Ce qui me fit émerger, ce fut l’entrée dans notre tente de grands gaillards, des sourires pleins le visage, qui nous escortèrent jusqu’à l’arène. Inutile de demander ce que serait l’enjeu des prochains combats. Voilà qui répondait à mes questions de la veille.
Peut-être fallait-il voir une bonne chose dans le fait que nous passions avant les chevaux. C’est qu’ils portaient tous pas mal de métal en plus. Denrée rare dans la tribu.
Les grands gaillards ne devaient pas juger les travaux de la mine digne d’eux. Je n’étais même pas sure que cette tribu compta dans ses rangs un seul forgeron ou d’un quelconque métier en rapport avec le fer et l’acier. Si c’était le cas, je n’avais pas entendu le chant du métal si particulier de cette activité ni vu quoi que ce soit dans ce domaine via l’oiseau.
Elindis sembla contente de me voir, et nous échangeâmes quelques banalités à mi-voix. Qu’allais-je bien pouvoir faire ? Les barbares ne devaient pas s’attendre à ce qu’une femme lutte par elle-même. Ils allaient donc demander des champions. L’un de nos gars essaierait vraisemblablement de me défendre et d’ailleurs, Lame avait sauvé son épée le premier jour apparemment, mais étais-je prête à leur laisser mon destin ? Je devais aussi pouvoir lancer quelques sorts, mais serait-ce en ma faveur ou pas ? Valait-il mieux subir et garder cet atout en poche pour plus tard, une fois en meilleure forme ? J’en savais trop peu sur ses gens pour établir des certitudes et Elindis se posait les mêmes questions.
Mes pensées tournaient en boucle, ça ne rimait à rien. Comment disaient les gars de chez moi déjà ? Si tu n’aimes pas les choix que l’on te propose, provoque le destin et forge-toi même un nouveau chemin ? Quelque chose dans ce goût-là. Au moins, là, si le résultat ne me plaisait pas, je saurais qui insulter. Ma résolution prise, j’attendis que les guerriers nous aient suffisamment reluquées et qu’ils s’apprêtaient à lancer les combats.
Au moment où l’un des grands gaillards allait désigner une des femmes, je me levais alors et m’avançais vers l’arène.
— Je suis lasse d’attendre ! Si l’un de vous s’estime assez fort pour me faire plier ! Qu’il se montre et me le prouve !
Le silence se fit total, puis je vis que ceux qui comprenaient la langue du royaume traduisaient pour leurs voisins. Il y eut quelques rires bon enfant.
Un des chefs s’exprima, mais avec un accent si épais que j’eus même peine à en appréhender le sens général. A priori, il me parlait de mon champion.
Je toisais alors le groupe de soldats, puis détournais les yeux en reniflant, méprisante. De grands éclats de rire retentirent pour le coup parmi les guerriers et plusieurs s'avancèrent avant de se défier les uns les autres du regard, jusqu’à ce que finalement il n’en reste qu’un. Les autres reprenant leur place. J’approchais jusqu’au centre de l’arène, laissant tomber mon manteau derrière moi.
Avais-je une chance ? Sans doute pas plus que nos gars. Ma maîtrise du combat était potentiellement bien moindre que nos soldats, surtout pour ceux habitués aux empoignades des tavernes. J’étais en outre plus teigneuse qu’eux, mais ça n’allait pas m’emmener loin, surtout que le gaillard qui me faisait face faisait vraisemblablement le triple de mon poids. J’avais toutefois un avantage majeur sur eux, c’est que j’allais être sous-estimée comme jamais auparavant. Serait-ce suffisant, là était la question n’est-ce pas ?
Mon adversaire avança alors, tout sourire. Il me donnait l’impression de faire bien deux fois ma hauteur et au moins trois fois ma largeur.
S’il me posait la main sur le front, je n’aurais vraisemblablement même pas la portée nécessaire pour le frapper.
Il me jaugea quelques instants l’air un peu plus sérieux, puis grimaça un sourire. Lui aussi devait songer à comment gérer la situation tout en gagnant un maximum de prestige. Autrement dit, il n’allait probablement pas m’assommer d’une taloche ou deux avant de m’embarquer inconsciente sur son épaule, bon pour moi ça…
Dieux, faites qu’il ne soit pas un de ces idiots qui frappe d'abord avant de réfléchir ! Mais qu’il ne cogite pas trop non plus, parce que ça pourrait le forcer à se montrer prudent et là, mes maigres chances de l’emporter s'évanouiraient en fumée. Compliquée moi ? C’est juste une impression, allons !
Gamine, j’avais un rêve, c’était qu’un homme, comprenez mon papa, me pose sur son épaule et se promène dans le village ainsi, discutant avec les gens. Fière comme un paon, perchée tout là-haut, je m’imaginais le visage disparaissant derrière un gigantesque sourire.
Ça n’était qu’un vieux fantasme de jeunesse, mais qui ressurgit comme extirpé du néant en voyant mon adversaire et sa carrure. J’avais quand même comme un doute sur le plaisir que je pourrais prendre aujourd’hui à être portée de cette façon. J’eus aussi la certitude que jamais ce songe ne reviendrait me hanter dans le futur. Cette image de moi-même sur l’épaule de ce grand gaillard venait de briser ce rêve à jamais. Devrais-je dire merci ? Vous m’en voyez partagée.
Il leva un bras, saluant la foule et je restais sagement dans mon coin, tentant de m'étirer au maximum en hauteur, le dos bien droit. J'avais bien dû gagner un demi-centimètre en étant généreuse, je suis sûre qu’il allait s’en montrer impressionné. C’était peut-être une erreur, mais je préférai patienter encore un peu avant d’intervenir. Quelque chose me disait qu’il devait escompter un coup bas, que j’agisse tandis qu’il me tournait le dos, comme maintenant, alors qu’il s'inclinait devant le groupe des chefs tout en déclamant son pedigree. Puis il me fit face à nouveau.
Et le combat débuta… Enfin, si l’on peut appeler ça un combat.
L’air de rien, il s’avança jusqu’à m’avoir à portée de ses grands bras puis vint poser ses deux énormes paluches sur mes épaules. Pas ce à quoi je m’attendais, mais ce choix là faisait parti de mon podium sur ce qu’il allait tenter. Il ne lui restait plus qu’à forcer pour me faire plier et me retrouver à genoux devant lui. Quoi de plus significatif et symbolique comme scène n’est-ce pas ?
Alors qu’il me décochait un grand sourire, juste avant qu’il ne commence à pousser sur mes épaules, ma jambe partit. Sa poigne se relâcha, ses joues se gonflèrent légèrement, son souffle, coincé dans sa poitrine, peinait à en sortir. Ses yeux s’écarquillèrent dans un premier temps puis ses paupières se fermèrent à moitié tandis qu’un gémissement crispé finit par jaillir de sa bouche. Réaction qu’il tenta vainement de ravaler aussi sec en serrant les dents.
Dieux, il encaissait bien ! Sans réfléchir, je doublais la frappe alors que le silence régnait sur l’arène. Comme si je venais de briser la fête. On m’a longtemps dit de taper là ou ça fait mal, ne m’en voulez pas d’être bonne élève. Le second coup l’acheva, il semblait prêt à s'évanouir.
Sans attendre, je sautais pour lui attraper les cheveux et ramener sa grande tête vers moi afin de lui éclater le visage sur mon genou. Je le laissais ensuite s’étaler au sol, inconscient, je l’espérais. De cette manière, il pourra toujours clamer ne pas avoir tourné de l’œil face à une femme lui frappant les parties, mais plutôt d’avoir été mis K.O. par un coup sur le crâne pendant qu’il reprenait contenance.
Gentille moi ? Évidemment. Surtout que je lui devais beaucoup, s’il avait été bien plus prudent ou moins regardant sur la façon de faire, c’est moi qui serais dans de sales draps… à plus d’un titre.
Dans un grand silence, je levais le poing, me déclarant vainqueur. Je faillis hurler de surprise et effectuer un bond dans les airs lorsque quelque chose me heurta subitement la main et qu’un « kraaaa » tonitruant ne retentissent à mes oreilles !
Qu’est-ce que ce diable d’oiseau venait faire là !
Gardant le bras dressé, soutenant le poids du corbeau, peinant à conserver un masque neutre sur le visage, j’observais le corbac à la dérobée.
Il déploya ses ailes pour se donner plus de volume, puis entreprit de tourner sur lui-même, invectivant par de nombreux croassements chaque barbare entrant dans son champ de vision, réservant le secteur des chefs pour la fin, auquel il destina une double dose de reproches.
Puis au bout du compte, il parada un peu, hurlant au ciel sa victoire, enfin la mienne, mais ses pensées n’allaient pas si loin de ce que je pouvais en comprendre, dans son esprit mon triomphe était le sien, lui promettant de se tenir au sommet d’une montagne composée des pectoraux des chefs, si brillant et attirant. Je n’allais pas le détromper.
Pendant les deux bonnes minutes que durèrent son petit jeu, pour ma part je me contentais de serrer le poing le plus fort possible, réprimant les vagues de brûlures glaciales de la douleur alors que les griffes du corbac me rentraient dans les chairs, laissant couler mon sang des entailles plus ou moins graves qu’il m’occasionnait. C’est là, je crois, que j’eus l’idée qui pouvait nous sortir tous de ce mauvais pas.
Son numéro terminé, je remerciais l'oiseau d’une profusion d’images flatteuses puis lui demandais de se poser un peu plus loin là où il pourrait être vu de tous.
J’apprendrais plus tard, que l’ours, l’élan, le pégase et tant d’autres animaux dont le corbeau, sont des figures totémiques que vénèrent ces barbares, chacun de ces animaux représentant un aspect que se doit de posséder chaque chef de tribu pour un total de douze. Sur le moment, je me contentais de profiter de l’occasion que l’oiseau m’avait offerte. Jouant sur la crainte superstitieuse qu’ils éprouvaient pour cet animal et le comportement hors norme qu’il venait juste d’avoir.
Dans le silence assourdissant. Tous attendaient la suite de ce spectacle avec plus ou moins d’impatience autant que d’appréhension. J’avais vu les mouvements de recul, les froncements de sourcils devant les agissements de l’oiseau. La stupeur et la confusion momentanées des chefs. Même s’ils s'efforçaient de le cacher dorénavant, je savais que cette scène les avait pas mal ébranlés. Ajoutons par-dessus mon physique hors norme. J’avais une très bonne base de travail désormais.
Je fatiguais à garder le bras en l’air ainsi, aussi, le baissai-je puis, ouvris la main et la pointait vers les chefs, tailladée, du sang continuant de couler des entailles occasionnées par les griffes du piaf, essayant de conférer à mon acte un aspect symbolique pour enfoncer le clou un peu plus. Étrangement, un de mes doigts, l’annulaire, refusa de suivre les autres, restant recroquevillé sur lui-même, ce qui sembla donner à mon geste une profondeur qu’il n’aurait pas eue sans cela.
« Ow, pourquoi il ne bouge pas ce doigt-là ? Si l’oiseau m’a à ce point endommagé la main, il va me le payer ce piaf de malheur ! »
Non ! Plus tard ce genre de pensée, j’avais autre chose à faire avant ça. Ne surtout pas regarder vers nos gars non plus.
« Fonce petite Yuki ! Fonce ! »
Je baissais le bras et entamais mon rituel pour vider mon esprit et me préparer à la suite.
« Chefs et membre des tribus vivant sur ces terres ! Je souhaiterais d’abord m’excuser de m’exprimer dans un langage que certains d’entre vous ne connaissent pas, mais malheureusement, j’ignore votre parler. Je sais que certains parmi vous me comprennent, aussi, merci de bien vouloir traduire mes paroles aux autres, s’il vous plaît. »
Je m’inclinais légèrement pour le groupe de chefs puis à gauche, puis à droite avant de reprendre.
— Vous avez dû remarquer depuis des années que la forteresse, voisine de vos territoires, accueille de plus en plus de personnes, mais savez vous pourquoi ? Loin, loin au sud, une magie sinistre fait se réveiller les morts et les fait attaquer les vivants. Une grande guerre fait rage, une guerre que les hommes sont en train de perdre. Comme si cela ne suffisait pas, chaque guerrier qui tombe au combat se relève pour rejoindre l’ennemi.
Je m’efforçais de prononcer chaque mot distinctement, quitte à y céder en puissance sonore, mais aussi en mettant ma connaissance de la langue à rude épreuve pour exprimer ce que j’avais à dire. De toute manière, le silence était de plomb et le moindre moustique devenait tapageur au possible. Autant en profiter.
— Aujourd’hui, quand l’armée des morts est en marche, elle est si nombreuse que la plaine d’un horizon à l’autre en est remplie, à perte de vue, comme l’océan, si certains d’entre vous ont pu le voir. C’est pour ça que le royaume a ordonné cette expédition sur vos terres. Parce qu’il perd les siennes au sud. Cela faisait longtemps qu ‘il n’avait pas de contacts avec vous, certains de ces chefs avaient même oublié que vous existiez, d’autres espéraient que vous viviez désormais plus loin, mais tous pensaient pouvoir prendre vos terres sans plus y réfléchir. L’ignorance n’est pas une excuse ! Mais je voulais que vous sachiez ce qui a motivé nos actes.
Je fis une pause.
— Il est toutefois indéniable que nous vous avons grandement offensé. Je connais mal vos us et coutumes, mais je sais que vous respectez la force quand elle est sincère et sans ambivalence. J’ai donc une proposition à vous faire ! Je défie l’ensemble des hommes présent ici dans une épreuve de force facile à comprendre et à laquelle n’importe qui pourrait participer, car elle implique un domaine de la vie auquel tout le monde doit faire face, il s’agit d’une épreuve de douleur.
Je fis une autre pause, plus longue pour laisser cette pensée faire son chemin.
— Si je dois l’emporter, face à vous tous, si je sais me montrer digne de votre force, si vous me laissez vous prouver que le royaume n’est pas que déshonneur, alors je demande à ce que vous laissiez partir ces gens pour qu’ils rentrent chez eux avec leur vie et la tête encore emplie de vos prouesses, du ressenti de votre force dans leur corps meurtri. Votre valeur a déjà gravé une leçon inoubliable dans leur esprit, laissez-les la propager au travers des terre là ou ils vivent, s’il vous plaît, pour que la stupidité de certains ne puisse plus jamais provoquer de conflits entre nos peuples. Acceptez-vous ce défi ?
Mon mal de crâne faisait un retour en force, c’était bien le moment. Un silence plein de chuchotements répondit à ma déclaration, et je vis les chefs échanger des regards alors que sur son perchoir, le corbeau donnait de la voix comme s’il défiait lui aussi l’assemblée.
Sérieusement, je me demandais bien ce qui pouvait passer par la tête de cet animal, à quel point comprenait-il la situation et ses enjeux ? Laissais-je filtrer un flot d’informations continues au travers du lien sans le savoir ?
Quand un des chefs s’avança, il faillit me prendre par surprise, pendant ce petit moment d’inattention ou je me focalisais sur l’oiseau.
— Quelle sera ton épreuve, femme, avec laquelle tu penses nous défier ? Que te faut-il ?
Je m’inclinais légèrement avant de lui répondre.
— Il suffira d’une épée si usée qu’elle n’en est bonne à rien et d’un tas de braises pour la rendre brûlante. Je défie quiconque de tenir cette épée à main nue et sans artifices d’aucune sorte plus longtemps que je ne pourrais le faire !
Il y eut quelques exclamations étouffées dans la foule et le chef fronça un moment des sourcils avant de secouer la tête
— Que les paroles deviennent actes ! Et nous jugerons !
***
Les minutes suivantes, un brasero fut apporté devant nous, la gueule chargée de braises ardentes, et une lame émoussée fut posée dedans.
Pendant qu’elle chauffait, je commençais ma préparation, il n’y aurait pas d’essais. Je devais réussir à tout prix. Je secouais la tête, quelle folie avait bien pu me prendre pour me lancer dans ce défi. Le duel était déjà dangereux, mais il était compréhensible. Ce que je m’apprêtais à faire par contre. Pourquoi faisais-je ça ? Pour qui ? Je ne devais rien à ces gens, encore moins à ce crétin d’emplumé ou aux soldats. Je n’avais pas menti pendant ma déclaration aux barbares, leurs idioties avaient mené ces gens directement ici. Ma victoire précédente m’avait protégé du pire, j’aurais pu en rester là. Il y avait probablement d’autres manières de s’en sortir.
Mais en existait-il une ou chacun en émergeait sous son meilleur jour ? Sans envenimer encore plus la situation ? N’est-ce pas là ce qui me chagrinait et m’avait poussé à l’acte ? Mais pourquoi devrais-je payer pour tout le monde ? Parce que j’en avais eu l’opportunité et les moyens ? Le devoir d’agir ? Une chance pour le futur ? Ces pensées tourbillonnaient dans ma tête alors que je retirais tout ce que je portais sur le dos, faisant un petit tas à mes côtés. Le chef qui s’était approché à moins d’un mètre de moi et surveillait la procédure, bras croisés, haussa un sourcil.
Je ne gardais que ma chemise et mes bas, puis tournait devant lui avant de conclure.
« Aucun artifice. »
Un peu surpris, il finit par acquiescer. Je m’assis sur mes talons et me concentrais sur l’épreuve à venir. Je savais déjà comment j’allais devoir m’y prendre pour vaincre à coup sûr. Je pensais avoir bien formulé mon défi pour aller dans ce sens. Mais j’allais devoir empoigner une lame portée au rouge, et l’y maintenir assez longuement pour faire ce que j’avais à faire. Il n’y a qu’un fou, pour prétendre pouvoir faire cela avec certitude.
Aussi, je me préparais autant que faire se peut. Aiguisant mon esprit pour la tâche à venir. Plongeant en moi-même, éliminant peu à peu des pans entiers de la réalité m’entourant.
Je récupérais ma veste à mes côtés puis en détachait une manche, suivant les coutures, avant de la déchirer de nouveau en deux, me donnant deux longues bandes de tissus de la taille de mon bras. Le chef m’épiait d’un air qui me sembla un rien intrigué. Lorsque soudain, je le vis écarquiller les yeux de surprises. Je sus qu’il venait de comprendre ce que je projetais réellement de faire.
Il ouvrit la bouche, s’apprêtant à intervenir, puis au dernier moment, se ravisa, son expression de plus en plus sombre, reprenant sa posture, bras croisés. Surveillant le bon déroulement de l’épreuve.
Pour gagner du temps lorsque je devrais agir, j’attachais une des bandes de tissus à mon poignet gauche puis glissait la seconde sous la première pour ne pas avoir à la chercher.
Je me focalisais finalement sur l’épée. C’était une lame d’acier de forme triangulaire qui devait faire dans les 80 cm. Des quillons courbés vers la lame, une fusée digne de la main robuste d’un guerrier et un pommeau en forme de bille. Une arme comme il en existait des milliers. Les bandes de cuir de la poignée avaient été laissées en place et dégageaient présentement une fumée âcre. Sans doute pour que le défi conserve un certain spectacle et éviter qu’on ne dû finir par amputer les mains carbonisées de tous ceux qui tenteraient l’épreuve. Ne pas y penser ! Mais non, allons ! Il n’y avait pas de fumées, pas de brasero, il n’y avait que la chaleur glaciale de l’acier et les minutes qu’il lui fallait pour passer du froid initial, à la température du corps. La rugosité du cuir de la poignée permettant une bonne prise. Je détaillais tous les défauts de la lame, son tranchant ébréché ici et là, les rayures et marques la parsemant, les jeux de lumière et les reflets déformés qu’elle devait créer si on la plongeait dans une eau fraîche et claire. La chaleur n’existait plus, du moins, tentais-je de m’en convaincre.
Inconsciemment, je sentis la tension augmenter autour de moi, et j’eus vaguement l’impression que le chef à mes côtés venait de me parler. Il était donc temps. Comme dans un rêve, je parcourus les quelques mètres me séparant de l’arme, et sans une once de réflexion, je refermais ma main gauche et son doigt récalcitrant sur la poignée alors léchée de flammèches d’un léger vert bleu. Au même instant, de la main droite, je m’emparais d’une des bandes de tissus à mon poignet pour lier ensemble ma main avec l’arme, s’assurant ainsi que même malgré moi, je ne pourrais là lâcher. Sans m’attarder à faire un nœud, je pris la seconde bande puis l’enroulais en croix autour des quillons et ma main avant de la faire glisser sous le nœud de mon poignet plusieurs fois.
Cela fait, je me laissais tomber à genou, grimaçant un vague sourire pour le chef barbare, la lame de l’épée plantée au sol, maintenant mon bras tendu, m’efforçant d’ignorer les vagues de douleurs, les grésillements provenant de ma chair, les quelques flammes parcourant le tissu, les hoquets de stupeurs de la foule, et en fond, les croassements hystériques d’un corbeau paniqué.
J’ai bien dû résister une seconde ainsi, peut-être même deux, un moment d’éternité, avant d’aller frapper à la porte du pays de l’oubli. À ce rythme, je devrais peut-être prendre un abonnement pour avoir une ristourne à chacun de mes passages.
Je n’avais pas lâché l’arme.
Ils ne pourront pas mieux faire n’est-ce pas ?