Fox
Mon premier reflex fut de m'accroupir au sol. Je progressais alors prudemment à quatre pattes, ne voulant pas me faire repérer tandis que je cherchais à tâtons mon coéquipier. S'il mourrait c'était fichue, ce n'était pas un hasard si le Grand Sorcier avait engagé un être si faible. J'allais avoir besoin de son absence de magie.
Un craquement.
Un seul son qui me donna sa position. Le problème étant qu'il avait aussi donné sa position à l'hôte de cette maison.
Sans réfléchir, je sautais vers le son et atterri sur un corps que je reconnaissais puisque cette position me rappela les mêmes sensations ressenties dans mon repère. En sentant des crocs acérés se planter dans mon épaule, mon souffle se coupa et je serrais les lèvres pour ne pas crier. Une chaleur se répandit le long de mon bras et je relâchais brusquement mon souffle. À ce moment, je sentis des doigts découvrir maladroitement la chaleur de mon sang et un frisson de dégoût me traversa en même temps que la sensation ignoble du toucher de l'humain.
Je me reculais brusquement emportant la sorcière avec moi. Dans notre chute en arrière où je fus de nouveau amorti par un autre corps, je sortis ma dague de son fourreau au niveau de ma cuisse et sans réfléchir, la planta je ne sais où dans le corps adolescent de cette vieille sorcière. Le bruit de la chair déchirée et du sang remontant dans la gorge de cette dévoreuse en tout genre résonna comme seul son — hormis nos respirations hargneuses — dans cette horrible demeure.
Je tirais brusquement sur mon arme blanche et un jet de sang que je savais noir m'aspergea, je reculais alors en vitesse et pris par ce que je pense être le bras mon acolyte avant de foncer vers la porte par laquelle on était entré. Heureusement que j'ai un bon sens de l'orientation car une seconde est trop précieuse dans cette situation pour être perdue par inadvertance.
Bien sûr, la porte était scellée par un sort et donc impossible à ouvrir. Alors, pendant que mon partenaire tentait de l'ouvrir à coup d'épaule en vain, je posais une main sur le bois tremblant et essayais de visualiser la magie noire qu'elle avait utilisée, de l'amener à moi. Je n'avais jamais fait ça, mais peut être étais-je autant capable de détecter la magie que de la prendre ? En tout cas je jouais nos vies sur cette hypothèse.
Un cri guttural sur ma gauche m'interpella et lorsque je tendis la main, l'humain n'était plus à côté de moi. J'émis un faible juron avant de me fier à tous les sons autour de moi que je trouvais amplifier dû à mon incapacité visuelle. Dès que j'entendis un bruit sur ma gauche j'utilisa mon corps pour entrer en collision avec...et bien, un meuble. J'étouffais une autre injure tandis que je faisais appel à tous mes efforts pour trouver celui avec qui je devais absolument sortir de là. Mes doigts picotèrent alors et en levant la main devant moi, une faible flamme l'animait, assez forte cependant pour voir ce qui m'entourait. Et... rien. Ils avaient disparu.
Au bout de ce qui me sembla des heures mais qui n'étaient qu'en fait quelques minutes comme me l'indiqua l'horloge près de la pièce rouge à l'étage, je trouvais ceux que je cherchais. Dans une chambre ne comportant qu'un lit aux draps blancs recouvert de sang, de même pour les murs et le sol en bois clair.
Une étrange sensation prit place dans mon ventre, comme un insecte me rongeant lentement de l'intérieur. Une sensation que je n'avais pas ressenti depuis un moment.
La peur.
Je craignais que mon coéquipier ait perdu la vie. Que je sois arrivée trop tard et que je ne puisse jamais retrouver cette pierre et donc encore moins mon frère.
— Très bien ! J'ai une offre que vous ne pourrez refuser. Alors venez ici sorcière !
Ma voix était amère tandis que je m'apprêtais à commettre l'irréparable. J'allais avoir du sang sur les mains. Du sang que je ne pourrais jamais effacer. Mais pour mon frère, j'irais jusqu'aux tréfonds des enfers. Pour mon frère, je donnerais tout ce que j'ai de plus précieux.
— Que diriez-vous d'obtenir les pouvoirs Sacrés ?
Je pensais ne jamais obtenir de réponse et ne retrouver que le cadavre partiellement dévoré de l'humain devant mes pieds. Ce qui ne fut pas le cas. Ma flamme éclaira un visage tout à fait différent de celui de la sorcière ou des restes de ses repas. Ce fut le visage tout à fait découvert de celui qui faisait équipe avec moi dans cette quête mortelle. Il boitillait vers moi, des traces de griffes fendant son armure à certains endroits, les cheveux en bataille et la mort dans les yeux. Il semblait...tout sauf humain à ce moment-là.
— Vous comptez rester à me contempler la bouche ouverte longtemps ou on peut enfin sortir de ce trou à rat puant le cadavre ?, sa voix claqua et me sortit brusquement de ma torpeur.
— Je ne vous admire pas. Les créatures comme vous sont...dégoûtante., admis-je sans le regarder, descendant rapidement les marches qui nous séparaient de la sortie.
Cette fois quand il appuya sur la porte, elle s'ouvrit et on put en sortir. Je réalisais alors, il avait tué la sorcière. J'ouvris la bouche m'apprêtant à formuler une question ou bien m'insurger, je ne sais pas trop. Cependant, pour la première fois, quelqu'un m'avait arraché mes mots.
Un humain avait tué une...des créatures démoniaques. Cet homme était tout sauf ordinaire et je devais absolument découvrir ce qu'il était exactement pour mener notre mission à bien.
Ce n'est qu'au bout de trente minutes de marche que je m'apprêtais à enfin lui adresser un mot mais au moment où je me tournais vers lui une vive douleur s'acharna à tambouriner mon crâne et je sentis mes jambes lâcher. Mon épaule me brûla d'un feu que je n'avais encore jamais connu. C'était intense et insupportable.
Je ne trouvai cependant pas le sol mais un buste étrangement large pour un être sensé affublé à un faible. Mais bon, j'avais compris que rien chez lui n'était normal après avoir vu de mes propres yeux ce qu'il avait accompli. Il passa mon bras lourd au-dessus de ses épaules et soutenait tout mon corps du sien. Je sentis alors mes jambes flageolantes décoller du sol presque au même moment.
Mon sang avait trop coulé et les crocs de cette salope m'avaient sûrement injecté un poison agissant sur la longueur, elle adorait se délecter lentement de la mort de ses proies. Alors, sachant que j'allais m'évanouir, j'arrivais à poser une des questions qui me démangeait :
— Comment ?
— Tout le monde à ses points faibles, comprit-il directement ma demande.
Ses mots se déformèrent dans mon esprit embrumé tandis que je sombrais dans une souffrance vive, ma peau recouverte d'une fine pellicule de sueur. Et mon ressenti envers les humains se confirma :
L'humain est la plus faible mais également la plus dangereuse des créatures.