Loading...
Report sent
1 - Légende de l'ancien monde
2 - Chapitre 1
3 - Chapitre 2
4 - Chapitre 3
5 - Chapitre 4
6 - Chapitre 5
7 - Chapitre 6
8 - Chapitre 7
9 - Chapitre 8
10 - Chapitre 9
11 - Chapitre 10
12 - Chapitre 11
13 - Chapitre 12
14 - Chapitre 13
Loading...
Loading...
You have no notification
Mark all as read
@

Chapitre 10

Un coup de bâton au thorax, un autre dans les flancs. Takeshi percuta violemment le mur blanc du dojo et s'effondra sur le tatami en grimaçant.

— Pare mes attaques !

— J-j'essaie !

— N'essaie pas. Fais-le, le réprima Kaito en brandissant son arme factice sur lui.

Takeshi esquiva le prochain assaut – sans succès. Le choc suivant lui flagella la cuisse et lui fit mordre le tatami. Il serra les dents en se redressant, la jambe lancinante sous son hakama anthracite. Vêtu d'un kimono blanc d'arts martiaux, Kaito le toisa d'un regard insensible, bras croisés.

— Relève-toi.

— Sensei, s'il te plaît, vas-y doucement...

— Nous n'avons pas le temps de te préserver.

Takeshi se remit debout, non sans mal. Sa jambe droite était à peine capable de le soutenir.

— Si tu me mutiles, je ne suis pas sûr que cela soit très utile.

— Penses-tu qu'en combat ton adversaire prendra soin de toi ? Cesse de geindre. Même nos jeunes guerrières sont plus résistantes que toi.

— Mais moi, je ne suis pas un guerrier.

— Nous l'avions tous remarqué.

Mortifié, Takeshi écarta ses états d'âme et récupéra son bâton. Il ne comptait pas se laisser ainsi outrager. L'entraînement reprit sans plus de clémence. Le genou gauche fut à son tour frappé, il perdit l'équilibre.

— Pare-moi ces coups ! l'invectiva Kaito, agacé. Tu ne vas jamais survivre à ce rythme, ce soir !

Cette déclaration acheva la concentration de l'élève. Le dernier coup de pied le cloua au sol sur la paille de riz.

— Survivre ? bafouilla Takeshi. Je pensais que j'allais être intégré ?

Kaito se pinça l'arête du nez.

— Quand un homme adulte non doté rejoint le clan, il doit... participer à l'épreuve. Un duel devant toute la ville.

Le visage de Takeshi se décomposa. Son bâton lui fila des doigts.

— Et comment suis-je censé y arriver ? s'affola-t-il. Je ne parviens même pas à repousser tes attaques les plus simples !

— Ces hommes ne sont pas moi. Et ce sont des civils.

Des civils habitués à chercher les ennuis...

Takeshi prit son front dans une paume. Il allait se faire battre à plate couture, et ce, en public. Kaito s'accroupit à sa hauteur et posa une main sur son épaule. Main que son élève repoussa aussitôt.

— Quand comptais-tu me le dire ? écuma-t-il.

— Je pensais que ça te découragerait.

— Ha ! Suis-je si faible à tes yeux ?!

— Ce n'est pas...

— Et cette façon de me rabaisser parce que je ne suis... que moi, fulmina Takeshi, ne crois-tu pas que ce soit assez décourageant ?

Kaito baissa les yeux, contrit. La délicatesse n'avait jamais été son fort.

— Excuse-moi.

Sur une impulsion rancunière, Takeshi le bouscula et le fit tomber sur les fesses. Kaito le fixa, sidéré. Il réprima un sourire.

— D'accord, je l'ai mérité.

— Oh, oui !

— Si tu as fini de m'incriminer, dit-il gentiment, laisse-moi te soigner.

Lorsqu'il tira son pantalon sans nulle gêne pour examiner ses cuisses, Takeshi vira au cramoisi. Il détourna un regard fuyant.

— Ce soir, contente-toi de tenir bon jusqu'à ce que les derniers rayons du soleil aient quitté la cour. Ne t'en fais pas, les blessures graves sont interdites. Et tu es plutôt agile. Si tu bloques et esquives, tu t'en sortiras sans trop de dommages.

Kaito froissa les sourcils tandis qu'il déplaçait ses mains au-dessus de sa peau.

— Néanmoins, la tradition impose de ne pas tricher en faisant soigner les marques de l'intégration...

La mine déconfite de son disciple lui serra le cœur. Il l'aida à se relever et le prit en face à face.

— Takeshi, je serai là. Je veillerai à ce qu'aucun drame ne se produise, tu m'entends ?

Takeshi froissa un rictus poli. Il en avait assez. Assez d'être vulnérable et dépendant des autres. Assez d'être considéré comme une petite chose fragile. Il était un homme. Et ce soir, il commencerait à faire ses preuves.

Le Soleil coulait son ultime hâle d'ambre sur le sable attiédi de l'immense cour militaire. Les spectateurs étaient agglutinés aux quatre coins du grand bâtiment, impatients d'assister à ce rare divertissement. Depuis le centre de l'aire, Takeshi regarda l'ombre du crépuscule qui avançait, trop lentement, vers les hauts murs de l'enceinte. Combien de temps devrait-il tenir ?

Son adversaire se présenta : un homme rêche d'une tête de plus que son digne mètre quatre-vingt-deux, au corps noueux et au faciès bourru. Dans son habit troué aux genoux, le civil – d'une trentaine d'années – avait tout d'un querelleur. Sans doute se ferait-il un plaisir de le malmener, mais Takeshi ne comptait pas lui faciliter la tâche. Il jeta un œil furtif au prince, qui se tenait bras croisés sous un claveau. Il voulait le rendre fier. Se rendre fier.

— Eh, garçon !

L'homme marcha vers lui, sardonique, son arme factice au poing.

— Ce qu'on dit sur toi est intéressant.

Takeshi resserra les doigts autour du bois.

— Ah oui ? Et que dit-on sur moi ? riposta-t-il, séditieux.

Le bâton s'abattit sans prévenir sur le sien et le fit ployer. L'adversaire jubila, à quelques centimètres de son visage.

— Que tu as beaucoup de valeur...

Takeshi pâlit à vue d'œil. Son opposant était donc informé de la prime. L'autre ne lui laissa pas l'opportunité de réfléchir et le repoussa sans mal pour le viser aux flancs. Première attaque esquivée. En effet, cet homme était à des années-lumière du prince et de ses talents ; les rixes de rues ne décernaient aucune compétence. Sa souplesse lui permit de bondir et de s'écarter à chaque assaut. Comme Kaito l'avait constaté, il possédait une grande agilité. Le temps s'écoulait et, avec lui, ses espoirs de rester en un seul morceau.

D'une froideur imperturbable, Kaito observait la scène, l'angoisse au ventre. Les offensives se suivaient et son disciple encaissait étrangement de mieux en mieux les coups. Une agréable surprise. Mais la foule, par ses ardeurs malsaines, le déstabilisait et affectait sa concentration. Une foule curieusement en défaveur du nouvel arrivant, qu'elle humiliait sans scrupules. Il fronça les sourcils, soucieux. Ses yeux se figèrent sur l'ultime ligne solaire, sur le point de disparaître.

« Empêche-le de bouger ! C'est qu'un gamin ! » beugla un énième spectateur.

Le bâton de Takeshi fut balayé à ces mots. Une brèche était créée, suffisante pour permettre la percée d'un genou dans l'abdomen. Son souffle se coupa. Un coup de pied le projeta au sol dans un nuage de poussière. Il se redressa dans la foulée, hors d'haleine, mais l'autre se jeta sur lui, le cloua face contre terre et bloqua son bâton sous sa gorge pour l'immobiliser. Takeshi tendit une main crispée vers son arme factice, tombée à quelques centimètres de ses doigts.

— N'y pense même pas, mon grand.

L'adversaire visa son poignet par l'extrémité du bâton et le brisa avec une violence inouïe. Takeshi poussa un cri. Un cri qui électrisa Kaito de la tête aux pieds. Au moment où l'homme retourna son élève sur le dos pour le frapper au visage, son sang ne fit qu'un tour.

— Stop !

Un silence de plomb s'abattit. Le bras en l'air, le combattant se statufia vers le prince, qui se dirigeait vers eux avec une expression meurtrière.

— Kimura-sama, bredouilla-t-il, je ne comprends pas...

— Comptais-tu handicaper par plaisir une personne tout arrivée dans notre clan ? tonna Kaito, planté devant lui.

L'accusé baissa la main et pesta dans sa barbe. Kaito se fit violence pour contenir ses nerfs. Toute brutalité était proscrite envers le peuple, mais il existait nombre de méthodes pour corriger l'irrévérence d'un civil.

— Aurais-tu l'insolence de répondre à ton prince, non doté ? articula-t-il, clair dans sa manœuvre.

Effet escompté. Le trentenaire fut piqué au vif. À son tour humilié par la puissance qui lui était supérieure, il se releva, l'oreille basse.

— Vous le protégez... murmura-t-il.

Kaito le fusilla du regard. Son corps s'enflamma d'une aura solaire. L'homme tomba à terre, effrayé, puis prit ses jambes à son cou en dérapant plusieurs fois sur le sable.

— Hors de ma vue ! fustigea l'héritier. Ou je jure de te faire payer ton impudence.

Son poignet droit reposant dans sa main gauche, Takeshi s'assit sur son lit après une longue marche boiteuse. Il grinça des dents, dissimulant le feu qui lui montait aux joues. La douleur de ses fractures surpassait toutes les autres.

— Pourquoi es-tu encore là, Kaito-sama ? marmonna-t-il.

— Donne-moi ta main.

— Non, tu as dit que...

— Cet homme t'a infligé cette blessure alors que le jour était déjà tombé.

Takeshi le fixa, ébahi, alors qu'il s'emparait de son poignet pour le soigner.

— Alors, cela veut dire que...

— Oui. Tu as tenu bon, le réconforta Kaito. Tu as réussi l'épreuve.

Takeshi émit un rire nerveux. Il avait réussi. Il avait fait ses preuves. Il releva le nez et inspira profondément, les yeux brillants tant d'émoi que de fierté. Ses os se reconsolidaient de manière éprouvante, mais le bonheur qu'il ressentait en cet instant embaumait son cœur. Il avait le sentiment d'avoir franchi une étape, un premier pas vers celui qu'il était réellement. Car au fond, il avait beau ne pas se connaître, il savait déjà qui il désirait être : un homme libre.

Comment this paragraph

Comment

No comment