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1 - Légende de l'ancien monde
2 - Chapitre 1
3 - Chapitre 2
4 - Chapitre 3
5 - Chapitre 4
6 - Chapitre 5
7 - Chapitre 6
8 - Chapitre 7
9 - Chapitre 8
10 - Chapitre 9
11 - Chapitre 10
12 - Chapitre 11
13 - Chapitre 12
14 - Chapitre 13
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Chapitre 11

Le patio familial était le havre de paix privé des Kimura. La sérénité était ponctuée par les timides chants d'oiseaux, perchés sur le cerisier qui trônait entre son entrée et les parcs extérieurs. En position de lotus sur un petit banc de méditation, les deux garçons s'adonnèrent à la plénitude matinale. Une première pour Takeshi, dont l'esprit ne connaissait aucun repos depuis des jours.

Dans sa nouvelle tenue de clan, il se sentait toutefois apaisé. Il avait enfin troqué son habit de disciple pour des couleurs plus chaleureuses. Pour une raison étrange, Yuna avait insisté pour lui offrir un pantalon aux tons violines, surmonté d'un kimono au blanc immaculé et d'une large ceinture brodée du fier soleil d'Amaterasu – gage d'appartenance. Il était désormais libre de vaquer à ses occupations comme n'importe quel autre citoyen.

Kaito profita qu'il eût les paupières closes pour l'admira. La longue tresse qui reposait sur son torse lui conférait un charme particulier. Une coiffure curieusement familière – et fort à son goût... Il sourit. Tout comme la première fois, près de Takeshi, il ressentait une profonde paix. Le contraste avec sa nervosité quotidienne était frappant.

— Grand frère !

Cette voix fluette... Kaito bondit de son banc de pierre et ouvrit grand les bras. Kazu, benjamine de la fratrie, se jeta contre lui et ils s'étreignirent tous deux avec une tendresse qui surprit Takeshi.

— Oh ! Grand frère, tu m'as manqué, s'exclama la jeune femme.

Derrière elle, la mine chaleureuse du cadet apparut.

— Bonjour, mon frère, je suis heureux de te revoir.

— Kiyoshi-kun, votre voyage s'est-il bien passé ?

— Ah ! Le trajet est si long depuis le Berceau du Soleil, geignit la princesse. Je ne traiterai plus jamais Kiyoshi de paresseux.

— Tu me traitais de paresseux ? s'offusqua le concerné, en faux boudeur. Toi qui n'as que dix-neuf ans, tu as l'énergie d'une vieillarde !

Kazu le bouscula gentiment et Kiyoshi lui tira la langue. Kaito lui-même, par quelques gestes taquins, participa à leurs brimades fraternelles. Takeshi n'en croyait pas ses yeux. Le cœur de pierre était capable de plaisanter. Bien que la scène fût émouvante, sa déception était palpable : le prince n'accordait ses joies et sa tendresse qu'aux seuls êtres qui lui étaient chers. Voilà la réalité. Lui, devait rester à sa place...

Les deux frères et sœurs finirent par remarquer l'inconnu, resté en retrait.

— Tu as un invité, Kaito ?

— Mon apprenti.

— Oh, tu as un vrai disciple à toi comme les maîtres ? s'extasia la princesse.

Takeshi s'inclina humblement puis leur offrit son plus beau sourire.

— Je m'appelle Takeshi. Enchanté de faire votre connaissance.

La benjamine fut aussitôt charmée par son charme naturel. Dans sa magnifique robe de soie blanc et doré, sa longue chevelure partiellement remontée par une broche d'or au sommet de son crâne, Kazu le dévisagea de son regard nuageux, aussi intense que celui de leur frère aîné. La délicatesse de son gracieux visage ne devait laisser personne insensible. Un nœud dorsal enserrait sa taille étroite et ses doigts fins étaient presque invisibles sous ses larges manches pendantes. Sur sa poitrine reposait une gemme précieuse, à l'image de sa famille : une opale claire nébulée d'éclats chamarrés. Elle porta une main à ses lèvres, étirées par la malice.

— Tu es vraiment très beau...

Takeshi s'empourpra et baissa les yeux.

— Kazu ! la reprit Kaito. Cesse d'être gênante.

La jeune femme gloussa, loin de tout embarras.

— Notre sœur est très taquine, ricana Kiyoshi. N'y prête pas attention, Takeshi.

Bien moins grand que les deux garçons, le jeune prince avait – à l'inverse de son frère aîné – une expression aussi douce que celle de leur mère.

Dans sa longue et large veste aux nuances éclatantes, il avait cette aura pacifique propre aux vieux sages. Ses beaux iris ambrés s'accordaient à la perfection avec la somptueuse attache en or qui maintenait son chignon. Sa voix chaleureuse ainsi que les traits angéliques de son visage – caressés par quelques petites mèches libres – mirent tout de suite Takeshi en confiance. Sur les pans croisés de son kimono ivoire, un quartz diaphane aux fibres pailletées rutilait sous les rayons du soleil.

— Ravi de te rencontrer, Takeshi. Je suis Kiyoshi, le second prince Kimura. Comment es-tu devenu le disciple de notre frère ?

Cette question soulevant des sujets sensibles, Takeshi quémanda de l'aide auprès de Kaito par un silence évocateur.

— Il vient d'une zone éloignée, répondit ce dernier à sa place. Ne commencez pas à le harceler de questions, vous deux, il a eu un accident et a perdu la mémoire.

— Oh, vraiment ? s'étonna Kiyoshi.

— Mais c'est trop triste, se désola Kazu en s'enroulant autour du bras du concerné. Il faut faire attention à toi pour te rétablir. Mon frère prend-il bien soin de toi ?

Les précédents évènements ne jouant pas en la faveur de l'héritier, Takeshi se pinça les lèvres.

— Il... s'est toujours montré bienveillant.

Stupéfait par sa réponse, Kaito détourna un air coupable.

— Parfait ! Allons faire un tour en ville, je meurs de faim.

— Bonne idée, Kazu-chan¹, approuva le cadet.

Le bras droit de Kazu s'enroula autour du coude de son nouvel ami tandis qu'elle continuait à bavarder, véritable moulin à paroles. Takeshi se retourna vers son prince pour lui jeter un regard tendre. Le cœur de Kaito battit soudain plus fort.

Les jeunes frères et sœurs furent accueillis chaleureusement par le gérant de l'auberge où ils s'établirent pour déjeuner, sur la rive. À peine installés, le repas entier leur fut offert. Les enfants Kimura étaient vraisemblablement admirés et chéris du peuple. Takeshi se complut à découvrir l'espièglerie de la princesse, sa vivacité et sa manière de rayonner. Elle n'était pas sans lui rappeler sa propre joie de vivre.

Il sourit tout en écoutant les anecdotes de leur périple à la ville sainte ; l'ennui, aussi, vécu par la jeune femme lors de ce séjour trop vertueux, aux antipodes de ses frères dans leur quête spirituelle. Kazu était une âme libre, à son image. Les deux amis plaisantèrent d'ailleurs en se comparant aux deux frères, animés par la même fougue. Une complicité qui amusa Kiyoshi tout le long du déjeuner. Il était ravi de constater que leur sœur avait enfin trouvé son alter – en bien moins survolté, ceci dit.

Lorsque la princesse s'absenta, l'attention de Takeshi se déporta vers la fenêtre ouverte, sur le groupe de Sang Purs qui passait dans la rue. Ses yeux s'agrandirent, pleins d'étoiles. Fabuleux contrastes avec les non dotés et leurs lourdes armures protectrices, ces guerriers de lumière paradaient noblement dans de longs vêtements champagne, leurs larges pantalons-robes flottant derrière eux tels des nuages de soie. Fastueuse légèreté.

Hommes comme femmes exhibaient de magnifiques boucles et autres bijoux en or qui rehaussaient les broderies de leurs pans et estampes célestes de leurs coiffes. Si la question capillaire du commun des mortels se résumait souvent à la simplicité d'un chignon, les Sang Purs exposaient fièrement leurs libertés tant par la longueur de leurs chevelures que par les broches qui les relevaient et les embellissaient. Une toute-puissance dépeinte à travers la majesté de l'apparence, sans encombre ; reflet d'une grandeur inégalée.

Takeshi laissa tomber son menton dans sa paume. Comment ne pas envier ces êtres ? Lui, ferait malheureusement partie de la caste inférieure. Les peuples étaient-ils divisés dans tout le Japon ? Combien de dons existait-il seulement ?

Kaito le regarda fantasmer du coin de l'œil. Il fronça un sourcil en songeant à cette fameuse prime. Pour quelle raison Ken Musashi tenait-il à s'emparer de lui vivant ? Takeshi appartenait-il au clan du feu ? Cette idée le fit grimacer – bien qu'elle soit aisément vérifiable en testant sa résistance au feu... Une pensée tout à fait abjecte. Il se maudit de l'avoir seulement entraperçue.

— Père me paraît de plus en plus fatigué chaque fois que je rentre, se navra Kiyoshi.

Le silence contrarié de Kaito, concentré sur son disciple, l'interpella. Sa nervosité inhabituelle et son manque de répondant étaient révélateurs d'ennuis bien gardés. En fin observateur, il remarqua à sa hanche gauche, la déformation de sa veste créée par le pommeau de son katana. Si l'utilisation d'un pouvoir contre les non dotés était proscrite, les armes étaient autorisées à titre dissuasif ou correctif. Son frère n'emportant jamais son sabre en ville, ses soupçons furent confirmés.

Dès lors que Kazu fit son retour, les jeunes gens quittèrent la table et reprirent l'allée principale de la cité, garnie de piétons et d'étals.

— Que se passe-t-il, Kaito ? s'enquit Kiyoshi en se plaçant à ses côtés, derrière leur sœur et Takeshi.

— Hm ? Rien.

Derrière le couple d'amis se faufila soudain un individu encagoulé dont la manche trop courte trahit l'éclat d'une dague. Avant qu'il n'ait le temps de glisser sa lame sous la gorge de Takeshi, Kaito lui agrippa fermement le poignet. Son regard meurtrier se chargea de mettre le ravisseur en fuite. Kiyoshi fut sous le choc.

— Mon frère, je crois que tu as certaines choses importantes à me confier...

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¹ chan : suffixe employé par un(e) aîné(e) envers une jeune fille. Marque aussi l'affection.

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