Eliott se mordilla la lèvre inférieure, hésitant un instant avant de glisser ses deux mains sur le ventre du boulanger.
— Est-ce que je peux… euh… Te toucher ?
— Évidemment !
Mathis passa un bras sous sa tête et feignit la nonchalance. Les paumes d’Eliott semblaient brûlantes sur sa peau. Il se mordit la langue et ferma les yeux, afin qu’ils ne trahissent pas son désir grandissant. L’étudiant se pencha et baisa sa bouche, puis sa joue, puis son cou. Eliott prenait son temps. Il se redressa pour mieux observer le visage du boulanger, qui s’était mis à respirer un peu plus fort. Il remonta lentement le fin jersey du t-shirt qui le gênait dans son exploration et Mathis, docile, le fit passer par-dessus sa tête pour le laisser choir au sol. Les doigts minces du brun entreprirent ensuite de dessiner ses traits, glissèrent jusqu’à ses clavicules et tracèrent quelques arabesques hasardeuses sur son torse, lui arrachant de temps en temps un faible gémissement. Constatant cet effet, Eliott sourit, une lueur de fierté dans le regard, et recommença. Plusieurs fois. Jusqu’à ce que Mathis n’en puisse plus de se tortiller sous lui et se relève brusquement, enlaçant Eliott du même mouvement pour les faire basculer. Il amortit la chute en coulant une main sous les boucles brunes et plaqua une bouche vorace sur celle de l’étudiant. Une pluie de baisers s’abattit sur le visage d’Eliott, son cou, ses épaules, son torse. Lorsque ces derniers se dirigèrent vers son ventre, il se redressa sur ses coudes et regarda le blond, qui levait les yeux vers lui, quêtant une approbation. Eliott hocha légèrement la tête et les lèvres pleines poursuivirent leurs baisers, toujours plus bas, jusqu’à se poser sur le tissu qui recouvrait ses hanches. Les iris noisette se relevèrent à nouveau. Eliott hocha de nouveau la tête, avant de se laisser retomber dans les oreillers, paupières closes et bouche entrouverte sur un gémissement rauque : les mains du boulanger faisaient glisser le sous-vêtement et les baisers descendaient le long de la peau tendre.
Mathis n’était pas pressé, et si les doigts fins d’Eliott dans ses cheveux lui firent courir un frisson le long de l’échine, il n’en resta pas moins concentré sur son amant, et l’envie qu’il avait de rendre sa voix plus rauque de désir encore. Il y parvint, et c’est avec un sourire entendu qu’il se rallongea un peu plus tard contre l’étudiant pantelant, un bras en travers de la poitrine frêle et une jambe mêlée aux siennes. Les deux mains d’Eliott étaient toujours crispées dans ses mèches, et le jeune homme l’attira à lui pour l’embrasser, cherchant son souffle, puis il murmura contre sa bouche :
— C’est… C’est tout ? Enfin je veux dire…, se reprit-il lorsque Mathis pouffa, et toi ? Tu…
Il remonta une cuisse maigre entre celles du blond, jusqu’à presser légèrement la protubérance encore prisonnière de son caleçon. Mathis gloussa tout bas, le nez enfoui dans le cou du brun.
— Ne ris pas !
— Je ne ris pas. Je… Suis heureux, juste. J’ai pas l’habitude.
Le boulanger embrassa la peau tendre du cou d’Eliott, qui frissonna, puis appuya un peu plus son bassin contre la cuisse qui l’effleurait.
— Bien sûr que j’ai envie. J’ai envie de toi depuis le premier soir, Eliott, je te l’ai déjà dit.
— Alors pourquoi tu… n’as rien fait cette fois-là ?
— Parce que je ne couche pas avec des mecs ivres morts. Tu n’étais pas toi-même, Eliott… Il se tut un instant, cherchant à calmer sa respiration erratique, puis reprit : j’ai eu une période comme ça, avec des conduites à risques. J’avais besoin de faire disparaître toutes les pensées qui tourbillonnent tout le temps dans ma tête. Je buvais à en oublier mon nom, super souvent, et je prenais d’autres trucs aussi, c’était pas forcément très… enfin je me déconnectais complètement de la réalité et… et puis je me réveillais dans le lit d’un inconnu sans même savoir ce que j’y avais fait. Je… N’ai pas envie d’être l’inconnu de quelqu’un.
Eliott lui caressait le dos. Le creux du dos. Jusqu’au bord de ses vêtements. Mathis tressaillit et se redressa sur ses coudes, pour regarder le visage de l’étudiant. Ce dernier avait les pommettes très rouges, et les yeux clos, les paupières frémissantes. Il se mordillait la lèvre, comme perdu dans ses pensées. Longtemps, il resta silencieux. Puis ses joues s’empourprèrent plus encore lorsque finalement il exhala :
— Mais ce soir, je ne suis pas ivre.
**
— Tu es sûr que…
Eliott serra brièvement les doigts de Mathis dans les siens.
Ils étaient à l’hôpital, il était tard et l’heure des visites était déjà presque terminée. Eliott avait passé plusieurs heures avec son père, car il aimait travailler ses cours auprès de lui un jour sur deux. Il retrouvait ses habitudes, il trouvait cela sécurisant, même s’il n’était plus dans son salon, mais dans la pièce hyper médicalisée, entouré des bips et des bruits résonnant dans les corridors. Mathis venait le chercher, comme souvent. Mais cette fois, il ne se contenta pas d’appeler Eliott sur son portable afin qu’il le rejoigne au parking. Eliott l’avait convié à monter jusqu’à la chambre. Et Mathis était nerveux.
C’était complètement irrationnel, illogique : le père d’Eliott était branché à un respirateur, et s’il ouvrait les yeux, il ne communiquait pas vraiment avec ses proches. Peut-être qu’il reconnaissait sa femme et son fils, et c’est à peu près tout ce que les médecins étaient capables de dire pour le moment. Son état était toujours critique, son cœur avait toujours des ratés, mais s’il n’allait pas mieux, il ne déclinait pas non plus.
En résumé, il n’y avait aucune possibilité pour qu’il puisse rejeter son enfant, dire du mal de lui ou au contraire pour qu’il l’accepte tel qu’il était : il ne savait peut-être même plus que son fils était son fils.
Mais Mathis était nerveux.
Et c’est Eliott qui le rassura, alors qu’il était évident qu’il était encore plus anxieux que son amoureux.
L’étudiant poussa la porte, et ils entrèrent dans la chambre pastel.
— Papa… Je vais bientôt y aller, mais avant… Je… Je voudrais te présenter quelqu’un.
Rien ne laissait vraiment penser que l’homme les comprenait. Ses yeux, si semblables à ceux de son fils, clignèrent un peu et il sembla regarder vers eux. Ou à travers eux. En tous cas dans leur direction.
Mathis se racla la gorge, embarrassé, et Eliott poursuivit bravement, comme s’il faisait la conversation avec son parent alité. Comme il avait probablement l’habitude de le faire, réalisa Mathis. Voilà plus de six ans que cet homme était couché et branché à des machines et que ses proches prenaient soin de lui. Comment pouvait-il se sentir, ainsi dépendant ?
La main d’Eliott se glissant dans la sienne le tira de ses pensées.
— C’est Mathis. C’est mon copain. Je suis amoureux de lui.
Le boulanger s’empourpra. C’était à son tour de parler, et franchement se présenter et briser la glace n’étaient pas dans ses meilleures compétences. Alors, le faire avec le père malade et incapable de répondre de son amant, c’était l’Everest de la socialisation. Pourtant il prit bravement son courage à deux mains et se lança.
— Euh… Je… Enchanté, monsieur. J’espère que… Enfin je prendrais toujours soin d’Eliott je… Je suis boulanger, je ne serais jamais aussi riche que lui, mais au moins je peux m’assurer qu’il fasse des repas corrects tous les jours.
— T’es pas obligé de faire un discours hein.
— Non, je sais, mais… c’est important que ton papa sache que je suis sérieux, pas vrai ?
Eliott sourit, et caressa discrètement le creux du dos du blond.
— C’est vrai. Et c’est vrai aussi que tu fais les meilleurs croissants du monde. Merci, Mathis.
Le boulanger esquissa un sourire timide, il avait bien compris que le jeune homme ne le remerciait pas pour sa cuisine. Mal à l’aise, il murmura :
— Je… Je vous laisse, je t’attends dans le couloir. Bonne nuit, Monsieur. À bientôt j’espère.
Eliott le rejoignit peu après. Il avait pris le temps de border son père, de l’embrasser et de s’assurer qu’il ne manquait de rien avant de le quitter, chargé de son sac de cours. Quand il glissa sa main dans celle du boulanger, ce dernier l’attira brusquement dans une étreinte, et l’embrassa furtivement et le relâcha en murmurant :
— Moi aussi je suis amoureux de toi, Eliott.
Le brun cacha son visage contre la poitrine musclée de son compagnon un bref instant. Il avait les pommettes écarlates.
— Pardon. J’ai même pas réalisé que… Enfin ce n’est pas le cadre le plus romantique pour ce genre de déclaration…
Mathis planta un baiser au sommet de son crâne.
— On s’en fout du lieu. C’était un moment important pour toi. Nous.
— Mmh.
— Allez, viens.
Le boulanger saisit la sangle du lourd sac à dos de l’étudiant d’une main, et entrelaça ses doigts libres à ceux de son compagnon pour l’entraîner vers la sortie.