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Chapitre 19

Contrairement à la plupart des morts-vivants, les liches ne sont pas des créations spontanées par accumulation d’énergie négative. Il y a sûrement des exceptions comme en toute chose, mais à la base, il s’agissait de mages. Il y a un dicton humain qui dit qu’en une existence entière, on a à peine le temps d’effleurer les mystères du multivers. Il y a toujours eu une grande motivation pour accroitre la longévité des créatures pensantes, mais si l’on y ajoute un peu de magie, on peut en faire une réalité dans un certain sens. Bon nombre de magiciens, dans leur recherche de savoirs, ont de leur propre volonté choisi le statut de mort-vivant pour obtenir une forme d’immortalité. En temps normal, cela signifie aussi d’évoluer sous la forme du mort-vivant le plus puissant du territoire et donc de régner. Mais ici sur Larenix, avec le sac d’os, souverain suprême de toute la non-vie du demi-plan en entier. Cela rimait surtout avec le fait de devenir son esclave. Mais bon, vous restiez vivant, enfin, en non-vivance. Bref ! Vous voyez quoi ! Il paraît que certaines civilisations se sont bâties et structurées autour de l’ascension à l’immortalité de son aristocratie uniquement composée de magiciens. Pour autant que je sache, sur Larenix, c’est une pratique interdite depuis des siècles, bien avant même les débuts de la conquête du monde par le sac d’os.

Le capitaine m’avait informé que le royaume avait banni l’intégralité de l’école de la nécromancie, malheureusement cela incluait aussi ses aspects bénéfiques comme pour les soins. Le but étant d’éviter de tenter les mages de l’armée et de l’académie par la voie de la vertu si l’on peut dire. Après tout, les pires calamités naissent souvent de bonnes intentions. En conséquence, seuls les clergés avaient l’autorisation d’user de magie pour guérir. Pourtant, malgré tout, le sac d’os réussissait à murmurer à l’oreille de certains profanes pour leur apprendre des sorts interdits. Lorsqu’ils parvenaient à rester discrets, certains finissaient par passer à l’acte, se lançant dans un rituel macabre pour devenir une liche.

Avec les millénaires qu’eut le sac d’os pour préparer sa guerre, il devait bien avoir sous ses ordres une véritable légion de liches à part entière, sachant qu’une liche, même nouveau-née a le potentiel pour détruire une petite armée. Ça ne faisait rire personne vu que leurs pouvoirs et capacités allaient croissant avec leur âge. C’était sans aucun doute la menace la plus grave pour la survie du royaume, une de plus sur une liste bien trop longue.

Ce qui m’amène à la tâche qui désormais m’attendait, affronter la liche. On pourrait penser que pour contrer une magie puissante, il en faut une équivalente, mais c’est un peu plus complexe que cela. Il existe plus d’une approche pour contrecarrer un sortilège. Mais présentement, il y en a surtout deux. Le premier, c’est d’empêcher l’adversaire de déclencher son sort. Bête et méchant. Ou à défaut, d’interrompre son lancement.

La seconde manière s’opère au moyen de contre-sort, autrement dit, contrer la magie ennemie avant qu’elle ne prenne effet sur sa cible.Trois méthodes ici. Mais pour chacune, la première étape consiste à définir précisément le charme en question. Cela requiert une connaissance très étendue de la magie et de tous les sortilèges en vigueur. Ensuite, la première approche demande d’utiliser un sort opposé de force égale au premier. Ce qui n’existe pas toujours, mais peut aussi s’effectuer avec un certain délai de retard. Vol libre et interdiction de vol par exemple, ou agrandissement et rétrécissement, blessure et soin. Le résultat final étant annulé par un autre contraire, mais de puissance équivalente.

La seconde méthode reprend ce principe et enjoint à lancer le même sort, mais en mode inversé. Ce n’est pas un sort différent, mais une utilisation des paramètres totalement inverse pour avoir non plus un effet, mais un anti-effet. C’est spécieux, ça revient à implorer pour avoir « quelque chose » alors qu’on réclame une non-chose. C’est un « je veux, -2 projectiles magiques ! ». Toujours est-il qu’au final, les deux sortilèges vont ainsi s’annihiler mutuellement.

Ce n’est presque jamais exploité et beaucoup se demandent pourquoi c’est une obligation universelle dans la création d’un schéma mental, et ce pour le multivers entier. Pourquoi ? comment ? Ce n’est même plus la question. La procédure est si bien ancrée que l’automatisme prend le relai sans même que la plupart ne comprennent pourquoi, moi incluse. C’est l’idée qu’une pratique si répandue, quand bien même on ne sait à quoi elle sert, n’est pas là pour rien, elle a forcément une raison d’être, alors mieux vaut faire avec plutôt que devoir gérer des conséquences inconnues par la suite. De temps, à autre, de manière exceptionnelle, ça permet un contre-sort, surtout lorsqu’il s’agit des classiques, là ou il y a le plus de chance pour que votre adversaire possède le même que vous.

La troisième technique consiste à exploiter un sort spécifique capable d’annuler de manière générale un effet en cours. Un charme basique comme « dissipation de la magie » peut être employé pour tenter de neutraliser le résultat d’un sort avant même qu’il ne devienne actif, et ce, en sus de son usage traditionnel. Toutefois, vu qu’il s’agit de magie très générique, le succès est loin d’être garanti, c’est au contraire relativement aléatoire.

Ceci étant compris, il est alors évident que déclencher une attaque ou contrer la magie ennemie demande des compétences bien différentes, mais tout autant spécialisées. En cas d’engagement direct, il est plus vraisemblable que chaque mage des deux camps exploite son talent de manière offensive plutôt que de s’affronter l’un l’autre au-dessus de la tête des soldats à coup de sorts et contre-sort. Voilà qui rendait la destruction des liches très compliquée. Ce qui en plus était quasi inutile, puisqu’il me semble vous l’avoir dit, mais leur corps, c’est juste ça, une dépouille manipulée à distance. L’âme du monstre ne l’habite pas, elle est enfermée dans un objet, un phylactère. Ce qui permet au mage de transformer son enveloppe charnelle encore en vie en cadavre immortel, pour ensuite en reprendre le contrôle, mais sans y résider. Détruire le corps d’une liche ne signifie en rien son élimination. Il va se reconstituer auprès de son phylactère dans les jours suivants et la créature pourra de nouveau l’incarner. Et c’est bien pour ça que cette guerre était impossible à gagner dans l’état en sus de tout le reste. Et c’est pour ça que de nombreux mages finissaient par être tentés de rejoindre l’ennemi par instinct de survie, ou de non-survie si je puis dire.

Je soufflais un bon coup, reprenant le contrôle de mes pensées vagabondes, ayant pu récupérer entre temps, je me redressais.

Au loin, la liche continuait de rassembler ses troupes, et sous mes pieds quasiment tous les zombies étaient au sol, en morceaux, ou coincés dans un tas de ses congénères, incapable désormais d’agir de concert pour se libérer de cet entremêlement des membres. Tout ce qu’ils réussissaient à faire, c’était de se blesser mutuellement. La routine.

Les soldats étaient engagés dans la phase de nettoyage du champ de bataille, consistant à achever les monstres restants puis de les réunir en un monticule macabre avant d’incendier le tout. Ça évitera au moins que si l’on dut fuir, l’ennemi ne puisse réutiliser ces dépouilles pour les relever une fois de plus à la non-vie. D’autres parcouraient les environs, récupérant ce qu’ils pouvaient de flèches ou de carreaux d’arbalète ainsi que les javelines intactes, reconstituant les stocks de cailloux pour les frondes aussi. Et puis, il y avait les soins aux blessés quand il y en avait, ce qui ne semblait pas être le cas, rien de grave du moins, juste quelques égratignures et autres éraflures, voire une morsure ou deux.

Soudain, le guetteur à mes côtés donna de la voix, et suivant ses indications, je remarquais que la horde de zombies venait de se mettre en marche. Il lui faudrait une poignée d’heures pour nous atteindre, mais l’attaque était lancée.

***

Moins de 5 minutes plus tard, j’avais rejoint les deux officiers en contrebas qui interrompirent leur conversation à mon approche.

— Alors ?

— Quelque chose comme douze mille. Trois carrés de trois milles à l’avant, son escorte et les deux mille restants en arrière-garde. Estimation d’arrivée un peu avant minuit.

— Tu peux la détruire ?

— Sincèrement capitaine, je n’en sais rien. Comme on en a déjà discuté, j’ai certainement plus d’outils spécifiques que n’importe quel mage royal standard pour transformer un duel magique ou les soldats meurent au milieu en affrontement personnel. Mais je n’ai jamais pu tester tout ça en dehors d’un labo. Et même si j’arrive à la contrer, je ne peux garantir de pouvoir la détruire, surtout si elle se maintient au milieu de son bloc de gardes. Vous devrez alors devoir gérer les zombies intelligents.

— Dans tous les cas, continua le lieutenant, on est trop loin du Roc capitaine, tant que l’on restera groupé, cette liche nous suivra et l’on ne pourra pas fuir bien longtemps.

— Donc vous me dites, soit on l’affronte ici, tous ensemble, et prions les Dieux que notre mage puisse tuer cette monstruosité. L’alternative étant de disloquer cette armée en escouade de cinq à dix soldats et de se disperser à tout va. Ainsi l’ennemi ne pourra pas poursuivre tout le monde, et une partie survivra. C’est bien cela ?

Le lieutenant se contenta de hocher de la tête et le capitaine d’enchaîner par un long soupir.

— Ce n’est pas la première fois que l’on arrive à détruire des couronnes, une fois acculées dans un coin et forcées de combattre, elles tombent facilement. C’est toujours un vrai massacre. Mais là, on en a eu trois, sans perdre un seul homme. Puis, comme tu me l’as si bien expliquée Yuki, lorsque nous en parlions, il nous faut un moyen pour bloquer la magie des liches. Même si nous avions dix mages de renom parmi nous, si l’on ne réussit pas à contrer ses sorts, ce sont les soldats au milieu qui payent le prix, au point de ne pas reconnaître la victoire d’une défaite.

Il prit une longue inspiration puis marmonna quelques mots que j’avais déjà entendus, une prière pour la chance.

« Une pièce pour la dame, dix elle placera sous tes pas. »

Relevant la tête, désormais décidé, il poursuivit.

— Le lieutenant a raison, si loin en pleine nature, cette liche ne nous laissera pas fuir facilement et ne s’arrêtera pas avant notre totale destruction. Même si l’on se disperse, les pertes risquent d’être terribles. On en finirait presque par croire que cette bande errante fut placée là de manière intentionnelle pour nous piéger. Enfin, peu importe. Prévenez les hommes, on n’aura pas construit tous ces pièges et défenses pour rien.

L’air jusque là un peu abattu, le lieutenant se redressa pour saluer avant de partir transmettre les ordres au pas de course. Je me contentais pour ma part d’opiner du chef doucement, on allait vite savoir si tout mon travail et toutes mes théories valaient l’investissement qu’Yreen y avait mis. Non pas que je n’ai pas confiance en moi ou mes capacités, mais je préférais, et de loin, croire qu’une élue divine n’aurait pas été perdre son précieux temps avec une sale morveuse, moi, pour le plaisir de faire la gardienne d’enfants. Il devait donc y avoir autre chose, quelque chose de concret, comme la naissance d’une nouvelle école de magie par mon entremise. Je n’ai pas encore décidé, si c’est mon arrogance naturelle qui revient là pointer son nez ou une pure conclusion logique. On allait vraiment très vite le savoir.


***


J’étais au sommet d’une petite tour de guet, à l’intérieur du camp retranché que nous avions bâti, il y a de ça quelques semaines désormais. La moitié de nos soldats étaient là aussi. On y voyait presque mieux qu’en plein jour, alors que la nuit était plus qu’avancée.

Pendant sa progression, l’armée zombie avait dû faire face à nos gars utilisant des tactiques de guérilla. Déjà en premiers lieux, ils avaient incendié une bonne part de nos ouvrages défensifs sur le chemin des morts-vivants, illuminant l’intégralité du champ de bataille, et carbonisant quelques centaines de monstres au passage. Ceci, additionné à des frappes éclairs ici et là ainsi que la pose de quelques pièges.

La liche avait stoppé sa progression pour envoyer des zombies par petits groupes tester le terrain devant elle. Ce qui faisait parfaitement le jeu du reste de notre armée, en embuscade, prête à recevoir ces démineurs suicide.

Jusque là, la liche n’avait pas essayé de faire appel à sa magie. Aussi étais-je en attente. À surveiller la bataille depuis mon perchoir. Pour l’instant, les feux changeaient la nuit en jour, mais cela n’allait pas durer. Pourquoi ce jeu de guérilla ? Déjà, parce que nous avions construit toute cette infrastructure défensive, alors autant s’en servir. Même si, dans l’absolu, cela n’allait probablement pas faire pencher la balance dans notre sens. En attendant, c’était bon pour le moral et puis chaque heure utilisée à retarder l’ennemi était une heure de gagné en plus. Je pense que pour le capitaine, c’était là l’élément principal. Il voulait surtout que la dernière bataille prenne place sous le soleil. Et puis, sait-on jamais, nos renforts pouvaient toujours arriver. Non pas pour augmenter nos chances de victoires, mais plutôt pour accroitre le nombre de survivants en cas de déroute. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient des chevaux eux, ce qui faisait une différence importante en termes de gestion globale de fatigue et de transports des blessés.

Vint alors le moment de briller. Au loin, la liche avait du finir par se lasser de tous ces atermoiements, des volutes de magie se condensèrent autour d’elle et la nimbèrent d’un halo lumineux. Brandissant son bâton, elle le pointa vaguement vers la zone ou nos gars se dissimulaient. Les yeux braqués sur elle, ma vue magiquement augmentée, je n’en perdais pas une miette. J’étais trop loin pour avoir le son, faudra faire avec. Je notais chaque geste, chaque changement d’expression. Sans oublier, bien sûr, les informations que me fournissait ma vision surnaturelle, l’orientation que prenaient les volutes de magies, leurs évolutions dans le voisinage de la créature, leur convergence parfois.

Bâton brandi, la liche lançait son sort et en lieu et place d’un grand tremblement de terre qui aurait fait s’effondrer nos tranchées et autres barricades, il n’y eut… rien. La stupeur du chef ennemi se ressentit sur tout le champ de bataille. Tous les zombies se figèrent, s’interrompant net dans leur mouvement, certains terminant ainsi dans des poses improbables. Plusieurs tombèrent au sol où ils restèrent immobiles, ne pouvant conserver leur équilibre. Lentement, posément, la liche reprit à nouveau son incantation, entamant exactement le même sort. Pour un résultat au final, identique, un grand rien. Je la voyais comme si nous n’étions séparées que de trois à cinq mètres. Le tremblement dans son bâton trahissait un trouble indéniable.

Je n’étais pas une liche, mais nous étions mages toutes deux, j’imaginais tellement ce qui devait lui passer par la tête en ce moment. Il y avait les contes, les histoires et puis ici, les légendes sur les anciens étaient fortes. Le fait que la magie puisse ne pas répondre, c’était quelque chose que l’on savait possible, mais avec en même temps la certitude que cela ne nous arrivera jamais à nous tant c’était rare. Là, je pouvais presque sentir ses pensées jaillirent dans tous les sens, cherchant une cause, un pourquoi. Un duel de contre-sort classique ne prenait pas cette allure-là, les charmes de dissipation de la magie ne provoquaient pas ce dont elle venait d’être témoin. Dix battements de cœur passèrent, quinze, vingt.

Elle redressa finalement son bâton puis se lança dans une nouvelle incantation. Rien. Une autre. Toujours rien. Encore une. Encore rien, la voilà désormais qui passait en revue tout son répertoire, une incantation suivant l’autre à une cadence folle. Chaque fois, sous ses yeux, la magie commençait à répondre, à concevoir les effets voulus, puis elle s’effondrait et dans la seconde, il n’en restait plus rien. Cinq sorts. Dix. Quinze. Aucun résultat.

Pendant trente secondes après cela, le champ de bataille fut totalement immobile. Puis lentement, la créature abaissa son bâton et les zombies se relevèrent, de leur manière raide et saccadée si typique. Ils reformèrent les lignes, puis dans un silence fracassant, ils reprirent leur marche comme s’il ne s’était rien passé. La bataille put alors se poursuivre, sans magie.

Loin de là, à deux armées de distance, je pus finalement relâcher ma concentration et m’effondrer, vidée, la respiration difficile, des étoiles pleins les yeux peinant à trouver assez d’air pour me maintenir éveillée. Dieux que ce fut juste !

Tenant toujours la liche à l’œil au cas où elle recommencerait à incanter des sorts de manières aléatoires. Je repris peu à peu le contrôle de mon corps alors que nausées et maux de tête s’invitèrent à la fête. J’allais pourtant devoir être en pleine forme pour la dernière partie de ce duel avec la créature. La vigie avec moi sur la tour m’observait avec effarement, et je devinais aisément pourquoi. Je voyais rouge de l’œil droit et me palpant le visage, je confirmais ce que je savais déjà, que je saignais des yeux et du nez. Ah, mais pas encore des oreilles. Vraiment limite. Un sort de plus, peut-être, deux avec de la chance, mais le troisième m’aurait tuée. Je soufflais un bon coup, reprenant ma pause de méditation, le regard braqué au loin sur mon adversaire. J’enjoignais à l’homme à mes côtés que s’il tenait un tant soit peu à ses camarades en contrebas, il ne devait sous aucun prétexte me laisser m’endormir, même s’il devait me frapper encore et encore pour me maintenir éveillée. Si mon état semblait lui inspirer un rien de sympathie, incompréhension, horreur et révulsion la remplacèrent bien vite. Cela faisait bien long que je me sentisse si monstrueuse.

En même temps, intérieurement, j’exultais. J’avais réussi ! J’avais juste sur toute la ligne ! Ma magie s’était aussi avérée être à la hauteur, de justesse, mais elle avait fonctionné. Un plaisir magnifique que d’observer les sorts ennemis s’écrouler sur eux-mêmes.

Ah ! Regardez-moi ! Le crâne limite à exploser, à demi-morte, la cervelle sur le point de frire et me dégouliner par le nez. Néanmoins, je jubilais comme une gamine. La vue teintée de rouge, je peinais à garder un œil bien ouvert et pourtant je ne pensais qu’à ma réussite. Pathétique, comme si je n’avais pas mieux à faire. Lâchant un soupir, je me repassais ce duel à sens unique, étape par étape, analysant mes erreurs et les points améliorables. La victoire n’était toujours pas garantie, très loin de là.

Ce qu’il faut bien comprendre quitte à ce que je doive me répéter, c’est qu’il est bien plus simple de lancer un sortilège offensif que le contrer ou l’annuler. Il est nécessaire dans un premier temps de récolter le moindre détail sur ce que laisse paraître l’ennemi pour déterminer aussi précisément que possible et dans l’idéal, aller jusqu’à nommer le sort dont il est question. Les connaissances requises sont largement plus importantes. La vitesse de réaction et d’exécution est cruciale. Il est bien trop tard pour bloquer une boulle de feu une fois qu’elle a explosé. L’analyse de la magie ennemie doit avoir lieu en un temps record afin de conserver du temps pour lancer la riposte appropriée avant que votre adversaire, lui, n’ait terminé. Que se soit pour moi ou n’importe qui d’autre, cela reste vrai. Pour espérer prendre le pas en termes de contre-sort, il faut au minimum un degré de maîtrise dans l’art bien supérieur… ou tricher. Ma vision spéciale est un avantage écrasant. Je vois la magie agir dès lors que l’opposant assemble le premier élément de son schéma mental, avant toute incantation. J’ai donc un outil de détection avancé que les autres n’ont pas. Dans l’absolu, je devrais pouvoir lancer un contre-sort avant que l’ennemi n’ait commencé sa propre incantation. À condition de comprendre ce que j’observais.

L’analyse était une chose, mais puisque ce n’était pas un domaine générant des vocations, jusque là, les techniques de contre-sort n’étaient pas fameuses. Ne parlons même pas des outils de dissipation de la magie. La théorie, ça faisait des mois que je l’avais mise au point, mais développer les charmes correspondants, ce n’était pas une mince affaire. Surtout que je ne pouvais pas les tester par moi-même en situation réelle.

Il ne s’agissait pas d’engager l’adversaire dans un duel où l’on alterne attaque, défense et esquive alors que le monde est réduit à néant autour de vous sous les énergies destructrices. Il s’agissait de ne pas permettre à la magie ennemie de tout simplement prendre effet. Et donc, en cas de réussite, il ne se passait rien, il n’y avait rien à voir. Sauf que la charge mentale et la fatigue qu’elle induit, nécessaire au lancement d’un sort, elles, restaient bien réelles pour chaque partie prenante.

Pour deux adversaires qui s’affronteraient ainsi, la gestion de l’effort et de cette fatigue me semblait en conséquence, primordiale, puisqu’à moins que l’un des deux ne se rate, le seul élément pouvant départager les duellistes étant leur degré d’épuisement. Le contre-sort se doit donc d’être, au pire, d’une complexité égale à celle du charme à annuler, moindre dans l’idéal. Si ce n’était pas le cas, le mage sur la défensive se fatiguerait plus que celui en attaque. Totalement contre-productif, surtout pour un combat devant s’éterniser.

J’avais cette idée de technique de contre-sort depuis plus d’une dizaine d’années, mais c’est grâce à Yreen que j’ai pu la développer à partir des clés qu’elle m’a fournies. En tout cas, j’avais dû fortement réfléchir à mes sortilèges, leurs effets, tout en prenant en compte leur puissance, et ce, sans pour autant remplir tout mon répertoire de ces seuls sorts-là. Un vrai casse-tête.

Au final, j’avais opté pour deux grandes lignes directrices concernant mes outils magiques. La première, je l’appelais manipulatrice ou scalpel. Il s’agissait principalement d’interférer et d’altérer le sort ennemi pour le rendre ineffectif. Une intervention discrète et minimaliste, pouvant affecter des charmes un peu plus complexes dans une certaine mesure. Une efficacité qui se payait par l’obligation impérieuse de connaitre dans le détail le sortilège en question pour pouvoir opérer avec précision, juste là où il fallait. La deuxième ligne de réflexion était plus une histoire de force brute. Une magie tueuse de magie, ni plus ni moins, avalant les volutes de magie ennemie au fur et à mesure qu’elle se formait. On pourrait parler d’anti-magie dans une certaine mesure. Pourquoi personne ne l’a pas déjà fait auparavant ? Simple, enfin je pense, je n’ai pas cherché plus loin, essayez de cibler et quantifier l’invisible pour voir, c’est comme vouloir attraper l’air à pleine main. On peut le sentir, le manipuler d’une certaine façon, mais lui-même reste insaisissable.

Pour l’instant, j’en possédais deux de chaque type pour lesquels j’estimais avoir une bonne maîtrise de leur utilisation malgré mon manque de pratique. Un de chaque pour les sorts basiques et moyens. Je travaillais encore sur les détails pour les sorts plus complexes, du même niveau que mon super projectile magique. Si jamais je devais atteindre ce degré de compétence un jour, j’avais en tête deux autres paliers de difficulté au-dessus, histoire de pouvoir faire face à tous les charmes existants, du moins en théorie.

Ce qui donnerait un total d’une dizaine de sortilèges maximum. Un bel investissement, mais pas non plus au point d’en devenir handicapant comme peut l’être une spécialisation poussée dans une école de magie unique qui accaparerait tout mon répertoire. Un mélange entre précision demandant peu d’effort, et force brute, plus coûteuse quand les connaissances font défaut.

En plus de ces dix-là, je réfléchissais en parallèle à une troisième ligne directrice d’un tout autre genre, cette fois-ci, réellement dans une optique tueuse de magie. Je voulais pouvoir attaquer la capacité de l’adversaire à formuler un schéma mental, voire à détruire également la panoplie enchantée qu’il portait sur lui pour le pénaliser. Mais je n’avais pas effectué le moindre pas dans cette voie-là, il s’agissait juste d’une vague idée, sans aucune prémisse de théorie valable. Sa dangerosité m’effrayait aussi, je savais déjà ce qu’en dirait Yreen, que je touchais là à des forces et concepts qu’il était préférable d’ignorer.

Et ce fut donc ainsi que j’ai pu contrer la liche. Avant même qu’elle ne fasse le moindre geste, les volutes de magies autour d’elle apparaissaient, s’agitaient et changeaient de configuration, me fournissant des indices sur l’effet à venir, ainsi que sa puissance. Ce qui me permettait d’entrée de jeu de choisir une complexité de sorts adaptée. Mes connaissances dans la magie locale n’étaient pas encore au point, alors pour l’analyse plus en détails, ce fut un échec complet. Le seul sortilège que je pus bloquer avec mon scalpel fut une tentative de la liche pour lancer un projectile magique, un charme que je maîtrisais désormais depuis des années et que j’appris sur mon plan d’origine, grand classique s’il en faut. Preuve que celui-ci a dû atteindre le pinacle de la perfection depuis des millénaires si on le trouve à l’identique dans des mondes différents du multivers.

Toujours est-il que celui-là, je le connaissais par cœur si l’on peut dire, assez pour reconnaître son incantation et donc, utiliser mon petit scalpel pour modifier un paramètre dans son activation. De manière basique, projectile magique peut créer jusqu’à cinq boules lumineuses et le mage définit leur cible du regard. Je me suis contenté d’escamoter le nombre de projectiles que la liche choisit pour le remplacer par un zéro. Autrement dit, « attaque l’objectif avec rien du tout ». Pour éviter les cataclysmes possible résultat d’un détournement des lois naturelles par magie, les sortilèges étaient conçus avec quantités de sûretés. En particulier pour tout ce qui concernait les variables de dernière minute telle que la cible ou si l’on veut projeter une flèche de feu ou bien d’acide ou bien encore produire un objet de pierre ou d’acier ? C’était là que le scalpel pouvait se glisser afin de retourner les sécurités contre elle-même.

Malheureusement, je dus employer la force brute pour contrer tous les autres sorts de la liche. J’ai tout de même pu en identifier certains, mais je n’eus ni le temps ni les connaissances pour l’usage si minutieux du scalpel.

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