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Chapter 15

            Au volant de sa berline noire, slalomant entre les voitures du périphérique parisien, Milan a déjà perdu près d’une heure avant de se mettre en route. Non pas qu’il ait cherché dans ses affaires ladite clé USB qu’il n’a jamais possédé. Il le sait, il en est certain : il n’a rien qui ressemble de près ou de loin à une clé ayant appartenu à Vince. Mais il a tenté de remettre ses idées en ordre pendant ce laps de temps.

En premier lieu, il était impératif d’essayer de joindre Mélanie pour s’assurer qu’elle était en sécurité avec leurs filles en ce début de week-end.

̶          Tu es à la maison ? avait-il demandé.

̶          Oui, on t’attend pour le goûter ou on commence sans toi ? Louisa a les crocs et elle me dem…

̶          Commencez sans moi et restez à l’intérieur pour l’instant. Vous n’ouvrez à personne d’autre que moi.

̶          Qu’est-ce qui se passe ? avait demandé Mélanie.

̶          Je te raconterai en rentrant. Sois prudente, c’est tout ce que je te demande !

̶          D’accord, je te fais confiance.

Mélanie n’avait pas cherché à insister ou à en savoir plus. C’était là l’avantage de former un couple solide et serein basé sur la confiance mutuelle. L’épouse de Milan n’avait pas peur de sauter dans le vide tant qu’elle était certaine que son mari jouerait le rôle de parachute. S’il lui demandait d’être prudente, elle le ferait.

Rassuré d’avoir géré cet aspect rapidement, Milan avait ensuite cherché à retrouver le contact d’Octavia ou Paulo, les deux anciens lieutenants de Vince, pour tirer cette histoire au clair. Ir’Tech, le troisième larron, était probablement introuvable. Il l’était déjà du temps où Milan vivait à côté du VD. Les deux autres, en revanche, avaient distribué leur contact un peu partout dans la cité, dans le but d’étendre le réseau du gang et le jeune homme avait enregistré leurs numéros dans son téléphone, de nombreuses années auparavant. Les avait-il gardé ? Celui de Paulo, apparemment, non. Octavia, elle, était toujours dans son répertoire. Milan avait remercié le ciel et avait composé le numéro. Malheureusement, il avait sonné dans le vide jusqu’à une boîte vocale artificielle. Il n’avait aucun moyen d’être certain que cette ligne lui était toujours attribuée. Il avait renversé de colère une chaise innocente qui traînait trop près de lui.

Enfin, avant de prendre la moindre décision, Milan avait tenté de faire le vide dans ses pensées. Entre l’enlèvement de Moussa et le service exigeant de ce midi, il avait reçu Sofia entre ces murs, lui avait servi à manger et avait été contraint d’affronter son passé et de refuser la pièce que la vie voulait remettre dans sa machine. Il avait été à deux doigts de craquer, de faire la plus grosse erreur de sa vie dans le but de revivre, pour quelques secondes, l’ivresse de leur amour. Et même s’il avait fini par comprendre qu’il ne devait pas agir ainsi, par respect pour Mélanie, il avait aussi réalisé que la Sofia qui se tenait devant lui n’était plus la gamine de son histoire. Elle était devenue une femme à part entière, une femme qui avait survécu à de nombreuses luttes pour se faire une place au sommet. Une femme magnifique, certes, mais qu’il ne connaissait pas réellement. Et cette dernière ne lui permettrait jamais de revivre leur idylle, simplement de s’enterrer dans une multitude de problèmes qu’il ne souhaitait pas affronter.

C’est toute cette succession de pensées, lourdes de sens et difficiles à encaisser qu’il devait évacuer afin de pouvoir se concentrer pleinement sur Moussa. Rien d’autre ne devait interférer avec son sauvetage pour qu’ils aient une chance, tous les deux, de sortir de cette confrontation indemnes. Ce ne fut qu’après de longues minutes d’introspection que Milan sortit du restaurant et prit sa voiture pour foncer vers la banlieue nord de Paris.

Un panneau indique que la sortie qu’il cherche est proche, mais le jeune homme n’est pas sur la bonne file. Personne ne veut le laisser passer malgré son clignotant. Il est contraint de forcer le passage un peu brutalement tandis que ses mains tremblent sur le volant. Il ne le remarque pas tout de suite, trop concentré sur son agacement envers les autres automobilistes. Cependant, lorsqu’il rate la manette des essuie-glaces pour effacer la neige qui tombe toujours sur son pare-brise, le conducteur se rend compte que ses doigts vrillent et sa respiration se fait soudain plus lourde. Il se force à inspirer calmement, mais cela ne suffit pas à le calmer. Il connait Vince depuis trop longtemps pour ne pas anticiper le fait qu’il se jette dans la gueule du loup.

En sortant de prison, pendant son séjour dans la famille Diallo, Milan avait eu l’occasion de réfléchir au fonctionnement et à l’avenir du gang qui sévissait dans sa cité. Son organisation pyramidale, sa façon d’imposer le respect et l’ordre entre les différentes tours et, surtout, la mainmise de Vince sur tous les trafics qui avaient cours indiquaient que le VD avait encore de beaux jours devant lui. N’importe quel habitant du quartier connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui travaillait pour Vince. Bien souvent, même indirectement, tous les résidents avaient un lien avec ce truand et il s’en servait pour maintenir sa domination sur tout le monde. Toutefois, le fait d’avoir entendu au téléphone que ses trois lieutenants étaient partis et que Vince n’avait même pas réussi à mettre la main sur Milan, que ce soit en prison ou dans la vraie vie, signifiait qu’il avait perdu toute son influence, toute sa puissance. Il s’était plongé à corps perdu dans la drogue, l’auto-suffisance et la certitude que le monde entier lui en voulait. Or, Vince était déjà quelqu’un de dangereux lorsqu’il était de bonne humeur, réfugié derrière son masque de fumeur de crack et de joueur de jeux vidéo. Enervé, il pouvait méchamment vriller jusqu’à se débarrasser d’un ennemi de sang-froid. S’il ne l’avait jamais vu de ses propres yeux, Milan en avait suffisamment entendu parler pour connaître la réputation du bonhomme.

Si Vince avait réellement tout perdu, sa drogue, son pouvoir et ses amis, le jeune homme était tout de même curieux de savoir ce qui l’avait mis dans cette position. D’autant que le chef de gang semblait lui en attribuer tout le mérite alors que Milan n’était au courant de rien. Ce dernier s’était efforcé de ne jamais revenir dans sa cité d’origine après son séjour en prison afin de ne jamais être tenté par ses anciens travers et de commencer sa nouvelle vie sur des rails droits et solides. Que venait faire Moussa au milieu de cette équation ?

Depuis qu’il l’avait renvoyé, trois jours plus tôt, Milan n’avait plus eu de nouvelles de son ami hormis un petit message d’excuse reçu quelques minutes après leur engueulade. Il n’avait pas pris la peine d’y répondre, trop énervé qu’il était d’avoir encore une fois fait confiance à Moussa alors que celui-ci lui avait prouvé depuis longtemps qu’il n’en était pas digne. S’il se révélait être un ami fidèle et loyal dans les moments difficiles, Moussa ne semblait pas capable d’être ce personnage tous les jours de sa vie, se conduisant selon un code d’honneur, capable d’être fiable et honnête à la fois. Il avait toujours mille idées en tête pour devenir riche sans trop se fouler, pour partir en vacances gratuitement ou simplement pour être heureux sans avoir à quitter son lit. Combien de fois s’était-il pris la tête avec Fatou, sa mère, qui souhaitait simplement voir son fils devenir quelqu’un de bien ? Moussa croyait, à tort, que Fatou l’embêtait avec ses projets d’avenir simplement pour qu’il quitte son foyer. Il n’avait jamais compris combien madame Diallo avait peur de voir son fils terminer ses jours en prison ou partir trop tôt sous la menace du flingue d’un policier ou d’un caïd.

Et le caïd en question s’appelle Vince et Moussa a cherché des ennuis auprès de la mauvaise personne. Pourquoi ? Qu’était-il allé faire là-bas et pourquoi avait-il mentionné le nom de Milan ?

Les tours se dessinent dans le lointain tels des piliers soutenant les lourds nuages gris qui abondent dans le ciel chargé. Ils ressemblent à des couronnes de givre et de neige flottant au-dessus de colonnes blanchâtres et désagrégées par le temps. La misère qui s’en expulse projette sur le quartier son image délétère, invitant le reste du monde à croire que les gens qui y vivent méritent moins d’attention et de considération. Pourtant, c’est là-bas que Milan a appris la solidarité, l’entraide, le partage et l’amour. D’ailleurs, cet endroit obéit aux lois fondamentales de la physique qui impliquent un équilibre strict des forces dans tout l’univers : c’est parce que le quartier regorge de dangers, de trafics et d’insécurité qu’il est baigné d’autant d’énergies positives. La famille Torres participait activement à rendre ces lieux plus beaux et chaleureux. Le soir de la mort de Fernando, tout ce pourquoi il avait œuvré avait disparu dans les derniers battements de son cœur. Cela faisait partie des raisons inconscientes qui avaient poussé Milan à ne jamais revenir ici. Pourtant, aujourd’hui, il est forcé d’y revenir. Contre son gré, certes, mais il est bien là. Il tourne à ce rond-point, passe devant une laverie désaffectée, un petit centre commercial aux murs tagués et insère sa voiture dans l’allée étroite qui conduit aux quelques tours situées dans le renfoncement de la route. Après un dernier embranchement où deux véhicules ne peuvent pas se croiser, il débouche sur un immense parking servant principalement aux résidents. Les tours s’élèvent autour de cette place comme autant de phares veillant sur les bateaux fatigués d’un port de pêche. Et la première tour sur la droite porte le numéro vingt-deux. Le VD. Sa voisine, au numéro vingt-quatre, n’a pas changé en quinze ans. Quelques tags supplémentaires ont jailli de nulle part, mais la porte du local à poubelles semble toujours cassée, la baie coulissante au rez-de-chaussée n’a toujours pas de digicode et quelques flemmards traînent paisiblement à ses pieds en fumant des cigarettes roulées à la main. Milan ne reconnaît personne et ne s’attarde pas sur l’identité de ces gens qu’il a sans doute déjà vu dans un lointain passé. Lui aussi a changé et il est peu probable qu’on le reconnaisse. Il souhaite simplement récupérer Moussa et qu’on le laisse en paix.

Il gare sa voiture au plus proche de la porte du vingt-deux et descend non sans s’assurer que personne ne l’a vu arriver. Il ne peut en être absolument certain puisque l’appartement de Vince a une vue imprenable sur toute la résidence depuis son vingtième étage. Mais, au ras du sol, personne ne semble l’attendre. Les quelques loubards du vingt-quatre poussent des sifflements d’appréciation en le voyant sortir de son auto. Ils estimaient sûrement que la personne qui conduisait cette petite berline était moins baraquée. Milan sourit intérieurement à cette idée et carre légèrement les épaules pour se donner un air impressionnant. Il doit se souvenir que, à l’instar de Sofia, il n’est plus le même adolescent qu’autrefois et qu’il peut affronter Vince désormais. Il ne lui fait plus peur.

La cage d’escalier respire le renfermé et d’autres odeurs moins agréables. Milan aurait pu prendre l’ascenseur pour se rendre aussi haut, mais bouger et faire de l’exercice lui permet de canaliser ses sentiments, d’affronter ses angoisses et de les museler afin d’arriver devant le chef de gang en pleine possession de ses moyens. Il y a si longtemps qu’il n’a pas mis les pieds ici qu’il a la sensation d’avoir basculé dans le temps, à une époque où toute sa famille vivait encore à quelques mètres de là, bienheureuse et insouciante. Que ne donnerait-il pas pour les revoir à cette époque ? Serena, sa sœur jumelle, lui aurait encore cassé les pieds parce qu’il sortait trop souvent de l’appartement. Esperenza aurait cuisiné ses pâtes à la Puttanesca tandis que Fernando aurait rapporté une baguette de pain avant de se laisser tomber dans son vieux fauteuil rapiécé et de jouer avec la petite Leila. Ce scénario efface une seconde la crainte de Milan qui continuer de monter les marches sans s’arrêter. Les étages se suivent et les chiffres s’affolent rapidement sans qu’il s’en rende compte, perdu dans ses souvenirs. Bientôt, il arrive au vingtième étage, essoufflé par l’effort, et son cœur tambourine contre sa poitrine. Il avale sa salive et entre dans le long corridor où s’alignent les portes des différents appartements. Nono, le gros berger australien de Paulo n’est pas là pour l’accueillir. Celui-ci n’est pas en train de jouer avec ses flingues en faisant le guet devant la porte de Vince. Il ne croise pas Octavia et sa démarche chaloupée dans ses vêtements trop courts et il sait déjà qu’Ir’Tech n’est pas en train de jouer à la console avec Vince. Ce temps est complètement révolu.

Milan s’arrête une seconde devant la porte de l’appartement et il inspire deux fois, brièvement, avant de lever la main pour frapper quand le panneau s’ouvre tout seul afin de le laisser entrer.

̶          Viens ! ordonne une voix cachée de l’autre côté.

Milan ne dit rien, entre d’un pas raide dans le hall et le porte se referme sur lui, dévoilant Vince et un énorme révolver dans le creux de sa main, pointé sur ses reins. Il lui fait signe d’avancer vers le salon, là où la lumière grise de cette fin de journée filtre difficilement à travers les carreaux sales de l’appartement. Milan s’enfonce un peu plus dans ce piège grossier et, dès qu’il passe l’encadrement, découvre Moussa, les poignets liés dans son dos, assis sur une chaise, le visage sanguinolent. Le jeune homme se précipite sur lui et écarte quelques dreadlocks poisseux pour le regarder dans les yeux.

̶          Ça va aller ? lui demande-t-il à voix basse.

̶          J’ai connu mieux, blague Moussa. Dis-moi que tu as la clé, s’il te plaît.

̶          Oui, Milan, s’écrie Vince dans son dos, dis-nous que tu as la clé, s’il te plaît !

Milan se retourne et pose les yeux sur une personne qui ne peut pas être Vince. Le chef de gang était grand, solide sur ses appuis et même s’il n’avait pas la carrure d’un athlète, pouvait facilement paraître impressionnant. Ses cheveux blonds coupés très courts, proprement, par une coiffeuse du quartier, étaient toujours impeccables et il était rasé de près. Quant à ses vêtements, Vince attachait beaucoup d’importance à être à la pointe de la mode pour montrer qu’il était le meilleur, le plus beau et le plus influent. Le zombie que Milan a sous les yeux ne peut pas être Vince : il est décharné, la peau sur ses os est terriblement tendue et presque transparente. Ses joues sont creuses et aussi grise que la météo neigeuse au-dehors. Il semble qu’il lui manque plusieurs dents à l’intérieur de cette bouche tordue par un odieux rictus et ses cheveux et sa barbe se mélangent en un tout désordonné très disgracieux. En un mot comme en cent, Vince n'est plus un chef de gang respecté, mais une loque humaine perdue dans un abîme de détresse. Le désordre dans son appartement constitue un autre élément appuyant cette théorie : des monceaux de déchets, des canettes, des bouteilles, des plats préparés, mais aussi des seringues et des sachets de poudre s’étalent un peu partout dans la pièce principale. La voix intérieure de Milan se demande s’il est à jour dans ses rappels de vaccin contre le tétanos lorsque son regard croise une nouvelle fois celui de Vince. Il attend une réponse claire.

̶          Je n’ai pas ta clé, parce que je ne t’ai rien volé, dit-il calmement.

̶          Mauvaise réponse ! hurle l’autre.

Il tire au pied de Milan et la balle vient s’écraser à quelques centimètres de ses chaussures. Le jeune homme ne sursaute pas, il n’est même pas surpris. Il savait que cela pouvait arriver.

̶          Réfléchis, Vince : je n’ai jamais parlé du VD à la police. J’ai été arrêté la nuit où mon père est mort et je n’ai jamais cherché à me venger alors que je sais pertinemment que c’est quelqu’un du gang qui l’a assassiné. Pourquoi est-ce que je t’aurais volé quelque chose ? Comment aurais-je pu le cacher à la police lors de mon arrestation ? Il n’y a rien qui tient dans ta théorie !

Vince ne paraît pas avoir réfléchi jusque-là. Les arguments de Milan tentent d’atteindre son cerveau, mais un combat interne oppose en lui la rationalité de son visiteur à sa propre paranoïa.

̶          Ça ne peut être que toi ! C’est sûr ! J’y ai réfléchi mille fois ! C’est sûr : c’est toi !

̶          Je peux peut-être t’aider à y voir plus clair, propose Milan. Il y avait quoi sur cette clé ?

̶          Les plans ! beugle Vince. Les plans de l’Opiazol !

̶          L’Opiazol ? Qu’est-ce que c’est ?

̶          Le produit qu’on avait mis au point avec Paulo. Une nouvelle drogue capable de te faire planer doucement pendant des heures et des heures. Facile à faire, facile à fabriquer et à stocker. On avait tout ce qu’il fallait pour être riche. Ir’Tech développait le réseau en ligne pour la vendre partout en France et à l’étranger. Octavia avait une armée de petits bras prêts à nous faire confiance. On allait devenir les maîtres du monde. Et ton père meurt… tu disparais… ils disparaissent. Il fait tout noir. Tout est noir. Je suis tout seul. Il n’y a plus que moi. Et c’est ton père qui meurt. Le tien ! Pas le mien ! Le tien ! Donc c’est toi !

̶          Tu as fait tuer mon père parce qu’il avait compris que je travaillais pour toi, Vince, lui rappelle Milan. C’est à cause de toi qu’il est mort, pas parce que je t’ai volé quelque chose.

̶          J’AI JAMAIS BUTE TON PERE ! crie Vince en tirant au plafond, provoquant un nuage de plâtre autour de sa tête. On touche pas à la famille ! La famille c’est interdit ! C’est toi qui l’a tué !

̶          Pourquoi j’aurais tué mon père ? J’ai fini en taule à cause de toute cette histoire !

Vince hausse les épaules, plus par tic nerveux que pour répondre à l’interrogation de Milan et se mord les lèvres, le regard un peu fou. Du sang s’écoule d’une peau qu’il soulève sur sa lèvre inférieure, mais Vince s’en moque. Il avance jusqu’à la fenêtre et scrute le parking qu’il pointe du doigt.

̶          Tu étais là, juste là, quand la police t’a arrêté. Tu n’as même pas résisté. C’est une preuve ! Au VD, on se laisse pas emmener par la police ! Pourquoi tout le monde a disparu après ce soir-là ?

̶          Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ? C’est mon père qui est mort, c’est moi qui suis allé en prison pour vous et c’est à moi que tu demandes des comptes ! T’es complètement taré, mon pauvre !

Le mot est lâché et Vince écarquille ses paupières presque inexistantes. Comprenant son erreur, Milan se jette sur Moussa et pousse sa chaise pour qu’il ne soit plus sur la trajectoire du tir. Le blessé tombe lourdement en arrière, les mains toujours attachées dans son dos, et se redresse au moment où une balle meurt à l’endroit où il se tenait une seconde plus tôt. Moussa lâche un petit cri qui attire l’attention de Vince. Aussitôt, ce dernier braque son flingue dans sa direction afin de punir Milan de son insolence, mais celui-ci ne compte pas abandonner son ami : il percute Vince de tout son poids pour le déséquilibrer et le frappe dans le ventre de toutes ses forces. Le souffle court, l’ancien chef de gang se tord en deux et porte une main à sa poitrine pour reprendre ses esprits. En quelques instants, il a retrouvé toute sa combattivité et tire sur Milan pour l’obliger à reculer. Le jeune homme se cache derrière un fauteuil abîmé pour éviter le projectile et balance sa protection sur Vince qui ne s’attendait visiblement pas à ce genre de résistance. Ecrasé par le poids du fauteuil, le camé tombe au sol, coincé par le dossier, son révolver tombé à quelques mètres de lui.

̶          Relève-toi ! ordonne Milan à Moussa en l’attrapant par la peau du cou. On se tire !

Pour la première fois de sa vie, Moussa obéit à Milan sans discuter et court vers la sortie avec les mains ligotées. Son sens de l’équilibre est précaire et il ne pourra pas filer rapidement ainsi. Milan le pousse hors de l’appartement, attrape ses poignets liés et tire violemment sur la maigre corde qui l’entravait. Le lien se déchire et Moussa retrouve toute la liberté de ses mouvements. Son ami lui indique le chemin des escaliers tandis que Moussa appuie sur le bouton de descente de l’ascenseur.

̶          Mais t’es pas bien, toi ? s’exclame Milan. Un taré veut nous tuer et tu appelles l’ascenseur.

̶          On est au vingtième étage ! proteste Moussa.

Un coup de feu retentit et une balle perfore le mur juste à côté d’eux sous les insultes de Vince qui titube dans leur direction.

Milan éjecte la porte de la cage d’escalier et la fait trembler sur ses gonds avant de descendre les marches quatre à quatre.

̶          Revenez ici, bande d’enculés ! hurle Vince en se lançant à leur poursuite pieds nus.

Milan se concentre sur son souffle, il saute littéralement dix marches pour avancer plus vite et se maudit de n’avoir plus ses genoux d’adolescent. Il vole presque vers la sortie tout en vérifiant régulièrement que Moussa le suit tant bien que mal. Par moments, il aperçoit des gouttelettes de sang qui les poursuivent dans l’escalier et l’état de son ami le préoccupe. Il entend également le bruit lourd des pas de Vince qui n’a pas abandonné la course.

Pris dans la tornade des événements, Milan ne remarque pas que son corps est sur le point de le lâcher chaque fois qu’il saute un peu plus de marches ou qu’il dévale des paliers. Malgré ses muscles entraînés, le poids de la panique et de la peur de mourir se mêlent à ses membres et rendent ses mouvements plus gauches, moins adroits. Et lors d’un saut malhabile, la cheville de Milan se tord douloureusement et l’homme rate sa réception et s’étale par terre tandis que Moussa prend un peu d’avance. De la poche de son manteau tombe ses clés de voiture qu’il tente de ramasser, mais un nouveau tir l’en empêche. Il a retiré sa main juste à temps et aperçoit Vince en haut du précédent pallier qui pointe son révolver sur lui. Milan se jette sur la porte de cet étage, remarque qu’il est enfin au rez-de-chaussée et court aussi vite que possible pour rattraper son ami. Il sort de l’immeuble et rejoint sa voiture où l’attend Moussa, mais la portière est verrouillée.

̶          J’ai plus la clé ! hurle Milan. Cours !

Les yeux de Moussa s’agrandissent de frayeur alors que Vince débaroule hors de la tour au même moment, ses pieds meurtris écrasant le bitume froid et boueux du quartier.

̶          Je vais vous buter ! s’exclame-t-il en pointant son arme sur eux.

L’ancien chef de gang révèle sa dentition éparse et appuie sur la gâchette en hurlant. Mais il ne se passe rien. Son chargeur de six balles est vide. Stupéfait, il appuie plusieurs fois mais le magasin de l’arme tourne sur lui-même sans blesser personne. Vince aboie sa frustration et jette son flingue avant de courir vers Milan pour lui faire la peau à mains nues. Cependant, il n’en aura pas l’occasion : une voiture rose le percute de plein fouet et l’écrase sur son pare-chocs. L’impact est d’une violence inouïe. Pourtant, Vince est bien conscient lorsqu’il relève la tête et distingue très clairement le visage de la conductrice qui fait signe aux deux amis de s’enfuir avec elle.

Sofia fait marche arrière aussi vite que possible et, dans un demi-tour digne d’une cascade de film, décolle Vince de sa carrosserie avant de filer en direction du périphérique avec ses deux passagers choqués attachés à l’arrière de sa voiture.

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