Il était une fois, une fillette au coeur pur qui gravissait la colline en direction d'une vieille maison abandonnée. Ses mains tremblantes tenaient une bougie à la flamme vacillante sous les affres du vent. Ce dernier cherchait à prévenir l'enfant du danger qu'elle allait affronter. Mais la fillette choisit de l'ignorer.

Elle savait. Ce lieu avait les enfants en horreur depuis des décennies. Ils disparaissaient de nuit et ne revenaient jamais. La légende urbaine disait que là-haut, une vieille femme vivait recluse à s'occuper de son potager et, au besoin, préparait des remèdes pour le village. Enlaidie par le labeur et la vieillesse, elle avait gagné le nom de sorcière et avait été lapidée par bon nombre de passants. Surtout les enfants.

Et à ce qu'on dit, c'est à un enfant que l'on doit la mort de la femme qui vivait sur la colline. Un soir d'automne, il était venu avec des amis pour lancer des pierres sur l'affreuse sorcière qui pourtant n'avait jamais causé le moindre tort au village. Une lourde pierre l'a frappé le haut du crâne et elle s'est effondrée sur le seuil de sa demeure.

La fillette s'arrêta quelques instants devant le bois pourri du portail entourant la propriété abandonnée. Elle voyait déjà sous les rayons de la lune la vieille maison aux murs noircis par le temps et les saisons. Elle inspira profondément et, une main protégeant la flamme de sa bougie contre le vent, elle continua sa route. A mesure qu'elle approchait sur l'herbe crissante, elle entendait les volets grincer et frapper contre le mur.

Ses yeux clairs se posèrent sur l'ouverture béante de la porte vers un intérieur obscur. C'était ici que bon nombre d'enfants avaient disparu. On disait qu'ils s'étaient perdu dans la forêt dense qui entourait la maison, c'était du moins la version défendue par la mairie et la milice. Mais les gens parlaient, les rumeurs circulaient : c'était l'œuvre de l'esprit de la sorcière qui hantait toujours sa maison et qui avait soif de vengeance.

La petite fille n'était pas trop surprise qu'ils aient tous disparus. Tous des enfants qui venaient prouver qu'ils n'avaient pas peur du danger. De gros durs qui bravaient des interdits et souhaitaient marcher et cracher au nez et à la barbe du soi-disant mauvais esprit qui vivait là... jusqu'à ce que la réalité les rattrape et les punisse pour leur insolence.

Mais elle, elle ne venait pas pour cela. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était offrir à un esprit torturé quelques paroles de réconfort et de bonté afin de l'apaiser et, peut-être, lui éclairer le chemin jusqu'au dernier repos.

Lorsque la fillette pénétra dans la maison, elle sentit aussitôt l’air s’épaissir, comme si une présence invisible l’observait. Pourtant, elle n’avait pas peur. Elle prit une grande inspiration et murmura doucement :

— Je suis désolée… pour tout ce qu’on t’a fait.

Sa voix était douce, sincère, mais elle se heurta au silence oppressant des murs. Elle avança lentement, sa bougie tremblante éclairant à peine les ténèbres autour d’elle.

— Je sais que tu souffres... Que tu as été blessée... Mais c'est terminé. Je veux juste t’apporter un peu de paix.

Le plancher grinça sous ses pieds, un gémissement profond qui résonna comme un avertissement. La fillette frissonna mais continua :

— Tu n’es pas seule. Tu peux laisser partir ta colère. Tu peux être libre.

Mais la maison rit. Un rire étouffé, sec et cruel. Elle ne voulait pas de paix. Elle ne voulait pas de pardon. Elle voulait seulement… s’étendre, s’emparer, et enfermer chaque âme assez naïve pour croire qu’elle pouvait être apaisée.

Alors, avant que la fillette ne puisse dire un dernier mot, les murs se refermèrent sur elle, la bougie s’éteignit, et plus jamais on n’entendit sa voix.

La maison avait gagné… encore une fois.