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Alcancia

Chapitre 5 - Partie 2

— Nous n'avons pas eu l'occasion de reparler de Kesselt, changea-t-il de sujet.

— Que voulez-vous savoir ?

— Quelle version des mythes fondateurs vous apprend-on ?

— Vous ne voulez pas d'autres informations, comme l'emplacement du village, le nombre d'habitants ou nos types de défense ?

— Tu me le dirais ?

— Non.

Il sourit, son expression hurlant « Voilà pourquoi ». Je le considérai et obtempérai finalement, je n'avais rien à y perdre.

— Eh bien, vous devez les connaître mieux que moi, mais il y a la déesse lunaire, le dieu solaire et son fils, le dieu bestial, qui a maudit une partie du peuple astréen. Il leur a promis une force immense, et ainsi, de gouverner tous les êtres de cette terre, mais il les a trompés. Votre peuple a été maudit, vous avez fusionné avec les bêtes, pour ne devenir que des êtres dictés par leurs instincts primaires, qui tuent dès que l'envie leur en prend.

Je le regardai, craignant sa réaction, mais il m'écoutait, serein. Il m'encouragea à poursuivre, d'un geste de la main.

— Alors vous nous avez massacrés et ceux qui se sont soumis ont été maudits à leur tour. Kesselt, le Dieu Salvateur, a juré de nous protéger et nous a transmis une plante capable de contrer la malédiction. Si un astréen la consomme régulièrement, le dieu bestial ne peut nous corrompre, pour un ilyoni... eh bien... elle détruit la bête, mais comme vous ne faites qu'un avec, vous mourrez aussi. Mais que ce soit clair entre nous, que vous m'adoptiez ou non, je ne pactiserai jamais avec le dieu bestial !

— Tu crois vraiment pouvoir devenir un ilyoni ?

Je hochais la tête.

— Des villageois se sont déjà enfuis ou ont disparu quelques semaines et quand ils sont revenus, ils étaient devenus à moitié bêtes.

— Et à l'inverse, penses-tu qu'un ilyoni puisse redevenir astréen ?

— J'en doute, répondis-je d'une moue dubitative. On dit que ceux qui ont pactisé avec le dieu bestial ne peuvent plus être sauvés, ils ont perdu les grâces de la déesse. Alors, même s'ils nous ressemblent à nouveau, leur cœur est corrompu et leur chair est, de toute façon, vouée à reprendre les traits d'une bête. Au village, on les exécute à vue, c'est pour cela que je ne pourrai jamais rentrer... Que je me soumette à votre dieu ou non, on me craindra et quel enfant forcerait son propre père à le poignarder... Non. Que je sois astréen ou ilyoni, cela n'a plus aucune importance.

— En voilà, de belles superstitions ! Kesselt et ses partisans m'étonneront toujours. Trahir est une chose, mais que la haine s'étende à leur propre nature... Quelles bêtises.

Il se leva et m'adressa un sourire chaleureux, qui contrastait avec son attaque précédente.

— Souhaites-tu connaître notre version ?

— Je n'y risque rien, décrétai-je.

La curiosité m'étreignait et si je voulais survivre dans cette société barbare, il me serait indispensable d'en comprendre ses habitants. Le savoir, bien utilisé, ne tuait jamais.

Adrik passa dans mon dos, se dirigeant vers la bibliothèque croulante sous les manuscrits et rouleaux, le seul espace désordonné de la pièce. Il y attrapa un carnet et le déposa devant moi. Je parcourais la reliure usée, où des traces dorées persistaient, en savourant le travail minutieux du cuir craquelé par les âges. Deux majestueux félins s'y affrontaient, à crocs découverts, sur fond lunaire.

« Les enfants d'Astra : Contes et Légendes des peuples Ilyonis ». Le titre argenté enluminé de constellations et d'entrelacs m'accueillit en première page, sur le papier jauni et corné par de nombreuses lectures.

— Il y a plusieurs peuples Ilyonis ? m'étonnai-je.

— Cela se rapporte à nos deux peuples. Dans les temps anciens, Astréens et Ilyonis s'utilisaient sans distinction, ce n'est que plus tard, que nous y avons ajoutés une connotation ethnique et idéologique.

Il feuilleta le recueil, jusqu'à atteindre quatre illustrations pleines pages qu'il fit défiler, les agrémentant d'explications.

— Nos divinités sont similaires, à quelques différences près. Voici Elyon, le Protecteur, celui que vous nommez « dieu solaire ». Il guide les valeureux le jour et occis par le feu ceux qui ploient le genou devant l'adversité.

— Ici, serait-ce la déesse lunaire ? déduis-je en désignant la figure féminine à sa droite.

— Astra, oui. La mère nourricière, à qui nous devons la sentience et la parole. Elle est la compagne d'Elyon, le relayant la nuit, pour veiller sur leur création. Ils sont dieux et aïeux et ainsi, nous les respectons et leur obéissons.

Je les scrutai, retraçant avec soin la plume de l'artiste qui leur donnait vie. J'admirai les fins tatouages aux courbes parfaites qui épousaient les formes voluptueuses de la déesse-mère et à la géométrie brute qui sculptait le corps athlétique de son époux bien-aimé. Puis, délaissant les deux dessins, je survolai les paragraphes qui les présentaient avec menu détail. Le socle de nos croyances se révélait similaire.

— Qu'en est-il du dieu Bestial et de Kesselt ? Leurs mythes existent-ils aussi dans ce livre ?

Une cruelle avidité grignotait mes réserves, j'étais désormais pendu à ses lèvres, envieux de connaître la suite de ces aventures légendaires. Il tourna la page, bien trop lentement, et me présenta deux nouveaux dieux.

— Sinha, notre patriarche ; le gardien des Dieux. Je suppose que le dieu Bestial se réfère à lui, mais il n'a rien du tentateur que tu m'as décrit. Il détient la férocité et de la ténacité d'Elyon, auquel il a juré une loyauté absolue. Son frère, Tendua, l'illustre protégé d'Astra, le complète parfaitement, partageant l'esprit de la déesse, et par conséquent, son savoir et son ingéniosité. Ils ont à deux bâti notre civilisation et l'ont aidé à prospérer jusqu'à ce que leur immortalité soit brisée quand notre peuple s'est divisé en deux tribus distinctes.

— Et Kesselt ?

— Minute papillon, j'y viendrai quand le temps viendra. Ne repères-tu rien d'inhabituel ?

— Non, je ne crois pas.

Je tirai le livre vers moi, et alors que je m'apprêtais à le repousser, je m'interrompis, hébété.

— Ils... Comment est-ce possible ? Est-ce pour cela que vous voulez que je cache les miennes ?

— C'est bien ça, vous partagez les mêmes marques, comme Sinha porte celle de son homologue. C'est la preuve irréfutable de ton ascendance.

— C'est courant ? Au village, seuls ceux qui étaient bénis par les Dieux possèdent leurs marques. Mais, elles sont uniques, car la déesse les dessine de son doigt, à leur naissance.

— En réalité, ils devaient appartenir à l'ancienne noblesse astréenne. Les marques de naissances se transmettent de génération en génération, par les liens du sang, dans les lignées royales et seules les réincarnations de Tendua et de Sinha peuvent arborer celles-ci. Mais aucun astréen n'a survécu assez longtemps pour que le monde puisse observer celle de Tendua.

— Ils tombent malades ?

— On les tue à la naissance.

Le ton glacial de sa réponse me ramena à cette abominable réalité qui était désormais la mienne. J'étais à court de mots, sonné par la cruauté de ses propos.

— Si les marques du dieu Lion sont une bénédiction, celles de la Panthère sont de mauvais augure. Tu as eu de la chance de naître dans ton village, Jeizah. Ici, tu n'aurais pas survécu un seul jour et c'est le sort qui t'attend si l'on remarque tes marques. Mon nom te protégera, mais mon influence ne s'étend pas à tous les territoires, alors sois vigilant.

Je hochai la tête, une boule d'angoisse contractait ma gorge.

— Retournons à notre histoire, veux-tu ?

Je tentais de reprendre contenance, me redressai et plongeai mon regard dans l'ouvrage manuscrit.

— Kesselt est mentionné dans les épopées de la Première Guerre. Sinha et Tendua avaient chacun leurs fervents. Ceux en quête de gloire, de pouvoir, de hauts faits et de l'ivresse qu'offre la force brute se rangeaient derrière Sinha, quant les inventeurs, les artistes, les stratèges ou quiconque savourait la liberté de l'esprit, érigèrent Tendua à leur tête, devenant ce que l'on nomme aujourd'hui les Astréens. Leurs conceptions de l'existence et leurs valeurs diamétralement opposées créèrent au fil des siècles des frictions, jusqu'à ce qu'un jour, leurs querelles forcèrent les deux frères à entrer dans un conflit armé. Elyon, qui n'avait jamais imaginé que ses enseignements se retournent contre sa progéniture, menaça de nous éradiquer, mais sur l'insistance d'Astra, il ferma les yeux et préféra s'en détourner, pour ne pas assister à notre déclin. La déesse, quant à elle, supplia ses enfants de calmer leurs clans, pour revenir à la paix et à la tolérance. Tendua, à la sagesse exemplaire, s'y engagea.

Je survolai les textes fondateurs en l'écoutant attentivement. Avant qu'il n'arrive au terme de son récit, le dieu m'apparut aux mains de son frère, la gorge déchiquetée par les crocs sanglants de son aîné. Un flot carmin maculait sa tunique éventrée.

— Il l'a tué ! m'exclamai-je avec effroi. Comment... Comment peut-on être aussi cruel ?

— Eh bien, sans ce traître de Kesselt, nous n'en serions pas là et les Astréens ne courberaient pas l'échine. Cette ordure était considérée comme l'homme lige de Tendua, son ami le plus proche, son bras armé, mais il a abandonné ses fonctions au plus fort de la bataille, en emportant à sa suite les généraux astréens. En trahissant son peuple, il a obligé Tendua à se sacrifier, pour mettre un terme au massacre qui s'en est ensuivi. Le vénérer est un sacrilège impardonnable. Vous devez votre vie à Tendua. Sans sa mort, les astréens auraient été massacrés jusqu'aux derniers, mais sans leur dieu, ils ont capitulé et Sinha leur a accordé sa grâce. Mais ce geste n'est pas resté impuni.

Il se détourna du livre, pour ancrer son regard dans le mien. De sa manche, il retira la poudre qui couvrait mon front, laissant apparaître les arches stellaires qui l'ornaient.

— Astra ne leur a jamais pardonné et les a condamnés à se réincarner. Le Lion et la Panthère sont voués à rejouer leur destin, jusqu'à ce qu'ils réunissent les enfants d'Astra en un peuple commun et égal. Tu es destiné à rencontrer le prince Sinha et il t'appartiendra de réclamer ton héritage et ta vengeance. Sans ton village, tu n'aurais jamais existé. Depuis que tu as acquis ton premier souffle, nous ne pouvons plus nous opposer à la volonté des dieux, sans en payer le prix.

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