Fox
Je me raidis lorsqu'il passa nonchalamment son bras autour de ma taille, sa large main reposant paresseusement sur ma hanche jusque mon ventre tendu par l'entraînement. Je haïssais le contact des humains depuis tellement longtemps que les réactions répulsives de mon corps étaient profondément ancrées en moi.
J'appris cependant à me maîtriser et fis mine de me laisser choir contre son flanc comme le ferait une véritable future épouse. Je prenais soin de cacher ma main gauche dans les plis de mes vêtements pour que notre supercherie ne tombe pas à l'eau trop vite.
Mon faux fiancé pencha légèrement la tête sur le côté, les toisa comme s'il avait tous les pouvoirs du monde et en était devenu lasse. Il jouait si bien que je cru me perdre quelques secondes à observer celui à mes côtés. Enfin, c'était l'image que je renvoyais lorsque, la main gauche plongée dans une poche secrète de mon vêtement, j'enfilais discrètement la bague de résurrection à mon annulaire.
— Ne vous avisez plus de toucher ainsi ma fiancée sous mes yeux, major Scarffold, trancha mon faux fiancé en lançant un regard aussi condescendant que redoutant vers l'insigne sur l'uniforme du pauvre homme.
Je sors ma main de mon vêtement et prends doucement celle de mon compagnon de route, faisant mine de le désamorcer avec ce contact qui, en vérité, sert à mettre en avant la bague qui sertie maintenant mon doigt et capte la lumière extérieure.
— Chéri, ronronnais-je, ne fait pas peur aux gardes, veux-tu ? Il effectuait simplement son travail, n'est-ce pas major ?
L'interpellé acquiesça, ses dents acérées comprimées et le regard fixé sur l'humain à mes côtés. Je me raclais la gorge pour détourner son attention vers moi. La dernière chose qu'il faudrait serait qu'il découvre que celui qui m'accompagne est, par-dessus le marché, d'une race inférieure. De plus que l'aversion d'Énora pour les humains est de notoriété publique.
— Installez-nous donc au palais je vous prie, on a fait un très long chemin. Helori et Isalys seraient horrifiés d'apprendre comment vous traitez de tels invités !
Je ne cachais pas la menace dans ma voix faussement mielleuse bien que je dissimulasse également mon mensonge dedans. Helori est connu pour sa cruauté, il se ficherait bien du traitement que nous recevions. Heureusement pour leur royaume, on ne peut pas en dire autant de sa femme. J'espère seulement qu'on aura le temps de décamper avant d'avoir un entretien avec les dirigeants du royaume dans lequel nous pénétrons sous l'escorte du Major.
De plus que la toile de nos mensonges menaçait de s'agrandir à mesure qu'on se rapprochait du palais et que je tentais d'élaborer un plan, ignorant les plaintes de mon fiancé qui joue pleinement son rôle insupportable.
— Votre royaume est assez fade en réalité. Ce ne doit pas être lassant de vivre en tel milieu ?
Les feuilles mortes craquaient sous les énormes pattes griffues des Opinicus qu'on nous avait docilement céder pour la route. Mon regard voguait entre les arbres serrés et je scrutais le sol, tentant de capter tout signe de piège. Cela paraissait très facile d'en poser sous cet environnement tout en auburn et parsemé de mort végétale. Nos montures se fondaient dans les tons de couleurs environnementales avec les longues plumes camelles de leurs larges ailes repliées.
Durant le trajet je feins d'ignorer les râles condescendants de mon soi-disant promis et les répliques sèches que le Major arrivait à articuler entre ses dents sombres et tordues. Je me comblais dans mon propre silence qui me permettait de faire fonctionner les rouages de mon cerveau afin de concocter un plan imparable. Prenant soin de garder mes machinations insoupçonnables derrière mon sourire mielleux lorsqu'on s'adressait à moi et mes commentaires bien réfléchis au préalable.
Une fois arrivés au palais de Garance, construit dans un style gothique s'intégrant tout à fait dans le paysage naturel aux tons sombres et mourants, le major fut le premier à mettre pied à terre. Pour le plus grand bien de mes cuisses qui commençaient à souffrir sur le dos robuste de ces créatures, j'atterris à mon tour sur les feuilles mortes.
— Le voyage a dû t'épuiser Nora.., couine l'humain dans une moue faussement inquiète.
Le surnom qui roulait naturellement sur sa langue et la manière dont il caressait ma pommette du dos de sa main me donna envie de le ratatiner au sol pour lui prouver mon énergie débordante. Au lieu de ça, je m'appuyais à moitié sur lui en clignant plus lentement des yeux.
— Je me reposerais bien mais on a des devoirs chéri.., soupirais-je, lasse.
Les caresses qu'il effectuait sur mes cheveux polaires pourraient presque être agréables.
Presque.
— Laissez-moi vous conduire à une suite le temps que j'informe le Roi et la Reine de votre arrivée, Votre Altesse.
Le major s'inclina à la suite de ses mots et passa les portes du château à la hâte. On le suivit, mon faux fiancé tressautant à l'appellation du major avant de faire semblant de me soutenir, là où je faisais mine de somnoler debout, le joue contre son torse musculeux.
Je ne l'avouerais jamais mais Côme nous avait bien aidé sur ce coup-là. On avait plus qu'à trouver un moyen de s'échapper depuis notre suite et, avec un peu de chance, nous n'aurions pas à combattre une armée. De plus que se mettre un royaume à dos serait assez embêtant, surtout quand il est gouverné par Helori.
— Votre Altesse ?!, vociféra-t-il une fois qu'on n'entendait plus les pas des gardes dans le couloir et qu'on fut à distance respectable l'un de l'autre.
Je respirais enfin correctement maintenant qu'il fut assez loin. Je m'accordais donc quelques inspirations profondes de répits qui me permirent de réfléchir avant de répondre comme je le faisais d'instinct face à autrui.
— C'est un simple tour de passe-passe. Lorsque j'appuie sur la pierre de mon collier, j'en tapote la surface lisse du bout de l'ongle, alors je change la perception des autres de moi à ma guise.
Incrédule, il resta la bouche ouverte un instant et les yeux écarquillés tel un Léviathan ayant repéré un requin à six nageoires. Il ferma alors la bouche puis la rouvrit et répétait ce processus quatre fois avant de retrouver sa parole...malheureusement.
— Vous...ils vous voient comment au juste ? Je ne connais pas de personnalité royale du nom de Norella.
Son ignorance m'était d'une grande aide pour cette fois.
— J'ai choisi la princesse du royaume d'Ancolie bien pour cela. Elle ne fait pas beaucoup d'apparitions en public. Me faire passer pour elle sera alors un jeu d'enfant sachant que peu la connaissent réellement.
Il refit encore ce truc bizarre avec la bouche et je secouai la tête, décidant de me ficher de ses états d'âmes. Je me dirigeai vers la fenêtre et l'ouvrit en grand avant de passer ma tête à travers afin d'observer son atour.
— Alors...la princesse d'Ancolie a un promis ?
Je fronçais les sourcils mais ne me tourna pas pour lui répondre, je me contentais d'hausser une épaule dans un geste désinvolte. Ce qu'il est insipide !
— À présent c'est le cas.
Je sentis sa présence dans mon dos plus que je ne l'entendisse s'approcher. Il n'entra dans mon champ de vision que lorsqu'il appuya nonchalamment son épaule contre le mur, les bras croisés. Je serrais les dents en sentant son regard me parcourir.
— Et comment je vous vois ?
Je cachais ma réflexion à ses mots en faisant mine d'étudier la solidité des rideaux, tirant dessus. On pourrait peut-être les utiliser pour en faire une corde après tout.
— Comme tout le monde me voit.
Répondais-je vaguement. Je le sentis se rapprocher et levais les yeux vers lui, le coucher du soleil se reflétait sur son visage, la lueur dorée accentuant le bleu profond de ses yeux. Je me rendu compte que c'est la première fois que je m'attardais vraiment sur ses traits depuis que je l'avais vu pour la première fois, il y a une semaine.
Il traça ma mâchoire serrée de son index sans plus l'excuse du faux semblant. L'air resta bloqué dans mes poumons quand une décharge me parcouru.
Aussitôt, des coups secs se firent entendre contre la porte et je sursautai, sortant de la torpeur qu'il a engendré en moi. J'en profita pour m'éloigner à grands pas vers la porte et l'ouvrir avec plus de force que nécessaire.
— Le roi requiert votre présence au bal de ce soir qu'il a expressément organisé en votre honneur, nous salut deux serviteurs en une ample révérence, on est chargé de vous préparer pour les festivités.
Sur-ce, j'eu à peine le temps de me décaler pour jeter un regard contrit à mon compagnon que les serviteurs entrèrent de ce pas. Ils commençaient déjà à farfouiller dans les tiroirs et placards que j'eu à peine le temps d'articuler silencieusement à mon coéquipier un «changement de plan» avant de se faire embarquer illico pour se faire pouponner.
Je détestais la façon dont l'un d'eux confectionnait une coiffure délicate de mes cheveux polaires, m'enfilait une robe sûrement hors de prix étant donné la soie en plusieurs couches qu'elle comportait, me faisait passer des talons tout autant élégants que les bijoux à pierres précieuses dont il me pare. Mais je ne pouvais pas nier à quel point le résultat était majestueux.
Le corset enserrait ma poitrine dans des teintes de noir devenant rouge et les jupes descendaient par vagues élégantes sur mes jambes musclées par des années d'exercices qu'une haute fente laissait percevoir. Les gants, assortis à ma robe rouge tirant sur le noir remontaient jusqu'à mes coudes, équilibrant le fait que mes épaules soient nues laissant saillir mes clavicules. Mon collier était de ce fait mis en valeur et s'associait parfaitement à la robe avec son rubis. Or, on m'en rajouta un autre plongeant dans mon décolleté avant de me parfumer et de m'accompagner à la porte.
— Et mon fiancé ?, m'enquis-je, tordant mon cou pour tenter de l'apercevoir dans la suite.
— Ne vous inquiétez pas, il est descendu plus tôt, le serviteur ne cachait pas son sourire croyant que mes états d'âmes avaient quelque chose à voir avec de l'inquiétude ou une émotion aussi insipide que l'amour.
Il se mettait bien le doigt de l'œil ! Je me ficherais qu'il meurt si je n'avais pas besoin de lui. Et cet idiot s'était jeté dans la gueule du loup sans m'attendre ! Je lui en toucherais un mot plus tard.
Le serviteur m'accompagnait dans un couloir vide d'où on commençait déjà à entendre la musique envoûtante ramper jusqu'à nos oreilles. Bientôt, le bord de notre étage se dessina et trois Opinicus se trouvaient là, leurs serres acérées griffant le sol avec impatience. En contrebas, la fête battait son plein avec de nombreux serviteurs volant presque sur le sol tant ils allaient vite, des plateaux emplis d'alcools luxueux en mains, sans en renverser la moindre goutte. Les invités de marques dont j'en reconnus pour certains l'identité dansaient, se nourrissaient et festoyaient comme bon leur semblait.
Mon regard accrocha alors celui du roi sur son trône d'obsidienne et d'ambre, surmonté d'une tête d'Opinicus au bec grand ouvert et crachant une flamme blanche. Je lui adressais une légère révérence, notant mentalement l'absence de la reine. Il me répondit par un sourire perfide et un vague geste de la main vers l'assemblée devant lui.
Je me dirigeais prestement vers les êtres ailés, passant prudemment ma main sur leurs plumes pour me présenter à eux, ne souhaitant pas m'attarder sur le dirigeant de ce royaume. Un des Opinicus sortit du lot, des étoiles argentées semblaient briller dans ses yeux. Il poussa son bec contre ma taille, un léger rire m'échappa et je gratouillais le dessus son long cou en réponse, ce qui parut lui plaire puisqu'il dégaina ses ailes en un grand bruissement.
Je pris cela pour une invitation et grimpa à califourchon sur lui, heureusement la fente de ma robe le permettait et elle était sûrement présente pour cela d'ailleurs. Je m'accrochais doucement à ses plumes et il s'envola jusqu'à atterrir en plein milieu du plateau de danse, faisant déguerpir le tiers des invités sur le côté.
— Oh, mais quelle diva !
Lui susurrais-je en lui grattant la nuque, elle croassa en réponse et je souriais encore en descendant pour découvrir un Côme bouche bée à deux mètres de moi. Il avala la distance en trois pas, ses yeux reflétant un feu si vif que je me sentis brûler sous son regard semblant m'expertiser. Il ouvrit et referma la bouche plusieurs fois comme s'il avait un millier de pensées à exprimer avant de pouvoir en articuler une.
— Vous...vous avez souri et même...même rit, souffle-t-il si près de moi que j'arrive à discerner des tâches de rousseurs parsemant son nez.
Je fronçais les sourcils, prenant par réflexe plus que par réflexion la main qu'il me tendit. Un hoquet de surprise m'échappa lorsqu'il me ramena avec force contre son torse tout en enserrant ma taille dans son bras fermement. Ainsi, il m'entraîna dans une danse dont je n'avais pas mesuré la proximité avant d'obtenir des vapeurs rougissant mes pommettes.
Tandis que mon sang s'échauffait à l'intérieur, en façade je relevai le menton et le toisa sans plus aucune trace du sourire sincère que la bête m'avait tiré. Je jouais la carte de l'indifférence lorsque sa main s'ancra dans le creux de mes reins, bien que je ressentisse sa chaleur à travers le tissu de ma robe comme d'un tisonnier trempé dans des flammes ardentes.
— Ça m'arrive, éludais-je.
Ses yeux se perdirent un instant vers le bas et s'attardèrent sur les trois petites dagues que j'avais glissé à ma cuisse accessible. Je ne sortais jamais vulnérable. Son regard remontait ensuite si lentement que j'eu l'impression qu'un millier d'aiguilles piquèrent ma peau là où son examen minutieux la mettait à découvert.
— Vous...enfin, la princesse d'Ancolie est délicieuse ainsi, avoue-t-il lorsque ses yeux enflammés retrouvèrent les miens.
Je détournais les yeux vers la salle bondée d'un air ennuyée, faisant mine que mon attention était attirée ailleurs alors même que je ne pouvais penser à rien d'autre qu'au fait qu'un être de son espèce soit si proche de moi, qu'il me touche.
— Apparemment, oui, dis-je plus amère que je ne le voudrais.
Je serrai les dents et souffla par le nez en le voyant me dévisager à nouveau. Son léger sourire me prit au dépourvu un instant avant que je ne réussisse à articuler les mots qui me démangeaient depuis qu'il avait posé son regard corrosif sur moi.
— Cessez de me dévisager ainsi !, m'exclamais-je tout bas en me rapprochant pour ne pas faire remarquer notre animosité naissante au grand public.
Côme s'inclina alors vers moi et je cessai de respirer un instant en sentant son souffle mentholé sur mon visage. Malgré mon envie de reculer de dix ailes, je verrouillais ma mâchoire et le fusillais du regard sans broncher.
— Je ne vous dévisage pas vous mais la-
— La princesse d'Ancolie, crachais-je en roulant des yeux, bien, bien, vous m'avez comprise.
Il pencha la tête sur le côté et son sourire en coin me donna envie de lui arracher la colonne vertébrale. J'ouvrit la bouche m'apprêtant à lui faire fermer son clapet avant qu'il ne me balance l'ânerie qu'il avait sur le bout de la langue mais il me devança.
— Seriez-vous jalouse, princesse ?
Je pinçai fortement mes lèvres pour ne pas couper les siennes avec mes dagues qui me démangeaient à présent. C'est à ce moment que le roi apparu dans mon champ de vision et que je refoulai mes tendances meurtrières au profit du bon fonctionnement de notre plan.
Alors, j'attrapa le col de sa chemise parfaitement lisse, refoula un haut le cœur et écrasa mes lèvres sur les siennes.