La douleur lancinante dans mon dos me réveille. J'aurais aimé que cette nuit ne soit qu'un terrible cauchemar. Malheureusement, elle est bien réelle. Je grince des dents en bougeant. « Dieu veut que tu aies mal ». Ai-je assez souffert à son goût ? Si mon corps reflétait le tourment de mon esprit, mes os auraient déjà tous été fracturés.
Je me redresse dans mon lit et découvre mes draps en sang à la lumière du jour. Bravo, William. Je me remets sur mes pieds dans un couinement. J'avais oublié ma cheville foulée. Je remonte ma soutane sur mon mollet et découvre avec stupeur la grande scarification en forme de serpent. C'est donc la marque que le démon m'a laissée. Un prêtre se faisant graver dans la peau l'animal du Malin lors d'une attaque démoniaque, quelle ironie. Si les gens savaient...
Je prends une profonde inspiration. Je dois m'occuper de la paroisse, je n'ai pas le temps de me reposer pour si peu. Ma cheville suivra le rythme et mon dos se contentera d'une bonne douche. De toute façon, Père Thomas n'est pas là, je ne pourrai rien appliquer seul sur mes plaies. Et je me vois mal expliquer mes blessures à Adam.
Je boîte avec peine jusqu'à la porte. Le serpent semble vouloir me punir pour ma résistance en m'électrisant d'une douleur vive à chaque pas. J'ouvre la porte dans un sursaut.
― M-Monsieur Nightingall ?
― Père William ? bafouille-t-il en se relevant avec un air ensommeillé. Comment allez-vous ?
― Que... que faites-vous encore ici ? Je vous croyais parti depuis longtemps, fais-je, stupéfait.
― Je ne voulais pas vous laisser seul dans cet état.
Je le dévisage de longues secondes, effaré. Est-il vraiment resté là, assis durant des heures sur le sol, juste pour s'assurer que je ne sois pas seul ? Je n'en crois pas mes oreilles. Cet homme pervers et dangereux, pourquoi fait-il preuve d'autant de bienveillance envers moi, tout-à-coup ? Il est pourtant bien là, à me fixer d'un air soucieux. Je baisse les yeux.
― Je suis désolé, monsieur Nightingall, cette nuit je...
― Appelez-moi Matthew, s'il vous plaît.
― Pardon ?
― S'il vous êtes désolé, appelez-moi par mon prénom.
― D'accord, Matthew... Je vous prie d'excuser mon attitude. Je n'étais pas dans mon état normal.
― Vous étiez très mal en point, il n'y a rien à excuser. Vous avez subi un grand choc, je me trompe ?
Que sait-il, exactement ? Je le dévisage en silence. De la culpabilité ? Pourquoi s'en voudrait-il ? Non, il ne sait rien à mon sujet, c'est impossible. Je me frotte les yeux, épuisé.
― Je dois aller me doucher. Merci d'être resté, vous pouvez rentrer chez vous, maintenant.
Je boîte jusqu'à la salle de bain. Le frottement de ma soutane sur la peau de mon dos est atroce.
― « Faites donc mourir en vous ce qui n'appartient qu'à la terre », Paul aux Colossiens, verset 5.
Je me stoppe, abasourdi, et me retourne lentement vers lui. Lui ? Il a lu la Bible ? Comment a-t-il pu me sortir ce verset de tête ?
― Qu'avez-vous à vous reprocher de si affreux pour vous flageller, William ?
Mon visage se renferme aussitôt.
― Vous ne me connaissez pas, fais-je en me détournant.
― Je sais qu'il vous est arrivé quelque chose d'horrible.
Ma mâchoire se crispe.
― Laissez-moi vous aider, s'il vous plaît.
― J'apprécie votre sollicitude, mais je me débrouillerai seul.
― Père Thomas va à l'hôpital pour ses soins, il ne reviendra pas vous rendre visite avant plusieurs jours. Vous ne pouvez pas laisser ces blessures dans votre dos continuer à saigner comme ça...
― « Celui qui sème pour sa chair récoltera pour sa chair la destruction. »
― « Dieu veut de l'indulgence envers vous-même », réplique-t-il du tac au tac.
― Vous ne pouvez rien faire pour moi, rétorqué-je froidement.
Alors que je m'apprête à m'enfermer dans la salle de bain, il bloque la porte avec sa main.
― J'ai un gel à base de salive de vampire.
Je le regarde avec méfiance, puis secoue la tête. Je ne lui fais pas confiance. Surtout pas avec une salle de bain dont la serrure est cassée.
― Vous n'avez pas confiance en moi pour vous toucher et vous avez de bonnes raisons. Mais nous ne voulons pas que vos plaies s'infectent. J'ai investi de l'argent dans cette église, vous êtes inclus dans l'investissement.
Je ne peux m'empêcher de sourire.
― C'est donc ça, je fais partie des meubles ?
― On peut le dire. Après tout, le contrat est déjà signé.
Je réfléchis, partagé entre mes mauvaises expériences avec lui et sa soudaine bonté. Et s'il entrait pendant que je prends ma douche ? Je suis au centre de ses fantasmes. Dans mon état de vulnérabilité actuel, il pourrait faire ce qu'il veut de moi.
― Laissez-moi déjà me laver.
Il retire son bras. Mes yeux roulent avec inquiétude sur la poignée.
― La porte de la salle de bain...
― Je sais, elle n'a plus de verrou. Je n'entrerai pas. Dites-moi quand vous avez fini.
Il referme lui-même la porte. Sa réaction me surprend en bien, mais je reste sur mes gardes. Après une longue réflexion, l'imaginant entrer d'une seconde à l'autre, je me décide enfin à retirer mes vêtements ensanglantés et entre dans la douche.