Loading...
Report sent
1 - Chapitre 1
2 - Chapitre 2
3 - Chapitre 3
4 - Chapitre 4
5 - Chapitre 5 - Partie 1
6 - Chapitre 5 - Partie 2
7 - Chapitre 6
8 - Chapitre 7
9 - Chapitre 8
10 - Chapitre 9
11 - Chapitre 10
Loading...
Loading...
You have no notification
Mark all as read
@
Alcancia

Chapitre 8

Le roi, insatisfait, nous congédia, mettant fin à cette confrontation insensée. La tension qui m’habitait se dissipait progressivement alors que nous rejoignions les appartements d’Adrik. En tant que membre de la famille royale qui se déplace régulièrement à la cour, il m’apprit qu’il disposait d’une chambre, que l’on apprêtait dès son arrivée.

Nous en franchîmes les portes et je découvris encore une fois le faste que renfermait le château. Les murs, croulant sous les tapisseries et les tableaux, composaient trois pièces. Le salon, qui nous accueillait, avec ses causeuses, sa table de jeu et sa large bibliothèque, entre autres mobiliers pensés pour la détente et les conversations informelles. Des flammèches dansaient dans la cheminée de pierre, accentuant l’ambiance intime et chaleureuse qui se dégageait des lieux. Les domestiques s’activaient, les bras chargés de linge et de victuailles, pour accueillir dignement le duc.

— Ici, dit Adrik en désignant la porte au fond, c’est ma chambre et ici, mon bureau. Tu peux m’y rejoindre si je suis seul, en t’annonçant. Si je reçois un invité, sauf si cela ne peut tarder, ne me dérange sous aucun prétexte. Tu dormiras ici, continua-t-il en indiquant la porte à droite de l’entrée. C’est une chambre de domestique, elle n’est pas aussi confortable qu’au duché et il y fait un peu sombre, mais je préfère te garder à mes côtés pour le moment. Lorsque tu hériteras de mon nom, tu pourras avoir tes propres appartements, dans l’aile des invités, mais là encore, il serait plus sage que tu demeures à mes côtés.

Je hochai la tête, me fiant à ses décisions, et m’échouai sur l’un des canapés rembourrés.

— Adrik ? tentai-je.

Il s’était emparé d’une bouteille de vin et de deux verres. Il ferma le vaisselier et s’assit face à moi.

— Oui ?

Je me mordis l’intérieur de la lèvre, appréhendant sa réponse et me lançai quand il nous servit.

— Est-ce que j’ai fait une erreur ?

— Non.

Il poussa la coupe cristalline teintée désormais d’un rouge profond dans ma direction, et me rassura d’un sourire doux.

— Il n’y avait pas de mauvaises réponses. Bien entendu, certaines auraient compliqué mes plans, mais aucune ne t’aurait mis directement en danger. Eghat te testait et, Jeizah, en trente ans, je ne l’avais jamais vu aussi démuni !

Il éclata de rire et je bus une gorgée, pour camoufler ma propre incompréhension. Qu’y avait-il de si drôle ? Lorsqu’il m’avait regardé, interloqué et qu’il nous avait chassé de la salle d’audience, en marmonnant et en secouant la tête d’exaspération, j’avais eu l’impression d’être passé pour un simple d’esprit à l’esprit loufoque. La réaction du duc avait alors été indéchiffrable, de sorte que je naviguai désormais dans des eaux inconnues.

— Je n’ai pas dit ça pour me dédouaner. Je le pense vraiment ! Je ne suis pas Tendua ou que sais-je. Je ne veux pas me battre, comploter ou inspirer je ne sais quoi à des gens que je ne connais même pas !

Il repartit de plus belle et je me rembrunis d’autant plus. Adrik se leva et vint à côté de moi. Sa main se posa sur mon épaule et la serra affectueusement.

— Je l’avais déjà compris, et maintenant, Eghat lui aussi, en est convaincu. Personne ici n’aurait pu être plus honnête !

Je soupirai et avalai d’une traite le reste de mon verre avant de le remplir à ras bord et de lui réserver le même sort. L’alcool me permettrait peut-être d’oublier cette journée horrible où Jeizah, le prétendant au duché de Tyspolie ne semblait être bon qu’à devenir le bouffon du roi.

— Je suis passé pour un idiot, n’est-ce pas ?

— Oh ! C’est donc cela qui t’inquiète ! Eh bien…

— Je t’ai fait honte et je t’ai déçu, finis-je pour lui.

Il n’y avait pas des milliers d’alternatives. Quel duc voudrait d’un héritier qui n’avait pour seule ambition que de travailler dans les champs et de confectionner des chemises ? Je ne pouvais imaginer qu’un de ces seigneurs Ilyonis, veuille d’un fils pareil, quand l’ambition, la tromperie et la puissance militaire primaient pour diriger les terres et nouer des alliances.

— Pas du tout, trancha-t-il.

Cette fois-ci, c’était à mon tour de le regarder, ahuri.

— Je ne m’attendais pas au détail de tes compétences en matière de couture ou que tu termines sur une note aussi mélodramatique, mais en y réfléchissant, cela correspond bien au jeune homme qui traîne des pieds pour aller à ses leçons, car il préfère passer son temps à écouter les bavardages des serviteurs.

Mes joues rougirent. J’étais persuadé d’avoir réussi à feindre un intérêt sincère pour son éducation, lors de mes comptes-rendus.

— Tu n’as pas à prendre parti. Obéis-moi seulement et si tu ne sais pas comment agir, réfère-t’en à moi. Je m’assurerai que tu saches ce que tes actions impliquent et ce que j’attends de toi, comme aujourd’hui. Tant que tu le feras, tu resteras Jeizah, le fils du tisserand et bientôt, le fils d’un duc. Je serai responsable de mes choix, et chacun de tes actes et des sacrifices qu’ils impliqueront seront de mon fait. S’ils ne te conviennent pas, je te laisserai m’en blâmer ou en discuter avec moi. Penses-tu en être capable ?

J’accaparai l’idée, la retournai dans tous les sens pour en peser le pour et le contre, avant d’acquiescer. Obéir, même si cela ne me plaisait pas, était moins inquiétant que de prendre la barre, de naviguer en eaux troubles et de craindre le naufrage à tout instant. Cela avait même un côté apaisant, de se laisser porter où que le courant ne nous m’emmène, en étant sûr que le capitaine du navire prendrait des décisions éclairées quand la tempête s’abattrait sur nous.

Nous demeurâmes une semaine entière au palais, sans que je rencontre à nouveau le roi, à mon plus grand soulagement. Aucune de nos journées ne se ressemblait, Adrik quittait nos appartements à l’aube et me laissait un mot par l’entremise de notre garde ; je me levais une fois la matinée bien entamée, profitant du répit que notre voyage et l’absence de Keir m’offraient, puis après un petit-déjeuner copieux, je partais à la découverte du château.

Je commençai par les salons aux couleurs et thèmes variés et j’inspectai chaque statue, chaque tenture, dans leur moindre détail. Je décryptai les tableaux et fouinai jusqu’à l’heure du déjeuner dans la bibliothèque royale, en quête de plus d’informations sur les figures emblématiques qui étaient exposées à travers le château. Puis, quand je me lassai, je parcourais les jardins, rêvassais au bord des fontaines et espionnai les aristocrates en balade. Je me perdis de nombreuses fois, et déclarant forfait, je finissais toujours par demander à Risk, qui ne me quitta pas d’une semelle, de m’aider à retrouver mon chemin.

Au fil de mes balades, nous fîmes connaissance, bien qu’il soit peu loquace. Il était entré au service du duc dix ans auparavant, et avait passé les cinq premières à la frontière nord du duché, à surveiller la côte et à empêcher nos navires de commerce d’être pillés. Puis, son supérieur l’avait recommandé à la garde ducale, en raison de ses talents de bretteur, qui s’érodait en haut des tours de guet. Tout cela, pour qu’aujourd’hui, il finisse sur mes talons. Pour briser la gêne que m’imposait son silence, je lui extorquai toutes ses anecdotes, qu’il s’agisse de sa vie personnelle, de ses loisirs, de ses expériences de marins et de soldat ou encore de ses conquêtes d’un soir. Au gré de nos échanges, j’avais ainsi l’impression d’avoir un compagnon de sortie et non plus une sangsue tenace dans le dos.

À la fin du séjour, je l’avais eu à l’usure et il s’était légèrement déridé, ce qui m’avait attiré deux tapes dans le dos de la part de ses compagnons. J’avais accompli un miracle, chantaient-ils ; celui de donner vie à un bloc de glace.

Certains après-midi, nous étions invités, avec Adrik, à nous joindre aux courtisans pour prendre le thé, jouer aux cartes ou encore chasser le faisan. En réalité, au détour des jeux et des conversations, de nombreuses opérations étaient réalisées. Par l’entremise d’une rumeur savamment glissée ou de quelques coquetteries, des affaires étaient conclues. Un investissement pour un site minier, de l’aide pour redresser une entreprise en faillite, la vente d’une œuvre d’art, et quelques promesses d’alliance, de mariage ou de rendez-vous secrets s’établissaient. Mais surtout, je ne manquai pas les œillades appuyées des femmes de la cour, pour notre cher duc solitaire.

La veille de notre départ, j’avais surpris le troisième fils d’un seigneur de la région, à peine plus âgé que moi, murmurer à l’oreille d’Adrik alors que nous rentrions au palais. Il s’était dégagé vivement, les pommettes écarlates et lorsqu’il avait constaté le sourire facétieux qui étirait mon visage à la vue de ces frasques, il prit la mouche, me morigéna en prenant la première excuse qui lui venait à l’esprit et se réfugia dans ses appartements. Ce soir-là, il ne m’adressa que des regards accusateurs.

Durant mes nombreuses flâneries, le duc s’occupait du sujet qui nous retenait au palais. Le débat faisait rage entre les deux frères. Chaque jour, Adrik entrait dans les appartements du roi, au bout de notre couloir, et il en sortait tendu. Il verrouillait la porte, récupérait une bouteille de vin et la vidait en se préparant à la négociation du lendemain, le regard perdu dans le vide, jusqu’à ce que le devoir l’appelle ailleurs.

Nous n’abordions jamais le sujet, nous avions conclu un accord tacite ; je le laissais négocier et j’attendais qu’il m’annonce sa victoire. C’est ainsi que le prince me surprit peu avant notre départ.

Nous sortîmes en même temps de notre chambre. Il s’apprêtait à saluer son oncle, quand il s'aperçut de sa méprise ; je m’inclinai et quand je relevai le buste, je tombais sur sa mine froncée.

— Jeizah, c’est bien ça ?

— Votre Altesse a bonne mémoire, lui répondis-je guilleret.

Il balaya le compliment d’un revers de la main et me scruta de haut en bas.

— N’espère pas obtenir ma sympathie avec quelques flagorneries.

Je fronçai les sourcils, confus. L’avais-je offensé ? Je tentai de me rappeler toutes les conditions pour m’adresser au prince, sans que j’y trouve de faille.

— Je vous prie de m’excuser si je vous ai offensé d’une quelconque façon. Je ne suis pas encore très à l’aise avec les manières de la cour.

Il inspira longuement et me toisa d’un air encore plus glacial.

— Mon oncle fait des pieds et des mains pour t’adopter et mon père pour arranger nos fiançailles. Sois assuré que je ferai tout pour l’empêcher. Je n’ai pas l’intention de t’épouser.

Un surplus d’informations inattendues m’assaillit et avant que je ne les assimile toutes, je m’offusquai à la mention de « nos » fiançailles.

— Pourquoi ?

L’esprit encore confus, je le vis se crisper, et je sus immédiatement qu’il s’était mépris. Je me maudis de n’avoir pas été plus clair.

— Tu n’es pas mon genre, répondit-il d’un ton sec.

J’écarquillai les yeux. S’il avait cherché à m’assommer, j’en aurais été bien moins stupéfait. Qu’il ne souhaite pas m’épouser, soit. Dieu merci, moi non plus ! Mais qu’il m’insulte de cette façon ? Je ne m’y attendais pas.

— Parce que je suis un homme ? demandai-je.

Tout à coup, les raisons de son refus m’importaient. Il laissa échapper un rire sarcastique.

— Parce que tu es astréen, s’exclama-t-il comme s’il s’agissait d’une évidence.

— Je vous demande pardon ?

J’étais de plus en plus abasourdi. Avant qu’il ne daigne répondre, je complétai ma question.

— N’est-ce pas la norme ici ?

« Le sang divin restera pur à travers les âges et ne se partagera pas au peuple. À l’égard de l’équilibre de toute chose, la noblesse ilyoni prendra uniquement pour compagne l’ancienne noblesse astréenne, bannissant le mariage contre-nature de deux descendants d’Elyon ou d’Astra. » Monsieur de Belia m’avait forcé à apprendre par cœur ce passage, car tout gentilhomme se devait de connaître et de respecter la volonté des dieux.

— Un ilyoni ne doit-il pas se marier avec un astréen ? continuai-je.

Le prince me foudroya du regard, et désappointé, tourna les talons, sans daigner me répondre. Je l’observai, consterné, me fuir d’un pas pressé.

— Eh ! l’interpellai-je en vain, alors qu’il disparaissait dans l’escalier, dévalant les marches.

— Comment ça, « nos » fiançailles ? terminai-je dans un murmure auquel seul le silence répondit.

Comment this paragraph

Comment

No comment