirette extralucide, savoir l’avenir l’angoissait trop, et il ne voulait pas de garde végétarien, or aucun don n’aurait pu contraindre un vampire à changer de régime alimentaire.
Une fois de plus, Demetri était fatigué par les ambitions d’Aro qui n’apprenait toujours pas de ses erreurs, ne se remettant jamais en question alors qu’il ne faisait qu’attiser la haine des autres envers les Volturi. Un jour, quelqu’un viendrait réclamer vengeance, le traqueur en était convaincu. Il ne comprenait pas son besoin obsessionnel d’exercer une telle influence sur le monde vampirique alors qu’il avait déjà un clan puissant et redouté, il avait déjà des gardes aux dons uniques et extraordinaires. Mais il était bien connu que plus l’on avait du pouvoir et plus on en voulait. Un jeu qui n’avait jamais amusé le traqueur, et qui ne l’amusait certainement pas quand Amun se trouvait dans le camp adverse. Habitué à faire respecter les lois, le spartiate se moquait bien de la politique aujourd’hui, des alliances et des démonstrations de pouvoir qui n’en finissaient jamais.
Le fil de ses pensées fut à nouveau interrompu par une agitation générale qui s’empara des deux camps, alors qu’il vit deux silhouettes d’immortels se rapprocher d’eux. Alice et Jasper. Depuis qu’il avait mis les pieds dans la clairière, il était tellement préoccupé que le traqueur n’avait pas remarqué l’absence des deux vampires, il avait d’ailleurs à peine réagi lorsque la femelle Irina avait été exécutée, observant la scène d’un œil distrait, ce contenant d’allumer la torche quand il sut qu’elle était condamnée. Sans attendre, il se ressaisit pour être prêt à exécuter les ordres qu’on lui donnerait, la présence d’Amun l’obligeant à avoir une conduite exemplaire pour ne pas précipiter sa mort. Son instinct reprit le dessus et s’interposa pour leur bloquer le passage, ses doigts s’enroulant autour des bras des deux semeurs de troubles, croisant leurs regards qui ne manifestaient ni peur, ni doute, juste une détermination évidente, et il n’eut pas besoin de son don pour le savoir.
La voyante tenta de négocier une approche vers Aro qui s’empressa de l’y autoriser, visiblement extatique à l’idée de voir une vision de son don. Le traqueur la laissa passer en levant les yeux au ciel, et ne put s’empêcher de donner une gifle à l’empathe, qui résonna dans l’air. Demetri avait un trop plein de frustration à évacuer, et l’ancien soldat était un défouloir parfait pour le blond qui savait que la suite allait être longue.
Les secondes s’étirèrent, puis devinrent des minutes interminables alors que le roi télépathe prenait un plaisir pervers à se plonger dans les souvenirs de l’immortelle extralucide, savourant chaque passage de sa vision. Tout autour, le silence était retombé, devenant étouffant, car cette vision pouvait tout faire basculer à tout moment. Demetri haïssait ces moments d’attente où leur sort reposait entièrement sur les caprices d’un seul homme. Il sentait à travers son don et la multitude de fils invisibles qui l’entouraient, l’impatience de la garde qui montait, le malaise des témoins qui s’intensifiait, et surtout la frustration de ceux qui ne pouvaient pas savoir ce qu’Aro visionnait. Un seul mort de sa part suffirait à déclencher un massacre, et qui précipiterait la décision de Demetri qui ne voulait toujours pas se battre, ni satisfaire davantage l’insatiable soif de pouvoir de son maître. Il se demandait parfois s’il serait capable de renverser le souverain, mais l’idée disparaissait vite, car cet acte ne ferait que condamner à mort Amun. Peut-être l’aurait-il fait si la vie de son créateur n’était pas en jeu.
Son regard dériva à nouveau vers le petit clan égyptien. Il aurait aimé qu’ils partent et laissent les Cullen se débrouiller, mais ils étaient toujours là. Son mentor était aussi figé qu’une statue, Kebi était toujours accrochée à lui, rassurée par la main de son compagnon qui caressait ses doigts avec son pouce. Et comme à chaque fois qu’il voyait une démonstration de tendresse, Demetri s’impatientait de ne pas pouvoir en faire autant. Il voulait savoir ce qu’on ressentait quand on tenait sa compagne dans ses bras, il voulait veillait sur celle qui lui était destinée, mais les siècles, les millénaires même, passaient lentement sans qu’il n’ait le droit à ce privilège. Peut-être que ses anciens dieux, ou ceux d’Amun, l’avait puni pour l’avoir abandonné. Sa mâchoire se contracta, frustré par cette attente.
Aro revint à lui sans prononcer le moindre mot, visiblement sous le choc parce qu’il avait vu. Il ne chercha pas à enclencher de combat, rassurant à moitié le traqueur, mais il ne donna pas non plus l’ordre de rentrer à Volterra. De longues minutes passèrent encore alors que deux nouveaux témoins les rejoignaient, et Demetri écouta distraitement jusqu’à cet instant de libération qui permit au traqueur de se détendre et d’arrêter de penser au pire.
- Chez frères, décida finalement Aro après un long questionnement intérieur. Il n’y a nul danger ici. Il n’y aura pas de combat, aujourd’hui.
Des soupirs de soulagement furent perceptibles du côté des témoins, et des échanges de regard étonné chez la garde qui ne s’y attendait pas. Aro lui-même ne semblait pas satisfait de cette décision, mais quoi qu’il ait vu dans la vision de l’extralucide, cela avait dû être vraiment convaincant pour qu’Aro abandonne, pour le moment, un don qu’il convoitait tant.
Les Volturi se mirent en mouvement pour rebrousser chemin, mais le traqueur retarda son départ d’une fraction de seconde, juste le temps de tourner la tête pour croiser une dernière fois le regard d’Amun qui ne l’avait pas quitté des yeux depuis qu’il était arrivé. Les deux vampires se fixèrent en silence, cherchant à lire en l’autre. Demetri voulait qu’il comprenne, qu’il voit enfin au-delà du rôle qu’il jouait, qu’il parvienne à voir au-delà de sa rancune. Il voulait qu’il sache qu’il ne l’avait jamais oublié. Jamais. Il ne faisait que tenir ses engagements. Il aurait voulu lui parler, mais aucun mot ne l’aurait aidé, et cela aurait peut-être fait changer d’avis Aro, alors Demetri demeura silencieux. Il se contenta d’un léger mouvement de tête, imperceptible pour les autres témoins qui célébraient leur « victoire » sur les Volturi, qui eux-mêmes étaient en train de partir, avec un Caïus remonté à leur tête. C’était tout ce qu’il avait trouvé pour rester discret, une façon de saluer son mentor qui ouvrit la bouche, probablement dans le but de dire quelque chose qui aurait blessé le traqueur. Mais son regard glissa vers le cou du spartiate et l’égyptien se figea. Il remarqua ses propres armoiries sous le médaillon volturien, que Demetri avait sciemment mis en évidence pour qu’il puisse le voir, au risque de s’attirer les foudres d’Aro. Il voulait qu’Amun réalise qu’il l’avait toujours, qu’il ne l’avait jamais retiré et qu’il ne le ferait jamais. Le regard de l’égyptien s’adoucit pour la première fois depuis leur séparation. Il avait compris le message de son traqueur. Malgré les siècles de servitude, il ne l’avait jamais oublié, ce qu’il avait toujours pensé, depuis le jour où il avait cessé de venir les voir par le biais de missions diplomatiques. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, Demetri s’était détourné, rejoignant les siens sans un mot, reprenant sa place aux côtés de Marcus. C’est à travers une fine brume que les Volturi disparurent pour rentrer à Volterra.