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Alcancia

Chapitre 7

Adrik me convoquait deux fois par semaine pour s'assurer de mes progrès. Après un interrogatoire strict, nous discutions de ma situation ; le prince lui avait transmis ses archives et sans grande surprise, aucune trace de mon existence n'y était consignée. Quant au roi, il avait eu tôt-fait de l'affaire et demandait au duc de me présenter à la cour dans les plus brefs délais.

Quelques jours après avoir reçu sa missive, nous voyageâmes donc vers la capitale, en empruntant les chemins forestiers pour ne pas éveiller plus que nécessaire l'intérêt des seigneurs de la région.

Keir, l'unique professeur que je rejoignais avec plaisir, ne nous accompagnait pas. Il assurait l'intendance en notre absence et bien que je fusse déçu par cette nouvelle, elle ne m'étonna guère. Depuis mon arrivée, j'avais pu constater que leur relation dépassait le respect mutuel du soldat et de son maître ; Adrik plaçait une confiance aveugle en son capitaine et chacun avait déjà aperçu la magie de Keir opérer. À ses côtés, la nature rigide d'Adrik s'effaçait pour dévoiler un homme affable et détendu, de telle sorte que l'on disait que Keir avait le pouvoir de le transformer en un ourson de douceur de par sa seule présence. En privé, je les avais surpris, à plusieurs reprises, à briser leurs rôles quotidiens, pour redevenir deux amis qui partageaient commérages et taquineries, sans plus soucier de la hiérarchie et de l'étiquette.

Trois soldats, avec qui je n'avais partagé que des salutations brèves durant leurs rondes, nous escortaient.

— Tu as progressé, apprécia Adrik.

Nous progressions dans le faubourg en contrebas du palais, le soleil déclinant. Les citadins se préparaient à fermer boutique et seuls quelques badauds parcouraient encore les rues. Juché sur Plume, ragaillardi par les embruns marins après une journée radieuse de marche, je profitai d'une brise bienvenue pour me rafraîchir.

— J'ai un bon professeur, répondis-je en resserrant mes rênes pour contenir la curiosité de l'étalon. Il est exigeant, mais patient.

— Il l'est, oui, et tu as beaucoup à apprendre de lui. Enfin, si l'on occulte certains points...

— Comme les beuveries à la taverne ?

Ma remarque lui tira un sourire complice, qui se transforma rapidement en un rictus menaçant.​​​​​

— Que je ne t'y prenne pas. Un jeune noble n'a rien à y faire, cela ferait scandale.

— Oh, alors tout ira bien ! Je ne le suis pas.

— Jeizah !

Il se redressa sur sa selle et me foudroya du regard.

— Nous en avons déjà parlé.

La sécheresse de sa voix traduisait son exaspération.

— Quoi que tu en penses, continua-t-il, tu es de sang divin et lorsque ton ascendance sera reconnue, tu agiras selon ton devoir. Qu'Astra te soit miséricordieuse, si je te prends à te ridiculiser au vu et au su de tous.

Je capitulai aussitôt. Je connaissais par cœur son discours moralisateur et je ne tenais pas à l'endurer de nouveau.

— Je ne crois même pas en elle... marmonnai-je.

Il se contenta de lever un sourcil et continua dans sa lancée.

— Tout à l'heure, au palais, rappelle-toi de marcher un pas derrière moi et ne parle que si l'on t'adresse la parole. Réfrène ta curiosité, ne regarde pas tout ce qui bouge et ne dévisage pas les gens que tu croiseras. Fais-toi aussi discret que possible et obéis-moi sans poser de question. Monsieur de Belia m'a rapporté que tu avais encore des difficultés avec l'étiquette royale, cela t'évitera de commettre des impairs.

— Cela fait trois fois que vous le répétez aujourd'hui, me lamentai-je.

— Eh bien ça rentrera trois fois mieux. Allez, ne fais pas cette tête, ce ne sont que des formalités.

J'inspirai profondément, espérant déloger l'oppression dans ma poitrine et esquissai un mince sourire. Il n'était en rien assuré, tout juste poli, comme pour dire « J'aimerais te croire sur parole », mais il le contenta.

Je me réfugiai dans mes pensées jusqu'à la fin de notre périple, tandis qu'Adrik discutait avec ses gardes, d'un ton léger qui contrastait avec l'anxiété qui bouillonnait en moi. Le palais se dévoila à nous, grignotant le ciel de ses hautes tourelles blanches. Les bâtiments, qui encerclaient une cour immense aux fontaines chatoyantes, nous engloutirent dans leur ombre oppressante. La vie fourmillait autour de nous ; nous posâmes pieds à terre et des garçons d'écurie s'emparèrent de nos rênes. Je risquai le courroux d'Adrik et pris le temps d'observer l'édifice, remontant le courant du lierre qui prenait naissance sous la multitude de fenêtres et partait à la conquête des larges colonnades pour aller se confondre avec les feuillages rougeâtres des érables. La végétation habillait avec grâce la pierre et embellissait les formes imposantes de l'édifice. En son sein, seul le neveu d'Adrik m'était familier. Bien que notre rencontre fût brève, je gardais un souvenir vif de cet homme réservé, tant par son caractère que par son rang. Cela n'avait toutefois pas empêché les domestiques de se pâmer d'admiration après sa visite, et de rêver à sa compagnie.

Nous empruntâmes le large escalier en pierre qui menait jusqu'aux portes principales, et nous mêlâmes à la danse discrète des serviteurs qui vaquaient à leurs occupations. Sur le passage, Adrik salua avec quelques paroles exquises les demoiselles flânant sur le parvis de marbre, terni par les foulées quotidiennes. Elles lui firent bon accueil, m'ignorant superbement, et lorsque nous les dépassâmes, leurs rires cristallins s'élevèrent. Dès que je surpris leur intérêt, un silence complice s'installa entre elles et les joues de la plus jeune rosirent aussitôt. Sans aucun doute, le gant de fermeté, enveloppé d'une soyeuse courtoisie, exacerbait le charme du duc aux yeux de ces dames.

Adrik ne s'en formalisa pas et nous conduisit à l'intérieur du palais, un frisson me parcourut et je boutonnai ma cape. La fraîcheur des lieux s'opposait à l'opulence chaleureuse des décorations. Adrik nous mena d'un pas alerte, qui limitait mes découvertes, à travers un dédale gigantesque, où les couloirs habillés de portraits solennels et de sculptures raffinées nous invitaient à traverser des pièces ornées de tapisseries grandioses, où dieux et mortels affrontaient vaillamment, côte à côte, tout autant d'astréens que de créatures viles tirées des légendes les plus sombres. La suprématie des ilyonis se distinguait sur chacune de ces représentations épiques et sanglantes, qui me laissaient partagé entre la fascination et la révolte.

Adrik veillait à ce que je suive son rythme et me rappelait à l'ordre dès que je m'attardais. Quel que soit l'endroit où je posai le regard, je restai médusé par la richesse artistique dont cette race bestiale était capable. Le sol, où le marbre se disputait l'espace avec la mosaïque, m'envoûtait tout autant que les fresques détaillées du plafond. Même le bois sombre des poutres était travaillé avec minutie, chaque détail rappelant la grandeur de ce lieu.

Il s'arrêta devant une porte gardée et attendit que l'on nous annonce. Les deux battants qui s'élevaient jusqu'au plafond s'ouvrirent et dévoilèrent une salle bruyante ; une allée déserte la parcourait au centre et s'étendait jusqu'au fond de la pièce, où une estrade drapée de lourdes tentures accueillait un trône majestueux. Deux sièges vides, plus petits, mais non moins modestes, étaient positionnés de part et d'autre de ce dernier. Nous nous avançâmes, sans nos compagnons d'armes, et au fur et à mesure de notre progression, les réclamations qui fusaient jusque-là se murent en murmures interrogateurs. L'assemblée me dévisageait. J'écartai l'angoisse qui menaçait de me pétrifier et m'efforçai de suivre Adrik.

Quand nous fûmes à moins de cinq pas de l'estrade, il s'inclina et je l'imitai, en veillant à accentuer ma révérence jusqu'à la taille, comme leur coutume le souhaitait.

— Mon frère, te voici enfin.

Un homme au front cerclé d'une fine couronne nous toisait. Les lions, forgés dans l'or, bondissaient entre ses mèches poivre et sel, d'une grâce qui n'appartenait pas au monarque. À l'instar de sa carrure, la rudesse de sa voix m'évoquait ces terribles orages d'hiver que seuls les plus téméraires osaient affronter, à leurs risques et périls ; je ne comptais pas parmi ces preux, et ainsi, je n'osais relever la tête, quand je me redressai.

— J'ai amené le garçon, lui répondit Adrik.

— Je vois cela. Qu'il se présente donc.

Le duc m'intima l'ordre de m'avancer et je m'exécutai avec précaution. J'en profitai pour le considérer. Il partageait ses traits avec Adrik, la mâchoire carrée, le front large et leurs pommettes saillantes leur conféraient un air farouche, mais là s'arrêtaient leur similitude. Les dieux avaient tracé sur sa peau des formes abruptes, qui croisaient les marques impitoyables du temps. Au contraire de son cadet, à la peau lisse et halée, de profondes rides prenaient naissance aux creux de ses yeux et envahissaient ses tempes, à la conquête des deux oreilles rondes et velues qui frémissaient au sommet de son crâne. Selon nos anciens, l'histoire d'une personne se gravait ainsi ; la curiosité et l'ennui m'avaient poussé à en décrypter plus d'une, à cet instant, j'étais convaincu que la sienne était emplie de ténèbres. La sévérité, le soupçon et la contrariété transparaissaient en ces profondes lignes.

— Ces sujets sont délicats, Votre Majesté.

Ses mains enserrèrent les bras du trône, et ses griffes acérées écorchèrent le bois. Un mouvement attira mon attention, je fronçai les yeux en apercevant une longue queue blanche comme la neige battait l'assise en cuir, en un rythme lent. Je déglutis, face à l'ennemi impitoyable de nos contes ; le lion blanc, cette figure de proue qui gouvernait en lieu et place de leur dieu sanguinaire.

— Soit, déclama l'ilyoni.

Il fit un signe à l'un des valets, en retrait de l'estrade, pour qu'il annonce la fin des doléances ; un râle général s'éleva et accompagna la foule, privée autant d'audiences que de ragots, dans leur sortie.

Une fois la salle déserte, il se leva, et cueillant mon menton d'une poigne incontestable, il m'examina de près. Je ravalai ma fierté et me laissai manipuler.

— Il n'a aucune marque. À moins que...

Il attrapa une lanterne froide au pied du trône et plongea le bout de ses doigts dans l'huile. De son pouce, il frotta ma joue et un rictus pinça ses lèvres.

— Que de prudence, susurra-t-il en se tournant vers Adrik.

Ce dernier observa les deux gardes royaux, de part et d'autre de l'estrade, et plissa les yeux.

— Peut-on leur faire confiance ?

Quand le monarque acquiesça, il sortit une fiole et un mouchoir et me les tendit.

— Montre-lui, m'ordonna-t-il.

J'obéis et les doigts fébriles, j'enlevai la pâte qui camouflait les cercles constellés, transpercé d'une lance, qui descendait de la racine de mes cheveux jusqu'à l'arête de mon nez avant de s'évanouir et réapparaître au bas de mes lèvres. Alors qu'il découvrait les tracés délicats d'Astra, l'horreur se dessina sur leurs visages. Le crissement froid des lames me pétrifia autant que le grondement rauque du roi.

— Tu oses amener cette chose ici. Au cœur du royaume. Sous mon nez !

— Eghat !

Adrik me tira en arrière d'un coup sec et se plaça devant moi, protecteur.

— Garde ton calme, incita-t-il son frère.

Les soldats nous entourèrent et le fil de leurs épées se posa contre sa gorge. La poigne du duc se resserra, perçant de ses griffes ma peau, alors qu'il affrontait le fer impitoyable des gardes. La douleur aiguë qui se diffusait au creux de mon poignet n'était rien en comparaison de l'effroi qui écrasait ma poitrine.

— Tu oses te retourner contre moi, cracha le roi.

— Toujours à hurler à la trahison, hein ? le railla Adrik. Me penses-tu stupide au point de faire un coup d'État avec trois gardes et un garçon qui sort à peine de l'adolescence ? Soyons sérieux une seconde et écoute-moi.

Son aîné le dévisagea, testant ses intentions.

— Cela n'aurait rien de ridicule, il suffit de suivre n'importe quel complot pour te débusquer.

Adrik releva le menton et le darda d'un regard provocateur.

— As-tu déjà eu à t'en plaindre ?

Ils s'affrontèrent quelques secondes, sans mot dire, jusqu'à ce que le roi soupire. D'un geste de la main, il ordonna la retraite et retourna à son trône où il se laissa choir ; je repris enfin mon souffle.

— Parle, dit-il, las.

— Je veux l'adopter.

— Je ne suis pas d'humeur pour tes plaisanteries.

— Ça n'a rien d'une plaisanterie, rétorqua le duc. Personne ne sait ce qu'il est, je m'en suis assuré dès que j'ai récupéré le garçon. J'ai pris garde de camoufler ses marques, quiconque l'a déjà aperçu, qu'il s'agisse de villageois, de ma garde ou même de ton fils, tous ignorent sa véritable nature. Quand je l'ai récupéré, j'ai longuement réfléchi à nos différentes options.

Il s'interrompit et m'observa, m'incitant à lui faire confiance, avant de reprendre.

— La plus simple, nous pourrions le tuer, mais tôt ou tard, des questions fuseront, chacun proposera sa théorie et les plus avides de pouvoir confirmeront les rumeurs. Que penses-tu qu'il arrivera quand les astréens apprendront que le dieu qu'ils ont tant attendu a été assassiné ? Ils l'érigeront en martyr, se rassembleront et se révolteront.

— Et nous les écraserons, assena son frère.

— Pas sans perte, et quand nous serons affaiblis, les conspirateurs sortiront de l'ombre et prendront le trône.

Le roi claqua de la langue et me lança un regard mauvais. Je me réfugiai dans l'ombre d'Adrik, dans une tentative vaine de me camoufler alors qu'il exposait sa seconde théorie.

— Nous pourrions aussi l'exiler loin de la cour et le maintenir sous étroite surveillance, mais quand il s'enfuira ou quand il sera récupéré par le culte de Kesselt, ils le manipuleront et le même scénario se produira : une révolte et si, par la volonté d'Elyon, les astréens ne reprennent pas le pouvoir, un coup d'État finira tout de même par éclater.

Au fur et à mesure de son discours, mon sang s'était glacé. La protection qu'il m'offrait me semblait bien maigre, lorsque j'écoutais ses réflexions impitoyables. Elles ne manquaient pas de logique, mais en être l'objet était cruel et angoissant. Je déglutis avec difficulté et je rassemblai tout mon courage pour rester immobile quand il se tourna vers moi, une nouvelle fois. Il s'écarta pour me laisser à la merci du roi.

— La volonté d'Astra est incontestable, conclut-il. Nous avons essayé de l'endiguer, mais aujourd'hui, Tendua est de retour et le tuer ne nous apporterait que du malheur. Nous devons reconsidérer notre stratégie, pour garder un coup d'avance.

Il s'avança, m'abandonnant dans son sillage, pour exposer son plan.

— Mon frère, faisons-en un allié. Si nous l'utilisons pour l'intérêt de la couronne, que nous nous attachons ses faveurs, les dieux seront assurément à nos côtés. Nous renforcerons notre lignée et ton règne sera synonyme de paix et de bonne fortune. N'est-ce pas ce que tu as toujours désiré ?

Son aîné approuva du chef et un sourire de connivence dissipa son humeur taciturne.

— Nous garderons son identité secrète, commenta-t-il en suivant la logique du duc. Et, quand le moment sera venu, nous montrerons au monde entier que Tendua s'est soumis, une fois de plus, à notre autorité et reconnaît notre suprématie. Aucun astréen n'osera contredire cet augure.

Je grimaçai face aux intrigues vicieuses qu'ils ourdissaient. Le monarque le remarqua et son regard retrouva sa méfiance glaciale.

— Est-ce vraiment judicieux de parler de tout cela devant lui ? murmura-t-il.

Il se redressa de toute sa hauteur dans son siège et me scruta.

— Tu connais ton sort, maintenant. Alors, dis-moi, Tendua (il cracha tout son dédain en ce maigre mot), t'y opposeras-tu ?

Je restai interdit. Que pouvais-je bien répondre à cette question ? Un piège sournois s'était refermé sur moi et me menaçait sans que je puisse m'en extraire. Qu'adviendrait-il si je refusais de me soumettre à leur jeu sordide ? Et dans le cas contraire, pourrais-je supporter le poids des crimes auxquels je m'associerais ? Ils m'enjoignaient à délaisser mon honneur, à tromper tout un peuple à l'aide de stupides croyances pour renforcer leur oppression et les dissuader de réclamer leur liberté.

Quelques mois auparavant, je m'apprêtai à me marier, à fonder une famille et à couler des jours paisibles. Mes actions n'affectaient que le cours de ma vie, ma fuite avait sûrement fait du tort à mes parents, mais j'avais foi en la justice de Kesselt. Ils retrouveraient bientôt leur statut au sein du village et ma disparition finirait par devenir une simple déception amère dans leur vie, un fait insignifiant.

En ce lieu, on me rendait responsable de dizaines ou de centaines de milliers de vies. Mes épaules étaient bien trop frêles, comment pourrais-je le supporter ? On m'avait appris l'importance de la liberté, de l'harmonie de la famille et de la protection de notre communauté. On m'avait aussi enseigné à craindre la perversion et la cruauté des ilyonis, à m'opposer à la tentation du pouvoir, de l'usage de la force brute et à résister à toutes les bassesses du genre animal. Étais-je vraiment destiné à me dresser face aux ignominies commises par les ilyonis ? Kesselt m'avait-il destiné à suivre son exemple ?

Je savais à peine me battre, tout juste assez pour riposter et m'échapper en cas d'attaque, je ne me considérais pas comme plus intelligent qu'un autre et le moindre éclat de violence me donnait envie de prendre mes jambes à mon cou.​ Que pouvais-je bien faire ? Était-ce donc cela, l'ironie du sort ?

Les questions se bousculaient dans ma tête et mon monde se tordait en tous sens, mes valeurs et la crainte pour ma vie s'affrontaient impitoyablement alors que le roi et Adrik attendaient ma réponse. J'essayai de tirer une réponse claire, ouvrant ma bouche asséchée par la peur, mais aucun son n'en sortit.

Qu'est-ce que je pouvais bien répondre, du haut de mes dix-huit années ? On ne m'avait jamais préparé à cela. On ne me l'avait jamais appris. J'étais incapable de répondre. J'en étais incapable...

— C'est que...

Je tentai de m'expliquer, mais mes pensées disparurent, comme neige comme au soleil. Ils me scrutaient, l'impatience et la contrariété les dévoraient et menaçaient de m'engloutir dans un geste de colère. Je me sentais minuscule et impuissant.

Je voulais m'enfuir, retrouver le cadre paisible de mon village et me ranger derrière les soldats qui me protégeraient envers et contre tous. Oh, ce que je regrettai d'être parti ! Lire le mépris de Malek chaque matin, alors que je me réveillerai à ses côtés, subir son indifférence au quotidien, et ravaler ma fierté était tellement plus enviable que ce qu'ils me demandaient à présent. Je n'aurais pas à renier mes valeurs, à endurcir l'injustice que l'on faisait subir à des personnes qui m'étaient en tout point identiques. Je n'aurais pas à décider entre me sacrifier, à me battre de la seule force de mes poings, pour faire valoir ce que je considérais juste. Je ne voulais être que Jeizah, le fils de Holmir et de Primva Tyslune.

— Je ne sais pas, admis-je la tête baissée et la gorge serrée.

Je déglutis, rassemblai les miettes de mon courage et me risquai à les observer à la dérobée.

Seules l'incrédulité et la confusion se lisaient sur leurs visages. J'essayai alors de reprendre, pour clarifier mes pensées.

— Je ne... On ne m'a jamais préparé à ça. Je sais... coudre... récolter le lin et le blé, préparer la laine et tisser... Je connais par cœur les plantes pour les teintures, je connais la valeur des tissus et des vêtements, mais... C'est tout ce que je sais faire. Je ne suis que Jeizah, le fils du tisserand. Sans vouloir vous offenser, vous vous trompez à mon sujet... Je ne suis pas ce Tendua, je n'ai rien d'un guerrier légendaire, qui est prêt à défendre son peuple ou à comploter avec ses ennemis. Je ne suis... que... moi.

Je le réalisai, en même temps, de prononcer ces derniers mots. Toutes ces questions se terminaient sur une note décevante, mais des plus communes, et cela me convenait.

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