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Chapter 8

J'ai enfin pu attendre l'heure du dîner sur mon lit sans Yeux Bleus pour me fixer comme un poisson rouge dans un bocal. Pouvoir rester seul dans ma cellule est devenu un luxe. Je suis à la fois pressé de rejoindre un dortoir et paniqué à l'idée de me retrouver au milieu de plusieurs centaines d'hommes.

Je me dirige vers le réfectoire comme les autres, récupère mon plateau et rejoins Elie à sa table, toujours en compagnie de ses camarades. Comme d'habitude, je m'assois en bordure, près de l'allée centrale.

— Ton responsable risque de te reprocher de ne pas être resté dans la salle de cours.

— Miller me dira ce qu'il veut, je n'allais pas rester dans une pièce vide alors qu'aucun détenu ne venait à mon cours.

Je déplace la bouillie d'aliments lyophilisés avec la cuillère en plastique, une grimace aux lèvres. Un vomi blanchâtre craché dans le creux du plateau.

— Salut, Frenchie...

Je lève les yeux vers Davis. Mon corps se raidit instantanément. Pour ne pas perdre contenance, je m'en retourne à ma purée et l'ignore, malgré la boule qui me comprime le ventre.

— Eh, j'te parle.

Elie pose une main sur mon bras et prend le relais.

— Si t'allais ennuyer quelqu'un d'autre ? On mangeait calmement jusqu'à ton arrivée.

— Tu oses l'ouvrir, Simon ?

— Et toi, tu oses revenir le voir.

Davis me contourne pour l'attraper par le col. La peur et la nervosité se transforment en rage. Je bondis du banc et le repousse d'un geste brutal avant de lui hurler dessus :

— Le touche pas, connard !

Le silence se fait dans le réfectoire. En voyant ses yeux injectés de sang dévier dans les miens, je regrette aussitôt cet élan de témérité. Ou plutôt, d'inconscience. Elie se lève à son tour et tente d'apaiser la tension entre nous par la diplomatie, mais c'est mal connaître ce cinglé. Davis lui assène une droite dans la mâchoire qui le projette sur la table. L'instant suivant, il me saisit par la chemise. Dents et poings serrés pour contenir mes tremblements, je soutiens son regard, bien résolu à ne pas me laisser écraser. Tout le monde nous dévisage, je compte bien leur montrer qui je suis. Si je dois m'effondrer, ce sera seul dans mon lit.

Je le toise avec une assurance insolente.

— Tu m'auras peut-être physiquement, mais tu ne me briseras pas.

La haine scintille dans ses pupilles. Autour de nous, l'agitation s'élève. Que les autres profitent du spectacle, la crainte ne guidera pas mes actes.

— Détenu !

La main de Miller se referme sur Davis. Le gardien le bouscule et sort sa matraque télescopique.

— Qu'est-ce que vous foutez, Miller !

— J'suis pas d'humeur à rire. Deuxième avertissement en une semaine, trou du cul. Ouvre encore la bouche et je passe mes nerfs sur toi.

— Ha, sans déconner. C'est cette espèce de...

— Rien à battre !

La voix de Miller résonne dans toute la salle.

— Tout le monde s'en cogne de tes complexes d'infériorité, Davis, le toutou de Ash.

Des rires retentissent.

— Tu la boucles ou j'te colle un mois de trou, c'est clair ?

L'accusé garde le silence, mais son expression assassine parle pour lui. L'humiliation est cuisante.

— Va t'assoir, lui ordonne Miller avant de tourner les talons, et ferme-la.

Davis me darde un regard meurtrier. C'est lorsqu'il repasse près de moi pour me cracher son venin que son regard se braque derrière moi. Je me retourne sur Rafael, planté au bout de ma table. À son agitation, je comprends qu'il vient tout juste d'arriver et a couru ici sans même prendre le temps d'aller chercher son plateau. Davis me murmure, assez fort pour que Rafael et nos voisins entendent :

— À croire que tu aimes la prendre à sec. La prochaine fois n'en sera que meilleure.

Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes. Entre l'angoisse et la hargne, c'est la hargne que je choisis d'exprimer. Ma survie en dépend. Je réplique sur le même ton menaçant :

— Moi aussi, j'ai créé mes arrangements. Si tu retentes quoique ce soit, tu sais ce qu'il t'arrivera.

Il fait volte-face pour me fixer. En le voyant écumer de nouveau, Rafael met un terme définitif à l'échange.

— Tire-toi, Davis. Maintenant.

— Martinez a trouvé sa femme de prison...

Elie, Rafael et moi le suivons du regard jusqu'à sa table, la rage au bord des lèvres. Je me rassois près d'Elie et examine sa joue enflée. Je ne me peux m'empêcher de culpabiliser...

— Je suis vraiment désolé...

— C'est rien, j'en ai vu d'autres, fait-il en effleurant sa pommette.

Je m'accoude à la table et me masse les tempes. L'adrénaline chute. J'ai l'impression de sentir mon sang quitter mon visage dans un nuage de vapeur brûlant. Bien entendu, Rafael corrige mon imprudence.

— T'es vraiment un gros malade.

— Il a frappé Elie.

Il se pince l'arête du nez. Se défendre ou ne pas se défendre ? Il faudrait savoir.

— Préviens-moi quand t'auras d'autres envies suicidaires.

J'en ai assez. Je me lève brusquement pour justifier mes actes, mais, dès l'instant où je lui fais face, toute mon assurance s'évanouit. Pas par crainte, non. Mais parce que, sous son hostilité glaciale, je lis l'anxiété. Mon envie de rétorquer s'envole.

Navré de l'avoir inquiété, je le dévisage avec un air adouci sans pour autant dévoiler nos émotions réelles en présence des autres détenus. Sa froideur s'estompe. Avant de se trahir davantage, il reprend le chemin vers sa table tout en me balançant une insulte sonore :

— Il a raison, t'es vraiment qu'un merdeux.

La contraction de sa mâchoire me suffit comme sous-texte. Épié par tous, je me rassois en silence et rentre le menton.

— J'aurais jamais cru que Miller se serait montré utile, remarque Elie.

— Comment ça ?

— Ça fait des années qu'il privilégie ceux qui lui rapportent gros. Quel marché t'as conclu avec lui ?

Pour son propre bien, Elie doit rester à l'écart de mes affaires.

— Rien d'extraordinaire.

— Tant que t'es pas une jolie fille... ricane l'un de ses amis.

— Ah, c'est vrai, se rappelle Elie, Miller s'est fait renvoyer d'une prison pour femmes après avoir harcelé et agressé des détenues. Comme s'il n'avait pas assez avec celles à l'extérieur... cette ordure.

Mes yeux s'écarquillent. Je regarde Miller, en train de slalomer entre les tables. Le personnel est donc aussi peu fiable que les prisonniers... Vu notre arrangement, je suis bien content d'être un homme.

— Tu sais que vous jouez à un jeu dangereux ? reprend Elie.

— Pardon ?

— Martinez et toi. Ce n'est peut-être pas évident pour les autres, mais ça l'est pour moi.

Il me prend entre quatre yeux et poursuit avant même que je ne nie.

— Léo, je sais que tu tiens à lui et il tient à ta sécurité. Mais si tu envisages une relation avec lui, ça pourrait lui causer du tort.

— Une relation ? Lui et moi ?

Je lâche un petit rire.

— Ça restera au stade de fantasme, ne t'inquiète pas pour ça.

— On ne peut jamais savoir ce qu'il va se produire. Et un mec de son rang ne doit pas avoir de faille, tu comprends ?

— De faille ?

— Oui, une faiblesse qu'on pourrait utiliser contre lui.

Mes espérances – bien qu'inavouées – viennent d'être soufflés comme les flammes d'une bougie. Même si j'avais eu une chance avec lui, je n'ai pas le droit de le rendre vulnérable dans cet endroit. Davis et tous les autres en ont déjà trop vu aujourd'hui.

— Tu as raison...

Elie me tapote l'épaule et m'encourage à terminer mon repas. Mon regard s'étire jusqu'à la table de Luiz et rencontre celui de Rafael. Malgré la distance qui nous sépare, ma peine et sa contrariété sont palpables. J'aurais déjà dû m'excuser il y a deux minutes... Dorénavant, je garderai mes angoisses pour moi.

Je suis un gay en prison. Il est temps d'assumer qui je suis sans espérer être soutenu par qui que ce soit. D'être l'homme que je dois être pour survivre. Même si cela inclus de tuer celui que j'étais.

Le monde extérieur n'est plus qu'un souvenir immatériel. A Glenwood, la loi du plus fort l'emporte. Il est l'heure de s'y résoudre.

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