Acte de guerre
Cela faisait deux mois que je parcourais le royaume en compagnie de soldats.
Une fois qu’Yreen eut brisé mon lien avec Royal, le lendemain matin je préparais mon paquetage et me mis à la recherche d’un contrat d’escorte ou de combat. À la place, je trouvais le lieutenant de Tierfeuille de l’armée royale. Il recrutait pour combler quelques pertes qu’ils avaient subites lors d’escarmouches, voir embaucher des mercenaires.
Vous auriez raison de dire que je fuyais la situation, et oui, j’en avais conscience, mais qu’importe. Il fallait que je bouge ou penser allait me rendre folle. Me voilà donc temporairement, un soldat.
J’avais rejoint les troupes de soutiens comme mage de guerre et il y avait foule sous les tentes de notre campement provisoire. Nous étions au nombre astronomique de… deux ! Et encore, l’autre me donnait plus l’air d’un apprenti mis à la porte par son maître qu’un magicien digne de ce nom. Voilà vraisemblablement pourquoi Tierfeuille s’était montré plus que soulagé quand j’avais signé son contrat.
Mon chef direct était le commandant de cette petite armée de deux mille hommes et était capitaine. Régulièrement, j’étais conviée à assister à un comité d’état-major sauf que le terme était un peu trop ronflant vu que la tente de commandement semblait bien vide, même avec l’état-major au complet. De fait, nous devions gérer huit compagnies, avec l’encadrement normalement à peine nécessaire pour une seul.
J’avais pu constater que le formalisme et le manuel pour bons soldats n’avaient plus cours aujourd’hui dans cette partie de l’armée royale. Le royaume manquait par trop d’officiers et de personnes compétentes pour mener les troupes. C’est ainsi qu’un capitaine de compagnie et son lieutenant se retrouvaient à se partager le commandement d’une petite armée. À quoi l’on pouvait ajouter une poignée de sergents, anciens chefs de patrouilles ou autres chevaliers imberbes pour relayer les ordres aux hommes du rang.
Ce mélange de hiérarchie nobiliaire et militaire dans la même organisation m’étonnait aussi. Ça devait être joyeux quand les nobles tentaient de tout diriger en arguant de leurs droits de naissance. Enfin bon, j’avais cru comprendre que les individus de cet acabit étaient déjà, soit morts, soit planqués dans leur lit depuis bien longtemps. On faisait donc avec les moyens du bord.
Techniquement, la troupe était composée de huit compagnies de deux cent cinquante hommes formant deux bataillons d’un millier chacun, réunie dans la seconde armée royale d’extermination mobile. Notre tâche était de patrouiller à l’intérieur de Varanis pour donner la chasse et détruire les morts-vivants épars qui pouvaient devenir une menace lorsqu’ils se regroupaient. Ce qui était exactement la scène à laquelle j’avais assisté à peine arrivée en ce monde. même si la force alliée ne devait pas être une armée d’extermination. Rapport à l’armement. Le notre est spécialisée.
Typiquement, la force se dispersait parfois jusqu'au niveau d'une simple escouade pour ratisser dans les grandes largeurs le domaine royal et selon l’adversité auxquelles elles devaient faire face, elles fusionnaient avec leur voisine pour mener bataille.
Mais comment l’ennemi pouvait-il avoir autant de troupes si loin en terrain hostile ? Une question que je me posais depuis des mois et à laquelle désormais je pouvais répondre. C’est qu’il n’existait plus réellement de territoire dit ami. Le grand chef des morts-vivants avait créé un sortilège qui alimentait sa zone d’effet en énergie négative. En soi, c’était assez basique, sauf que son aire d’action était à l’échelle du continent en entier et l’incidence était permanente (pour autant que je sache). C’était à ce point démentiel qu’on frôlait le niveau divin.
Pour avoir une telle portée, l’émission d’énergie négative était ridiculement faible, ce qui faisait que toutes les terres riches en vie animale ou végétale n’en subissaient pas les conséquences ou du moins, elles ne se feraient pas sentir avant des siècles. Le problème, c’était l’effet d’accumulation, ainsi que les secteurs plus "arides" du territoire.
Et oui, les mages du continent essayaient de comprendre ce sortilège depuis le début de la guerre, mais en vain, et donc n’arrivaient pas à le contrer de manière globale. Localement, pour un temps, on pouvait annuler son importance, mais rien de définitif.
Considérant que cette magie était active depuis des dizaines d'années, désormais, des régions entieres avaient passé le seuil d'équilibre pour entrer dans la zone négative du spectre énergétique. Et voilà qui étendait sans cesse plus loin l’influence de l’armée zombie. Je l’avais déjà mentionné, mais « comme la vie crée la vie, la mort renforce la mort. »
Pourquoi était-ce un problème, me demanderez-vous ? Parce que, dans tout le territoire affecté par cette pandémie, tout ce qui y mourrait allait se gorger d’énergie négative à son tour, pour finalement émerger à la non-vie d’abord dans ses formes les plus basiques, zombies, ou squelettes. Alors que le niveau d’énergie négative ira crescendo, d’autres aspects de morts-vivants plus puissants ou spécialisés feront leur apparition. Et c’était la situation actuelle. Des poches désolées avaient vu le jour ici et là, croissant de manière lente, mais inexorable.
Alors évidemment, quelques zombies esseulés n’étaient guère une menace par eux même. Il semblait toutefois qu'ils soient amenés à se regrouper en bandes toujours plus importantes pour piller et détruire ce qu’ils pouvaient alentour jusqu’à finir par former de véritables petites armées à l’intérieur du royaume.
C’était ce genre de ravage que j’avais constaté dans les grandes plaines entre le Roc et La Guilde, et d’ailleurs, à l’époque je m’interrogeais sur cette espèce de brume perpétuelle qui me paraissait peu naturelle. Cette brume était en fait la manifestation concrète de l’accumulation d’énergie négative dans la zone, suffisante pour devenir néfaste quand elle était visible.
La crémation des corps s'était muée, avec la guerre, en une norme pour le royaume, brouillard ou non. Du reste, nous avions aussi ordre de brûler tout ce qui pouvait aider à renforcer l’ennemi.
À l’approche de La Guilde, les huit compagnies avaient donc fusionné pour ravitailler, faire le point et coordonner la prochaine marche qui se terminerait dans l’ouest, aux frontières avec le duché de Chantillon.
Au passage, ce duché ne faisait plus réellement partie du royaume. Quand la menace des morts-vivants était devenue plus que pressante, l’ancien duc avait rallié ses troupes, s’était nommé empereur, avait dédié son territoire au dieu de la « Force » et de la « Tyrannie » et avait fermé son domaine de manière hermétique.
Peu d’informations parvenaient à traverser la frontière sinon que la population du duché s’était divisée en deux groupes. Ceux qui estimaient la fin inéluctable et qui cherchaient dorénavant à s’attirer les faveurs divines pour s’assurer une après-vie digne d’eux, et ceux qui servaient, parfois littéralement, de sacrifice à l’ascension des premiers.
Amputée d’une partie de ses troupes et attaquée par le sud, la monarchie avait dû s’incliner et accepter la perte de ces terres. Toutefois, le roi n’avait jamais reconnu l’indépendance de cette province, conservant donc son ancien nom de duché de Chantillon sur les cartes, même si dans les faits, c’est désormais un territoire ennemi.
Territoire ennemi d’ailleurs qui depuis la création de « l’empire » s’était muni d’un rempart conséquent.
Rien qui ne puisse repousser une armée décidée à passer, mais suffisant pour tenir en échec zombies et autres petits monstres. Une des politiques du duc était de capturer les créatures nées de la brume sur son domaine pour les relâcher ensuite le long de ce mur d’enceinte à destination du royaume. Une saine barrière protectrice selon ses mots, mais qui contraignait la monarchie à déployer des troupes pour nettoyer inlassablement la région, sous peine de laisser croître de véritables armées en son sein.
Je l’ai déjà dit, mais en soi, même une force de centaines de milliers de zombies n’était pas une menace si dangereuse que cela par elle-même. Le péril résidait dans le fait qu’une telle concentration d’énergie négative ne vienne à générer des créatures plus redoutables, ou pire, des morts-vivants ayant des facultés de commandements. Là pour le coup ce serait une catastrophe. De plus, le grand chef des zombies était tout aussi capable d’envoyer via une téléportation magique un de ses larbins pour chapeauter une légion née de la brume. Il fallait alors s’attendre vraisemblablement à ce que tombe une ville ou deux dans le secteur.
Deux mois que je voyageais avec ces hommes donc. J’étais assigné à la première compagnie, celle de commandement. Elle était dirigée par le capitaine lui-même et comme nous n’avions pas eu de réels combats nécessitant mon intervention, je tenais plus ou moins le rôle d’un officier d’intendance, l’aidant à gérer la logistique de l’ensemble de l’armée. De temps à autre, lorsqu'il était débordé, il venait aussi me trouver pour coordonner les actions et mouvements des huit compagnies.
Comment avais-je fini par gribouiller du papier jusqu’à en avoir mal aux yeux ? Je savais lire et écrire, plus ou moins. Juste pour ça. Comment se débrouillaient-ils avant moi ? Ben, ils ne se débrouillaient pas, pas aussi bien. Cela provoquait des pénuries diverses et laissait libre cours aux trafics en tout genre, corruptions et passe-droits. Non pas que l’état-major actuel faisait mal son travail avant mon arrivée. Il n'avait pas le temps de tout faire. La logistique à elle seule occupait toute mes soirées ainsi qu'une partie de la nuit. Notez qu’il y aura toujours de la contrebande dans les armées, mais l’échelle n’était pas du tout la même quand personne ne tenait réellement compte de ce qui était utilisé à bon escient ou chapardé, sans parler de superviser les stocks au jugé.
Comme nous nous déplacions en petites unités espacées, nous étions relativement rapides pour une armée. Quotidiennement, nous éliminions tout ce que l’on pouvait rencontrer d’hostile, monstres en tout genre, bandits, morts-vivants épars. Pour les malfrats, il s’agissait moins de les pendre avant de brûler les corps plutôt que leur passer les fers pour les enrôler de force dans les légions pénales, chargées de tenir les postes de garde le long de la frontière sud. Là où ils ne pourraient fuir que vers l’ennemi et où le danger était le plus élevé.
Au départ de La Guilde, nous avions accompagné plusieurs convois de réappropriation du territoire qui se dirigeaient vers le Nord-est et les terres sauvages. J’en profitais d’ailleurs pour raconter à leur commandant respectif les déboires de l’expédition de l’emplumé avec les barbares, histoire qu’ils ne commettent pas les mêmes erreurs. Puis les limites du royaume atteintes, nous avons bifurqué au nord-ouest, approchant la frontière du conglomérat des cités libres gnomes.
Si vous comprenez ce que cela signifie comme titre, moi pas vraiment. J’ai vaguement appréhendé qu’il s’agissait d’une union de cités-États, mais bon, à mes yeux, le système me semblait ridicule. Voyez par vous-même. Chaque ville désignait un représentant qui ne devait être ni noble, ni marchand, ni militaire, et c’était l’assemblée de ces gens réunis autour d’une table qui présidaient ensuite la coalition. Les cités elles-mêmes étaient gouvernées par le survivant d’une lutte à mort entre les différentes factions nobles, de marchands ou militaires pouvant briguer le pouvoir.
Dit comme ça, ça me semblait plus qu’absurde d’avoir une battle royale politique pour choisir le chef d’une localité, mais de prendre un parfait inconnu au hasard dans la rue pour diriger la nation. Surtout que les cités pouvaient refuser les décisions de la coalition… Enfin, si ça fonctionnait pour eux.
Toujours est-il qu’il n’y avait aucune nouvelle en provenance des gnomes. Deux expéditions parties récemment voir ce qu’il en était n’étaient toujours pas revenues non plus. Personnes pour tenir les gardes-frontière. Les villes étaient visiblement intactes, mais ne dégageaient plus de fumée. Ce qui n’était pas bon signe. Toutefois, les champs et le bétail semblaient régulièrement exploités, ce qui laissait tout le monde un peu perplexe. Si les expéditions ne rentraient pas avec des détails, cela risquait de rester une énigme bien étrange pendant encore un bon moment.
Abandonnant la nation gnome dans notre dos, nous longeâmes ensuite la frontière du duché de Chantillon. Pour éviter les ennuis, la compagnie la plus proche des terres ennemies devait rester résolument hors de vue des garnisons ducales le long du mur d’enceinte. Il n’était pas rare que les soldats du duc viennent provoquer des troubles juste par pur plaisir. Comme un soudain lâcher de zombies, au beau milieu de la nuit, par la porte à proximité d’un de nos camps, ou pire, certaines patrouilles ayant fait état d’attaques éclairs totalement gratuites ayant causé des pertes.
Les éclaireurs nous avaient rapporté un groupe conséquent de morts-vivants par-devant nous et le capitaine avait ordonné la fusion du premier bataillon pour l’engager le lendemain. Le problème c’était que nous risquions fortement de manquer de vivre si nous devions par trop nous attarder dans la région. C’est que nous ne dépendions pas d’une ligne d’approvisionnement constante sous forme de convois de chariots pleins de ravitaillement faisant la navette entre nous et les villes du royaume.
Pour plus de mobilité, chaque bataillon transportait son stock de vivres propre. Et ces stocks n’étaient pas prévus pour tenir l’ensemble de l’expédition. Nous étions supposés vivre sur le territoire et nous fournir localement sous forme de gibier ou acheter un sac de grains et trois légumes ici et là auprès des villages sur notre route. Sauf que dans les secteurs dominés par la brume, ce ravitaillement était désormais proche de zéro, et le nombre de hameaux ou fermes encore peuplés et intacts diminuaient régulièrement.
Notre parcours initial anticipait que nous alternions les passages dans le brouillard et des zones plus hospitalières, mais le compte n’y était toujours pas alors que nous approchions de la boucle finale de notre patrouille.Si nous devions trop nous attarder dans la région, nous allions devoir détourner l’armée de son itinéraire escompté pour gagner une place forte frontalière avec le duché. Alors certes, il y aurait de quoi nous renflouer côté vivres. Mais le capitaine préférait éviter. Car ce que nous devrions réquisitionner, la monarchie devrait le compenser et donc mobiliser hommes, matériel et ressources dont il manquait déjà cruellement, et puis cela nous éloignerait du plan prévu, et en conséquence augmenterait nos besoins logistiques d’autant. Simplifié, le problème se posait ainsi, manger et accroître les difficultés du royaume, ou ne pas se nourrir et continuer le ventre vide.
Dans tous les cas, nous allions combattre. Toute cette cogitation concernait le surlendemain et le reste du voyage, si par la suite nous devions rencontrer une autre armée zombie conséquente, nous forçant à ralentir de nouveau pour nous rassembler afin de l’engager. C’est que coordonner tout ce monde-là prenait du temps. Nous devions envoyer des éclaireurs, trouver les ennemis, définir l’emplacement du champ de bataille puis de là, le point de fusion de nos forces. Diffuser les bonnes informations à chaque groupe et finalement une fois sur place, encore fallait-il construire des défenses sommaires pour le camp de ralliement. Juste au cas où les choses ne se dérouleraient pas comme prévu.
Bref, nous allions perdre quelques journées pour affronter l’adversaire, et si cela devait se répéter un peu trop, nous allions vraisemblablement devoir achever le voyage le ventre creux. Des ennuis à n’en plus plus finir donc.
Pendant les années où j’incarnais la déesse, ce qui me fait penser qu’il faudra bien que je vous parle de ça à un moment, j’ai passé quelques mois à apprendre la théorie militaire afin de pouvoir commander une bataille au besoin. Non pas pour pouvoir diriger réellement par moi-même, mais assez pour comprendre les tenants et aboutissants d’un conseil de guerre, les formations, les mouvements de troupes, les besoins d’une armée et l’importance de la logistique. Beaucoup de notions que l’on m’a forcé à ingurgiter. Bien largement assez à l'époque pour valider les plans des généraux ou non et pour pouvoir aujourd’hui regarder les soldats dans les yeux et leur donner des ordres avec la certitude que je sais ce que je fais et pourquoi je le fais.
Mais aucune théorie au monde n’aurait pu me préparer au travail que je dus fournir auprès du capitaine. Ça revenait à incarner dans le même geste l’intégralité de la chaîne de commandement à moi seule. Et ce, autant pour la partie tactique, stratégique que logistique. Épuisant. Majoritairement, il s’agissait surtout d’improviser encore et encore pour résoudre les milliers de problèmes qui se posaient à nous, à faire selon les moyens du bord. Disons simplement que j’ai découvert de nouveaux pans de la stupidité humaine pour se créer des ennuis et les procédés pour les solutionner. À chaque fois que je réalisais ce que le capitaine et ses semblables avaient dû endurer pour gérer un tel cauchemar ambulant depuis si longtemps, je ne pouvais que leur tirer mon chapeau. Mon travail soulageait leur charge d’autant, je peux vous dire qu’ils appréciaient et moi tout autant d’être enfin un peu utile à quelque chose de manière directe.
***
Tout était plat d’un horizon à l’autre. De-ci de-là, de petits amas d’arbres mêlés de buissons ajoutaient une touche de vert au vert des plaines herbeuses. Un vert commençant à tirer vers le jaune toutefois. Preuve que la brume continuait d’affaiblir la vitalité de la nature ambiante et gagnait jour après jour du terrain. Le seul relief à perte de vue était la modeste butte sur laquelle je me tenais et celle-ci n’avait rien de naturel.
Bien avant l’aube, notre bataillon d’un millier d’hommes s’était mis en marche pour approcher de l’armée zombie. À l’endroit prévu, nous fîmes halte et les soldats commencèrent à piéger le champ de bataille et creuser une tranchée après avoir établi un camp temporaire. Une douzaine de cavaliers poursuivirent vers l’ennemi pour rejoindre nos éclaireurs. Leur rôle serait de confirmer l’absence de commandant adverse, puis d’attirer leurs forces sur nous.
Tous les hommes avaient le même genre d’équipement. À commencer par un casque rond, simple et conique, s’arrêtant juste au-dessus des yeux. Un léger renfort, devant comme derrière, permettait l’ajout d'un protège-nuque, d'un nasal ou d'une visière. La plupart avaient renforcé la jugulaire par des pièces en cuir de manière à ne laisser paraître que leurs yeux. Il était évident que ces ajouts n’étaient pas ceux d’artisans, mais bien le travail des hommes eux-mêmes.
Comme armure, Il s’agissait d’un gambison, resserré à la taille par le ceinturon d’arme puis tombant telle une jupe fendue jusqu'à mi-jambe. Une cuirasse de cuir améliorait la protection générale. La plupart avaient renforcé l'ensemble au niveau des coudes et genoux avec des pièces métalliques pour une plus grande défense. Et puis, il y avait les bottes, montant haut et spécialement conçues pour résister aux attaques des morceaux épars des zombies jonchant le sol. La touche finale était un tabard d’un bleu et or délavé et usé aux armoiries du royaume, la licorne et le calice.
Tous avaient une arme de contact, parfois deux. Pour la plupart, il s’agissait d’une masse à ailettes, de glaives ou autres épées à courte lame. Un étui dans leur dos permettait d’y disposer une poignée de javelines, non pas à l’usage du soldat lui-même, mais principalement pour celui qui serait placé derrière lui. Ensuite, l’équipement se répartissait selon le rôle que l'homme devrait jouer dans la bataille. Ici, nous en avions quatre. Les tirailleurs et leurs armes de jet. Les porteurs de lourd boucliers. Les manieurs d’armes d’hast, majoritairement des hallebardes, lances et guisarmes. Et finalement, les fantassins, possédant souvent une masse et une épée, auxquelles ils ajoutaient une rondache de bois. Nous étions une unité légère, spécialisée, rapide et engageant un coût aussi réduit que possible, comme cet équipement le rend évident. Loin de nous les immenses formations de troupes en armures lourdes ou les charges de cuirassiers.
Le temps que l’ennemi apparaisse à l’horizon, nous avions construit deux tranchées sur quelque trois cents mètres de large. Un vrai plaisir que d’observer en action ce formidable outil tactique qu’est l’huile de coude et la pelle de soldat. Oh ! N’imaginez pas un énorme fossé d’une hauteur d’homme. Pour commencer, elle faisait moins d’un mètre de profondeur pour un peu plus en largeur. La plus grande part de la terre extraite avait servi pour constituer la petite butte ou je me tenais actuellement. Celle-ci culminait à l'altitude grandiose d’un bon mètre, mais additionné à la hauteur de mon cheval, cela suffisait largement pour avoir une excellente vue du terrain alentour. Vingt mètres derrière la première tranchée se positionnait la seconde. Celle-ci était divisée en trois segments formant un U écrasé. La section principale faisait dans les deux cents mètres et était parallèle à la première sape. La seule différence était que la terre extraite avait servi à créer un remblai sur le côté défensif de l’ouvrage, histoire d’y gagner en termes de dimension. Terrassement se poursuivant ensuite jusqu’à la constitution de notre butte de commandement un rien en retrait.
Les deux segments restants pointaient vers l’avant sur un peu moins de cinquante mètres de manière à rejoindre l’extrémité de la première tranchée. On pourrait dire que l’ensemble ressemblait à une assiette avec un couvercle.
La composition du bataillon avait été remaniée pour la bataille. Les compagnies trois et quatre étaient réduites à cent cinquante hommes et faisaient office de tirailleurs, pendant que les compagnies renforcées une et deux affronteraient l’ennemi au contact.
Le plan était d’attirer les zombies vers les tranchées. Étant donné leur nature, même un trou peut suffire à les faire trébucher et tomber, jamais ils ne sauteront un obstacle ou feront un détour pour l’éviter. Ils se contenteront de charger en ligne droite à une vitesse de tortue. Le plan était de profiter de la première sape pour briser leur progression, occasionner le plus de dégâts possible avant de se retirer sur la seconde pour la mise à mort.
Une zone de retraite de quelques mètres était prévue entre les sections de la seconde tranchée pour permettre le repositionnement des hommes.
Au moment opportun, nous devions faire se replier les soldats au contact par ces chemins latéraux afin de prendre place de nouveau en situation dominante derrière le second fossé. Pendant ce temps-là, les unités de tirailleurs se placeraient sur les extensions de la deuxième tranchée, sur les flancs de manière à pouvoir mitrailler la troupe adverse et éviter qu’elle ne déborde la force principale. Les segments inclinés de la seconde sape leur permettraient de gérer les quelques ennemis qui pourraient décider de s’en prendre à elles.
Essayez d’imaginer un zombie chutant dans le fossé puis s’efforçant de l’escalader pour s’en extirper, alors que d’autres monstres lui tombent dessus. Et nos p’tits gars à nous, juste-là, arme prête, pour accueillir tout ce qui bougerait. Et ce, deux fois d’affilée. Nous espérions ainsi grandement dégrossir leur nombre. Au pire, si les tranchées ne suffisaient pas, il resterait toujours à tenir un bon vieux et solide mur de boucliers jusqu’à la victoire. Mais autant se faciliter la vie autant que possible en abusant de la stupidité des monstres.
J’étais donc en selle, sur ma butte, à côté du capitaine. Nous observions au loin l’approche de nos éclaireurs à cheval qui tentaient de disperser la force ennemie pour l’emmener tout droit dans notre piège. Lentement, mais sûrement, ils canalisaient les zombies vers nous, évitant qu’ils ne forment une masse compacte. L’idéal serait qu’ils arrivent droit sur nous sous la forme d’une très longue colonne éclatée et à la largeur la plus réduite possible. Cela éliminerait l’avantage du nombre pendant un bon moment et nous faciliterait la vie. Le tout, en maximisant l’efficience de nos tirailleurs, du moins, tant qu’ils auraient des projectiles.
Bien que, de ce point de vue là, je ne me faisait pas trop de soucis, puisque la majorité d’entre eux n’avaient qu’une simple fronde comme arme et que ce n’était pas les galets qui manquaient. D’autres s’étaient fabriqué des arcs de fortune qui s’avéraient certes utile pour chasser le gibier, mais qui étaient souvent une arme moins avantageuse contre les morts-vivants qu’un caillou. L’armée possédait bien quelques arbalètes, mais les carreaux étant difficilement remplaçables, nous les avions laissées sur les chariots, et ces armes ne devaient servir qu’en cas de réelles menaces sérieuses. Un groupe de zombies, même important, c’était juste la routine.
Pourquoi je place l’arbalète au dessus des autres armes de jets ? Fondamentalement, il n’y a pas de plus ou moins bonnes armes. C’est la situation ainsi que l’adversité qui font qu’une arme est plus adaptée qu’une autre. Contre les morts vivants, toutefois, l‘arbalète est réellement efficace, principalement à cause de sa force de pénétration et son pouvoir stoppant. La première permettant souvent au projectile de traverser de nombreux ennemis selon leur solidité. Le second permettant de véritablement secouer, voir mettre à terre, la plupart des plus solides créatures mortes-vivantes qui majoritairement, ne sentent ni ne frémissent lorsqu’elles sont frappées par des projectiles. Une liche ennemie qui commettrait l’erreur de se mettre à portée d’arbalétriers sans une escorte finira ainsi épinglée au sol, tellement criblée d’impacts en un cours laps de temps, qu’elle ne pourra pas formuler le moindre schéma mental pour se défendre magiquement et se fera tuer bêtement.
Si vous avez déjà vu une de ses exécutions spectaculaire ou trois cents archers vont tirer sur un pauvre gars pour l’exécuter. c’est la même idée. vous avez au final un champ de projectiles en terre ou contre un mur, et une fois le corps devenu un hérisson malgré lui retiré, vous verrez sa trace perdurer par le vide qu’il laisse. Comme une empreinte en pochoir.
On pourrait parler de gaspillage de munition, mais lorsqu’il s’agit de créatures de haut rang comme les liches, ça vaut largement le coup, surtout que des armes avec moins de pénétrations n’occasionneront vraisemblablement aucuns dégâts. La peau des liches est après tout plus solide qu’une armure d’acier.
Le plus efficace pour nous restait les javelines, enfin, je dis javelines, mais il s’agissait de fins bâtons pointus pour faire simple. Équipement que nous pouvions facilement reconstituer sans soutien de la part du royaume tout en continuant la patrouille, au gré de nos besoins, comme pour les cailloux. Certes, une fronde est plus mortelle lorsqu'elle tire des billes métalliques, mais bon. Assistance minimale et débrouillardise se devaient d’être nos crédos.
L’idée, c’est que, contrairement à un adversaire humain, un zombie est plus solide tout autant que plus fragile.
Plus solide parce qu’un zombie continuera de se battre tant qu’il en aura l’énergie. Plus fragile, parce que la moindre blessure favorise l’écoulement de cette énergie hors de son corps, et à terme, sa destruction.
Évidemment, les monstres possèdent aussi une certaine capacité de récupération, et en dehors de la bataille, leur nombre va permettre à l’énergie négative perdue de se régénérer. Mais l’important, c’est que même un caillou va créer une lésion de laquelle fuitera un peu de cette énergie négative. Le processus est lent et une pierre ne le tuera pas dans l’instant, mais en tablant sur le long terme, c’est bien assez pour l'affaiblir.
Le zombie étant de base relativement peu véloce, le simple galet est donc une bonne arme pour amoindrir une troupe ennemie et surtout, il ne coûte rien. Bonus, une pierre bien placée peut suffire à faire trébucher le zombie et en conséquence s’écrouler le reste de la horde derrière lui, donnant encore plus de temps pour le cribler de cailloux. Puis l’ennemi continuant d’approcher, les javelines, permettant des blessures bien plus importantes, s'ajouteront aux précédentes.
Ah, et ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Une fronde est une arme réellement dangereuse qui a en plus, le bonus de ne rien coûter autant à la fabrication qu’à l’utilisation. Un gars sans armure qui se prendrait un caillou tiré d’une fronde dans le crâne. S’il ne reçoit pas de soin magique, il a de grande chance de mourir, ou d’avoir des séquelles graves. Sans parler des fractures possibles si cela touche une autre partie du corps. Mais bon, un zombie s’en moque un peu de ce genre de blessure là qui incapaciterait un humain. D’un autre côté, ce n’est pas quelques fractures qui tueront un homme sur le champ de bataille, quand quelques cailloux peuvent détruire un zombie sur la durée.
Je ne suis sans doute pas claire. En fait, l’important, c’est l’état initial du réceptacle qui deviendra un mort-vivant. Prenons, un zombie manchot. Le fait qu’il soit manchot n’indique pas qu’il est blessé, c’est son état initial, celui de sa transformation en mort-vivant. Qu’il possède peu de chairs sur le corps, ou soit tout gonflé et dégoulinant comme pour un noyé ne change rien, c’est l’état initial à la création qui compte. Toutes blessures infligées à ce réceptacle par la suite vont permettre la fuite de l’énergie qu’il contient. Ce n’est pas spécifique aux zombies au passage, mais valable pour quasi tous les morts-vivants.
Tous, peuvent récupérer d’une blessure, notre manchot par exemple, s’il perd son second bras, va dans un premier temps, colmater cette blessure, puis ultérieurement, le reconstituer, jusqu’à retrouver son aspect initial. Cela lui coûte de l’énergie d’où, globalement, l’intérêt du caillou et de la fronde.
Notre zombie manchot désormais sans bras, tout seul dans la nature, pourrait mettre des années à guérir, dans la mesure où il possède peu d’énergie négative par lui-même, et n’en produit que peu. Guérison qui serait bien plus rapide s’il faisait partie d’une grosse armée puisqu’il profiterait d'une synergie due à leur nombre. C’est probablement la raison pour laquelle les morts-vivants semblent chercher à se concentrer en bandes toujours plus importantes étant donné que, ce qui compte surtout, c’est la masse d’énergie négative du groupe dans son ensemble. Théorie personnelle.