?? février 2018, ?? h ??.
Des jours. Cela faisait des jours qu'il était enfermé dans cette ferme miniature, nu et désorienté. De temps à autre, de la nourriture tombait d'un tuyau situé sous le plafond. Quelque chose de gluant et de peu appétissant, mais qui suffisait à combler les besoins le temps d'une journée. Connor essayait de ne pas trop penser à tous les effets négatifs que cette bouillie pouvait avoir sur son organisme. L'organisation mondiale de la santé n'approuverait pas. À défaut, réfléchir sur ce qui se trouvait dans son assiette lui permettait de tromper l'ennui.
Sa colocataire se trouvait fort peu loquace. Depuis leur enfermement, elle ne lui avait adressé la parole que deux fois : pour l'engueuler lorsqu'il s'était accidentellement retourné pendant qu'elle vidait sa vessie, et la seconde pour lui demander d'arrêter de lui parler et de la laisser tranquille. Au moins, le message était clair. Depuis, Connor s'était réfugié dans un coin de leur petite pièce et regardait le panneau numérique défilant, rempli de faux nuages pour leur faire croire qu'ils se trouvaient à l'extérieur.
Pour qui les prenaient ces choses ? Des animaux ?
Il poussa un long soupir. Étaient-ils vraiment autre chose ? Pour tout ce qu'il en savait, ils servaient peut-être de garde-manger vivant. Quelle autre raison auraient-ils de les maintenir en vie ? Quel était leur objectif ? Créer une arche de Noé en attendant que la Terre soit ravagée par de la purée de tomate ? C'était en réalité l'hypothèse la plus plausible. Ou la plus rassurante. Et alors quoi ? C'était un vaisseau divin et ils avaient été miraculeusement sauvés ? Il ne croyait même pas en une entité supérieure. Pourquoi aurait-il seulement été sauvé ? Il ne comprenait pas !
— Vous allez rester coincé à force de froncer les sourcils comme ça.
Il se figea, et se retourna vers sa compagne de cellule. Et voilà qu'elle parlait maintenant ! Connor ne sut pas trop comment réagir à cette nouvelle interaction. La jeune femme se retourna vers son coin.
— Désolé...
Il chercha son nom un moment, avant de réaliser qu'il ne le connaissait toujours pas, sa dernière tentative de le découvrir s'étant soldé par un échec.
— Je me suis perdu dans mes pensées. Vous ne voulez toujours pas me donner votre nom ?
— Non, répondit-elle sèchement.
Et ils étaient revenus au point de départ... Quelle conversation intéressante ! Connor grinça des dents, frustré. Il ignorait si c'était sa tête qui n'inspirait pas confiance ou son attitude, mais tout le monde semblait abréger la conversation lorsqu'on lui adressait la parole. Eh bien, il espérait que ces extraterrestres n'aient pas pour projet de les faire copuler pour repeupler le monde ou une bêtise de ce genre. Ils ne ressemblaient en rien à Adam et Ève.
— Même pas un indice ? insista-t-il.
Elle lui jeta le reste du steak industriel qu'ils avaient eu pour repas du midi au visage. Le morceau de viande glissa lentement de son front à son menton, le gras amortissant la chute et prolongeant son agonie intérieure.
Glamour. Comme jamais.
Vexé dans son amour propre, Connor lui tourna le dos et croisa les bras sur sa poitrine. Elle ne voulait rien à voir avec lui ? Parfait, lui non plus.
Malheureusement, il n'eut pas beaucoup le temps de bouder. De l'agitation dans les cellules voisines remonta son anxiété en pic. Il se leva et se pencha autant qu'il le pouvait contre le champ de force pour tenter d'apercevoir ce qui se passait. Plusieurs personnes criaient, de peur ou de douleur, il n'était pas sûr, mais ça se répandait, de cellule en cellule. Les hurlements se rapprochaient, toujours suivis d'un long silence. Pourtant, il ne semblait y avoir personne à l'extérieur !
Quand le couple de la cellule juste à côté de la sienne se mit à hurler, il sentit son estomac se retourner. Ça, peu importait ce que c'était, venait pour eux. Il lança un regard paniqué à la femme derrière lui, qui commençait elle aussi à s'agitait nerveusement.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle. Vous voyez quelque chose ?
— Non. Il n'y a personne dans le couloir.
— Est-ce qu'ils sont tous morts ?
— Je l'ignore.
Les cris moururent dans la cellule d'à côté, remplacés par un silence angoissant. Connor et la jeune femme se regardèrent dans les yeux un long moment, quand soudain, un gaz fut propulsé dans la petite cellule. Il leur brûla immédiatement la peau et les yeux. La femme se mit à hurler de douleur, et Connor ne put rien faire d'autre que de regarder alors que son visage se couvrait d'immondes pustules rouges gigantesques. Elle posa ses deux mains sur sa gorge et tomba au sol, prise de convulsions. Sa bouche s'ouvrait et se fermait frénétiquement, à la recherche d'air, les yeux braqués sur lui.
Connor se demanda l'espace d'un instant s'il était déjà mort. Il inspecta frénétiquement ses bras, son visage, mais... rien ? Il n'y avait rien.
Le visage de la jeune femme prit une teinte bleue, puis elle cessa de bouger, les yeux exorbités par cette mort qui l'avait cueillie de manière inattendue. Connor resta un long moment à regarder le cadavre, sous le choc. Il n'en avait jamais vu encore, même le jour où sa vie avait basculé. Lorsque la vague l'avait pris, lui et sa fille, ils n'avaient pas eu le temps de réaliser.
Ici, c'était différent. Elle était réelle. Il avait parlé à cette femme. Elle était en vie il y avait encore quelques minutes et elle allait parfaitement bien ! Sa poitrine se compressa douloureusement. Ses jambes lâchèrent. Il se laissa glisser le long du mur, la respiration haletante. Il paniquait. Il ne comprenait rien à ce qui venait de se passer, ni à pourquoi il y avait réchappé. Était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Pourquoi ces choses s'acharnaient-elles à le garder en vie ?
— Sujet vingt-trois, Connor. Vivant.
La voix le fit sursauter. D'où venait-elle ? Il tourna sur lui-même frénétiquement, la tête levée vers le haut de sa cellule, à la recherche d'un haut-parleur ou d'une caméra. Il n'y avait rien. Rien de visible. Alors d'où ?
— Sujet vingt-quatre, Odilon. Décédée. Récupération du corps.
Connor écarquilla les yeux. Le corps de la jeune femme, Odilon — il venait enfin de l'apprendre —, se redressa pour se mettre debout. Sa tête pendait, signe qu'elle était bien morte, mais elle marchait ! Elle bougeait ! Elle était trop en vie pour une morte ! Connor cria. Il se colla contra la paroi comme un cerf effarouché pris dans les phares d'une voiture. Comment était-ce possible ? Sa terreur ne fit que s'accroître quand la morte se mit à grogner. Lentement, sa tête se redressa et ses yeux vitreux se posèrent sur lui.
— Putain, elle me regarde. Je fais quoi, moi ? À l'aide ! Quelqu'un !
Un signal aigu se répercuta dans la cellule. Connor releva la tête, effrayé. Qu'est-ce qui se passait ? Attirée comme un papillon de nuit vers la lumière, Odilon commença à marcher, droit devant elle. Le champ de force qui fermait la cellule s'entrouvrit pour la laisser passer. Elle tourna à droite et s'éloigna dans le couloir. Elle n'était pas seule. Des hommes, des femmes de tous âges défilèrent bientôt devant lui. Comme Odilon, leurs yeux vitreux et les cloques rouges qui les recouvraient intégralement trahissaient leur mort récente. Pourtant, de façon contre-nature, ils vivaient. Ils marchaient. Comme... Eh bien, comme des zombies, quand bien même le concept le révoltait.
Il fut rassuré de ne pas voir sa fille parmi eux. Il ignorait toujours si elle se trouvait ici, elle aussi, mais au moins n'avait-il pas eu la triste surprise de la voir de cette façon. Peut-être avait-elle survécu à cette nouvelle épreuve ? Comme lui ? Il n'osait encore y croire. Il se raccrochait à cette idée pour tenir, mais elle pouvait tout aussi bien toujours se trouver en bas, agglomérée avec des milliers de pauvres âmes dans une bouillie de sauce tomate géante. Un frisson involontaire remonta le long de sa colonne vertébrale.
Et maintenant quoi ? Il allait juste rester ici ? Tout seul ? Même si elle était peu loquace, Odilon lui apportait au moins le réconfort d'avoir un peu de compagnie. La cellule lui parut soudainement bien vide, grande et silencieuse.
Il se rapprocha de la vitre. Il devait se rassurer.
— Est-ce qu'il y a encore quelqu'un vivant ? cria-t-il.
Un terrible silence accompagna sa phrase.
— Allez, ne déconnez pas... Il y a forcément quelqu'un qui a survécu ! Je le sais ! Je veux... Je veux juste entendre une voix. S'il vous plaît...
Aucune réponse. Aucun bruit, à l'exception des grognements des morts qui s'éloignaient. Ils ne pouvaient pas être tous morts ! Son cerveau ne parvenait pas à l'accepter. Ils ne pouvaient pas l'avoir abandonné tout seul ici. Il n'avait rien de particulier ! Il n'était qu'un petit secrétaire de bureau sans aucune histoire et qui n'avait rien demandé à personne. Il n'était pas spécial. Il était un être humain tout ce qu'il y a de plus banal !
— S'il vous plaît... supplia-t-il dans un souffle.
Il tendit l'oreille, le cœur battant si vite qu'il craignait qu'il ne s'échappe de sa poitrine. Le couloir resta désespérément silencieux. Pas un bruit. Pas une ombre. Pas une âme vivante.
Il serra ses genoux contre lui. Des larmes coulèrent le long de son visage. De peur ? De réalisation ? De choc ? Il ne savait plus. Il ne voulait pas être en vie. Il voulait marcher avec les morts et échapper à ce cauchemar pour de bon. Il voulait, pour une fois dans sa vie, faire comme les autres.
Il se laissa tomber sur le côté, puis ferma les yeux. Ce n'était qu'un cauchemar. Il allait s'endormir, et quand il se réveillerait, cette jeune femme arrogante serait toujours dans la cellule à lui demander de se retourner pour ne pas que ses yeux ne s'attardent sur son corps nu. Ou mieux ! Il se retrouverait dans son lit, chez lui, les deux bras d'Inaya lui serrant la taille après qu'elle ait réussie à se glisser sous la couette pendant la nuit sans le réveiller. Il sourit à cette image et s'y accrocha de toutes ses forces. Épuisé mentalement et par les larmes, il finit par s'enfoncer dans le sommeil.
— Sujet vingt-trois, Connor. Lève toi.
Le jeune homme releva la tête et poussa un soupir. Il était toujours dans la cellule, nu et seul. Il s'assit doucement et se frotta les yeux pour tenter de rassembler ses pensées embrouillées. On lui avait donné un ordre. Est-ce que les choses s'étaient rendues compte qu'ils l'avaient oublié ?
Lentement, Connor s'appuya sur le mur pour se lever. Une ombre l'observait derrière le champ de force. C'était l'une de ces étranges créatures, encore une fois. Il n'arrivait toujours pas à cerner où se trouvait la tête. Ses yeux balayèrent la créature extraterrestre, incapables de décider où regarder.
— Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda Connor, toujours collé contre le mur. Pourquoi est-ce que je suis toujours en vie ? Je ne comprends à rien à ce qui se passe... Je veux... Je veux juste des réponses.
La créature émit un nouveau souffle étrange, comme si l'on tapait sur un clavier d'ordinateur, puis pencha la partie supérieur de son corps, comme le ferait un chien à l'écoute.
— Connor. Toi. Suivre.
— Vous voulez que je vous suive ? Pourquoi ? Pour aller où ?
— Toi. Suivre.
La créature tendit quelque chose dans sa direction. Un bras ? Une main ? Autre chose ? Quoi qu'il en fut, il se sentit d'un coup plus léger. Il baissa les yeux. Son corps flottait quelques centimètres au-dessus du sol, enveloppé de grands anneaux qui lui parurent faits d'énergie. Par instinct, il voulut bouger les bras pour retrouver son équilibre, mais il ne le put pas. Il était comme paralysé. Il hurlait à son cerveau de bouger ses membres, mais rien ne répondait.
— D'accord... D'accord, calme Connor. Tout va bien. C'est dans ta tête.
Ce n'était pas dans sa tête ! Il volait et ne pouvait rien faire contre !
Son corps bascula en position horizontale.
— Toi. Suivre, répéta la créature de sa voix déformée.
Le champ de force se désactiva pour les laisser passer. Ils tournèrent à gauche, à l'opposé de l'endroit où les morts s'étaient dirigés la veille. Connor prit une grande inspiration. Peu importait son destin à présent, il ne pouvait de toute évidence pas s'y soustraire.