Fox
Lorsque j'émerge un mal de crâne lancinant me fait presser ma paume contre mon crâne en grimaçant. La lumière vive du soleil ne m'aide pas à apaiser la forte douleur qui courbature tout mon corps.
Tout à coup, tout me revient. La sorcière. Sa demande tout sauf réalisable. Le combat. Côme vivant. La créature démoniaque morte. Ma blessure se réveillant une fois l'adrénaline retombée. Puis...le vide.
Je tourne la tête si vite pour regarder l'état de mon bras que mon cou émet un craquement douteux et que ma tête se met à tourner plus que quelques secondes auparavant. Je cligne plusieurs fois des yeux espérant faire le focus et enfin voir clairement, ce qui arrive au bout d'une poignée de secondes un peu trop longue à mon goût.
Mon bras est étonnement propre, plus aucune trace de sang ne s'y trouve. Sur mon épaule un linge propre est enserré et une légère tache rouge s'y est imprégnée. Je ne m'engage pas à enlever le bandage de fortune ne voulant pas vraiment découvrir l'ouverture sûrement laide —due à l'infection au poison— se trouvant en dessous.
Je tourne lentement la tête, épiant les alentours en avalant ma salive constatant que ma gorge est aussi sèche que le vent soulevant mes cheveux polaires. Un gémissement de souffrance m'échappe lorsque je tente de me redresser et je serre immédiatement les lèvres pour m'empêcher de faire plus de bruit. Qui sait où se trouve mon étrange coéquipier.
La réponse survient plus rapidement que ce à quoi je m'attendais puisqu'une voix rauque que je commence à reconnaître un peu trop bien retentit derrière moi :
— La prochaine fois, évitez de jouer les sauveuses. J'ai dû vous porter pendant des heures pour ne pas prendre du retard sur les autres groupes, se plaint-il avant de lâcher un soupire théâtrale.
— La sorcière aurait ancré ses crocs en
plein dans votre visage si je n'avais pas été là, idiot.
Je lui lançais un regard noir en levant la tête pour le regarder. Cette position trop inférieure me déplu et je me levai un peu trop vite —puisque je dû me rattraper à l'arbre qu'était derrière mon dos pour ne pas me rétamer au sol.
Un grognement de frustration se coinça dans ma gorge lorsque je remarquai, qu'en fait ça ne changeait rien du tout puisque même debout j'étais obligée de dresser la tête pour soutenir son regard.
— J'aurais très bien pu m'en sortir tout seul comme à l'étage. Je n'ai pas besoin de vos super pouvoirs de démons.
On se fusillait du regard, l'animosité entre nous était maintenant à son paroxysme. Et je me questionnais vraiment au sujet de réussir à finir cette mission sans s'entretuer.
— Très bien. Je vous laisserais dépérir la prochaine fois. Comme ça, je n'aurais pas à supporter votre espèce dégoûtante une seconde de plus.
— Parfait. Je préfère crever que d'avoir à passer une seconde de plus à côté d'un démon tel que vous.
Il n'a même pas connaissance de ce qu'est un véritable démon cet idiot. Stupide créature. Raaah, ce que je le hais ! Je sens de la chaleur au creux de mes mains et m'éloigne le plus vite possible de lui, la sensation est semblable à du miel brûlant coulant le long de mes doigts. Ravalant ma rancœur, je contrôle mes respirations comme mon frère me l'avait appris lorsque j'étais petite. Il était encore plus petit que moi pourtant, il m'aidait plus que n'importe quel adulte avide de ce que pouvait créer mes pouvoirs pour leur bénéfice personnel.
Je peux presque le voir, là devant moi. Sentir sa main —faisant presque la taille de mon visage lorsqu'il a commencé à me dépasser malgré mon rôle de grande sœur— sur mon épaule et l'autre tenant la mienne sur sa poitrine. Il me faisait sentir les battements lents et rythmés de son cœur et me laissais imiter sa respiration profonde et calme.
Je me laissais un instant, tournant le dos au mortel, les yeux fermés, à la présence fantomatique de Baile. Puis, au moment où j'ouvre les yeux, tout s'effondre. Ne laissant qu'un vide béant et glaciale à l'intérieur de moi. La personne qui compte le plus pour moi. Pourquoi il a fallu que ce soit lui ? Pourquoi... ?
Je serre les dents et me force à rester droite alors que tout à l'intérieur de moi s'effondre à nouveau. Physiquement, je suis aussi raide qu'une falaise pourtant j'ai l'impression d'être aussi fragile qu'une feuille morte. Et je déteste ça.
Lorsque je baisse la tête je constate que le feu au creux de mes mains a disparu, je me retourne alors vers Côme sans vraiment le regarder de peur qu'il devine je ne sais comment ce qu'il se passait il y a peu dans mon cœur creux.
— On doit prévoir un plan pour récupérer la Pierre Sacrée. On ne peut pas se jeter au milieu de la bataille sans en avoir prévu chaque parcelle.
Ses yeux clairs expriment un éclat sombre puis de la résignation. On est tous deux loin d'être heureux de se trouver ensemble mais on doit faire avec. C'est la seule façon de parvenir à nos fins. D'ailleurs...que cherche-t-il, lui ? Qu'est-ce-que le Grand Sorcier peut lui donner pour qu'il soit prêt à risquer sa courte vie ? Je balaie cette curiosité mal placée avec dégoût pour moi-même.
— Nous devons déjà traverser la frontière. Et je ne pense pas que le royaume de Garance nous accueillera à bras ouvert.
Je m'accroupis au sol et positionne mon index à quelques centimètres au-dessus du sol avant de sentir un léger picotement frais au bout de mon doigt. Avec ma magie contrôlant l'air, je pousse la terre stratégiquement de sorte à former une carte plus ou moins précise du chemin que l'on doit parcourir.
— De toute manière on doit forcément passer par là pour atteindre la Forêt Défendue, puis le Rocher du Tarasque au niveau du fleuve. On se fera discret. Et puis, avec un peu de chance, d'autres chevaliers rouges se feront remarquer.
Au fil de mes propos, je désigne les endroits du bout de mon ongle. La Pierre Sacrée du feu se trouvait dans un endroit normalement inaccessible quelque part dans le Royaume d'Hortense. Cependant, un chevalier avait réussi à la récupérer et étant en conflit avec d'innombrables royaumes à décider de passer par l'océan puis le fleuve. Problème : il n'avait pas connaissance du Tarasque nichant dans un Rocher à la lisière du fleuve. Le coéquipier du chevalier ne s'étant pas fait prendre est revenu presque mort, sans la Pierre ni son acolyte et a permis au Grand Sorcier de localiser le Rocher avant de laisser son dernier souffle fendre l'air. En tout cas c'est le récit des événements d'il y a plus d'un siècle. Et on mise tous nos vies dessus.
— Vous êtes entrain de me dire qu'on base la réussite de notre mission sur de la chance ?, me questionne-t-il entre ses dents serrées.
— Elle était déjà basée sur des suppositions je vous rappelle. Les propos du chevalier rouge d'il y a un siècle n'ont jamais été prouvé, lui renvoyais-je dans le même ton venimeux.
— Logique, vu qu'aucun chevalier rouge n'est revenu de cette mission en vie depuis ce temps-là.
Il n'apprend rien à personne. Seulement, je conserve cette remarque pour moi. Inutile d'envenimer plus encore la situation entre nous. Elle l'est déjà suffisamment. Je me redresse si brusquement qu'un craquement venant de mon genou se fit entendre. Je l'ignore et commence à avancer vers l'Est après avoir récupérer mes armes.
— On n'a pas de temps à perdre. En route.
Il me suivit en marmonnant quelque chose du genre «comme si ce n'était pas elle qui nous avait ralenti». Je me force à compter les oiseaux dans ma tête pour ne pas lui enfoncer mon poing dans la figure.
Cette mission va être longue.
...
C'est au moment du quatrième coucher de soleil qu'on partage silencieusement qu'on arrive près de la frontière. Jusque-là nos mots envers l'autre se sont résumés à maximum cinq par jour. Cet agréable cycle fut brisé par Côme.
— Vous avez vu ça ?, me demande-t-il en désignant une étrange faille irrégulière au bas de la solide frontière séparant le royaume d'Ancolie à celui de Garance. Ce sont sûrement les chevaliers rouges qui sont passés par là.
J'acquiesce. Si les chevaliers sont effectivement passés par là on risquerait de se faire repérer de loin avec nos vêtements rouges à l'effigie de notre titre. Je ne réfléchis pas plus et enlève mes gants, puis ma cape. Ne laissant que ma légère armure noire ainsi que mon capuchon de la même couleur, abandonnant notre uniforme obligatoire.
Mon coéquipier me regarde d'un œil douteux comme s'il évaluait intérieurement l'efficacité de mon choix. Il dû se résigner à une réponse intérieure positive puisqu'il fit de même avec ses affaires.
On se faufilait ensuite discrètement entre les arbres, de manière à ne laisser aucune trace. Nos formations semblent avoir porter leurs fruits puisqu'on ne se fait repérer par aucun des Protecteurs affairés en haut ou au pied de la frontière non naturelle.
Un soupir de soulagement s'échappe de mes lèvres tandis qu'on atteint l'angle entre les montagnes et la frontière. Le ciel est strié de teintes orangées et rosâtres tandis que le soleil disparaîtra bientôt de notre vision. Je m'immobilise quelques secondes admirant le spectacle.
J'ai à peine le temps de faire un pas que mon corps se fait immobiliser par au moins six mains. À cette pensée un haut le cœur secoue mon estomac. J'use de coups stratégiques pour me libérer mais plus j'en touche plus il en arrive. Je ne vois plus qu'une masse de corps m'entourer tentant de m'immobiliser.
Durant un instant j'arrête de me battre pour repérer Côme et voir s'il s'en sort. Erreur monumentale puisqu'on me donne des coups qui me coupent le souffle, me forçant à me mettre à genoux et je ne peux compter combien de Protecteurs me maintiennent ainsi.
Des grognements étouffés se font entendre non loin de moi et j'arrive à repérer mon coéquipier à quelques mètres dans une situation similaire à la mienne. Ils sont trop nombreux pour qu'on se batte contre eux. Même si on a eu le droit au meilleur entraînement, ils sont des centaines et peuvent être des milliers en appelant les renforts. On a aucune chance contre eux. J'évalue rapidement mes options.
Mon choix se fait de manière précise et concise. Je secoue la tête, mon capuchon tombe et mes cheveux polaires sont maintenant à découvert. Au cas où ils auraient encore un doute je frappe de mon coude celui qui tient mon bras et arrache mon masque en dentelle. Je viens, à mon tour, de compromettre le code des chevaliers rouges en dévoilant mon identité à mon coéquipier comme il l'avait fait —lui sans le vouloir— il y a quatre jours de cela.
Hoquets de stupéfactions et bribes de mots parcourent l'assemblée tandis que ceux qui me tenait me lâchent brusquement et se recule d'au moins trois pas.
Je me redresse lentement, lève le menton et les toise tandis qu'ils inclinent la tête dans ma direction en signe de politesse et d'excuse.
Celui qui semble être parmi les plus hauts placés dû à son uniforme teinté de bleu foncé s'approche et s'incline profondément.
— Je vous prie de nous excuser-
— Norella.
Il en reste bouche bée. Je sais qu'il n'a pas le droit de m'appeler par mon prénom mais je ne veux pas que l'humain ai connaissance de plus que ce qu'il doit déjà comprendre.
— On croyait à des intrus comme des chevaliers rouges ont déjà voulu-
— On sait. On est venu régler ce problème. Pour cela, je comptais m'entretenir avec Leur Majestés de Garance, le coupais-je à nouveau d'une voix autoritaire.
— Je n'avais en rien connaissance de cette information.
Il doute. Son regard inquisiteur m'examine puis se tourne vers mon coéquipier et je fais un effort monumental pour ne pas serrer les mâchoires ou montrer une quelconque émotion.
— Qui est-ce ?
Je me tourne enfin vers Côme et remarque qu'il est toujours tenu par les Protecteurs. Mon froncement de sourcil est significatif puisque le chef réitère sa question. Je n'y réponds pas directement et m'adresse à ses sous-fifres.
— Veuillez lâcher mon fiancé. C'est vraiment inconvenant.
Les yeux de Côme s'écarquillent imperceptiblement mais il se reprend très vite et se redresse gracieusement lorsqu'on le libère enfin. Il époussette ses vêtements noirs, le visage impassible et l'air presque hautain. Lorsqu'il marche à pas de prédateur jusqu'à nous, je réalise alors que malgré sa race inférieure, à présent, il ne pourrait pas sembler plus...royal.