Un gémissement ensommeillé s'échappa de la gorge de Takeshi. Ses paupières battirent doucement. Dans la pénombre, il reconnut sans mal, à la lueur de la bougie, un éclat vestimentaire bien connu. Son expression se durcit aussitôt.
— Tu avais dit que tu ne m'obligerais pas à revenir.
— Je ne pouvais pas te laisser partir comme ça.
Takeshi tourna la tête, amer. Il comptait bien manifester ses ressentiments. Du coin de l'œil, il observa les paumes miraculeuses s'affairer au-dessus de sa plaie ; un léger halo doré enveloppait son bras droit. Voilà donc le fameux don de guérison des descendants du soleil, brièvement évoqué par Kaito lors de leur première balade. Une capacité impressionnante. Cette puissance les rendait-elle en quelque sorte... invulnérables ? Takeshi fit la moue. Quelle idée saugrenue !
Il grimaça lorsque ses chairs se refermèrent sous les doigts de son soigneur ; ses muscles et sa peau se mouvaient à l'instar d'un tissu vivant.
— On me retire ma mémoire, le droit de vivre et, toi, tu décides maintenant à ma place où je dois mourir. Merci de m'ôter le semblant de liberté qu'il me restait.
La blessure disparue, Kaito le fixa d'un regard sévère.
— Je ne compte pas te laisser mourir, mets-toi bien ça dans le crâne !
Les deux garçons se toisèrent, puis Takeshi se détourna à nouveau. Le stratagème demeurait déloyal. Il l'avait contraint et dupé pour arriver à ses fins.
— Tu m'as pris en traître, Kaito Kimura.
— Je sais, grommela l'accusé. Et pour ça, je suis désolé.
Takeshi poussa un long soupir. Sa propre survie appartenait à présent à un autre ; le destin se riait bien de lui.
— Comment comptes-tu arranger les choses ?
— Laisse-moi t'apprendre à te défendre. Ensuite, tu pourras partir. J'irai aussi parler à mon père.
Un tel acharnement... Takeshi se redressa.
— Je ne comprends pas, pourquoi tiens-tu tant à m'aider ? Je ne suis pourtant rien pour toi.
« Cette personne et toi avez un lien très fort. »
Kaito se refroidit, les poings serrés sur ses cuisses. Comment ce garçon pouvait-il être encore insignifiant à ses yeux, à présent ?
— Ne dis plus jamais ça, rétorqua-t-il sèchement.
Takeshi avança sa tête vers la sienne pour le dévisager.
— Kaito-sama, tu es... différent. Qu'est-ce qui a changé ?
— Moi. J'ai changé.
— Donc... tu ne me détestes plus, tout à coup ?
— Crétin, grommela le prince. Je ne t'ai jamais détesté.
Le visage de Takeshi s'illumina. Contrarié par ces aveux, Kaito se renfrogna et croisa les bras sur sa poitrine, le regard fuyant.
— Je ne dois pas protéger seulement mon propre peuple, ajouta-t-il pour se rattraper. Chaque humain est mon égal, d'où qu'il vienne.
Takeshi lui rendit un doux sourire. Malgré son caractère difficile, cet homme devait être digne de confiance.
— Très bien, Kimura-sama. Alors, je remets ma vie entre tes mains – puisque je n'ai pas vraiment d'autre choix... se navra-t-il faussement sur la fin.
Kaito asséna une gifle impitoyable sur son bras guéri. Une gifle qui surprit Takeshi, avant de l'amuser. La mélodie de son rire réchauffa le cœur de Kaito. Le petit sourire qu'il esquissa ne passa pas inaperçu... L'espoir renaissait pour Takeshi. Ce dernier se rapprocha innocemment de son visage jusqu'à se retrouver à quelques centimètres de son nez et le fixa de ses deux grandes billes émeraude. Kaito se statufia.
— Je suis heureux, Kimura-sama.
— Et pourquoi ?
— Parce que, finalement, tu m'aimes bien... murmura Takeshi.
Les joues et les oreilles de Kaito s'enflammèrent. Cette candeur aguicheuse... Il le repoussa sans ménagement et le fit retomber sur les fesses.
— Ne prends pas tes rêves pour des réalités !
Takeshi le fixa avec une moue ahurie, puis retrouva le sourire l'instant d'après.
— Kaito-sama, pourquoi en as-tu honte ?
— Moi, honte ? s'étrangla Kaito. Espèce de... Je devrais t'achever, ici et maintenant.
— Quel monstre ! geignit le concerné en se réfugiant sous sa couverture. Puisque c'est comme ça, je ne viendrai pas à l'entraînement demain !
— Nous devons commencer un rythme intensif. Tu viendras. Ce n'est pas une suggestion.
— Pauvre de moi, glapit Takeshi, un œil par-dessus le tissu. Tu veux me contrôler puis me martyriser... Un tortionnaire, voilà qui est réellement Kimura-sama...
Kaito se pencha au-dessus de lui, la lèvre retroussée.
— En ce moment, j'aimerais beaucoup te martyriser, en effet, articula-t-il en le bousculant. Tu es vraiment insupportable.
— Mais tu m'aimes bien quand même...
Un air mi-désespéré, mi-excédé se lut sur le visage du prince. Il souffla la bougie et se dirigea vers la porte.
— Repose-toi. Et ne t'enfuis plus ou je te montrerai ce qu'est un véritable tortionnaire, gronda-t-il en claquant les pans de riz.
Takeshi se pinça les lèvres et se recoucha, les yeux miroitant d'étoiles.
L'aurore perçait les nuages gris de ses rayons rosés quand la voix de Kazuhiro Kimura résonna dans le corridor, depuis sa salle de conseil. Agenouillés devant la table basse, quatre hommes grisonnants aux tenues flavescentes tentaient de raisonner leur chef de clan.
Dans sa majestueuse parure princière, Kaito marchait le long des larges fenêtres circulaires, songeur.
— Nous ne pouvons pas laisser le Mont sans davantage de protection, Kimura-sama, soutint l'un des hommes.
— Parce que vous pensez que dépouiller La Grande Plaine de ses défenses est un meilleur choix ?
— Le Mont est le seul village qui borde notre frontière et la leur, il est évident que c'est un point stratégique pour Ken Musashi, chef de clan, poursuivit un autre.
— C'est évident, Kimura-sama, reprit un troisième. L'objectif premier de Ken Musashi est de gagner du terrain.
— Mais nous n'en sommes pas certains, rétorqua fermement Kazuhiro. Le fait qu'il rassemble des hommes dans les vallées rocheuses ne nous apporte aucune confirmation.
— C'est juste, le conforta Kaito en revenant vers eux. Cela pourrait bien être une ruse pour nous inciter à affaiblir nous-mêmes La Grande Plaine. S'il possédait cette ville, acquérir un petit village de frontière ne lui serait d'aucune utilité.
— Enfin ! Merci, mon fils, se ravit le patriarche. Nous restons donc sur les plans initiaux.
Les conseillers quittèrent les lieux humblement, inquiets, mais soumis aux instructions.
Kazuhiro Kimura rejoignit son héritier, posté sur le plancher longeant les bordures de l'immense demeure. Ils firent ensemble quelques pas en direction de la cour principale, là où femmes et hommes, dans leur élégance solaire, effectuaient leur premier gracieux ballet du jour sous les rayons naissants de l'aube.
— Heureusement que je t'ai pour me soutenir, fils.
Au silence de son aîné, Kazuhiro présageait déjà un ennui.
— Kaito-kun, dis-moi ce qui te préoccupe.
Kaito posa sur lui un regard grave. Il devait partager ses craintes au sujet de Takeshi, mais également sa volonté d'assurer sa sécurité.
Les évènements de la veille refroidirent le chef de clan.
— Toi, vraiment... Ne vois-tu pas que je suis pris dans des affaires plus importantes ? Je n'ai rien à te promettre, Kaito-kun, grogna-t-il. Tu es seul responsable de ce garçon.
— Mais Père...
La main de Yuna se referma sur l'avant-bras de son fils.
— Kaito-kun, laisse-moi quelques instants avec ton père.
Le message fut aussitôt compris. Le prince se courba devant ses parents puis confia sans hésitation les rênes à sa mère.
Bras dessus bras dessous, Yuna entraîna son époux dans les jardins fleuris du temple et entra dans le vif du sujet sans plus tarder. Kazuhiro pesta à nouveau.
— Décidément, vous êtes tous résolus à embellir ma journée ! Ken Musashi a mis sa tête à prix, et ensuite ? Que veux-tu que cela me fasse ?
Elle croisa les bras, contrariée, mais guère surprise.
— L'ennemi rêve sûrement de le tuer, la faute à un passé que l'on connaît très bien, mais tu ne t'en soucies pas ?
— Ma femme ! Pourquoi me rappelles-tu encore ces choses ?
— Je tiens juste à m'assurer que tu feras ce qu'il faut pour que rien n'arrive à Takeshi tant qu'il sera chez nous.
— Ce n'est pas mon fils, maugréa-t-il.
— Tu es donc prêt à l'abandonner aux mains de ceux qui le traquent ? Tu ne comptes pas le livrer si l'un de nos citoyens réclamait sa tête ? s'écria-t-elle.
— Je n'ai pas dit ça. Bien entendu, je ne ferai jamais une telle chose...
Elle soupira, soulagée.
— Mais tu sais aussi bien que moi que lorsque la nouvelle se sera répandue en ville, cette histoire deviendra trop compliquée à gérer. Et je ne vais tout de même pas punir mon propre peuple dans le but de protéger quelqu'un qui n'est même pas de chez nous.
— Pourquoi ne pas y remédier ?
— Je te demande pardon ?
Elle se planta face à lui.
— Fais-en sorte qu'il fasse partie des nôtres.
En prenant conscience de la requête de sa femme, le chef de clan lâcha un rire nerveux.
— Yuna, es-tu sérieuse ? Tu m'informes hier soir que Tsubasa l'a banni et, ce matin, tu me demandes d'en faire l'un des nôtres ? Réalises-tu la gravité de la situation ?
— Une telle disgrâce est dramatique de la main de l'empereur, je te l'accorde, mais nous parlons ici de Tsubasa. L'homme aux excès de rage insensés, qui malmène son peuple. L'homme qui hait son seul et unique enfant.
Kazuhiro se remémora les injustices dont était victime le garçon durant sa tendre enfance. La rancune que son père nourrissait envers lui dès le jour de sa naissance ne connaissait aucune limite. Tsubasa s'était sans doute débarrassé de son fils sans raison valable. La probité ne faisait pas partie de ses mœurs. Et il existait, dans cette cité, plus d'encenseurs déterminés à survivre à ses frénésies que de citoyens valeureux.
— Bien. Qu'il en soit ainsi. En revanche, en tant qu'adulte étranger et non doté, il devra passer l'épreuve.
Yuna blêmit.
— N-ne peut-on pas...
— Il doit partir sur le même pied d'égalité que les autres. Lui offrir ce genre de privilèges ne lui rendrait pas service, tu le sais bien.
Elle réprima un rictus amer. Les Sang Purs possédaient toutes les faveurs, les non dotés étaient les seuls habitués à subir leur nature de simples humains ; ces coutumes malsaines étaient bien ancrées. Et à défaut de pouvoir lutter, les ressentiments naissaient au cœur de la meute. Le chef de clan se radoucit en constatant l'anxiété silencieuse de sa moitié. Il plongea un regard tendre dans ses prunelles nuageuses et cueillit entre ses mains son visage délicat.
— Ne m'en demande pas trop, je t'en prie, murmura-t-il en écartant une mèche de cheveux de sa joue.
Yuna lui rendit un sourire fébrile, mais reconnaissant. C'était là tout ce qu'il lui était possible de faire.
— Nous ferons son intégration ce soir. Veille cependant à effacer la preuve de vie antérieure qu'il a dans le dos, avant qu'elle ne cicatrise totalement.
— Je m'en occupe.
— Et, Yûna... Si Tsubasa venait à l'apprendre...
Ils échangèrent tous deux un regard inquiet.
— Il est tellement capricieux, obstiné, et... imprévisible. Qui sait ce qu'il irait s'imaginer...
— Nos trois régions sont suffisamment recluses sur elles-mêmes, ne t'en fais pas pour cela, le rassura Yuna. Et puis, après seize ans, tu n'es pas censé reconnaître Takeshi. Il pourrait être un nouvel arrivant parmi tant d'autres. De plus, il a voulu s'en débarrasser. Il n'y a aucune raison pour qu'il s'en préoccupe.
Une fois son mari apaisé sur un chaste baiser, Yuna l'abandonna dans le jardin. Dès l'instant où elle lui tourna le dos, sa plénitude s'envola. Car la question ne se posait pas : si Tsubasa apprenait que son ancien frère d'armes avait récupéré son fils pour en faire un Kimura, c'était certain, il en deviendrait fou.
Takeshi s'étira de tout son long et fila joyeusement faire sa toilette du matin. Il était déterminé à donner le meilleur. Un jour, lui aussi serait un homme confiant et indépendant.
Yuna s'annonça à la porte. Il ne put enfiler le haut de sa tenue avant son entrée.
— Bonjour, Takeshi-kun.
— B-Bonjour, Yuna-sama, bredouilla-t-il en se courbant, le vêtement clair plaqué contre son torse.
— Ecoute, le chef de clan compte faire de toi l'un des nôtres afin de garantir ta sécurité dans la ville.
— Vraiment ? C'est fantastique ! Merci encore, s'écria-t-il en s'inclinant à nouveau.
— Mais pour que tout se déroule au mieux, je dois te demander quelque chose, dit-elle en l'invitant à s'approcher.
— Tout ce que vous voudrez, répondit-il en joignant les paumes. Que puis-je faire pour vous ?
— Te retourner sans poser de questions et me laisser faire.
— Vous... laisser faire ?
— Tu me fais confiance, n'est-ce pas ?
— B-bien sûr.
Il lui tourna le dos, sage mais confus. Les mains délicates effleurèrent ses omoplates et une chaleur se diffusa entre elles. Cette sensation n'était pas sans lui rappeler celle de son bras, soigné par Kaito ; sa peau crépitait et réagissait sous ses paumes.
— Kaito m'a dit qu'il allait t'entraîner, il devra se montrer patient. S'est-il adouci avec toi ?
Le jeune homme déglutit. L'épisode de la veille ne semblait pas avoir été abordé dans son intégralité – du moins, le violent rejet à l'origine de sa fuite...
— Ne vous en faites pas pour moi, Yuna-sama. D'un côté, son attitude est compréhensible, il n'a pas l'habitude des personnes... comme moi, grimaça-t-il, consterné par sa propre condition.
— Takeshi-kun, on ne naît pas guerrier, on le devient.
Il soupira.
— J'aimerais être comme Kaito. Il est si fort, si sûr de lui...
Elle sourit en considérant son admiration.
— Kaito a des capacités en arts spirituels impressionnantes, c'est vrai. Mais les dons des dieux ne font pas tout. En tant qu'héritier, il a dû travailler plus dur encore que les autres, depuis tout petit. C'est aussi pour cette raison qu'il est devenu si exigeant et un peu... brut de décoffrage, ajouta-t-elle, rieuse.
Elle acheva ses soins, satisfaite de voir sa peau lisse glisser sous ses doigts, et lui permit d'enfiler son kimono clair.
— Pourrai-je me battre comme lui, un jour ? rêvassa Takeshi.
À l'air amusé de sa tante, il perçut la stupidité de sa question.
— À moins d'être un Sang Pur Kimura, cela te sera impossible. Nos dons nous ont été transmis par les dieux lors de leur venue sur Terre, il y a bien longtemps. Chaque Sang Pur d'un clan est le lointain descendant d'une lignée divine. Quant aux Minamoto, le clan de l'empereur, ils sont la lignée directe de nos deux divinités originelles, celle de la vie et de la mort.
Ils s'assirent ensemble sur le lit.
— Les conflits politiques entre nos dirigeants finirent par pousser nos trois clans à s'isoler et nos chefs défendirent leurs peuples d'avoir des relations avec nos rivaux. Depuis, nos citoyens vivent coupés des autres territoires, de peur de léguer des capacités étrangères à leurs enfants et de se voir ensuite séparés. Un garçon doté de la résistance au feu ne serait pas le bienvenu chez nous, tu t'en doutes. De plus, le seul moyen de développer son don est d'étudier auprès des maîtres concernés. Ce sont des enseignements ancestraux, transmis de génération en génération uniquement au sein d'un même clan. Un héritage très conservateur, malheureusement.
Takeshi porta un doigt songeur à son menton puis s'illumina, soudain plein d'espoirs.
— Cela veut dire que, moi aussi, j'ai peut-être les capacités de mon ancien clan ?
Yuna fit une moue chagrine. Chez les Hatano, le véritable cadeau divin se transmettait depuis de nombreuses lignées à un seul être, et les maîtres formaient l'élu dès l'enfance. Si Takeshi avait manifesté cette capacité – à l'instar de ses prédécesseurs – il ne fait aucun doute que Tsubasa l'eut gardé dans leur clan.
— Un don se développe en grandissant, Takeshi-kun, se navra-t-elle, l'énergie intérieure s'éveille avec lui d'une manière différente. À tel point que, après de nombreuses années d'expérience et avec une excellente maîtrise, tu peux sentir sa puissance en toi, comme si elle chauffait dans tes veines.
L'espoir fana aussi vite qu'il était né. La désillusion passée, Takeshi récupéra un autre genre de détermination.
— Je peux toujours devenir le meilleur en arts martiaux !
— Je n'en doute pas une seconde, rit-elle
— Quel clan est le plus dangereux, Yuna-sama ?
— Sur notre île, les Musashi, assurément.
— J'ai cru comprendre, en effet, que Ken Musashi était un homme mauvais... grimaça-t-il.
Le visage de Yuna se durcit.
— Cet homme n'est pas simplement mauvais. C'est quelqu'un de très intelligent ainsi qu'un manipulateur hors pair. Lorsque nous étions encore...
Elle s'éclaircit la voix.
— Je veux dire... lorsque je l'ai connu, il avait déjà de grandes ambitions. Il a toujours aspiré à conquérir l'Asie.
— J'ai entendu qu'on l'appelait le Maître des Flammes. Ce clan peut-il vraiment...
— Oui. Ils créent et maîtrisent le feu, poursuivit-elle, l'air grave. Les descendants du dieu Kagutshuchi.
Takeshi la fixa, stupéfait et émerveillé à la fois. Yuna se leva pour faire quelques pas près des fenêtres.
— Mais ils n'ont que peu de Sang Purs, les créateurs sont ainsi très rares. Ken Musashi alimente donc la sauvagerie de ses guerriers.
Ces hommes se dessinèrent dans son esprit, vêtus d'armures aux couleurs écarlates. La peau carminée de leurs bras nus se jouant du froid meurtrier de l'hiver, insignifiant face aux flammes gracieuses capables de danser aux creux de leurs mains.
— Heureusement pour nous, chaque personne dotée puise dans son énergie pour utiliser les arts spirituels. Certains sorts requièrent plus d'énergie que d'autres, mais le feu tout particulièrement. Il consume beaucoup de ressources vitales.
— Alors, tout n'est pas perdu face à une telle armée, n'est-ce pas ?
— Certes. Mais une fois que le feu commence à brûler, impossible de l'arrêter. Et puis, même sans ses hommes...
Une terreur singulière déforma ses traits.
— Une nuit, je l'ai vu, seul... murmura-t-elle, le regard hanté. D'un seul geste, il a incendié toute une cité. Notre cité...
Elle se retourna vers lui, fébrile et les pupilles brillantes.
— Ses mains étaient incandescentes, absorbées par les flammes, souffla-t-elle. Elles se consumaient à l'infini sans jamais finir en cendres. Debout au milieu des braises, il était indestructible. Inhumain. Son énergie est un brasier insatiable.
Takeshi déglutit. Dire qu'hier soir, il se dirigeait tout droit dans la gueule du loup. Quel être effroyable ! Un frisson remonta le long de son échine.
— J'ai eu beaucoup de chance d'être tombé sur Kaito...
Émergeant de ses sombres remembrances, Yuna s'éclaircit. Elle retrouva sa douceur naturelle.
— Et nous ferons tout pour te garder à nos côtés. Ce soir, tu passeras ton intégration...
— Intégration ?!
Kaito surgit d'entre les portes, estomaqué.
— Kaito-sama, n'est-ce pas merveilleux ? Je vais faire partie du clan, s'enthousiasma Takeshi en bondissant de son futon.
Mère et fils se fixèrent longuement en silence, entendus sur l'évènement inquiétant qui se profilait, mais aussi sur la capacité de Kaito à rester serein. Avant que son fils ne réponde à une nouvelle impulsion, elle quitta Takeshi à la hâte et l'entraîna dans les couloirs.
— Mère, comment pourrait-il...
— Mon fils, tu dois garder ton calme, se désola-t-elle en le prenant par les épaules. Aujourd'hui, prépare-le comme il se doit.
Kaito serra les dents.
— Kaito-kun, je ne t'ai jamais vu si nerveux, poursuivit-elle en caressant sa joue. Si tu ne reprends pas le contrôle de tes émotions, ton aveuglement te causera des ennuis.
Il détourna le regard. Le tort avait déjà été fait.
— Tu traverses les premières difficultés de ta jeune vie d'héritier, mon fils. Vouloir veiller sur quelqu'un ne suffit pas. Si tu ne parviens pas à trouver ton équilibre...
Il prit ses mains entre les siennes.
— Je vais me reprendre, Mère.
— Takeshi est en grand danger, Kaito-kun. Il a besoin d'un modèle de paix et de soutien. Il a besoin de toi.
Ces mots résonnèrent au plus profond de lui.
— Je sais qu'il est très différent de toi, mais derrière les sourires et la légèreté, la peine et la peur sont toujours présentes...
Kaito posa les yeux sur son disciple, en train de le saluer depuis sa chambre d'une main joyeuse. Il tourna la tête, honteux. Si même la victime de cette histoire était encore capable de rayonner, pourquoi était-il celui qui perdait le contrôle ?
— Je te fais confiance, mon fils. Prends soin de lui, prends soin de toi...