PDV Matthew
Rome, Février 1981
Les rues sont hantées par une puanteur cadavérique. Je serpente entre les coupe-gorges sans regarder autour de moi. Les groupes d'assassins, en plein travail nocturne, s'effacent en entendant mes pas sur les dalles humides.
Ma présence est le seul répit de leurs victimes. Mon nom résonne en silence entre chaque mur de la ville, porteur d'un nouveau cauchemar.
L'édifice s'érige devant moi et exhibe sa croix maudite sous mes yeux. Je serre les dents, la rage au bord des lèvres, et enfonce les portes de l'église dans un immense fracas. Les prêtres hurlent, m'ordonnent de quitter les lieux. Leurs lames se dressent devant moi, l'eau bénite de leurs fioles giclent sur la peau de mon visage.
Je lâche un rire moqueur. Leur sang se glace. Même à plusieurs mètres d'eux, je sens l'effroi vibrer dans chaque fibre de leurs corps. Ils s'attroupent près de l'autel et reculent au fil de mes pas, plus pâles que la mort. Qui est vraiment le monstre, ici ?
― C'était des pécheurs ! s'écrie l'un des prêtres.
― Des pécheurs...
Je le saisis brutalement à la gorge, sous les yeux apeurés des autres.
― Elle portait donc un autre pécheur dans son ventre, susurré-je en approchant de son visage. Le mien.
Le regard de l'homme s'exorbite. Avant qu'il n'ait le temps d'ouvrir la bouche, je plante mes canines dans son cou et arrache sa chair à coups de dents. Le sang jaillit, ma fureur palpite. Mes doigts glissent autour de la chaîne en or qui pend sur sa soutane noire et je la brise en laissant tomber le corps sans vie au sol.
Je contemple le pendentif en croix dans ma paume, puis vise les deux autres, qui ont sorti deux épées datant de la guerre. Des épées sur lesquelles j'ai moi-même fait couler le sang de leurs congénères.
― Ce sont les yeux du Diable !
Mon regard se visse sur eux alors que j'enjambe le cadavre.
― Courrez, avant que le loup ne vous écorche, petits porcelets...
Je lèche mes lèvres rougies. Ils lâchent leurs lames au sol dans un tintement de panique et prennent leurs jambes à leur cou. Je souris, joueur. Je lève la main et referme les portes à distance dans une poigne de noirceur démoniaque. Toute issue est condamnée.
Pétrifiés, piégés entre mes griffes, ils tombent à genoux au milieu de l'allée et se mettent à prier. Je me dirige vers eux, enveloppé par une obscurité venimeuse, puis m'arrête à hauteur de leurs têtes. Le plus jeune, paupières closes, récite un texte saint contre le mal. Je saisis son menton entre mes doigts et il rouvre les yeux sur moi, horrifié. Mes ongles longs s'enfoncent dans la peau de sa mâchoire.
― Inutile de prier, petit prêtre. Tous les meurtriers vont en enfer.
― N-non, nous... nous sommes du côté de Dieu, je n'irai pas en enfer !
Je sors un poignard et effleure sa gorge avec la pointe. Ma bouche caresse son oreille.
― Ton enfer, c'est moi.
J'enfonce la lame dans sa trachée avec une lenteur délicieuse. Des spasmes l'agitent. Je le maintiens en place tandis qu'il suffoque et se noie entre mes doigts, mon regard plongé dans le siens, larmoyant. L'odeur est divine. Je me penche pour lécher le sang qui gicle en quantité de la plaie et inonde nos vêtements. Le goût de l'ennemi a toujours été un régal.
Son corps finit par se relâcher et il me glisse des mains. Une nouvelle croix reste dans ma paume lorsque son collier en argent se casse. Les lèvres imbibées de sang, je jette mon dévolu sur le troisième et dernier prêtre.
― Le Diable, tu es le Diable ! crache-t-il.
Je jette un œil au spectre qui plane autour de moi.
― Je ne suis pas le Diable, mon père, fais-je en le remettant sur ses pieds. En revanche, j'aime faire appel à lui.
Je plante la lame dans son abdomen et mes canines dans sa carotide. Le sang chaud pulse dans ma bouche et coule dans ma gorge. Sa peau se déchire, son cou part en lambeau sous mes assauts sauvages. Repus de vengeance comme de sang, j'abandonne son corps au sol à côté de l'autre et contemple les deux cadavres étendus sur les dalles empourprées.
Après la haine, une paix douloureuse alourdit mon cœur. Une souffrance qui alimente la rage et relance de plus belle mes fantaisies sordides.
Je les tire tous les deux jusqu'à l'estrade et cloue les trois corps avec leurs épées contre le mur, sous la statue du Christ crucifié. Je fais quelques pas en arrière pour admirer mon œuvre : les cierges font rougeoyer de mille lueurs les mares de sang sur le sol et les cadavres encore chauds se vident aux pieds du Sauveur dans un goutte-à-goutte sonore. L'odeur ferrailleuse du sang remplace celui de l'encens, parfum victorieux de la mort.
Leur véritable aura a été rendue à ces lieux qui n'ont de saint que le nom.
Un immense vide s'installe en moi et anesthésie la peine. La boucle est bouclée, mais la haine est un cercle sans fin. Je tourne les talons et quitte l'église, souillée à jamais. Je suis de retour en enfer. Cette fois, pour ne plus jamais le quitter.