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Chapter 4

Leila appuie sa tête contre la vitre froide de la voiture, profitant des faibles températures pour rafraîchir sa migraine qui refuse de la quitter. Elle a pris un anti-douleur qui n’a servi à rien, enfilé deux tasses de café corsé, mal boutonné son chemisier blanc et sauté sur la banquette arrière avant de comprendre qu’elle aurait mal au crâne toute la journée. Les cris de Louisa et Valentina, harnachées dans leurs réhausseurs, n’arrangent rien. Les deux gamines se disputent pour savoir qui aura la primeur de passer une partie du trajet à côté de Tata Leila sans voir que leur bruit incite ladite tata à plaquer ses mains sur ses oreilles. Moussa, qui regarde cette scène divertissante depuis la place du mort, s’amuse beaucoup de la détresse de la jeune femme et s’esclaffe lorsque la voiture démarre et quitte le parking malgré les protestations d’une Louisa qui refuse d’être sur le côté gauche de la banquette.

̶          Elles sont en forme, toutes les trois, remarque l’ami de Milan en désignant les passagères.

̶          C’est un matin plutôt tranquille, lui assure le père de famille en essayant de ne prêter aucune attention au carton de matériel posé sur les genoux de son copilote.

̶          Eh ben ! Je souhaite ça à personne !

̶          Au contraire, si tu oublies les jérémiades et les contraintes improvisées, c’est une joie quotidienne de vivre dans cette famille, répond Milan en arrêtant la voiture à un feu rouge.

̶          Aucune publicité au monde ne vaudra les cris de tes filles ! rétorque Moussa. C’est pour ça que je papillonne, que j’illumine la vie des gazelles qui croisent mon sentier ! Je suis pas contre le fait de me poser, mais pas tout de suite.

̶          T’as illuminé qui récemment, à part ta mère ?

̶          T’es méchant, Milan !

Ce dernier ne réplique rien, malgré son sourire évident, et tourne à droite au feu. Son ami fronce les sourcils, pensant que son chauffeur le déposerait immédiatement chez lui. Milan lui rappelle qu’il a deux petites filles à amener à l’école avant de s’occuper de son cas, même si son appartement était la destination la plus proche.

̶          Tes filles passent avant moi ? s’offusque Moussa. T’as changé, Milan !

̶          Je sais, tu me le répètes sans cesse et tu viens quand même bosser tous les jours pour moi.

̶          C’est pour faire plaisir à ma mère ! Tu sais qu’elle t’adore ! Elle comprendrait pas si j’arrêtais de venir t’aider. Et puis, soyons réaliste : tu serais perdu sans moi !

̶          Bien sûr ! s’amuse le jeune homme sans appuyer sur le sarcasme de son propos.

Le seul véritable coup de main qu’avait fourni Moussa avait été d’héberger Milan chez lui avec Leila pendant presque six semaines alors qu’ils n’avaient pas la moindre économie pour les dédommager ou participer à leurs frais. La générosité de la famille Diallo resterait à tout jamais dans l’esprit du jeune homme comme la marque de fabrique de son ami et comme l’événement déclencheur de sa nouvelle vie.

A sa sortie de prison, c’est cet acte de bonté qui avait tout changé : la rencontre avec Fatou qui l’avait pistonné auprès d’André, un vieux pizzaiolo de soixante ans qui continuait de faire à la main ce que les machines faisaient plus vite que lui. Son savoir-faire inégalable lui assurait des clients chaque midi et chaque soir dans son petit estanco du 17ème arrondissement de Paris. Il n’avait la place de faire que vingt couverts, mais c’était déjà trop pour lui qui œuvrait seul, de la préparation au service. Non pas qu’André était du genre à vouloir tout contrôler, mais il n’avait encore jamais trouvé personne capable de supporter son rythme de travail. Fatou lui avait assuré que Milan serait à la hauteur, elle qui vivait à deux pas de la pizzéria et qui passait commande toutes les vendredis soir pour régaler sa famille. André avait dit oui uniquement pour lui faire plaisir, se fichant bien de savoir d’où venait Milan. Si Fatou le recommandait, c’est qu’elle avait perçu son potentiel. Et elle ne s’était pas trompée : Milan travailla sept jours sur sept, contre l’avis de son nouveau patron, pour avoir un meilleur salaire et mettre rapidement de l’argent de côté afin de pouvoir prendre un appartement avec sa sœur. Il était un rayon de soleil dans le ciel gris de Paris et sa bonhomie et sa gentillesse avaient rameuté encore plus de clients au sein de l’établissement. André ne savait plus où donner de la tête, trois mois après l’embauche de Milan. Tant et si bien qu’il n’eut plus le cœur de refuser des clients et demanda au jeune homme d’assurer un service de livraison sur un large périmètre autour du restaurant. Il embaucha un deuxième cuisinier, Pédro, lui aussi sorti récemment de prison, et à eux trois, ils firent les beaux jours du quartier pendant près d’un an, ne s’accordant pratiquement aucun repos.

Au bout d’une année, grâce à ses efforts et aux pourboires qu’il récoltait facilement, Milan avait eu assez d’argent pour payer les frais de scolarité de Leila et s’offrir le petit deux pièces au-dessus du restaurant. André l’avait vendu quelques temps plus tôt pour payer les travaux de sa pizzéria, mais il connaissait bien le propriétaire et lui avait garanti que Milan était quelqu’un de fiable et sérieux qui paierait ses loyers rubis sur l’ongle. Touché par la confiance de son patron, le jeune homme avait redoublé d’effort pour le rendre fier, comme s’il se sentait obligé de briller à ses yeux. André faisait figure de paternel dans ce quotidien monotone où Milan ne voyait jamais personne en dehors des clients du restaurant.

Hélas, ce train de vie ne continua pas longtemps : deux semaines après la date d’anniversaire de son embauche, Milan apprit que Pédro avait replongé dans de sombres histoires et que la police l’avait arrêté. Quelques jours plus tard, André fit une mauvaise chute dans les escaliers et se cassa le col du fémur. Totalement immobilisé, le sexagénaire ne pouvait plus cuisiner. Et sans cuisine, la pizzéria devait fermer et Milan n’était pas certain de retrouver un tel travail de sitôt. Abattu, mais pas sans ressources, il proposa à André de le former à la cuisine, de lui apprendre tout ce qu’il savait afin de pouvoir continuer à recevoir des gens. Le patron superviserait la caisse et les commandes et Milan gérerait la préparation et le service, comme André le faisait auparavant. Là encore, peu convaincu, le vieil homme s’était laissé tenter plus pour avoir la paix que par réel goût de l’aventure. Et grand bien lui en prit : Milan fut le meilleur ouvrier qu’André connut. Il était encore plus soigneux avec ses pizzas qu’avec ses clients, malaxant la pâte avec fermeté, disposant les ingrédients de façon méticuleuse, murmurant presque au four pour lui donner des instructions. La relève d’André était assurée.

Fort de ce constat, André annonça qu’il prenait sa retraite peu de temps après les deux ans d’embauche de Milan. Le jeune homme en resta stupéfait avant de comprendre que son patron lui offrait les clés de la pizzéria. Sans en être le propriétaire, il en devenait le gérant, pouvait embaucher qui il le souhaitait pour l’aider chaque jour et organiser son travail à sa façon. Il s’agissait là de la plus belle preuve de confiance qu’on lui eut jamais fait. C’est la raison pour laquelle il continuait de voir André au moins une fois par mois et qu’il lui offrait toujours une très bonne bouteille de vin pour son anniversaire, malgré les recommandations du médecin de ce dernier. Milan s’était installé dans l’arrière-boutique du restaurant avec tout le confort nécessaire pour vivre et avait laissé l’appartement du dessus à sa sœur qui entamait sa troisième et dernière année d’apprentissage en école d’arts du cinéma où elle apprenait à devenir maquilleuse professionnelle.

La vie du jeune homme aurait frôlé la perfection s’il n’avait pas été témoin des soucis de Moussa avec la justice. Son ami ne parvenait pas à se détourner de ses mauvaises fréquentations et dès sa sortie de prison, il avait retrouvé le chemin du business. Il côtoyait les mêmes rabatteurs, les mêmes fournisseurs et continuait d’échafauder des plans pour dealer sereinement. Fatou devenait folle de le voir ainsi s’enfoncer dans les ennuis, car elle avait conscience que le visage de son fils commençait à être connu et reconnu dans le quartier et que, un jour où l’autre, la police ne manquerait pas de lui retomber dessus.

Cela ne rata pas et, un soir, après la fermeture du restaurant, Moussa poussa la porte de service, complètement paniqué, un gros sac de sport accroché en bandoulière, le front en sueur et le regard apeuré. Il s’était rué sur Milan et l’avait supplié de l’aider et de dire qu’il avait passé la soirée ici. Sur le coup, le jeune homme n’avait pas compris sa requête avant d’apercevoir dans la rue les lumières bleues et rouges tournoyant rapidement. Il avait attrapé le sac par la poignée et l’avait jeté dans le four à pierre avant d’en fermer le clapet métallique. Puis, il avait tendu un tablier sale à Moussa ainsi qu’un balai et lui avait ordonné de filer en salle pour frotter le sol. Au moment où son ami disparaissait, les policiers frappaient à la porte de la pizzeria.

̶          Bonsoir, en quoi puis-je vous aider ? avait poliment demandé Milan.

̶          Nous recherchons un individu masculin de type africain qui a pris la fuite par ici, il y a quelques minutes, lui avait appris la policière qui menait l’investigation. Vous n’avez été témoin d’aucune intrusion ?

̶          Une intrusion ? Non, ça m’étonnerait : je n’ai pas quitté le restaurant de toute la soirée. Je suis en train de faire mes comptes et mon serveur nettoie la salle. Si quelqu’un était entré ici, on l’aurait forcément vu !

Les deux flics avaient tiqué à l’énoncé du serveur : dans le quartier, tout le monde savait que Milan travaillait seul, à la manière d’André. Si l’un de deux représentants de l’ordre avait déjà dîné ou déjeuné ici, ils en auraient eu conscience. Ils étaient donc entrés dans la salle et avait trouvé Moussa en train de balayer méticuleusement sous une table en leur tournant le dos. Il avait eu le temps d’enlever son blouson, revêtir son tablier et mettre ses écouteurs pour faire semblant d’être affairé et se concentrer sur autre chose que son stress. Son derrière se déhanchait au rythme d’une musique imaginaire alors que tout son être transpirait la peur. Le voyant ainsi afféré, ils ne lui avaient pas demandé de se retourner et avaient reporté leur attention sur Milan.

̶          Cela ne vous dérangerait pas de nous montrer son contrat de travail ? avait demandé la policière.

̶          Je suis désolé : tous les papiers administratifs sont chez moi, mais repassez demain, vous l’aurez sans faute !

Le jeune homme et la policière savaient qu’ils jouaient tous les deux un jeu de dupes : elle parce qu’elle n’avait pas le droit de demander ce genre de papier et lui parce qu’il n’avait rien à fournir et qu’il vivait dans la pièce à côté. Mais Milan savait aussi qu’un sourire et une coopération totale était toujours mieux perçu qu’une légitime méfiance. Il l’avait appris malgré lui pendant ses dix-huit mois de prison et comptait bien se servir de toutes ces informations pour ne plus jamais remettre les pieds là-bas.

Les policiers étaient repartis la queue entre les jambes, non sans promettre à Milan qu’ils reviendraient à la première heure le lendemain matin. Le garçon les avait salués, il avait attendu qu’ils tournent à l’angle de la rue pour attraper Moussa par le col et lui demander des explications.

A la suite de cet événement, Milan avait accepté d’embaucher Moussa pour quelques heures de service hebdomadaire, à la demande de Fatou, afin que son fils ait un pied dans le monde du travail et décide enfin de se ranger. Malheureusement, le travail de serveur payait moins bien, beaucoup moins bien qu’un business d’auto-entrepreneur tarifé sur le cours de la weed. Et même si Moussa était reconnaissant de l’aide de Milan, il ne parvenait pas à décrocher totalement de ses plans foireux, alternant entre la marijuana et le recel d’objets volés. Il expliquait à son ami que c’était parce qu’il ne gagnait pas suffisamment sa vie, mais Milan savait qu’il faisait cela par facilité. Moussa n’était pas l’homme le plus fiable de sa connaissance quand il s’agissait d’arriver à l’heure pour le coup de feu ou pour honorer les livraisons urgentes. Amusant, serviable, attachant, certes, mais pas fiable. Il aimait toucher sa paie, mais la mériter ne lui importait pas autant. Alors l’entendre ainsi dire que Milan serait perdu sans lui le fait beaucoup rire.

Le papa dépose ses deux filles sur le parking de l’école et dès qu’elle ont franchi le portail, opère un rapide demi-tour et fonce vers le restaurant au-dessus duquel vit Moussa. Leila, comateuse à l’arrière de la voiture, essaie de ne pas verdir davantage. Le passager lui jette un regard inquiet et profite qu’elle soit assoupie pour dire à Milan :

̶          J’ai aperçu ta sœur hier soir, vers Pigalle. Elle avait l’air… bien allumé pour être poli.

̶          Depuis quand t’es poli, toi ? ricane le trentenaire en détournant la conversation.

̶          Je suis sérieux, mec ! Elle s’est mis une sacrée caisse !

̶          Qu’est-ce que tu foutais à Pigalle ? Je te rappelle que tu devais faire le nettoyage, hier soir.

Moussa tapote son carton, légèrement mal à l’aise, mais préfère ne pas répondre à la question. Son regard soutient celui de Milan dans le rétroviseur intérieur.

̶          Que veux-tu que je te dise ? marmonne celui-ci en prenant garde à baisser d’un ton pour qu’elle ne l’entende pas. Son dernier mec l’a plaquée, elle a du mal à s’en remettre.

̶          Qui ça ? Johnny ?

̶          Non, Johnny c’était celui d’avant. David, je crois… ou Saary ? Oh, je sais plus ! Toute façon, je vais te dire, elle en voit beaucoup trop !

̶          C’est le grand frère qui parle ? s’amuse Moussa. Il me semble que tu disais pas ça quand t’es sorti de taule !

̶          J’ai changé ! Et Leila devrait faire attention à ses fréquentations ! Elle se met minable et le lendemain elle est incapable d’aller au boulot alors que c’est la chance de sa vie ce tournage. Une production américaine à Paris ! Tu imagines ? Elle est nommée cheffe maquilleuse et, pour son premier jour, elle arrive pas à se pointer à l’heure si le frangin prend pas les choses en main. C’est pas sérieux !

̶          Si tu veux, je me propose pour devenir ton beau-frère ! plaisante Moussa. Tu sais très bien que je la laisserai jamais tomber ta sœur.

̶          Le jour où tu illumines ma sœur, je te broie les noix avec ma pelle à pizza et je les fais cuire au four à pierres. Allez tire-toi !

Moussa tend son majeur en réponse aux critiques de son ami et sort de la voiture avec son gros carton pour se retrouver face à la pizzéria. Milan baisse la vitre et crie à son attention :

̶          Je t’attends ce soir, sans faute, pour le service de 18 heures ! Si tu viens pas, même ta mère pourra pas me convaincre de te reprendre !

Après un deuxième doigt d’honneur, Moussa disparait dans la cage d’escalier et Milan démarre en trombe pour partir en direction de Versailles. Il sait combien il serait fou de prendre le périphérique à cette heure de pointe et préfère passer par les petites rues qu’il connaît bien pour couper à travers la ville et permettre à Leila d’arriver à l’heure à son travail.

Alors qu’il slalome entre les trottinettes et les cyclistes, prenant garde à ne renverser personne, le grand frère tente de réveiller sa sœur avec des mots bien choisis lui permettant de remettre sa vie en question et de se relever après un énième échec amoureux. Malheureusement pour lui, Leila a trop mal au crâne et trop mal dormi pour vraiment comprendre les enjeux de son discours. Elle n’a pas besoin qu’il lui fasse la leçon : elle sait déjà qu’elle ne devrait pas boire autant pour oublier le dernier qui l’a faite souffrir. Elle sait très bien qu’un homme ne mérite pas qu’on gâche des années d’apprentissage et de labeur. Mais ce ne sont que quelques arguments raisonnables que le cœur ne tient pas à prendre en compte, se fixant plutôt sur la souffrance endurée que sur un espoir de guérison. Quel poids peut bien représenter l’amour fraternel face à l’étreinte solide d’un amoureux qui vous promet la lune et l’éternité ?

Lorsqu’ils arrivent aux portes du studio de tournage, Leila est à peine réveillée et présentable. Son teint n’est plus vert, mais elle n’a pas l’air dans son assiette. Le gardien à la barrière lui conseille même de faire demi-tour et de rentrer chez elle, ce que refuse obstinément Milan.

̶          Si tu ne viens pas aujourd’hui, le premier jour, ils trouveront quelqu’un de plus sérieux que toi pour faire ce job. Alors tu ravales ton vomi, tu ne regardes pas la pendule de toute la journée et tu bosses comme si ta vie en dépendait ! Ça t’apprendra à agir comme une gamine !

Si le réconfort n’a eu aucun impact sur Leila, ce sermon, lui, est bien plus efficace. Agissant tel une gifle mentale, la jeune femme acquiesce, se redresse et sort de la voiture, sûre d’elle. Il n’y a qu’une dizaine de pas entre le studio de maquillage et le parking, mais Leila titube au deuxième. Milan soupire, comprenant qu’il devra au moins la guider jusqu’à sa porte. Il verrouille ses portières et file soutenir sa sœur comme s’il accompagnait une aveugle.

̶          Tu te rends compte que si quelqu’un nous voit, il comprendra que tu n’es pas en état de travailler ? s’énerve le jeune homme à voix basse.

̶          C’est bon ! le supplie Leila. Tu m’engueuleras ce soir ! Là je dois me concentrer !

̶          Tu me refais pas ça demain, hein ! J’ai pas prévu de te servir de chauffeur tous les matins !

La jeune femme s’apprête à lui répondre lorsque Milan ouvre la porte et tombe nez à nez avec la personne assise dans le fauteuil, face à un immense miroir entouré de lumières blanches, attendant de se faire maquiller : Sofia.

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