La belle infirmière qui m'accueille n'est autre que celle qui s'occupe d'Elie. Branché à une perf mon ami se redresse sur son fauteuil, surpris de me voir ici.
— Léo ? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
— Rien.
Je jette une œillade basse à Emma et elle acquiesce en comprenant que je souhaite être au calme. En temps normal, je me serais intéressé à l'état d'Elie, mais en ce moment, c'est tout juste si je saurais prononcer mon nom.
— Allons par là.
Une cloison scinde la pièce en deux. Je la suis de ce côté de l'infirmerie jusqu'aux lits brancards, séparés les uns des autres par des rideaux amovibles. Elle m'invite à m'assoir sur l'un d'entre eux. J'ôte mon t-shirt avant même qu'elle ne me questionne. Je ne suis pas en mesure de communiquer avec un autre être humain, en cet instant. Au regard qu'elle pose sur moi et à son silence, j'en déduis qu'elle comprend et respecte mon choix. En silence, je l'en remercie.
Le degré de mes douleurs varie en fonction des zones qu'elle palpe. Je grimace sous ses paumes.
— Rien de cassé, conclut-elle en appliquant sur mes côtes un gel frais. En revanche...
Elle me fixe de longues secondes, comme si elle sondait mon âme et entendait mes pensées. Peut-être même les maux de mon passé. Elle dépose le tube sur un plateau métallique et se tourne vers moi.
— L'esprit est plus atteint que le corps.
Son air compatissant évoque mille sentiments. Le message se passe de mots. Elle me sourit et hoche la tête pour me signifier qu'elle m'accorde un temps de repos, à l'écart des autres.
Je me rallonge et ferme les yeux. L'écho de nos cris, les bruits sourds de mon corps contre le mur, de ses poings dans mes joues...
« Si tu parles, je te tue. »
Je les rouvre sur le plafond blanc avant de m'enfoncer trop loin. Dans les douches, j'avais envie de pleurer. En ce moment, je me sens juste vide.
Pourtant, mon esprit déborde, vomit la douleur que tout mon être a contenue pendant des années, car j'étais trop fort et fier pour être affecté. Parce que si la façade tombait, je ne me serais plus jamais relevé. En public comme en privé, je ne m'autorisais aucune faiblesse. Du matin au soir, j'étais un lion. Le déni est un poison plus facile à ingérer qu'une réalité cinglante et destructrice.
Les bribes de leur conversation parviennent à mes oreilles. Je les capte et m'y attarde malgré moi pour échapper à mes pensées.
« Je ne te laisserai pas aller là-bas... moi qui suis compétente. »
« Je ne veux pas te faire courir de risques alors que tu portes... »
« ... mais si tu n'es plus là, on deviendra quoi ? Je t'en prie... ! »
Un murmure, quelques souffles étouffés, des frottements de vêtements puis des baisers légers. Je devine qu'Emma s'est lovée entre les bras d'Elie et qu'ils partagent un moment d'amour.
« Je t'aime »
Une chaleur douce-amère me noue la gorge. Ce genre de relation est tout ce que je rêvais de vivre. De la sécurité et de la tendresse, quelqu'un qui m'aimerait pour qui je suis, avec mes qualités et mes failles, sans me tourner en dérision, qui me soutiendrait et sècherait mes larmes. Un homme que je ne craindrais pas d'offusquer par mon honnêteté et que je ne redouterais jamais.
Je prends une profonde inspiration et expire de longues secondes.
— Léo ? Ça va mieux ?
— Oui, Elie.
Après quelques courtes secondes, j'enfile mon t-shirt, descends du lit et pars retrouver mon ami, debout et libéré de sa perfusion. Emma m'adresse un petit sourire et je le lui rends avec une sincérité qui m'étonne moi-même. Je ne m'attendais pas à trouver un bourgeon de douceur dans cette prison. Je les regarde échanger une dernière caresse en secret. Derrière son autorité d'employée carcérale, cette femme est une personne attentive et dévouée. Le bonheur qu'ils partagent me touche, aussi dangereux soit-il à vivre entre ces murs.
Elie referme la porte et nous nous dirigeons vers la salle dans laquelle je dois donner mon premier cours.
— C'est l'amour fou entre vous.
— L'amour est fou lorsqu'il est incontrôlable et irrationnel. Le nôtre est loin de l'être.
J'ai un petit sourire attendri.
— Vous vivrez heureux lorsque tu sortiras, j'en suis certain.
— Nous le sommes déjà, me dit-il en me tapotant l'épaule. Le simple fait de savoir qu'elle pense à moi et de la voir cinq minutes par jour suffit à mon bonheur.
— Je te savais charmeur, mais pas sentimental à ce point, le taquiné-je.
Il pousse un bruyant soupir, revigoré par ce moment.
— Quel genre de maladie as-tu ? Si ce n'est pas indiscret, bien sûr.
— Le genre qui devrait m'accorder une remise de peine.
Il ricane, mais son rire me chagrine plus qu'autre chose. Je repense à leur conversation feutrée sans pour autant oser le questionner à ce sujet. Emma serait-elle... enceinte ?
Nous arrivons près de la salle. Elie fourre ses mains dans ses poches et s'appuie contre le mur, face à moi.
— Bon, et toi, il s'est passé quoi ?
Mon expression se refroidit.
— Rien.
— Ne fais pas de manières avec moi.
J'hésite un instant.
— J'ai fait... un mauvais choix. Je n'aurais pas dû rendre service à mon cinglé de coloc. Maintenant, L'Araignée veut me faire la peau.
— Ah ! Ton fameux Yeux Bleus, tueur de camarades de chambrée, ironise-t-il. J'ai l'impression que t'es un expert pour te laisser embarquer dans les plans de merde.
— Plutôt, oui.
— Pourquoi t'as atterri ici ?
— Un client du genre influent m'a mêlé à une sale affaire.
— Un client ? Tu travailles dans quoi ?
Si Elie me fait assez confiance pour me mettre dans la confidence au sujet de son couple secret, je peux bien lui rendre la pareille. Je jette un œil aux environs avant de parler.
— Je suis avocat.
— Waouh !
— Ouais, « waouh », fais-je, sarcastique. Un avocat assez con pour se laisser manipuler par un sénateur et finir en prison pour parjure devant la cour... autant dire que mon avenir est compromis.
Il hausse les sourcils, surpris.
— Et ce sénateur, il s'est fait pincer ?
— Lui ? Ha ! Il a soudoyé assez de gens pour partir en « congés prolongés » dans un autre pays.
Je jure dans ma barbe.
— Tu as du monde dehors pour te soutenir ? De la famille, des amis ?
— Ma famille a honte de moi, mes parents ne sont toujours pas venus me voir et ceux que je croyais être mes amis sont apparemment trop raffinés pour fréquenter un prisonnier. Bref, niveau soutien, c'est plutôt le néant. Je garde malgré tout espoir en ce qui concerne mon père. Il est le seul à ne pas avoir ouvert la bouche alors que ma mère hurlait.
Elie hoche la tête avec un air compatissant.
— Moi, je suis là pour toi, sache-le. Même si ce n'est que moral. Pour les gros bras, adresse-toi à quelqu'un d'autre, ce beau visage doit se marier dans un an, me fait-il en se pointant du doigt.
Nous rions aux éclats. À ma grande surprise, cette joie me fait l'effet d'une soupape de décompression. C'est drôle comme les niveaux de gravités changent, une fois en détention. Les problèmes extérieurs ne semblent plus les nôtres, même quand ils sont à l'origine de nos malheurs, et cette prison devient notre unique préoccupation. Le temps et le reste du monde ne comptent plus lorsqu'on vit dans une bulle.
— Le prends pas mal, Léo, mais je t'imaginais plus en tant que manager dans une boutique de prêt-à-porter de luxe, dans un petit gilet de costume trois-pièces.
Je le regarde, éberlué.
— Je crois que je préfère le « merdeux » dont on m'a gratifié tout à l'heure, ricané-je. Tu me vois à ce point superficiel ? Vous me décevez, cher ami...
Il rit aux éclats, je croise les bras, quelque peu vexé derrière un sourire en coin.
— Comprends-moi, avec ton arrogance de petit Français, ton corps de mannequin et ton joli visage...
— Et c'est moi qui suis gay ?
Je m'esclaffe.
— « Tu es intéressant à regarder », c'est comme ça qu'un hétéro doit dire ?
Je m'avance vers lui, toujours bras croisés, et le détaille de la tête aux pieds.
— Détenu, vous n'êtes pas mal non plus, dans le genre blondinet cougar.
Il étouffe un rire et me bouscule.
— Merdeux.
— Je préfère ça, merci.
Je me tourne vers la salle de cours et constate à travers la vitre qu'elle est remplie. Le moment de détente est terminé.
— Il est temps d'enfiler mon costume d'avocat... Je dois donner un cours à une quinzaine de sauvages.
— Selon ta logique, tu es aussi un sauvage puisque tu es enfermé ici, me taquine Elie.
Je lui réponds par une grimace, puis souffle un bon coup. Ce n'est qu'un cours parmi tant d'autres... Je pénètre dans la pièce d'un pas assuré.
Plus d'une dizaine de détenus en t-shirts, débardeurs ou vestes sont assis de façon négligée sur les tables ou les chaises, discutant comme s'ils n'attendaient personne. Des effluves musqués d'aftershave imprègnent les lieux. Je m'avance en silence, le ventre compressé dans un étau. Le même aplomb qu'au tribunal. Le même.
Lorsque je me plante face aux détenus, ma contenance s'envole. Ces hommes, tous plus âgés que moi, me regardent d'un sale œil. Mon petit doigt me dit qu'ils ont tout sauf envie de laisser un jeune blanc-bec les instruire. Je prends une grande inspiration.
— Je suis là pour...
— Laver mon linge et faire la vaisselle, tafiole.
Hilarité générale. Quand j'identifie celui qui vient de me provoquer, mon cœur rate un battement : l'homme qui m'a tenu les cheveux pendant qu'Ash me parlait. Mon corps se liquéfie. Maintenant que je le vois mieux, il paraît d'autant plus effrayant.
D'épais tatouages le recouvrent du cou jusqu'aux tempes en passant par le crâne, rasé de près, et ses yeux sont aussi affutés que des lames. Ma mâchoire se contracte. Non, je ne suis pas ce que mon physique laisse entendre. Je suis quelqu'un de droit et de respectable. Un chieur peut-être, mais un chieur intelligent. Et je ne mérite pas de me faire marcher dessus plus qu'un autre.
Je lui réponds dans le plus grand des calmes :
— Je ne connais pas ton nom.
— Pour toi, ce sera daddy.
Nouveaux éclats de rire. Il cogne son poing contre celui d'un ami à lui. Je lève les yeux au ciel. J'imagine bien ce que ressentent les femmes, à présent... Il se penche au-dessus de ses coudes et articule avec un rictus vicieux.
— Moi, c'est Davis.
J'acquiesce et croise les bras, les cuisses en appui contre le bureau derrière moi.
— OK, Davis. Tu ne manques pas de confiance en toi. J'en déduis que répondre aux questions et aider tes camarades sera pour toi un jeu d'enfant. Explique-nous quelles sont les bases de la législation en entreprise, celles que tout employé doit savoir à son arrivée ? Sois clair et concis, nous n'avons pas tous la même aisance que toi à l'oral.
Cette riposte surprend autant qu'elle amuse. Des regards rieurs se braquent sur Davis. Pris de court, ce dernier ne peut masquer son inconfort. Il s'affale dans sa chaise et affiche un air dédaigneux.
— J'suis pas un intello, moi. J'suis un manuel.
— Tu as bien travaillé quelque part, Davis, dis-je sur un ton mielleux, même chez un petit patron, ou un oncle... quelqu'un a forcément donné du travail à un grand gaillard comme toi, n'est-ce pas ?
Mes derniers mots ne lui plaisent pas. Sa soudaine hostilité me rappelle que je ne suis pas au tribunal et que je dois doser mon éloquence. Je rectifie le tir en prenant un air bienveillant.
— On n'est pas ici pour se juger, mais pour apprendre.
— Pour apprendre ?
Il bondit de sa table et s'avance vers moi avec une démarche peu inspirante.
— Apprendre d'un petit connard dans ton genre ? Je fracassais déjà des crânes que tu apprenais encore à marcher.
— Je ne doute pas de ta capacité à fracasser des crânes, Davis. J'ai mes talents, tu as les tiens.
La haine lui retrousse la lèvre. Je suis en train de m'enliser. En réalité, quoi que je dise, je serai dans la merde. Autant conserver ma dignité.
— Si tu refuses de participer, je ne m'y opposerai pas.
— Personne ne veut de ton cours ! lance un second détenu.
— Vous pensez que j'ai le choix d'être ici ?!
L'autre homme quitte sa table bruyamment et prend la porte, bientôt suivi par le reste de la classe. Je ferme les yeux et me pince l'arête du nez. Je n'aurais pas dû perdre patience. Davis s'approche de moi et m'oblige à lever la tête pour soutenir son regard.
— Quel prof génial... se moque-t-il.
— J'ai encore des lacunes. Il faut dire que l'élève ne m'a pas beaucoup aidé.
Il m'attrape par le col et me plaque contre le bureau.
— Toi, je vais me faire une joie de te massacrer.
« Davis ! »
La voix rauque du gardien barbu, interpellé par le vacarme des hommes devant la porte, me sauve in extremis de l'expert en broyage de crâne. Davis me toise d'un œil noir, puis me lâche et quitte la salle, énervé. À travers la vitre, je le vois glisser son pouce sous sa gorge avant de disparaître dans le couloir. C'est lorsque je me remets sur mes deux pieds que je constate que j'étais en apnée.
— Le cours est fini, Pasquier. Si on peut appeler ça un cours.
Je me redresse en position assise sur le bord du bureau et passe une main dans mes cheveux en soupirant.
— Tu devras rendre des comptes à M. Hamilton.
— Je sais.
— Les faire partir au bout de trois minutes et te mettre à dos le plus débile... C'est un don que t'as d'être aussi con ?
Stupéfait, je le fixe. Un gardien est-il censé insulter gratuitement les détenus lorsqu'ils n'ont rien fait de mal ? L'autorité leur monte très vite à la tête, j'ai l'impression. Sur sa chemise bleue trop serrée, le badge indique « MILLER ». Il frotte son collier de barbe grisonnant en me dévisageant, ouvre la bouche puis se ravise.
— Bref, tu as de la visite.
— Pardon ?
— Un type d'une cinquantaine d'années.
Mon père ! Je sens la chaleur me monter aux joues. Enfin, mon père est venu ! Le bonheur m'illumine. Miller me fait signe de le suivre jusqu'au parloir. Je pénètre dans un premier « sas » dédié à la fouille, puis le surveillant en charge me regarde de la tête aux pieds avant de me laisser passer. Mes yeux sont rivés sur la porte entrouverte.
— Les conversations sont sur écoute, me signale-t-il.
Comme si j'avais quelque chose à cacher... Quand j'entre dans la salle, j'ai l'impression de me voir dans un film. Détenus et visiteurs sont séparés par une vitre, la communication se fait par l'intermédiaire d'un téléphone.
Chacun est isolé des autres par une petite cloison. Je digère de moins en moins le fait d'être enfermé dans cette prison minable en compagnie de cinglés alors que je lutte contre les délits. Et on ose appeler ça "justice"... Je maudis Reynolds chaque jour que Dieu fait.
Je m'aligne dans le rang des détenus qui patientent. Quelle n'est pas ma surprise en voyant Rafael à un parloir. Il me remarque du coin de l'œil et m'ignore dans la foulée. Cette attitude m'agace sans que je ne sache pourquoi.
C'est là que j'aperçois mon père, assis devant une vitre. Mon cœur s'accélère. Quand mon tour vient, je me retiens de ne pas me ruer sur ma chaise. Une fois face à lui, je commence à trembler de tous mes membres. Je tente de contenir mes émotions lorsque nous décrochons ensemble le téléphone.
— Papa, je suis si content de te voir... !
Mon père me toise en silence. Les poches sous ses yeux noisette sont plus creusées que d'habitude. Par-dessus une impeccable chemise blanche, il porte son long manteau bleu marine, celui qu'il mettait toujours lorsque nous devions affronter les hivers canadiens.
À travers lui, je retrouve mon enfance heureuse. Les soirées près du feu à regarder la neige tomber devant les fenêtres embuées et le parfum délicieux du chocolat chaud aux chamallows de ma grand-mère me reviennent en mémoire. La mousse sucrée accrochée aux lèvres, les bûches qui craquent dans les flammes, la voix de grand-père racontant sa chasse du jour...
Un courant d'air glacé perce ma bulle. Le passé s'efface, les murs ternes et le brouhaha masculin m'agressent à nouveau. Le bois crépitant disparaît et le chocolat est remplacé par l'odeur si particulière de la prison. Je reviens à moi dans le regard froid de mon père. Est-ce de la colère ? Il caresse sa barbe grisonnante d'un geste nerveux.
— Papa, dis quelque chose, s'il te plaît...
— Je suis uniquement là pour te dire que ta mère va mal.
— Q-quoi ? Qu'est-ce qu'elle a ?
— Qu'est-ce qu'elle a ? Son fils est en prison. Tu as gâché la vie qu'on s'était donné tant de mal à te construire, voilà ce qu'elle a.
Mes yeux s'arrondissent.
— Elle... elle est...
— Tu as détruit ta mère. Si elle finit à l'hôpital, tu seras l'unique responsable.
La gifle est monumentale. Une fois le choc passé, c'est la douleur qui me consume. Je secoue la tête, je ne peux pas croire ce qui est en train de se produire.
— Ce n'est pas... Papa, ce n'est pas ma faute !
— Tu as menti sous serment ! Tu as défendu cet homme malgré le fait qu'il soit une pourriture, et pour quoi ? L'argent ? La gloire ? Je te pensais meilleur que ça. Je croyais que tu faisais partie des gens bien. Je n'aurais jamais imaginé que tu allais virer du côté de ces hypocrites véreux. Tu nous as trahis, ta mère et moi, aux yeux de tous.
Je reste bouche bée. Sa mâchoire se contracte. La souffrance est palpable des deux côtés, mais ce que je ressens en cet instant... ce que je ressens est indescriptible. S'il a mal, moi, c'est tout mon monde qui s'écroule. Ses doigts se resserrent autour du combiné.
— Je t'en voudrai jusqu'à la fin de mes jours.
Il raccroche brutalement le téléphone et quitte le parloir sans se retourner. Je me lève brusquement et martèle la vitre.
— Ne pars pas ! Papa, ne pars pas ! Je t'en prie !
Les larmes inondent mes yeux. Les cris du gardien qui me tire en arrière sont insignifiants. Mon père s'en va, et il ne reviendra pas. Je réalise à peine que je continue à hurler, que je me débats avec rage alors qu'ils m'éloignent de ma chaise.
Quand mon père disparaît derrière le couloir, plus aucun son ne sort de ma bouche. Un coup de genou dans la jambe me fait ployer. Je sais que tout le monde me regarde, que je viens de m'offrir en spectacle devant tous les détenus, mais je m'en moque éperdument.
Une nouvelle fouille, des ordres qui tombent, je n'entends plus personne. On me bouscule dans le couloir tout en m'engueulant. Leurs voix sont lointaines. Les paroles de mon père tournent en boucle dans mon crâne. L'unique vision : ma mère en pleurs. Ma mère sur un lit blanc, branchée à un appareil pour surveiller les battements de son cœur fragile.
« Je t'en voudrai jusqu'à la fin de mes jours. »