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1 - Ifula Atlantis
2 - Drapé d’astres
3 - Moisson céleste
4 - Doigts constellés
5 - Calamités filantes
6 - Déluge cosmique
7 - Désastre stellaire
8 - Chemin Divin
9 - Chant éthéré
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Carmina-Xu

Doigts constellés

Orion restait prostrée, recroquevillée sur elle-même avec son sceptre contre sa poitrine, à la fenêtre de l’observatoire. Malgré l’étrange moisson qui s’était déroulée quelques semaines plutôt, Atlantis avait retrouvé son rythme de vie sans se poser de questions. Absolument tous les cristaux avaient récupéré leur pleine charge. Pourtant, elle, tout comme ses Cardinaux, essayait de comprendre ce qu’il s’était produit. Ils étaient pourtant habitués à supporter la pression de l’Essence durant l’événement, mais cette fois-ci, ça n’avait pas été le cas, même pour elle. Ça leur avait tous pris plusieurs jours pour s’en remettre. Bien évidemment, elle savait qu’elle était la source de cette surprenante puissance puisqu’elle était la seule à réellement manipuler l’énergie. C’était elle qui avait à ce point densifié l’énergie sans s’en rendre compte. Elle avait l’affreux sentiment qu’elle ne contrôlait plus la force dans ses veines et son orichalque.

Elle plongea la tête dans ses bras pour réprimer les larmes qui montaient. Depuis cette voix pleine de promesses qui n’était pas celle du Créateur, elle n’entendait plus le moindre murmure. Pourtant, la lueur de sa pierre lui prouvait qu’il ne l’avait pas abandonnée. Parfois, elle avait des visions fugaces, distordues, qui s’imposaient à elle. Une dispute d’une autre nature qui empirait de plus en plus comme la disparition des étoiles dans le ciel.

Ce qu’elle commençait à doucement comprendre la terrifiait. Si Akhenn respectait un équilibre divin et qu’il faisait naitre des mondes éphémères… Alors cela ne pouvait que signifier qu’il existait une divinité qui constituait son parfait opposé : un Destructeur… Ou plutôt une. Cette rage qu’elle avait perçue allait dans ce sens. Le pire, c’était qu’elle ne parvenait pas à savoir si c’était elle ou cette divinité Innommable qui avait détruit ce qu’il y avait de plus précieux à ses yeux : l’orichalque de son pilier protecteur. L’obélisque que son âme rejoindra pour à jamais défendre les siens avait éclaté.

« Je ne comprends pas pourquoi tu dois à ce point te sacrifier… »

Orion se releva en essuyant rageusement ses larmes avec une manche. Et voilà maintenant que les mots du Voyageur revenaient avec plus de clarté ! C’était son devoir ! Point ! Son pilier avait déjà été fragilisé par le passé, mais les Tailleurs l’avaient restauré jusqu’à ce qu’elle puisse lui donner vie. Paradoxalement, plus son cœur se fermait contre cette douleur fantôme, plus ses fragments de mémoire devenaient compréhensibles. Elle lui en voulait de ne plus être là et c’était bien la seule certitude qu’elle avait. Son cœur saignait à chaque fois que son esprit essayait de le retrouver.

Durant quelques instants, elle se gratta nerveusement le cou. Elle devait se rendre à la mine des orichalques. Miline l’avait informée hier que son nouveau cristal était taillé. Sans réfléchir, ses pieds quittèrent la pierre. Orion avait conscience qu’elle abusait de cette capacité qui était réservée aux moissons, mais plus le temps passait, plus agir ainsi lui semblait naturel. Puis, c’était aussi une excellente manière d’éviter les questions des Cardinaux. Elle n’en démordra pas, Ouranos était Akhenn et c’était impensable qu’elle le nomme autrement maintenant.

Doucement, elle se dirigea vers la montagne pour rejoindre le village des Tailleurs. Elle ne rechignait jamais à son devoir, mais ce qui l’attendait ne la rendait pas sereine. Elle n’aurait pas dû endurer cette épreuve une deuxième fois… À presque trente-trois ans, autant dire que ça n’allait pas être sans conséquence pour son corps tout comme esprit. Orion ferma les yeux pour faire le vide dans son esprit et apprécier chaque sensation que son envol lui procurait. Elle n’avait plus besoin de se concentrer, son instinct la guidait sans la moindre faille.

Progressivement, elle s’approcha de ce petit village isolé au pied des entrées des mines d’orichalque. Les Tailleurs étaient une communauté indépendante tout aussi sacrée qu’elle et ses Cardinaux. Personne ne touchait à ces filons à part eux et ils transmettaient leur art qu’à leurs descendants. Sans peine, elle repéra Miline et Philos, accompagnés d’un homme marqué par l’âge, le Doyen, reconnut-elle par sa cape comparable à la sienne, mais noire. Alors qu’Orion retrouva la terre ferme avec douceur, elle nota bien les regards désapprobateurs de ses hérauts. Cependant, elle ne s’en soucia pas et reporta son attention sur le maître des Tailleurs qui les recevait de manière très solennelle :

— Prêtresse Orion, nous vous attendions, salua-t-il en se courbant devant elle.

— Doyen Ouros, renvoya-t-elle avec la même déférence. Je vous remercie de nous accueillir au cœur des gisements.

À nouveau, elle s’inclina. Cet homme pourrait être son égal s’il souhaitait s’impliquer dans la vie des Atlantes. Là où elle assurait la pérennité des joyaux, lui et ses pairs en étaient les créateurs. Il les invita à le suivre au cœur d’une des mines, celle qui possédait les plus grands filons d’orichalque si ses souvenirs d’enfance ne s’étaient pas trop abimés. Dans son dos, Miline et Philos ne prononçaient pas un mot. D’un côté, ça l’arrangeait, mais c’était aussi la règle. Les Tailleurs vivaient dans le silence. Le Doyen les guida dans les larges galeries qui s’enfonçaient dans la montagne en regrettant :

— Je suis sincèrement navré Prêtresse Orion que votre cristal se soit ainsi brisé. Les meilleurs Tailleurs sont toujours en train d’étudier les fragments pour comprendre ce qui a pu se produire. C’est un déshonneur d’avoir échoué la perfection de votre réceptacle.

Orion préféra sceller ses lèvres et ne pas lui rappeler un autre phénomène qui pourrait accabler sa communauté. Sa pierre avait déjà été abimée par le passé. Ce souvenir restait d’ailleurs très flou à ses yeux. Elle ne se rappelait plus ce qui avait pu se passer pour que ça arrive. En soi, le pilier était déjà fragilisé avant qu’il n’éclate durant la moisson. Elle l’écouta poursuivre :

— Nous cherchons dans nos archives si un fait similaire a pu se produire aux origines de notre histoire. Peut-être que les vôtres regorgent de secrets également.

— C’est une possibilité, admit-elle. Les Tailleurs ont édifié les vingt-six colonnes qui protègent nos terres. J’ai donc accès aux traces que ces prêtresses ont laissées derrière elles. Mes Cardinaux se chargeront de vous transmettre les informations que je trouverais.

— C’est un honneur que vous partagiez votre savoir Prêtresse Orion.

En vérité, le Doyen avait quelque peu piqué sa curiosité. Elle ne s’était jamais vraiment penchée sur les mots passés de ses prédécesseurs. Les connaissances orales et la prospérité d’Atlantis ne l’avaient pas poussée dans ce sens. Alors qu’elle se perdait dans ses réflexions, Orion revint durement à la réalité en pénétrant la gigantesque caverne aux parois blanches et lumineuses d’orichalque. Elle se sentait résonner au rythme des pulsions qui traversaient les filons, comme si la montagne même en était le cœur.

Quand son regard se posa sur l’énorme sphère lisse devant elle, son sourire s’effaça. Elle ne pouvait tout simplement plus le garder. Fidèle à ses souvenirs, même si elle était adulte maintenant, le réceptacle restait immense à ses yeux. Elle devait recommencer. Elle devait à nouveau laisser une part de son âme qui allait emporter des fragments de sa mémoire… Elle avala difficilement sa salive et tâcha de contenir l’angoisse qui la saisissait. Ce n’était pas pour rien que cette étape dans la vie des prêtresses soit réalisée très jeune. La tristesse du Doyen fut immanquable :

— Je suis navré que vous deviez animer une seconde fois votre réceptacle. Nous avons tout prévu pour vous faire retrouver des forces. Vos Cardinaux nous ont déjà fait part de tout ce dont vous aurez besoin.

— Prêtresse Orion, osa appeler Philos. Vous devriez envisager de l’activer en deux temps pour ne pas trop vous épuiser.

— Quitte à endurer ce poids, je préfère encore réveiller pleinement cet orichalque en une seule fois, informa-t-elle avec un timbre de voix plus grave que coutume.

— Prêtresse vous ne…

— Cardinaux Est et Nord, coupa-t-elle. Vos attentions sont bonnes, mais je mène mon devoir comme j’estime qu’il doit être fait.

— Ne forcez pas Prêtresse Orion, vous savez très bien ce qu’il en découle.

— Je le sais Doyen. Je vous conseille de prendre de la distance. C’est possible que la densité d’Essence soit bien plus élevée que par le passé.

Ses Cardinaux s’empressèrent de faire reculer le vieil homme à ses mots, plus que conscients de ce qu’elle sous-entendait. Non sans serrer des dents, le corps étreint par la peur, elle devait agir. En terminer pour n’en faire qu’un souvenir éprouvant. À contrecœur, elle déposa son sceptre à terre et quitta son manteau en le laissant glisser de ses bras. À pas mesuré, elle s’approcha de la sphère. Alors qu’elle leva les mains, prête à toucher la surface lisse, elle entendit tel un lointain un murmure qui venait de son esprit :

« Orion, ne gaspille pas ta vie ! Je t’en supplie ! »

Elle n’avait pas le choix, stupide Voyageur ! Être une prêtresse signifiait qu’elle était un orichalque de chair et d’os ! Qu’en tant que reine, même après son dernier souffle, elle se devait de continuer de protéger son peuple ! Elle ne dérogera pas à ce devoir ! Elle plaqua ses paumes contre le cristal qui réagit aussitôt en pulsant des ondes d’énergie. Ce n’était pas sa pierre qui devait activer ce réceptacle, mais sa propre vie ! L’Essence qui coulait dans ses veines depuis toujours !

Ses mains se noircirent à vue d’œil. Ses bras se colorèrent progressivement de ligne bleutée qui s’enroulait sur sa chair. Son visage se lézarda de fissure encore plus vive. Elle se sentait brûler de ton son être ! Sa vision devint plus sombre, comme si un voile venait de se déposer sur ses yeux alors que la douleur l’envahissait. Malgré le fait que tout son corps transpirait l’Essence pure, malgré que son âme se consumait peu à peu, Orion lutta de toutes ses forces. Ces ondes qui rejetaient la nature de son sang cessèrent au fur et à mesure qu’elle parvenait à l’injecter et à la concentrer dans la sphère. Dans un ultime effort, elle grava sa volonté au cœur de la pierre :

— Je suis Orion ! L’étoile qui les unira toutes !

Un puissant choc le repoussa en arrière. Ses pas étaient incertains et instables. Les sensations de brûlure continuaient même si elles étaient devenues moins intenses. Le voile qui couvrait son regard se renforça. Elle pensa entendre Miline et Philos l’appeler sans en être sûre. Ses jambes cédèrent, mais des bras réconfortants la rattrapèrent. Toujours perdue, le cœur relié à ce réceptacle, elle murmura :

— Je suis la prêtresse des cieux, la voix du Créateur…

— Je t’en supplie Orion, coupe le flux !

La voix désespérée de Philos lui fit l’effet d’une gifle qui la ramena à la réalité. La connexion en elle s’arrêta et son esprit devint si lourd qu’elle avait l’impression de s’éloigner de tout. Difficilement, elle leva les yeux sur Miline qui paniquait. Elle avait fait ce qu’il fallait pourtant, elle avait activé son pilier… Le poids de la fatigue s’écrasa sur elle. Ses paupières se fermèrent sans qu’elle s’en rende compte.

Avec peine, Orion les ouvrit à nouveau. Un magnifique ciel paré de constellations s’offrait à elle. Elle resta inerte sans comprendre ce qu’il se passait. La caverne, l’orichalque, l’Essence… Elle avait juste cligné des yeux, non ? Sans réfléchir, elle tenta de lever les mains pour lire les étoiles. L’une ne bougea pas, une pression la retenait, et elle aperçut la seconde recouverte de bandages. La douleur la frappa d’un coup. Tout son corps la brûlait de l’intérieur. Elle remarqua alors Galane et Miline entrer dans son champ de vision. Les deux Cardinales semblaient à la fois soulagés de la voir ouvrir les yeux, mais aussi terrifiés par quelque chose qu’elle ne comprenait pas. Miline s’exclama au bord des larmes :

— Orion, tu te réveilles enfin !

— Ne bouge pas, lui ordonna Galane. Les brûlures d’Essences doivent se résorber !

— Je l’ai activé, tenta d’articuler Orion.

— Non… Tu as fait pire… Tu as commencé à fusionner avec ton réceptacle ! Tu n’as pas laissé une part d’âme, mais une partie de ton espérance de vie !

« Tu restes humaine, ne dépasses pas tes limites… »

Orion grimaça. Elle n’était pas en mesure de vraiment comprendre et réaliser les informations qu’elle venait d’entendre. Elle n’avait pas la force de balayer ces mots qui provenaient d’un recoin de son âme. Son regard resta rivé sur le ciel et ses étoiles. Par habitude, elle chercha ses points de repère. Un frisson d’horreur la submergea d’un coup :

— C’est quoi cette constellation ?

Sept étoiles brillantes d’une étonnante couleur violette avaient fait son apparition en plein milieu de la ligne du zodiaque. Il n’y avait que le néant qui régnait autour de chacune d’entre elles. Comme si les astres avaient tous été avalés par cette configuration venue de nulle part. À nouveau, la fatigue l’emportait. Cette constellation ressemblait à une main…

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