Entracte
Lorsque je repris connaissance, j’étais dans ma chambre, dans l’enclave de la guilde. Ma première sensation fut un hurlement sous mon crâne, un « Craaaaaa ! » Retentissant, de colère mêlé d’indignation. Il fut suivi d’une multitude d’images mentales racontant l’histoire d’un pauvre et misérable corbeau maltraité à qui l’on refusait inlassablement ce qui lui était promis et qu’on chassait à grand renfort de bâtons, bottes, voire même de jets de pierres et en une occasion d’un trait magique. S'ensuivit des scènes de sa longue longue attente sur un toit, dans la pluie et le froid, surveillant l’entrée du bâtiment où l’on m’avait mené.
À peine éveillée et déjà exténuée, je pris le temps de vaguement analyser tout ce fatras avant de lui répondre d’une image le représentant, celle d’un corbeau couronné, grand et fort, mais au bec maintenu fermé d’un fil rouge. Magnanime, il attend son dû. Il me renvoya une vague de sarcasme et s’en tint là.
Je poussais un long soupir puis m’examinais. J’avais toujours deux bras et deux jambes, aucun morceau ne paraissait manquer. Ma main gauche ne semblait même pas avoir de séquelles. Appréciable, mais intriguant. Le crâne avait l’air intact, au toucher, je ne sentais pas de balafres ou autres blessures mal cicatrisées. J’avais aussi l’impression que la taille de certaines vieilles cicatrices avait en outre bien diminuée. Je grimaçais un peu devant ma longueur de cheveux. D’habitude, ils me descendaient presque sous les genoux, mais présentement, ils me tombaient à peine sous les oreilles, et j’avais le sentiment qu’il m’en manquait pas mal sur l’arrière de la tête, suivant une grande ligne. Probablement l’endroit de l’impact avec la hache de lancer. Je lâchais un autre soupir, tant pis, ça finirait bien par repousser. Si c’est le seul prix que j’avais à payer, je m’en sortais largement mieux que dans mes estimations les plus optimistes. C’est juste que j’aimais bien mes cheveux, surtout à cette longueur et d’ordinaire j’en prenais fort soin.
J’enfilais une des tenues standard de la guilde, chapeau inclus, mais dus me résoudre à remettre le lourd insigne au cygne et à la flamme plutôt que les petites broches que j’avais fait confectionner et que je portais au col de mon manteau. À droite, l’emblème de la guilde. À gauche, le mien. Parce qu’il m’en fallait un, mais qui changeait au gré de mes sautes d’humeur. Je n'arrivais pas à me décider. Avant l’expédition par exemple, c’était une lame perçant une tour fortifiée et avant ça, un renard mordant la queue d’un dragon. J’allais devoir trouver autre chose. Aussi sec, le corbeau m’envoya une image, une folle, épée brandie au ciel, hurlant de rire, plongée au milieu des flammes de la ruine.
Décidément, j’allais devoir rectifier ce lien, je me doutais que le corbeau pouvait suivre mes courants de pensée, mais pas à ce point, et certainement pas sans que je m’en rende compte. Surtout que ça avait l’air à sens unique, car je me refusais de croire que le piaf pouvait me bloquer sa conscience alors que j’étais comme un livre ouvert pour lui. Il me renvoya aussi sec la même image, mais où planait un vol de corbeaux dans le ciel, lâchant des déjections sur le personnage, éteignant les flammes, le tout avec une vague de sarcasme. J’appréciais fortement, vous vous en doutez bien.
N’empêche, ce piaf m’étonnait. Qu’il ait maintenu le lien jusque là, suivi ma trace depuis les camps barbares, puis attendu mon réveil ensuite. Stupidité bornée ou ténacité improbable ? L’image du corbeau roi m’envahit, provenant du lien. Puis celle d’une montagne de lanières de viande. Oui, j’avais compris la première fois tss.
Je quittai ma chambre et entrais dans le laboratoire attenant. Surprise, Yreen ne trônait pas au centre de la pièce. Une première pour moi.
À peine étais-je sortie du bâtiment que l'oiseau vint se percher sur mon épaule droite. Me souvenant des dégâts qu’il m’avait faits à la main, je remerciais le tissu épais de mon manteau, mais pour plus de certitude, j’allais devoir rembourrer ce morceau-là du vêtement.
— Salut l’oiseau.
— Kraaa !
Il m’envoya l’image d’une montagne de viande, et d’une folle, épée brandie, entourée de flammes, lui donnant la becquée, lui le corbeau royal. Je crois qu’on avait trouvé nos noms mentaux respectifs.
— C’est justement là que l’on va, tu verras, tu ne seras pas déçu.
Je reçus une vague d’anticipation mêlée de plaisir et nous prîmes la direction des cuisines.
J’avais emporté une bourse d’or et marchandais sur le principe pour permettre à l’oiseau de recevoir une assiette de viande à chaque fois qu’il se présenterait à la fenêtre. Et pour que le personnel le reconnaisse, je lui nouais une ficelle pourpre et orange autour de la patte.
Nous étions un peu plus loin, adossés à un bâtiment et je lui avais expliqué tout cela par images tout en lui donnant la becquée. Ce faisant, je me repassais le petit film que m’avait transmis Royal sur notre voyage de retour. Suivant le fil de mes pensées, l’oiseau ajoutait des détails ici et là.
Visiblement, après mon évanouissement, personne ne releva mon défi. Cela aurait signifié garder la lame en main plus longtemps que moi et donc accepter de devenir manchot. Autrement dit, un quasi-suicide social dans la société barbare. Je doutais très fortement que leurs shamans puissent guérir ce genre de blessures. Si c’était le cas, je n’aurais pas vu autant d’hommes à qui il manquait un doigt, une oreille, voir un œil. C’était là mon pari, que j’avais visiblement gagné. Personne ne releva donc le défi et malgré le procédé quelque peu déloyal, les chefs s’accordèrent pour me déclarer vainqueur et nos gars furent libérés. S’ensuivit une ambiance de méfiance cordiale où la plupart des soldats étaient plus préoccupés par le voyage du retour que de chercher querelle à qui que ce soit. Le corbeau m’envoya même des images des gars de la guilde défiant les barbares dans des épreuves diverses pour glaner qui un bout de ficelle, qui un sac, ou un caillou brillant. Des prétextes évidemment, mais qui laisserait derrière eux à minima une note positive et dénotant une certaine compréhension. En tout cas, je l’espérais.
L'oiseau me transmit aussi une scène ou Lame s'appliquait vertueusement à encastrer son poing dans la face de l’emplumé, avant de prendre le chemin du retour, suivi de quasiment tous les survivants de l’expédition à l’exception des chevaliers et de quelques-uns de leurs serviteurs. Ils laissaient derrière les chariots et leur contenu, ainsi que tous les biens qu’ils avaient perdus durant les défis. Ils ne prirent que les chevaux pour transporter les moins vaillants, comme moi-même. En termes de distance pure, nous n’étions pas si loin que ça du Roc, ils n’avaient dû mettre qu’une poignée de jours pour rentrer. Même si la route que nous avions empruntée pour venir était désormais praticable, des chariots, principalement vides, n’auraient fait que ralentir tout le monde. Pas étonnant qu’ils se décidèrent pour les abandonner. Je supposais que cela avait dû faire hurler l’emplumé dont l’égo ne devait pas être loin de la rupture psychotique après tout ces événements.
Le corbeau en profita aussi pour se plaindre des mauvais traitements qu’il eut à subir. Comment il harcela Elindis toute une nuit durant jusqu’à ce qu’elle lui lâche des sorts dessus afin qu’il lui fiche la paix. Comment il avait essayé d'énerver les chevaux portant les blessés pour qu'ils se lancent au galop en leur piquant l’arrière-train du bec.
Bien sûr cela lui avait valu d’être tenu à l’œil et éloigné à coup de pierre ou de bâtons. Bref, il avait passé le temps à sa manière avec ces facéties. Dieux ! Ça allait me retomber dessus, forcément, espérons que le fait d’avoir permis à tout le monde de rentrer entier puisse contrebalancer les agissements du corbac.
L’oiseau repu et le plat vide, je me redressais et lui envoyais une vague de remerciements.
Je gagnais ensuite ce qu’on appelait notre quartier général dans l’enclave, laissant le corbeau somnolant vaquer à ses occupations. C’était un bâtiment ou tout le monde se retrouvait pour échanger des informations et monter des groupes afin de remplir les missions que recevait la guilde.
Même au plus fort de la nuit, il y avait toujours de l’activité et le bar attenant ne désemplissait jamais. J’espérais y croiser une tête connue afin d’obtenir les dernières explications qui me manquaient. Localiser Yreen aussi. Peine perdue.
J’appris au moins qu’Yreen avait gagné le véritable quartier général de la guilde, territoire indépendant en bordure de la forêt elfique et je postulais pour rejoindre la prochaine caravane en partance deux jours plus tard. Ça me laissait le temps de mettre mes affaires en ordre ici, récupérer le quelque argent qui me restait et préparer ce dont j’avais besoin pour le voyage.
J’ai bien proposé à l’oiseau de m’accompagner, mais il me fit comprendre qu’il me suivrait d'ici à quelques semaines. Il avait visiblement trouvé quelque chose qui l’intéressait dans le coin. J’avais décidé de l’appeler le piaf, mais comme il me répliqua dans la seconde par une image mentale me représentant, l’aire folle à lier, et couvert de fientes, je me fixais pour Royal. Ce qu’il ne faut pas faire pour avoir la paix dans son propre esprit.
***
Le trajet prit une bonne semaine. La caravane comportait une demi-douzaine de chariots à moitié vide, une escorte d’une trentaine d’hommes à laquelle je participais, il n’y a pas de petit gain et ma bourse me semblait bien légère. On pouvait aussi ajouter quelques passagers. Il ne se passa pas grand-chose, si ce n’est quelques rencontres dues au hasard avec des zombies esseulés, errants de-ci de-là dans les grandes plaines brumeuses.
Pas vraiment une réelle menace tant que vous n’étiez pas pris par surprise. Ce qui arriva une nuit, où l’un d’eux réussit à se faufiler entre les gardes assoupis pour trébucher sur une tente, la faire s’effondrer sous son poids et s’aplatir sur son occupante endormie sous ses couvertures.
Le zombie fut facilement maîtrisé et la marchande ne reçut aucune blessure, ni même n’eut le moindre bleu à déplorer, mais elle en sortie traumatisée, ce que je conçois aisément. Les gardes fautifs eurent droit à un joli sermon haut en couleur, le mépris manifeste de l’ensemble de la caravane et une bonne retenue de salaire.
Pas si chèr payé, mais je ne leur prévoyais pas un avenir grandiose, la guilde n’allait pas les garder, et ça allait finir par se savoir. Je doute après ça qu’ils puissent retrouver un jour du travail du côté légal du commerce s’ils se décidaient à poursuivre ce mode de vie.
Ah ! J’oubliais, en préparant mes affaires et en vidant ma chambre, j’étais tombée sur une lettre de remerciement, couverte de messages griffonnés par certains des membres de l’expédition chez les barbares. Quelques mots, parfois une phrase. Mais tous me congratulaient pour mon geste qui au final avait réglé le problème de la manière probablement la plus pacifique possible.
J’apprendrais plus tard que les hommes travaillaient à une grande évasion dans les jours à venir avec tous les risques qui allaient avec, et en laissant vraisemblablement beaucoup de personnes derrières, sous-entendus les femmes principalement, mais pas que. Ma folie leur avait coupé l’herbe sous le pied.
Il y avait une seconde lettre, de la part d’Yreen, m’informant de son départ pour le QG et m’enjoignant à la suivre, ce que je prévoyais déjà avant même qu’elle ne me le dise. Et tout en bas, comme une note de bas de page, elle me prévenait qu’elle avait pris un contrat en mon nom pour faire soigner ma main, mais aussi mon crâne encore passablement éclaté, auprès d’un prêtre de haut rang de la cité. Le genre de sort capable de remettre sur pied une personne en morceaux, mais toujours vivante.
Le soin ayant réussi, la guilde avait gracieusement accepté de payer la facture en mon nom et donc elle m’informait que j’étais de nouveau en dette. En voyant la somme, je ne pus m’empêcher de lâcher un cri de surprise mêlé de dépit. Celle-là, il allait falloir bien plus de quelques semaines pour la rembourser, largement plus.
Alors ? Dire merci ou l’insulter copieusement ?
Je fis les deux ! Ça va de soi !
J'ai quand même une petite question : Il est où PyuPyu ? Avec Yreen ? Je suis curieuse de sa première rencontre avec Royal.
Je te l'ai pas signalé mais t'as encore quelques verbes au présent qui traînent.
Tu comptes publier la suite bientôt ?
jusqu'à l'ouverture de ce site qui m'a filé une sacré dose de motivation.
pyupyu s'était présenté comme un ambassadeur et il ne ment pas. Mais c'est pour plus tard.