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1 - Ifula Atlantis
2 - Drapé d’astres
3 - Moisson céleste
4 - Doigts constellés
5 - Calamités filantes
6 - Déluge cosmique
7 - Désastre stellaire
8 - Chemin Divin
9 - Chant éthéré
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Carmina-Xu

Désastre stellaire

Comme elle le pouvait, Orion apportait son aide. Le village de Tailleurs était devenu surpeuplé, mais il représentait aussi le dernier lieu qui ne menaçait pas de se faire engloutir par les prochaines lames de mer. Alors qu’elle distribuait de la nourriture en tâchant de garder son éternel sourire, son regard se porta sur l’horizon. Son cœur de serra et les larmes qui montèrent lui piquèrent les yeux.

Elle ne reconnaissait plus la terre qui l’avait vue naitre et sur laquelle elle avait veillé sans relâche. Le niveau de l’eau s’était tant élevé que la majeure partie du continent se trouvait englouti. Telle une promesse, l’océan continuait de gagner du terrain de jour en jour même si les flots étaient devenus plus calmes. Atlantis ressemblait de plus en plus aux doigts de Gaïa disséminés tout autour d’eux. Du moins, pour ceux qui restaient. Les remparts naturels qui brisaient les vagues disparaissaient les uns après les autres.

Un lourd flocon gris se posa sur sa main. Son regard se leva sur le ciel couvert, presque noir, qui ne laissait plus la lumière percer. Seules ces nouvelles lueurs violettes qui grandissaient toujours plus au fil du temps. Depuis qu’elle avait ouvert les yeux plusieurs jours auparavant, elle n’avait pas revu le soleil ni les étoiles. La pluie ne tombait plus, il n’y avait que ces cendres qu’ils devaient déblayer quand ils le pouvaient. Elle demanda aux hommes et femmes devant elle :

— Allez vous abriter et ne laissez pas les cendres entrer dans vos refuges.

Tous la saluèrent avec une dignité qu’elle pensait ne plus mériter. Elle avait échoué et en plus, elle en payait le prix. Orion s’appuya comme elle pouvait sur son sceptre pour se relever. Philos, qui restaient en permanence avec elle, passa les mains sous son bras pour l’aider à se remettre sur pied. Il lui tendit ensuite son coude pour lui offrir un autre soutien. Son Cardinal lui souffla :

— Viens t’abriter aussi. Tu dois te reposer…

En temps normal, elle aurait protesté pour bien des raisons. Malheureusement, elle n’en avait plus l’énergie. Elle n’en avait plus du tout. Orion se sentait si vieille de corps et si épuisée d’esprit. Elle refusait de l’avouer à ses Cardinaux même s’ils devaient l’avoir compris, elle avait trop puisé dans sa force et son orichalque. Pour la première fois, sa puissance avait drastiquement réduit, à l’égale de sa vie.

Alors qu’elle posa les pieds sur la planche de Philos, elle se laissa doucement glisser à genou. Ses jambes ne lui permettaient plus de tenir, puis elle devait aussi activer l’appareil. Presque tous les cristaux montraient des signes de dysfonctionnement étrange depuis le déluge. Quand elle le pouvait, elle étudiait le phénomène avec Galane. Elles s’accordaient sur le même constat : quelque chose les perturbait. Cependant, celui de son sceptre ne rencontrait pas ce problème, très certainement parce qu’Akhenn l’avait béni. Non sans s’essouffler, elle les éleva jusqu’à la ziggourat qui constituait maintenant son repère. Miline vint en renfort à Philos pour la relever aussitôt qu’ils arrivèrent. Elle s’inquiéta encore :

— Orion, tu dois te ménager…

— Ils ont besoin de voir que je suis là, murmura-t-elle désespérément.

— Tu leur donnes aussi une image brisée, contesta son Cardinal. Ils culpabilisent parce qu’ils pensent que c’est à cause d’eux que tu es dans cet état.

— Ça passera, affirma-t-elle avec autant d’aplomb possible.

— Non, ça ne passera pas, tonna Soneïs en arrivant. On est pas dupe Orion ! Pendant que tu maintenais le pilier, tu absorbais les orichalques comme si ta vie en dépendait !

— En attendant, on est encore là, se renfrogna-t-elle.

— À quel prix ?

Miline la prit dans ses bras en même temps qu’elle souffla sa question. Tout le monde en avait souffert. Chacun d’entre eux avait perdu des parents, des enfants, des amis. Orion ne pouvait pas s’ôter de la tête que son existence réduite ne pourra jamais panser toutes ces pertes. Pour la première fois, elle comprenait le réel sens du désespoir. Son sceptre et son sourire ne constituaient plus que de vaines promesses qu’elle tentait de partager. Doucement, elle prit la force d’aller s’assoir, mais elle laissa les larmes coulées devant le triste spectacle sous ses yeux. Peu importe dans quelle direction elle regardait, la même désolation régnait.

Envers et contre tout, elle frappa légèrement la base de son symbole contre le sol. Sans les voir, elle décela la désapprobation de ses Cardinaux, mais ils savaient également qu’elle devait le faire. Elle se concentra une nouvelle fois sur l’Essence. Elle devait pouvoir activer de nouveau son pilier protecteur en cas d’urgence, le seul qui n’avait pas été détruit et englouti. Cependant, depuis son réveil, elle n’arrivait plus à l’atteindre. Lui aussi subissait cet étrange mal qui le parasitait. Elle n’insista pas davantage, mais cette lueur au-dessus des épais nuages la terrifiaient. Elle ne pouvait pas lire le ciel pour estimer quand les prochaines étoiles tomberont car c’était une certitude, un deuxième désastre se profilait.

Orion baissa les yeux vers le sol avec étonnement. Elle percevait à nouveau une vague qui faisait résonner son cristal sans qu’elle en soit en la source. Une énergie inconnue et que par intuition, elle qualifierait de primaire. Elle la remarquait depuis plusieurs jours. Les pulsations que la terre émanait de plus en plus régulièrement ne la rassuraient pas. Elle supposait que les mines d’orichalques condamnés par le glissement de terrain qui avait emporté un pan de la montagne devaient en être la cause. Malheureusement, tant que les Tailleurs n’avaient pas terminé de libérer une entrée, elle devait attendre. Et encore, fallait-il que les galeries ne se soient pas éboulées aussi.

D’un coup, elle se glaça jusqu’au plus profond d’elle. L’air commença à vibrer avec de plus en plus de violence. Les doigts s’abattaient de nouveau. Ses quatre Cardinaux étaient tout autant saisis d’effroi, conscients de l’annonce funeste que ce vrombissement promettait. Les regards se posèrent sur elle, mais Orion ne vit aucune question, seulement de la résignation. Ses mots tremblèrent en dépassant ses lèvres :

— Allez retrouver vos proches…

— Certainement pas, l’arrêta Soneïs. Nous resterons à tes côtés.

— Je les ai déjà perdus, souffla Miline. À mes yeux, tu es ma dernière fille.

— Quoi que tu dises, nous sommes tes Cardinaux et nous avons tous prêté serment, nous te servirons jusqu’à la fin.

Les larmes d’Orion montèrent aussitôt tandis que Galane approuva d’un mouvement de tête. Elle leur accordait toute sa confiance et leur dévotion à son égard n’avait pas de limite. Elle refusait de les voir disparaitre, elle voulait qu’ils aillent s’abriter eux aussi ! Malheureusement, avant qu’elle n’arrive à émettre la moindre protestation, un choc monumental se produisit. Elle forma une barrière autour d’eux sans réfléchir pour se protéger du souffle qui allait les fouetter avec violence. La vague fut si puissante que sa protection manqua de se briser si Philos n’avait pas eu l’idée d’aider sa résonance avec un chant. Quand l’onde passa, Orion s’écroula tout en restant solidement accrochée à son sceptre. 

Cependant, elle ne prit pas le temps de retrouver un semblant de force quand elle découvrit l’immense déflagration qui se soulevait à l’horizon. Elle devait, quoi qu’il en coute, activer la dernière barrière que possédait Atlantis ! Le sol commença à trembler et elle savait très bien ce qui allait suivre, une nouvelle pluie de roche et de verre ainsi que la mer qui allait se déchainer. Malgré toute sa volonté, son désespoir, son Essence n’arrivait pas à atteindre son pilier. Elle resta soudainement horrifiée par cette autre sensation qui traversait son sceptre et ce grondement funeste qui se levait. L’énergie de la terre, elle devenait constante et de plus en plus intense ! Encore une fois, elle s’acharna à activer la colonne. Les Cardinaux effectuaient tout ce qu’il pouvait pour davantage amplifier sa résonance, mais rien n’y faisait. L’énorme obélisque continuait de scintiller de manière erratique.

Orion s’écroula, la fatigue, bien plus forte que sa volonté, l’écrasait. Elle devait aussi admettre l’évidence. Atlantis ne pourra pas résister une deuxième fois à un tel cataclysme. Elle se refusait d’envisager à quel point, mais elle ne pouvait pas fermer les yeux sur cette vérité. Son peuple, leur savoir, leur culture… Tout allait disparaitre ! Le grondement devint brutalement plus présent. Elle sentait le sol onduler, comme si la terre respirait. Tout en elle lui hurlait un désastre imminent ! Elle regarda chacun de ses Cardinaux qui restaient tout autant affliger par la fatalité des événements. Ils devaient survivre. À eux quatre, ils représentaient tous les aspects de cette civilisation qu’elle n’avait pas su protéger. S’ils pouvaient traverser les âges au prix de son sacrifice… Ses yeux se levèrent sur son orichalque bleuté. Même si cette idée semblait impossible, elle devait au moins réussir à les déplacer au-delà des mers.

 Sans réfléchir plus longtemps, elle se redressa péniblement. De toutes ses forces, elle surprit ses Cardinaux en frappant le sol avec son sceptre pour que le manche vibre le plus fort possible. En même, elle entama la plus haute note de résonance qu’elle était capable d’émettre. La soudaine densité d’Essence figea ses hérauts alors qu’elle avait vu Soneïs vouloir réagir. En ignorant leur cri, Orion poussa à l’extrême ses capacités, sa vie lui échappait, mais ça ne faisait que renforcer ce qu’elle entreprenait. Elle articula difficilement :

— Vous devez faire un pas au-delà des mers… Voyager… Pour survivre.

Sans se soucier des conséquences, elle déploya la totalité de son orichalque. Le manche de son sceptre craqua, se fissura, éclata par endroit. Un à un, chaque Cardinal disparut sans laisser de traces derrière eux, si ce n’était des mots qui n’eurent pas de fin. Une à une, les branches de son symbole se brisèrent. Orion s’écroula alors que son sceptre partit en poussière. Avec toutes les peines du monde, elle récupéra son cristal, seul vestige qu’il en restait. Il avait perdu sa lueur particulière et ne scintillait plus. Un faible sourire s’étira tandis que sa respiration sifflait. Elle avait fait tout ce qu’elle pouvait.

Elle se laissa glisser sur le côté. Dire qu’elle se sentait à bout de force était un terrible mensonge. Elle avait encore consommé sa vie, peut-être presque entièrement cette fois… Cependant, le chaos dans lequel elle se trouvait piégée, cela n’avait plus d’importance. Elle assista à l’enfer qui se déchaina en restant inerte tandis que les larmes lui inondaient la vue. Elle avait au moins pu les sauver eux… Le grondement de la terre devint d’un coup bien plus intense. Orion regarda la montagne subitement gonflée. Avec une fureur inouïe, elle explosa. La roche s’envola en la défigurant. Un colossal panache de cendres se libéra avec violence. Puis vinrent les premières lueurs d’un feu avant que les gigantesques débris ne retombent. Elle joignit les mains sur sa pierre tout en murmurant sans pouvoir terminer :

— Voyageur… Je…

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