Côme
Encore.
Je su que je l'avais dit à voix haute lorsqu'un étau se resserra contre mon cou. Les doigts calleux de la femme, d'apparence plus jeune que ce qu'elle ne devait l'être réellement, avaient enserrés le col de ma chemise plus fortement. Tant que le froissement y resta encore lorsqu'elle les retira.
Peut-être étais-je devenu fou puisque mon pouce caressa sa nuque et mes doigts s'enfouirent plus profondément dans ses mèches claires d'une douceur telle qu'on aurait dit de la soie glissante entre mes doigts. Les épingles coincées dedans ne firent pas long feu lorsque je m'ancrais plus fermement dans sa chevelure polaire.
Peut-être aimais-je aussi plus que de raison l'autodestruction puisque je l'empêchai de s'éloigner de sitôt et m'emparai de ses jolies lèvres colorées d'un rouge qui attirait un peu trop mes yeux —et mes lèvres par la même occasion, apparemment.
Le chewing-gum à la menthe que je mâchais plus tôt m'échappa quand je voulu découvrir le sanctuaire chaud de sa langue avec la mienne. Norella, ou Fox, je ne sais plus qui j'embrassais des deux, le recueillit dans un grondement qui fit vibrer sa poitrine contre mon torse et envoya une décharge droit dans mon ventre.
Mes doigts resserrèrent leur prise sur sa taille et ses cheveux, m'ancrant en elle ou l'ancrant en moi, je ne savais pas vraiment. Son goût me resta longuement sur la langue à l'instar du fantôme de mon chewing-gum à présent en sa possession quand je m'écartais, à bout de souffle.
Les lèvres entrouvertes, nos souffles se mélangeaient, je me sentais trop anesthésié pour placer un mot correct sur ce que nous venions d'échanger. Ce qu'elle venait de me donner de son plein gré.
Son plein gré. Putain.
— Qu'as-tu fait ?,articulais-je d'une voix inaudible, les sourcils froncés.
Un lent sourire mielleux se dessina sur ses lèvres rouges et quelque chose dans ma poitrine flancha. Fox détestait les humains et encore plus si j'en étais leur représentant. Elle ne peut pas m'embrasser de son plein gré, bordel !
— Ce que j'avais à faire, me glissa-t-elle dans la jonction entre mon cou et ma mâchoire avant d'y laisser un léger baiser comme pour camoufler ses dires.
Je la lâche pareil à si elle m'avait brûlé et m'éloigne d'un pas, recevant en réponse un regard d'avertissement de sa part. J'ouvre la bouche pour l'acculer, mais dans mon mouvement vers l'arrière je rencontre une masse inconnue.
Je me retourne si lentement que j'ai conscience de chaque tiraillement de mes muscles endoloris par le trajet à dos d'Opinicus— enfin on aurait surtout dit des genres de griffons imposants dans mon monde. Mes yeux tombèrent ou plutôt se relevèrent alors vers une créature tout à fait terrifiante : un homme. Ou plus précisément, un être elfique à l'apparence d'un immense et massif être masculin. Ses traits de fantaisies ne comportant que les deux crocs dépassants sur ses lèvres supérieures de chaque côté de ses larges lèvres pâles et ses oreilles pointues tendues vers l'arrière, se perdant dans sa longue crinière de jais.
Il pourrait paraître normal dans ce monde enchanteur sans son attirail de guerre composant une épaisse cuirasse qui ne cache pourtant qu'à peine son torse noueux et rendu irrégulier par des cicatrices douteuses, sa couronne d'obsidienne tout en hauteur, l'énorme balafre qui lui barre le côté droit du nez jusqu'à la pointe de son oreille et la lueur de feu qui danse dans ses iris d'un vert émeraude captant la lumière naturelle du château.
Je recule à nouveau de deux pas dans l'autre sens et rencontre un corps bien plus petit— et agréable au passage. D'un coup tous les événements me reviennent en tête en vague destructrice : Fox...ou Norella, peu importe, le baiser-
Oh, le baiser...
Je me racle la gorge, repoussant toute pensée intrusive, reprend contenance et lève le menton. Je refuse de me ratatiner même si c'est sûrement l'être avec l'aura la plus étouffante que je n'ai jamais rencontré qui se tient devant moi. Je me considérais d'ailleurs comme grand avant qu'il n'entre dans mon champ de vision et que je ne louche sur son poitrail. Ridicule.
— Me ferais-tu une offrande humaine, ma chère Ella ?, la voix aussi grave et vibrante qu'un Sarastro à l'opéra. On pourrait s'le partager autour d'un bon breuvage. Tentant, n'est-ce pas ?
J'ouvris la bouche pour m'insurger, je ne les laisserais pas parler de moi comme si je n'étais que du bétail n'ayant droit à la parole. Avec rage, je découvre que c'est exactement ce à quoi on m'a réduit. Je prends une profonde inspiration, essayant à nouveau. Mais seule de l'air sort d'entre mes lèvres.
Fox.
Je vais la tuer
Je me tourne brusquement vers la sorcière mais elle glisse sa main sur mon bras jusque mon biceps, le serrant entre ses doigts jusqu'à ce que ses ongles piquent ma peau. Je compte jusqu'à 15 dans ma tête pour calmer mon pouls affolé— et mes envies de meurtre accessoirement.
1.
— Cela ne sera pas nécessaire, Helori. Je compte être la seule à me délecter de mon mari, ronronne-t-elle en levant des yeux flambants vers moi.
5.
Son sourire provocateur me donne une furieuse envie de l'arracher. Le problème étant que je n'ai pas encore décider si je souhaite le faire avec les doigts ou les dents. Peut-être la langue.
8.
— Oh.
10.
Souffle— ou plutôt grogne— l'autre branquignol, ne remarquant qu'à l'instant la bague qu'elle expose fièrement de sa main serrant mon muscle aussi contracté que mes poings le sont de rage contenue. Elle m'a sortie de l'équation, putain. Je suis son coéquipier ! Elle n'a pas le droit de m'écarter de la sorte ! Je ne savais même pas qu'elle était capable de prendre ma voix cette sorcière. Plus jamais je ne la laisserais prendre possession de ma bouche cette cinglée.
Trop accaparé par ma haine gonflée telle un crapaud sous fumigène, j'oublie le compte à rebours sensé m'apaiser afin de réfléchir à deux fois avant d'agir bêtement et attrape le poignet de Norella. Je tire dessus brusquement la faisant lâcher prise sur mon bras et m'écarte rapidement d'elle. Dans ma vision brouillée par mes émotions négatives, je ne remarque même pas que la fureur brille dans les yeux du roi de ce foutu royaume, j'en ai oublié son nom à ce crétin, et oui le rejet fait mal ducon.
Mais pas plus que la manipulation bordel ! Ce sentiment vicieux de trahison et de honte me monte à la gorge, me bouffe. Une flambée de chaleur me monte alors que je m'éloigne à grand pas de celle avec qui je partage mes putains de journées depuis plus d'une semaine maintenant. Je ne remarque que trop tard qu'un amas d'êtres volants ou bipèdes à crocs s'est formé autour de nous trois dans un large cercle.
Lorsque je veux percer ce cercle, je me retrouve projeter au sol et étouffe un juron dans mon poing. Mon genou me lance, pourtant je me relève vivement, non désireux de me retrouver en position de faiblesse— si ce n'est pas déjà le cas...
J'ai à peine le temps de croiser le regard atterré de ma coéquipière que je sens un violant coup dans mon ventre. L'air se vide de mes poumons d'un seul coup, j'écarquille les yeux à la recherche du danger, mais il n'y a rien.
Je ne veux pas mourir. Je dois te venger d'abord, papa.
J'attrape du vide. Je ne peux pas me défendre, néanmoins j'essaie avec la ferveur d'un dragon des glaces. Le désespoir m'étreins avec force face à mon échec cuisant dans ma recherche d'oxygène. Je cherche mon échappatoire, l'océan.
Mes yeux rencontrent la tempête des siens d'une couleur semblant virée au gris et une bouffée d'air me parvient en bourrasque, je l'avale goulûment. Je me rends alors compte des griffures que j'ai laissé sur ma gorge à la recherche vaine de combattre la pression du manque dans mes poumons lorsque la brûlure de mes blessures me parvient.
— Comment oses-tu aider un humain ?!, crache le roi, son dernier mot sonnant comme la pire des calomnies.
— Tu portes atteintes à mon époux, Helori. Tu me portes atteinte en ce sens.
— Tu ne peux PAS l'épouser !, sa voix d'autorité claque aussi tel un fouet dans l'air chargé de tensions non dissimulées.
Je me lève difficilement, l'esprit encore embrumé par les événements surnaturels qui ont failli me coûter ma piteuse vie un peu plus tôt. Mes yeux s'ouvrent grand en remarquant que j'ai laissé échapper un juron. Un juron.
Ma voix. J'ai retrouvé ma voix.
Je verrouille mes yeux à nouveau chargés d'animosité vers Fox, cependant ma rage a été telle un tsunami, il n'en reste maintenant que les dégâts dans mon corps cabossé, la déferlante passée.
Elle m'a sauvée.
Je serre les poings et verrouille la mâchoire.
On est quitte dans ce cas. Je ne lui dois rien et je la déteste toujours autant.
Je me dirige à pas déterminer vers elle. Pourtant, je ne la regarde plus vraiment ayant peur de me perdre à nouveau dans ses traits vicieusement ensorceleurs. Je me place devant elle mais je lui tourne le dos, faisant face au roi de Garance.
— Si vous avez un problème avec ma femme vous le réglerez avec moi et moi seul.
Un hoquet traverse la foule et j'entends même le souffle hébété de ma fausse compagne derrière moi. Le roi ne semble pas aussi expressif que son peuple et hausse nonchalamment une épaule, son rictus dévoilant une rangée de dents pointues, certaines brisées, d'autres déjà ensanglantées.
— Bien. Je rêvais de t'avoir sous la dent depuis que tu te pavanais avec ce qui m'appartenais au milieu de la piste de danse.
Ce qui lui appartenais ? Fox ? Norella.