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1 - Ifula Atlantis
2 - Drapé d’astres
3 - Moisson céleste
4 - Doigts constellés
5 - Calamités filantes
6 - Déluge cosmique
7 - Désastre stellaire
8 - Chemin Divin
9 - Chant éthéré
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Carmina-Xu

Chant éthéré

Un pas. Orion se tenait sur un ponton au bord d’un lac qui ressemblait à une mer. Seule la chaine de montagnes verdoyante à l’horizon lui rappelait qu’elle se trouvait au cœur même du continent unique de l’Outros. Elle s’était enfin habituée à ce monde après de nombreux cycles, mais elle ignorait encore l’ampleur des dons que lui avaient offerts les Dieux. Cette peur d’en faire trop restait ancrée au fond d’elle. En revanche, elle adorait jouer avec sa capacité de déplacement. Toujours plus loin !

Un pas. Elle se retrouva face à la source d’une oasis dont la végétation dense autour d’elle ressemblait presque à une jungle. L’étendue d’eau avait une bonne résonance grâce à l’Essence qu’elle contenait, mais ce n’était pas assez pour sa prochaine entreprise. Elle s’attarda sur les nombreux êtres qui l’entouraient, totalement figés dans leur quotidien festif. Même les flammes dans leur regard et celle qui les enveloppait demeuraient statiques. Les Feu-Follets si elle ne se trompait pas. Un grand sourire s’étira. L’Outros se révélait si riche. Bientôt, elle les réveillera.

Un pas. L’admiration la saisit à nouveau devant l’immense arbre de vie dont les épaisses racines puisaient sa force dans l’étendue d’eau qui l’encerclait. Définitivement, le Vénérable, comme les Eldiens l’appelaient, constituait la forme végétale la plus pure d’Essence qu’elle avait découverte. Orion jugeait ce berceau de nature sacré, elle allait sûrement rester près de lui à l’avenir. Elle soupira de dépit tout en s’asseyant en tailleur, son sceptre reposer sur son épaule. Hériclès avant raison, cette caverne de glace lui offrait la résonance la plus forte.

Elle devint pensive. Comment les Eldiens avaient-ils pu échapper au contrôle du temps ? Comme les ombres dans la dimension du Néant, ils étaient les seuls à pouvoir témoigner du désastre qui s’était abattu sur l’Outros et auquel ils n’avaient eu aucune peine à résister. Cependant, elle avait pansé son âme après d’eux. Son cœur, c’était une cause perdue. Même l’attention particulière d’Hériclès la laissait de marbre. Elle se demandait si le Voyageur ne l’avait tout simplement pas emporté avec lui.

Elle soupira en se relevant après avoir vérifié la position du soleil et de cette lune qui s’approchait doucement de lui. Orion ne devait plus s’attarder, le solstice de l’Outros, l’éclipse qui marquait un nouveau cycle était sur le point de se produire. Il était venu le temps qu’elle accomplisse sa mission et qu’elle traverse les mondes pour former ses rangs.

Un pas. Orion rejoignit la caverne au cœur du domaine glacé, à l’opposé de son précédent paysage. Le froid perçant la saisit aussitôt. Ici, l’Essence le renforçait avec vigueur. Bien que son corps béni résistait plutôt bien aux températures, son manteau d’émeraude n’était pas suffisant.

— Ah ! te revoilà ! s’exclama une femme dans son dos.

— Désolé Miline, j’ai un peu tardé, avoua Orion avec un signe d’excuse.

Son cœur se réchauffa comme à chaque fois qu’elle apercevait sa Cardinale, toujours resplendissante dans sa cape carmin et son regard devenu l’égal du sien, entièrement noir et constellé de point blanc. Les Dieux tenaient leur promesse. Miline et Soneïs avaient passé le chemin divin avant de revenir vers elle. Il ne lui restait plus qu’à retrouver Galane et Philos. Une autre voix annonça fièrement : 

— Tu vois Orion ! Je te l’avais dit qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour la résonance !

Son attention se reporta sur Hériclès qui trouvait toujours le moyen de la suivre. Elle jugeait les Eldiens curieux, tant par leur apparence qui ressemblait à celle de Chronos, notamment par leurs trois petites paires d’ailes, mais aussi par rapport à leur approche de l’Essence. Le garçon brun au regard laiteux vint à sa rencontre à grands pas et sans même la voir, elle sentit Miline se mettre sur la défensive. Sa Cardinale était devenue encore plus protectrice depuis qu’elles s’étaient retrouvées. Orion se décala simplement pour le contourner en tapotant la glace de son sceptre. Elle devait quand même avouer qu’il avait raison, mais elle se demandait aussi comment il avait fait pour découvrir un tel lieu. Elle questionna Miline :

— Où se trouve Soneïs ?

— Sur les crêtes, il attend le début de l’Éclipse pour revenir.

— Bien… Hériclès, tu devrais quitter la caverne le temps que l’on célèbre la moisson.

— Oh ça va, j’ai déjà entendu ton chant ! se renfrogna-t-il un instant. Je peux même t’accompagner.

— Certainement pas, siffla Orion. Tu vas nous désaccorder et tu ne vas pas supporter ce que je vais mobiliser avec mes Cardinaux.

Hériclès afficha une moue clairement déçue. Elle aura beau lui donner tous les arguments possibles, elle se résignait à l’idée que cet entêté ne l’écoutera pas. Vraiment, la fascination à son égard la dérangeait. Il souhaitait découvrir le véritable chant au solstice ? Soit, il y avait de grandes chances qu’il le regrette. Cependant, sa question bien trop sérieuse à son gout l’a surpris :

— Est-ce réellement nécessaire de réveiller tous ces peuples ?

— Je te l’ai toujours dit Hériclès que c’était mon objectif. Je suis l’Émissaire d’Akhenn et je ne dérogerai pas au devoir qu’il m’a confié.

La sensation familière d’un pas dans son dos lui permit de ne pas continuer davantage. Orion sentait depuis quelque temps que le jeune homme abordait des sujets au terrain plutôt glissant. Cependant, elle n’arrivait pas à tout à fait saisir les raisons à tout cela. Elle se détourna de lui au profit de Soneïs qui l’informa :

— On doit commencer à chauffer nos voix. La lune va bientôt croiser le soleil.

— C’est quand même dommage de ne pas pouvoir admirer la moisson, se plaignit Miline.

— Surtout à cette échelle, plaisanta le Cardinal.

Orion soupira en roulant des yeux, plutôt amusée. Étrangement, elle se sentait bien plus légère depuis que les Dieux lui avaient accordé un nouveau souffle. Le poids des tragédies ne s’effaçait pas, mais elle ne s’en accablait plus. Elle ne pourra jamais effectuer un pas vers le passé, toujours vers le futur. D’une certaine manière, cette obligation d’aller en permanence de l’avant avait quelque chose de salvateur.

Elle frappa la glace sous ses pieds pour annoncer qu’ils allaient débuter. Chacun de leurs côtés, ils firent vibrer leurs gorges afin de se préparer. À nouveau, Orion adressa un signe de tête à Hériclès pour lui signifier qu’il devait vraiment sortir de la caverne. En vain. Il allait payer le prix de sa stupidité.

Orion commença à battre le rythme avec son sceptre en fredonnant. Nouveau monde, nouveau chant. Elle frappa une dernière fois la glace avant de jeter en l’air son symbole pour l’attraper par la base du manche. Paisiblement, elle entama une note douce et résonante. Ses pieds glissèrent sur la surface tandis qu’elle fit danser son orichalque autour d’elle. D’une même voix, Miline et Soneïs l’accompagnèrent sur un ton plus grave. Elle ferma les yeux pour se concentrer sur les vibrations. La caverne atteignait déjà son point de réverbération, constata-t-elle en commençant à élever sa voix. Un sourire naquit au fil de sa danse, cette dernière moisson sera très certainement la plus mémorable qu’elle aura accomplie dans sa vie ! Les Cardinaux s’imposèrent et elle chanta :

— Quand les aurores se montrent ! Quand les astres se rencontrent !

Son orichalque trembla et irradia d’Essence dès ses premiers mots, une énergie à l’effigie de celle qui coule dans ses veines. L’ivresse s’empara immédiatement d’elle. Akhenn lui avait confié une force que personne ne devrait posséder ! L’étoile de son sceptre balaya l’air tout en soulevant de longs filaments d’Essence sur son passage.

— Dansons, dansons ! Chantons, chantons !

Des paroles prononcées avec joie à l’unisson avec ses Cardinaux avant que ces derniers reprennent leur résonance tout en battant le rythme des mains. Orion jongla avec son sceptre pour lever l’énergie omniprésente et la rendre visible. Ses déclarations gagnèrent en conviction :

— Ô Chronos, coupez leur éternité ! Ô Gaïa, redonnez leur vitalité !

Orion se retrouva un instant pétrifiée par la puissance qui circulait en elle. Un vaste torrent d’Essence qui l’aurait emporté sans l’ombre d’un doute autrefois. Ses sens devinrent exacerbés. Au-delà de la caverne, des montagnes, elle percevait qu’elle était en train de soulever toute la force d’un continent bien plus immense qu’Atlantis. Elle se sentait si heureuse de pouvoir accomplir un tel exploit. Que les Dieux puissent être témoin de sa dévotion ! Sa voix surplomba les vibrations continues et ambiantes :

— Ô Akhenn ! Guérissez vos Mondes ! Ô Akhenn ! Admirez notre Moisson ! s’époumona-t-elle.

À son ultime demande, elle fit claquer son sceptre contre le sol et joignit solidement les mains sur le manche tout en prenant le meilleur appui possible. Ce qui se souleva autour d’elle était d’une densité phénoménale. Tout résonnait à l’unisson. Son orichalque, les notes de ses cardinaux et la sienne, la caverne qui tremblait… Orion redevint un pilier d’Essence. Cependant, tout restait si clair, si fluide ! La moisson de l’Outros, la moisson pour réveiller tout un monde !

Quand elle sentit le flux disparaitre, Orion avait l’intime conviction qu’elle avait réussi son devoir. La tension dans son corps s’évapora et soudainement, ses jambes cédèrent. Ce fut Miline qui la rattrapa avant qu’elle ne chute. Cette dernière semblait à bout de souffle, mais elle lisait en elle une joie certaine. Puis elle lui remarqua avec un faux ton de reproche :

— Des fois, je me demande vraiment si tu connais la demi-mesure.

— T’es encore debout cette fois, s’amusa Orion en retour. Bon, je me sens un peu vidée, avoua-t-elle tout de même. Laisse-moi un peu de temps pour récupérer.

— Bon sang, comment t’as fait pour tenir le choc toi ? s’exclama Soneïs de son côté.

Orion jeta un œil, son Cardinal était en train de relever Hériclès qui semblait toujours conscient, bien que sonné. Là, elle s’interrogeait aussi. Même elle avait eu du mal supporter la pression lors de sa précédente moisson. Miline l’aida à s’assoir et les premiers mots du jeune homme fusèrent :

— C’est fabuleux Orion ! Tu es si puissante !

Elle resta silencieuse. Elle n’entendait pas ce fait comme un compliment. À plusieurs reprises, elle avait vu une fascination dérangeante quand il prononçait ces mots. Cependant, Orion n’aura plus à s’en préoccuper encore longtemps. Les résidus d’Essences lui redonnaient déjà la force nécessaire pour qu’elle se remette sur pied. Soneïs abandonna l’Eldien sans plus attendre en lui demandant :

— Tu te sens prête à partir ou tu as besoin de plus de temps ?

— Partir où ? s’étonna Hériclès en s’approchant.

— Aux origines, souffla Orion.

Elle frappa avec nonchalance avec une pointe de son étoile sur une surface invisible derrière elle. Le reflet se troubla et se tordit sur lui-même. Un point noir naquit avant qu’il ne s’ouvre subitement en scintillant de mille couleurs. L’Eldien se montrait à la fois ébahi et incompréhensif. Sans plus de mots, ses Cardinaux le traversèrent. Orion anticipa la réaction du jeune homme. Ses traits devinrent sévères et ses paroles tranchantes en même temps qu’elle pointa son sceptre sur lui pour le stopper :

— Je t’ai déjà prévenu plusieurs fois. Nous n’appartenons pas à l’Outros. Nous sommes des gardiens et ton monde n’est pas le seul sur lequel nous devons veiller ! Ce n’est pas ici que je formerais mes rangs, mon culte, voué au devoir que le Créateur nous a confié ! Si jamais un Voyageur passe là, dites-lui que l’étoile est partie retrouver ses origines, souffla-t-elle après une hésitation.

Sans plus de mots, Orion se retourna pour traverser son portail qui se referma immédiatement derrière elle. Elle ne ressentait aucun remords. Elle avait accompli qu’elle devait faire et elle reviendra seulement lorsqu’elle aura forgé un peuple à son effigie, entourée de tous ses Cardinaux… Ses pas se frayaient un chemin sans le moindre doute à travers ce couloir indistinct d’Essence. Quelle époque allaient-ils atteindre ? Pourront-ils revoir Atlantis ? Son cœur la serra. À défaut d’oublier sa douleur, elle devait la transformer. À son tour de faire naitre des Créations…

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