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CHAPITRE 21

Samedi 16 octobre 2020, 18 h 50

L'orage grondait au-dessus de la Belgique. Les survivants avaient décidé de s'arrêter dans les ruines d'un immeuble pour la nuit. Il ne faisait pas bon sortir sous la pluie. Elle regorgeait encore de restes de la Marée Rouge et pouvait, si l'on s'y exposait trop, faire tomber quelqu'un malade... Ou pire.

Le groupe s'était séparé dans les différents appartements, après s'être assuré qu'ils ne cachaient pas de surprise désagréable. Miranda s'était enfermée dans l'un des plus grands avec les jumelles et Macron. Par habitude, elle avait barricadé la porte, pour être sûre de ne pas être dérangée par Bruce ou un de ses bras droits pendant la nuit. Ils se débrouilleraient bien une soirée sans elle.

Après un rapide tour du logement, plutôt commun - deux chambres, un salon-cuisine, une salle de bain -, et pendant que les filles s'appropriaient une des chambres, elle déposa ses affaires sur un vieux canapé qui avait vu de meilleurs jours. Le cuir avait pris l'humidité et prenait des teintes verdâtres peu ragoutantes au niveau des pieds. Ça ferait l'affaire.

Miranda se pencha sur ses sacs et laissa enfin sortir Macron. Le chat s'ébroua et plongea hors de sa prison dans un miaulement plaintif.

— Arrête de râler, tu es sorti il y a une demi-heure pour faire pipi.

— Méroooow.

— Ne me réponds pas ! C'est pas l'Élysée ici, tout le monde n'est pas à tes ordres.

— Maoow.

Elle dressa un doigt ferme devant son museau, comme un avertissement. Macron plaqua ses oreilles sur son crâne et cracha. Le gros chat roux lui montra ensuite son arrière-train. Il s'éloigna d'un balancement de fessier rageur en direction de la chambre des jumelles, vexé. Miranda leva les yeux au ciel.

Elle sortit trois boîtes de conserve et les déposa sur la table. Des raviolis, encore. Elle commençait à s'en dégoûter, mais mieux valait être dégoûtée qu'avoir le ventre vide. Elle en laissa deux et se laissa tomber dans le canapé avec la dernière. Elle retira l'opercule, le lança par la fenêtre...

— Putain ! hurla une voix en bas. C'est qui le connard qui lance des couvercles de boîtes de conserve ? J'en ai plein les cheveux, c'est dégueulasse !

Miranda haussa les épaules. Elle attrapa une cuillère dans son sac et commença à manger les pâtes froides et légèrement moisies, en prenant garde à ne surtout pas baisser les yeux sur ce qu'elle mettait à la bouche.

Après ce modeste repas, elle décida de dormir quelques heures pour reprendre des forces après la longue marche du jour, qui n'avait pas été de tout repos. Entre les tracas des uns et des autres, le deuil des survivants qui avaient succombé à l'attaque sur le parking du parc d'attraction et les lourdes, lourdes, très lourdes blagues de Bruce, elle s'en était tirée avec un mal de crâne et une fatigue plus importante que d'habitude. Sans doute était-ce aussi la faute à cette vigilance qu'elle refusait de baisser maintenant qu'elle était entourée d'inconnus.

Elle sortit de sa sieste uniquement lorsque les jumelles vinrent récupérer leur repas, et décida de se lever pour de bon au beau milieu de la nuit, reposée. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne faisait plus de nuits complètes. Trop de choses à l'esprit. Trop de risques. Trop de tout.

En silence, elle délogea Macron de ses genoux, qu'il avait rejoint quelques heures plus tôt, après avoir fini de bouder. Le chat émit une faible plainte lorsqu'elle le reposa sur le fauteuil, mais ne se réveilla pas pour autant. Elle attrapa silencieusement son sac et sortit de l'appartement.

Il devait être deux ou trois heures du matin, et puisqu'elle ne dormait plus, elle pouvait remplacer les survivants qui montaient la garde devant l'immeuble. Elle préférait s'occuper de cette tâche de toute manière. Elle n'avait pas assez confiance pour confier sa vie aux hommes de Bruce.

Première mauvaise surprise, il n'y avait personne devant la porte. Miranda se tendit, et fit quelques pas à l'extérieur pour s'assurer qu'ils ne campaient pas plus loin. Rien. Ni lumière, ni bruits de discussion. Avaient-ils déserté leurs postes pour aller se coucher ? Ou peut-être se trouvait-elle en plein changement de garde. Elle attendit quelques minutes, mais personne ne vint. Elle eut de suite un mauvais pressentiment.

D'un geste habile, elle saisit la lampe torche à l'avant de son sac à dos et éclaira les environs, à la recherche d'une racine ou d'un légume en embuscade. Elle ne vit rien dans un premier temps, mais remarqua vite sur le sol deux immenses tâches de sang frais. Elle leva la lampe sur le plafond du porche. Rien. Qu'est-ce qui les avait tué alors ? Par sécurité, elle rentra dans le hall de l'immeuble et s'enferma derrière la porte vitrée. Elle n'avait pas envie de tenter le diable.

— Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure mon petit paon ?

Elle soupira d'exaspération et fit signe à Bruce, qui descendait des escaliers, de baisser la voix. Il s'exécuta et la rejoignit en quelques enjambées. Les yeux rivés sur l'extérieur, il tenta de comprendre ce qu'elle était en train de regarder.

— Tes gardes se sont fait bouffer, lui annonça-t-elle. Je ne sais pas par quoi, je n'ai rien vu de suspect.

— Merde. La porte était ouverte ?

Miranda se figea, et blanchit. Les deux survivants se dévisagèrent un long moment avant de chacun mettre la main sur un couteau et se diriger vers les escaliers. La jeune femme prit le temps d'inspecter chaque étage à la lampe-torche, y compris les appartements où dormaient les membres de leur groupe, qui grognèrent de mécontentement d'être dérangés à une heure si tardive. Bruce l'aidait à inspecter les coins, les ruines et habitations restées vides, à la recherche du prédateur. Ils parcoururent tout l'immeuble à la hâte, mais dûrent rapidement se rendre à l'évidence : il n'y avait pas de légumes à l'intérieur, ce qui était à la fois un soulagement et une inquiétude. Si le légume qui avait tué les gardes à l'extérieur ne se trouvait pas à l'intérieur, où était-il ?

— Peut-être que l'un d'eux était infecté ? suggéra Bruce, de retour dans le hall, la jeune femme sur ses talons. Il s'est transformé en aubergine ou je ne sais quoi, a explosé et emporté son pote dans la tombe.

— Non, ce n'est pas possible. Les transformations prennent des jours, voire des semaines, on aurait été averti. On aurait aussi entendu l'explosion. On doit rater quelque chose.

Miranda posa la main sur la porte.

— Tu fais quoi là ? Il fait nuit noire, on voit que dalle, et j'ai pas envie de me faire buter.

— Alors j'irai toute seule. On doit savoir. Si c'est des spores ou un gaz, il sera peut-être trop tard pour agir demain matin.

Elle s'arrêta à l'entrée et se tourna vers lui. Bruce leva les yeux au ciel et, dans un soupir exagérément long, lui emboîta le pas.

— Si on se fait tuer, rappelle-moi de t'exploser la gueule en enfer.

Elle leva les deux pouces, et sortit à l'extérieur. Les deux survivants s'engagèrent sur un tour de l'immeuble, à la recherche des corps des deux malheureux gardes, ou de leur prédateur. Comme à l'intérieur, la recherche se révéla infructueuse. C'était comme si les deux hommes s'étaient simplement volatilisés. Pourtant, elle était bien placée pour savoir que rien n'était le fruit du hasard dans ce monde.

— Peut-être une de ces saloperies souterraines ? proposa Bruce, alors qu'ils revenaient à leur point de départ.

— Le béton aurait été retourné. À part les marques du passage de la Marée Rouge, il n'y a rien. C'est étrange. Je n'aime pas ça.

— Écoute, ma palombe. On a fait tout ce qu'on a pu pour les retrouver. Il n'y a rien. Ce qui les a butés les a sûrement emporté pour les bouffer ailleurs. Je propose qu'on rentre. C'est triste, mais on ne peut plus grand chose pour eux, pas vrai ?

La jeune femme émit un grognement dubitatif. Elle lança un dernier regard aux alentours, avant de repérer un mouvement, dans le ciel. Bruce suivit son regard, et haussa les épaules.

— C'est sûrement juste un avion.

Il se tut quelques secondes.

— Oh putain de merde, c'est un avion ? s'exclama-t-il.

Miranda resta silencieuse, nerveuse. La lumière s'éloigna soudainement à grande vitesse, plus vite que n'importe quel avion l'aurait pu. Ce n'était pas un avion. Il n'y avait plus d'avions dans le ciel depuis bien longtemps. C'était autre chose, elle ne saurait pas dire quoi, mais elle avait la forte intuition que cette chose était responsable de la disparition des deux gardes.

— Je ne le sens pas, dit-elle à Bruce. Si ce truc nous suit, on sera tous en danger si on veut camper à l'extérieur.

— C'est juste une lumière, ma linotte. C'est sans doute un effet de miroir sur les immeubles, rationalisa-t-il. C'est déjà la merde ici, évitons de rajouter des aliens à l'équation, d'accord ?

— On ne sait toujours pas d'où vient la Tomatéorite.

— Ouaip, et maintenant que tous les labos sont explosés aux quatre coins du monde, on le saura jamais. Garde la tête sur les épaules. Si on commence à croire aux aliens et aux fantômes, on va perdre la boule. C'est la fin du monde. On n'a pas besoin de plus de problèmes. Oublie ça, d'accord ?

— Si tu le dis, répondit-elle, peu convaincue.

Bruce lui tapota gentiment l'épaule. Elle se dégagea d'un grand coup de coude dans l'abdomen, qui le fit se plier en deux. Elle lui tapota gentiment la tête et rentra à l'intérieur de l'immeuble, le sourire aux lèvres, alors qu'il lâchait un gémissement plaintif. Elle ne comptait pas oublier de sitôt qu'il l'avait séquestrée il n'y avait même pas deux jours. Ce n'était qu'un gentil retour de bâton.

Malgré tout, le sourire ne parvint pas tout à fait jusqu'à ses pommettes. Elle n'arrivait pas à cesser de penser à cette lumière dans le ciel, et à l'impression que quelque chose de terrible allait se passer. Ce n'était pas un hasard. Quelque chose les observait. Elle n'en était pas au point de croire aux aliens, mais qui d'autre ? Le monde était détruit. Les gouvernements étaient tombés les uns après les autres, et ceux qui s'étaient retranchés dans leurs bunkers devaient aujourd'hui avoir péri ou se trouver sur les routes. Il n'y avait plus de technologie, de systèmes de surveillance. Il n'y avait aucune chance que cette lumière soit d'origine humaine.

Elle avait lu un jour dans un vieux roman de Conan Doyle que « Lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. »*. Elle ne trouvait aucune explication logique à cette soudaine apparition. Il restait donc l'improbable.

Miranda entra de nouveau dans son appartement, une étrange boule au ventre. Elle se laissa tomber sur le vieux canapé, où Macron dormait toujours. Son cœur battait vite. Les légumes, elle pouvait encore garder le contrôle. Elle avait fini par les apprivoiser depuis deux ans et à comprendre le danger qu'ils représentaient, mais comment pouvait-elle garder le contrôle sur quelque chose qui lui échappait entièrement ? Peut-être réfléchissait-elle trop. Peut-être Bruce avait raison. C'était une pensée rassurante. Elle n'aurait jamais imaginé que Bruce puisse être rassurant un jour. Malheureusement, une partie d'elle n'y croyait pas.

Mal à l'aise, elle ressentit un curieux besoin de faire un câlin à quelque chose. Elle tremblait, elle avait besoin de soutien. Elle n'avait aucune envie de se réfugier dans les bras d'un homme (cette simple pensée la fit frissonner d'horreur), il ne restait qu'une solution. Elle attrapa Macron sous les aisselles et le serra contre elle de toutes ses forces. Le chat miaula plaintivement.

— Chut.

Macron se tut, lui offrant un regard entre mépris et offense. Bien, elle avait au moins encore le contrôle sur quelque chose. Tout irait bien.

Tout allait bien.

Il le fallait.

* CONAN DOYLE, Arthur. Le Signe des Quatre, Lippincott's Monthly Magazine, 1890. 

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