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Chapter 3

PDV William

Les âmes pures sont celles qui se confessent le plus. Les monstres n'expient pas, car ils ne regrettent pas. Je suis l'exception à cette règle. 

Pour la troisième fois ce mois-ci, j'écoute le monologue d'Eva dans l'isoloir, une jeune femme mariée à un individu violent, qui culpabilise de ses sentiments pour un autre homme. Je la réconforte par quelques paroles douces et encourageantes avant de la laisser repartir, le cœur plus léger pour un temps, mais les joues tuméfiées. 

Londres est devenu le berceau de la violence. Même les plus petits foyers perdent espoir. Mon rôle est de m'assurer que l'avenir changera un jour, même si je dois plonger mon âme en enfer pour cela.

― William, comment se déroule ta matinée ? m'interpelle Père Thomas.

Je lui réponds en souriant.

― Bien, mon père, comme d'habitude.

― Tu es rentré tard de ta réunion, cette nuit, dit-il en grattant sa barbe blanche, j'ai vu de la lumière dans le couloir lorsque je me suis levé pour manger mon yaourt.

― Je sais, nous avions du travail. Faites attention à votre cholestérol avec les yaourts.

Il balaye l'air de la main avec une moue détachée et se retient de me questionner davantage sur mon activité de « soutien » aux jeunes pour lutter contre la délinquance. J'ai honte de mentir éhontément à cet homme qui me traite comme son petit-fils, mais je ne veux lui faire courir aucun risque. 

J'ai beau être aussi fermé qu'une huître affectivement, je le considère comme ma famille. S'il lui arrivait quelque chose par ma faute, je m'en voudrais toute ma vie. Comme pour punir mon mensonge, la fatigue me rattrape.

Je replace mes cheveux derrière mes oreilles et inspire.

― Je m'excuse mon père, je vais devoir aller m'allonger.

― Tu as pris tes médicaments pour la tension avec ton thé ? Tu dois faire plus attention à toi, William. Tes parents sont tous les deux morts très jeunes, je n'ai pas envie qu'il t'arrive la même...

― Père Thomas ? lance un individu en poussant les deux portes comme s'il entrait chez lui.

Un trentenaire portant des lunettes rondes fumées, percé aux oreilles et vêtu d'un costume au col négligemment entrouvert s'avance dans l'allée avec une démarche décontractée. Il a l'attitude de quelqu'un de fortuné et le sourire d'un brigand. 

Je l'analyse de la tête aux pieds dès qu'il range ses lunettes dans sa poche de veste, sans boitier ni précautions. Ses chaussures Luis Vuitton sont un peu sales aux semelles et élimées sur les bords. Sa chemise n'est pas bien repassée, sous son long caban noir, et ses cheveux en bataille sont encore humides d'une douche tardive – à onze heures trente du matin – ce qui laisse présager que monsieur n'est pas un lève-tôt. 

Combinons à cela une barbe mal rasée, une coiffure approximative et un air charmeur insupportable, et nous pouvons imaginer sans mal que monsieur a une vie nocturne agitée, primant peut-être même sur ses occupations en journée. 

Cet homme a une profession insolite, j'en mettrais ma main à couper.

― Matthew Nightingall, enchanté de vous rencontrer, Père Thomas. J'ai tellement entendu parler de vous.

Son sourire est à ce point enjôleur qu'il pourrait faire fondre l'Antarctique. D'un ennui mortel.

Ses mains sont très soignées et sa peau intacte, ce n'est pas un manuel. Sa montre Dolce & Gabbana toute neuve suffirait à payer les travaux de la toiture. Son visage est harmonieux, sa mâchoire anguleuse et ses yeux sont d'un anthracite intense, alliance parfaite avec le brun glacé de ses cheveux.

Notons la fine cicatrice sur l'arête de son nez qui correspond à celle au coin de son œil droit ; son iris semble légèrement plus clair. Vilaine blessure. Voit-il toujours bien de ce côté ?

J'aurais aimé l'imaginer en héritier fainéant à qui l'on a cédé un poste histoire de remplir un siège au nom de la famille, au conseil d'administration, et qui passe son temps à décevoir par son attitude. Mais la piste criminelle s'avère plus probable. Je la confirmerai d'ici peu.

― Enchanté de même, monsieur Nightingall. Bienvenue à Saint Edward. Que nous vaut l'honneur de votre visite ?

― Eh bien, on m'a dit que...

Il tourne la tête vers moi. Ses yeux s'attardent sur mes cheveux blond platine quelques instants avant de rouler sur ma soutane blanche. Je hausse les sourcils avec un sourire poli pour récupérer son attention.

― Monsieur Nightingall, enchanté. Je suis le père William.

― Deux pour la même église ? Quelle chance avons-nous là.

― William me remplacera dans quelques jours, je prends ma retraite. Il n'a que vingt-trois ans, mais c'est une bénédiction pour notre communauté. Il est d'une maturité exceptionnelle.

― Vraiment ? Voyez-vous ça, jeune et mature...

Alors que mon sourire courtois reste figé sur mon visage, le sien devient taquin. C'est donc ce genre-là, je vois.

― C'est à vous que je viendrai me confesser très bientôt, William, cette idée m'enthousiasme beaucoup, dit-il avec une moue charmeuse.

Je ne relève pas l'omission de mon titre pastoral et réplique avec toute ma pureté, les mains croisées sur ma soutane :

― Vous devriez plutôt aller retrouver le soleil, en Italie.

Il pose sur moi un regard stupéfait.

― Comment savez-vous que...

― La marque de bronzage autour de votre chevalière en or. Un très beau cadeau que l'on vous a fait là. Je ne porterai aucune hypothèse dans notre église quant à sa provenance, vous en conviendrez.

Il lève son auriculaire gauche et remarque la trace claire autour de la bague, que je jurerais appartenir à la mafia italienne ou sicilienne, au vu de ses symboles. Je suis certain que cet homme n'a pas fait que du tourisme, là-bas. Ma piste se confirme doucement.

― Surprenant. Qu'êtes-vous capable de dire d'autre sur moi ? demande-t-il, ravi.

― Eh bien, je ne vais pas m'attarder sur la voiture de sport qui vous attend sans doute sur le parking – une italienne, je présume – ni sur votre train de vie luxueux, vous le portez déjà sur vous. Plus intéressant : vous détestez l'ennui et le fuyez, quitte à prendre des risques. Vous aimez l'adrénaline. Vous appréciez toutefois une bonne randonnée dans le maquis ou dans nos chères landes anglaises pour vous reconnecter à ce que l'argent n'achète pas. J'imagine également un goût caché pour l'art, répondant à une sensibilité que vous vous efforcez de cacher. Côté origines, votre nom étant visiblement un nom d'emprunt, il en dit davantage sur votre personnalité que sur votre naissance. Je note en revanche un très léger accent des Midlands de l'ouest. Trop subtil pour être gallois, mais suffisant pour Bristol. En prenant en compte votre profil entier, je pense que vous avez grandi dans le Herefordshire.

Son expression hallucinée me laisse entendre que j'ai tapé juste. Pour ne pas changer.

― Vous êtes impressionnant...

― Vous étiez juste facile à cerner, dis-je sur un ton affable.

Il s'esclaffe. Père Thomas pose une main sur mon épaule. Il a peur que j'embarrasse notre invité, mais je sais qu'il en faut bien plus à un homme tel que lui pour être gêné. La joie de Nightingall se mue en fascination.

― Je suis réellement admiratif, William.

Père William.

― Mille excuses, dit-il sans le penser un instant. J'aimerais en apprendre autant sur vous que vous en savez sur moi.

― Je ne suis pas ici pour parler de moi, mais pour accueillir mes paroissiens et apaiser leur détresse.

― Ecouterez-vous la mienne, lorsque je viendrai vous la murmurer au confessionnal ? demande-t-il avec la même légèreté séductrice.

― Je suis prêtre, monsieur Nightingall, pas sexologue ni agence de voyage, répliqué-je avec un air faussement angélique.

A nouveau, il rit.

― Je viendrai confesser mes péchés, mon père, soyez-en sûr.

― Pensez à prendre rendez-vous, cela pourrait durer un très long moment.

― Je tiens à ma rédemption. Je viendrai tous les jours s'il le faut, très cher William.

― C'est père William, répété-je sur un ton plus ferme, sans jamais perdre mon éternel sourire courtois. Et, je regrette, mais je dois m'occuper d'autres paroissiens avant vous.

― William vous accueillera quand vous le voudrez, monsieur Nightingall, ajoute père Thomas avec un petit rire gêné avant de serrer mon avant-bras dans un geste réprobateur.

Nightingall me dévisage avec un regard ardent qui me laisse aussi sec et piquant qu'un cactus en plein désert. Il me déshabille littéralement des yeux. Je bats plusieurs fois des paupières et penche la tête sur le côté.

― Vous semblez... bloqué, monsieur Nightingall. Feriez-vous une crise d'épilepsie ?

Il ricane. Je le fixe avec une mine toujours aussi niaise, derrière mon inébranlable politesse.

― Vous savez, William...

Le respect ne fait décidément pas partie de ses mœurs.

― J'avais certains projets pour ce soir...

Va-t-il vraiment oser ?

― ... mais je pense les annuler. En fait, cette église me plaît beaucoup, dit-il en faisant mine d'admirer les vitraux. Avez-vous un mécène ?

Je hausse un sourcil.

― Non, pourquoi cette question ? répond père Thomas.

― Parce que je vais m'occuper de la subventionner.

― Oh, monsieur Nightingall, que Dieu vous bénisse ! Merci infiniment. C'est le Seigneur qui vous envoie à nous, n'est-ce pas William ?

Je demeure interdit, puis hoche la tête à contrecœur. Lorsque les raisons sont malsaines, il n'y a aucune gratitude à avoir.

― En effet, père Thomas. Merci à vous, monsieur Nightingall.

― Voudriez-vous me suivre ? l'interroge père Thomas. J'aimerais vous présenter l'état du bâtiment et nos finances. Vous pourrez décider ensuite par vous-mêmes si vous vous engagez ou non et signer une...

― Mon père, c'est acté. Je suis un homme de parole.

Père Thomas est aux anges. Moi, je lève les yeux au ciel. Alors qu'il se dirige vers le presbytère, Nightingall lui emboîte le pas et s'arrête à hauteur de mon épaule.

― Mon père, ça vous fait quoi de savoir que je vais être votre premier ?

Je tourne la tête vers lui et le toise de longues secondes avec un flegme qui dissimule parfaitement le dégoût qu'il m'inspire. S'il veut jouer à ça avec moi, il va manger des murs à en perdre toutes ses dents. Ce coureur de jupon va apprendre ce que « non » signifie avec moi. Je lui réponds avec toute mon indifférence :

― Etes-vous sûr d'être en capacité de vous occuper de notre église ? Nous avons de nombreux travaux à faire, beaucoup d'améliorations en attente et plusieurs activités extra-paroissiales pour la communauté.

― Je m'occuperai de satisfaire tous vos besoins, père William, me susurre-t-il près de l'oreille.

Je lâche un léger rire narquois et m'écarte d'un pas.

― Sauf votre respect, monsieur, tous nos besoins risqueraient de...

― Je mettrai mon argent à votre disposition, dès que vous m'aurez laissé signer les papiers. A moins que mon bien-être vous importe plus que l'état de cette église ? me taquine-t-il.

― Seul le Seigneur et la rédemption de mes paroissiens m'importent.

― Ma rédemption également ?

― Les causes perdues appartiennent à Dieu, je ne suis pas en charge des miracles.

Toujours aussi amusé, il reprend le chemin de l'allée centrale, les mains dans les poches, pour aller rejoindre père Thomas. Mon sourire se mue en grimace alors que je le suis des yeux.

― Vous me ferez visiter vos appartements, père William ? lance-t-il sur un ton enthousiaste. Améliorer vos conditions de vie passe aussi par les chambres.

― Je mène une vie frugale, ce ne sera pas nécessaire.

― Les nuits pourraient être moins froides grâce à moi, William...

Mes doigts croisés se crispent au creux de ma soutane et mon ton se fait plus directif.

― Monsieur Nightingall, vous êtes dans un lieu saint. Gardez cette pensée à l'esprit.

Je fais volte-face dans un mouvement de robe et pars d'un pas ferme m'enfermer dans la sacristie. Une fois seul dans la pièce, je me plaque contre la porte et laisse échapper un râle agacé. Cette espèce de pervers. 

Je connais déjà la suite des évènements. S'il croit pouvoir souiller notre lieu saint et me corrompre avec ses fantaisies immorales, c'est qu'il ne sait pas à qui il affaire. Il va vite déchanter.

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