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1 - Ifula Atlantis
2 - Drapé d’astres
3 - Moisson céleste
4 - Doigts constellés
5 - Calamités filantes
6 - Déluge cosmique
7 - Désastre stellaire
8 - Chemin Divin
9 - Chant éthéré
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Carmina-Xu

Moisson céleste

Orion se planta devant son grand miroir pour pouvoir ajuster sa tenue cérémonielle. Sa longue robe blanche et ses nombreux bijoux d’or lui donnaient toujours une allure méconnaissable. Cependant, c’était un honneur de la revêtir chaque année. Elle jeta un bref coup d’œil vers sa fenêtre. La nuit était encore noire, mais elle ne devait pas s’attarder. Tout en ajustant ses cheveux complètement détachés pour l’occasion, elle déposa sa lourde couronne solaire sur sa tête en prenant soin de bien la placer.

Son regard s’arrêta sur son reflet et malgré tout, un sourire s’étendit. Elle ne pouvait pas nier que depuis quelque temps, elle avait une bien meilleure mine. C’était comme si Akhenn et ses murmures l’avaient pleinement réveillée. La voix du Créateur la captivait par sa divine résonance. Les mondes éphémères prenaient tous leurs sens. Cependant, elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi les étoiles finissaient toujours par disparaitre. Inlassablement, Akhenn lui soufflait la même réponse : « l’équilibre divin ». C’était bien trop flou au gout d’Orion, mais elle n’essayait jamais de creuser davantage par peur de perdre de contact si insaisissable. À son plus grand désarroi, ces derniers jours, elle regrettait le nouveau mutisme du Créateur. Parfois, c’était comme si elle se sentait coupée de lui, mais la goutte d’Essence qu’il lui avait offerte ne disparaissait pas.

 Orion soupira un peu. Elle n’allait clairement pas perdre foi envers le Créateur pour des silences. Elle l’avait toujours glorifié sans jamais rien espérer en retour… Sans plus attendre, elle récupéra son symbole qu’elle avait décoré de fin ruban jaune pour l’évènement qu’elle allait bientôt diriger. Apercevoir la lueur de son orichalque lui réchauffa le cœur. Non, elle n’avait pas perdu l’esprit cette nuit-là. Ce que sa pierre renfermait ne faisait plus qu’un avec elle lorsqu’elle tenait son sceptre. Un frisson chaleureux la traversa de la tête au pied tandis que son âme vibra :

« Ton cœur sonne. »

— C’est le solstice, murmura-t-elle avec un sourire réjoui. Le jour le plus long de l’année et propice à la moisson.

« En quoi consiste-t-elle ? »

Alors qu’elle était sur le point de répondre, elle s’abstint en entendant la pierre-socle s’ancrer à son niveau. C’était préférable qu’on ne la surprenne pas à parler toute seule. Quand elle se retourna, elle découvrit Miline qui avait elle aussi revêtu ses attributs de parades. Elle avait troqué son grand manteau carmin de Cardinal pour une toge de la même couleur avec l’étoile de son sceptre brodé dessus. Ses chevilles, ses poignets et son cou étaient ornés d’épais anneaux d’or. Elle avait toujours pensé qu’en étant blonde et bouclée, Miline était celle qui portait le mieux cette tenue. Orion lui offrit un beau sourire, pour elle aussi c’était un grand jour. La Cardinale lui demanda :

— Prête ?

— Toujours ! s’exclama Orion en faisant tinter ses bijoux.

— Ne tardons pas, les autres sont prêts à se rendre au temple. On attend plus que toi.

Orion s’empressa de la rejoindre sur le socle après avoir enfilé sa cape à la va-vite. Dès qu’elle posa les pieds sur celui-ci, elles descendirent d’un niveau pour retrouver les autres Cardinaux. Chacun d’entre eux était tous aussi élégant dans leur tenue commune. Elle nota la mine fatiguée de Galane, sa plus jeune héraut à la peau brune et aux yeux noisette, était encore peu habituée de devoir veiller toute la nuit pour les moissons. En revanche, tout comme Miline, Soneïs et Philos se révélaient parfaitement en forme. Naturellement, son grand sourire s’étira encore plus et se répercuta sur chacun de ses Cardinaux. Soneïs observa :

— Ça fait plaisir de voir que tu as retrouvé ta joie Orion.

— Tu n’aurais pas rencontré en douce quelqu’un ? commenta Galane d’un petit air espiègle.

— C’est vrai que c’est suspicieux alors que tu n’arrivais pas à te sortir de ta morosité, releva son doyen.

— Laissez-moi tranquille ! se plaignit Orion en gonflant une joue. Contrairement à vous, je n’ai pas le luxe de pouvoir fonder une famille ! Et non ! Hormis mes cartes, le ciel et vous, je côtoie personne ! ajouta-t-elle pour dissiper le malaise qu’elle avait créé sans le vouloir.

Sans plus attendre, elle grimpa sur le char de parade qui était déjà activé. Chaque Cardinal avait laissé leur pierre ancrée sur les terminaux. À nouveau, elle jeta un œil à l’est. Les premières lueurs du soleil se montraient timidement. Ils avaient une heure pour se rendre à la ziggourat située sur le flanc de la montagne sacrée. Il y eut de petits rires dans son dos avant que ses hérauts ne la rejoignent et prennent chacun leur place pour piloter l’appareil massif.

Orion commençait déjà à trépigner. Même quand la douleur étreignait son âme, la moisson restait un évènement où elle donnait tout, corps et âme. C’était à ce moment qu’elle montrait pourquoi elle était la prêtresse ! Son emballement ne manqua pas à Miline :

— En tout cas, avec une telle joie, je sens que tu vas nous offrir une moisson des plus riche.

— On verra bien ! C’est mon rôle aussi ! Galane, Soneïs, tout est bon pour les préparatifs ?

— Bien sûr, répondit ce dernier. Tu sais que tu peux nous faire aveuglément confiance.

— Je sais, sourit-elle innocemment.

— Concentrez-vous un peu pour stabiliser le char, rappela Philos. À moins que vous préfériez que ce soit Orion qui s’en occupe.

Le « surtout pas » bien trop rapide de Miline les firent rire, mais très vite, le silence s’installa. Les Cardinaux accordaient la résonance de leur pierre sur une même fréquence et, tandis que la machine se mit en mouvement, Orion ferma les yeux. Elle devait se préparer elle aussi. Son entrée en scène nécessitait un contrôle parfait de l’Essence, et depuis qu’Akhenn avait béni son orichalque, elle avait ce curieux sentiment qu’elle pouvait facilement dépasser ses limites. En joignant ses mains sur son manche, elle commença à ressentir ce qui l’entourait. Rapidement, elle fit un constat : l’énergie manquait. Comme si tous les cristaux étaient devenus plus gourmands alors que le sien ne se tarissait plus. De plus en plus, les premiers rayons de soleil percèrent l’horizon sans que l’astre flamboyant se révèle.

Les Cardinaux posèrent le char sur la place de pierre et de colonnes au pied de la montagne sacrée, orienté vers l’est. Orion leva les yeux vers la ziggourat qui n’avait pas le moindre accès terrestre. Derrière elle, une grande partie de son peuple s’était déplacé pour assister à l’évènement, à ces quelques heures où ils la voyaient tous comme un être semi-divin. Ce jour où leur voix allait également se joindre à la sienne. Elle jeta un regard aux Cardinaux et leur accorda un petit mouvement de tête entendu. Galane et Miline vinrent à elle pour lui retirer son large manteau d’émeraude tandis qu’elle posa son sceptre sur sa clavicule pour libérer ses bras. Puis, sans un mot, elles retournèrent sur le char qui s’éleva aussitôt dans les airs. Ils rejoignaient le temple pour les derniers préparatifs et se mettre en place à leur tour.

Orion souffla plusieurs fois, de plus en plus longuement, en ancrant son manche contre la pierre. La terre commençait à rentrer en résonance. Derrière elle, un silence et une discipline exemplaire régnaient. Un sourire lui barra le visage. Les Atlantes étaient vraiment une nation soudée par la confiance. Elle frappa une première fois sur le sol pour faire tinter son symbole. D’un seul et unique mouvement, elle entendit le choc des talons contre la roche dans son dos. Puis, elle prit une longue inspiration en levant son sceptre. Avec vigueur, la première note de son chant perça le silence et progressivement, celle de son peuple se mêla à la sienne.

Elle ferma les yeux en laissant vibrer son orichalque. Doucement, ses pieds quittèrent le sol. Être une prêtresse revenait à dire qu’elle était un cristal en soi. Orion utilisait la force de l’Essence sur son propre corps. L’énergie coulait en elle, à l’égale des machines que ses semblables construisaient. Telles les nombreuses structures flottantes dans les villes, elle pouvait agir ainsi au prix d’un effort considérable. Elle augmenta d’une note son chant. Bien qu’elle faisait tout pour garder son esprit vide, elle remarquait tout de même que cette fois-ci, elle défiait la gravité avec bien plus d’aisance. Plus elle s’élevait, plus les voix sous elle résonnaient avec ferveur.

En atteignant le sommet de la ziggourat, elle s’en approcha dans une paresseuse dérive. Deux de ses Cardinaux se tenaient prêts à la rattraper comme à chaque fois, mais elle retrouva la pierre avec une légèreté qui les surprit. Cependant, Orion ne leur laissa pas l’opportunité de prononcer le moindre mot. Le soleil commençait à se lever lentement devant elle. Elle lança son sceptre pour le saisir par son pied tout en rejoignant le petit bassin surélevé en face d’elle. Doucement, elle engagea sa danse tandis que ses hérauts prenaient place à chaque point cardinal qui leur était assigné. Chacun leur tour, ils firent tinter leurs bijoux en rythme et débutèrent leurs chants résonnants dont la sonorité différait du sien. Leurs airs se mêlèrent avec harmonie à celle unifiée en contre bas.

Orion fredonna pour prier et économiser sa voix avant le grand spectacle. En laissant ses pieds glisser dans l’eau, elle se mit à danser. Les pointes de son étoile défiaient la surface du bassin qui ondulait à chacun de ses pas. Les encens commencèrent à l’enivrer. D’ici, le lever de soleil était si beau. L’astre flamboyant était sur le point de se révéler entièrement. Les rayons rendirent les chants de son peuple euphorique. Les Cardinaux poussèrent la force de leur voix tout en débutant une danse bien plus énergique. C’était à elle maintenant de tout donner… Elle pointa, toujours à bout de bras, son sceptre vers le ciel tandis qu’elle s’immobilisa en s’ancrant fermement au sol.

— Quand l’aube du solstice se lève ! Quand la terre se gorge de sève !

Son orichalque entra en résonance avec une telle force que tout son être trembla. À l’égal des piliers protecteurs, elle devait se montrer solide et puissante ! L’écho de ses Cardinaux l’aidait à ne pas perdre pied alors qu’elle venait de commencer. Avec davantage de ferveur, elle continua :

— Dansons, dansons ! Chantons, chantons !

En réponse, les quatre chants autour d’elle se renforcèrent et le tintement de leurs bijoux se révéla plus sonore et rapide. L’ivresse secoua subitement son petit corps. L’Essence ! Elle la percevait ! Elle se levait et devenait omniprésente pour ses sens ! Toujours avec plus de voix, Orion s’accrocha :

— Ô Chronos, accordez-nous une nouvelle éternité !

D’immenses filaments colorés naquirent près d’elle. La pression qui s’exerçait en elle s’avérait exceptionnellement forte, son esprit s’évadait. Son cœur résonnait en accord avec l’Essence qui se densifiait. Sans vraiment remarquer que les instruments autour d’elle étaient en train de perdre le rythme, elle invoqua la deuxième Déesse :

— Ô Gaïa, offre-nous une inépuisable fertilité !

De son bras libre, Orion pointa le soleil qui se dressait devant elle. Son regard était égaré, ailleurs. Elle s’accordait à la puissance titanesque qui se levait. Tout autour d’elle, la moisson débutait. L’Essence se montrait, le sang de la terre quittait ses entrailles. Telles des gouttes de pluie qui retournaient au ciel, elles se rassemblaient pour créer toute une multitude d’aurores qui dansait dans les airs.

— Ô Akhenn ! Bénissez votre Création !

Les quatre voix qui l’entouraient s’éteignirent anormalement, mais Orion restait prisonnière des sensations qui l’animaient. Elle était si engourdie qu’elle ne remarquait pas que la résonance de ses Cardinaux s’était effacée. Elle atteignait l’ultime écho et elle s’époumona :

— Ô Akhenn ! Admirez notre Moisson !

Les aurores d’Essence éclatèrent soudainement pour devenir des billes de différentes tailles. Les unes après les autres, elles prirent des directions diverses à travers tout Atlantis. Elle vit les sphères d’énergie qui était destinée aux pierres de ses hérauts et à la sienne filer sur eux alors qu’Orion commençait à se relâcher. Elle demeura inerte, sans comprendre pourquoi la goutte d’Essence s’écrasa et se dispersa contre son orichalque, comme si elle n’avait pas pu la pénétrer. Son esprit était si embrumé, elle ne réalisa pas que chacun de ses Cardinaux se trouvait à terre et l’immense fracas qui résonna avec violence.

Ses jambes se mirent à trembler. Toutes ses forces venaient de la quitter. D’un coup, elle tomba à genou. Ses mains restaient désespérément accrochées à son sceptre qui la soutenait et qui résonnait encore à une moindre intensité. Un grand sourire ébahi s’étira sur ses lèvres alors qu’elle leva les yeux au ciel en murmurant :

— Ô Akhenn, bénissez cette moisson.

Sa vue se voila et Orion se sentit partir en arrière. Sa tête rencontra une surface ferme. Soneïs, reconnut-elle vaguement… Il semblait malade et paniqué, mais ses mots ne l’atteignaient pas. Alors qu’elle se laissait envahir par cette fatigue écrasante, une funeste voix désincarnée féminine, électrisa son esprit, avant que la noirceur l’emporte :

« Trouvée, abomination du Créateur… »

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