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14 - - ÉPILOGUE -
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LeLapinaPlumes

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Il fait chaud.

C’était la première pensée d’Eliott ce matin. Il faisait chaud, trop chaud. Il n’avait pas l’habitude. Il faisait toujours froid dans sa petite chambre, c’était systématiquement un calvaire de sortir du lit à cette saison. Sous ses épaisseurs de couettes, il était bien. Il déposait chaque soir ses vêtements soigneusement pliés sur le tapis à côté de lui, pour pouvoir s’habiller dès qu’il en émergeait. Parfois même, il les glissait quelques minutes sous les couvertures avec lui le temps de les réchauffer un peu.

Aujourd’hui il faisait chaud, et il avait une migraine carabinée. Et sa couette pesait beaucoup trop lourd. Il la repoussa d’un geste agacé : il avait besoin de boire de l’eau pour soulager son mal de tête. La couette remua et grogna.

Attendez, quoi ?

Eliott ouvrit enfin les yeux. Et poussa un hurlement, parce que la chambre autour de lui n’était pas la sienne. Le lit était trop grand, les murs trop jaunes, ou blancs, ou beiges, il ne savait pas, il n’avait pas envie de le savoir, parce que dans le lit immense ça grognait et ça remuait encore et « ça » était un homme. Un homme nu. Le garçon se rua hors du lit, s’empêtra dans les draps, trébucha sur son jean élimé et l’enfila sans réfléchir alors que l’autre émergeait.

Non.

Non non non non non !

Il fallait qu’il parte d’ici avant que le… que l’autre ne soit réveillé.

— Eh… Eliott… Bonjour.

Il se frotta un œil, de la paume, mais Eliott ne le remarqua pas : il était déjà en train de courir, ses rangers mal attachés à ses pieds. La porte claqua, il dévala un escalier et déboucha dans une rue baignée par la lueur dorée de l’aube, tamisée de brumes hivernales. Il reconnut à peine le quartier, mais il courut encore, même s’il n’avait plus de souffle. Il courut comme si on en voulait à sa vie, et d’ailleurs peut-être qu’on en voulait à sa vie !

Il ne s’arrêta que lorsqu’il arriva sur le campus.

Il respira enfin : il n’était pas perdu.

Il tâta sa poche arrière. Son portefeuille s’y trouvait toujours, bien retenu par la chaîne argentée. Dans sa main, son vieux téléphone qu’il avait ramassé en même temps que son jean.

Il frissonna, la fraîcheur de l’air lui rappelant cruellement deux choses : il avait égaré son manteau, et il avait transpiré en courant. S’il ne voulait pas finir malade, il avait intérêt à se mettre au chaud rapidement. Une maigre lueur d’espoir roulait cependant droit vers lui : le bus qui traversait la moitié de la ville pour le conduire — presque — jusque chez lui. Il s’y engouffra et se tassa dans un siège, au fond, loin des portes. Il avait presque une heure de trajet. Tout le temps nécessaire pour essayer de se souvenir de la soirée passée.

Sauf que.

La migraine qui menaçait depuis son réveil explosa subitement sous son crâne.

Il avait beaucoup trop bu.

Voilà la véritable explication.

En plus, il ne voulait même pas y aller, à cette soirée.

Mais être étudiant en médecine et refuser toutes les sorties c’était mal vu, comme le lui avait rappelé Jules, son camarade de promo. Le seul qui méritait le titre de camarade, en tout cas. « On va t’ostraciser encore plus si tu viens pas, t’as pas vraiment besoin de ça, vieux ». Certes. Il n’avait pas vraiment besoin non plus de se réveiller nu dans le lit d’un inconnu.

Mais il y était allé, à cette soirée. Et pour faire bonne figure, il avait bu tout ce qu’on lui proposait. Il avait accepté de suivre en after dans un bar branché non loin du campus, et il avait bu un cocktail, vidant par là même son compte en banque parce que sérieux, « tu ne vas quand même pas boire que du jus de pomme alors qu’ils font le meilleur mojito de la ville ? »

Il y avait du monde, du bruit, de la musique, trop, trop de monde, trop de bruit, trop de musique… il avait perdu de vue ses camarades, les avait retrouvés, avait bu encore, parce qu’on lui tendait des verres et que les gentils fils de médecins avaient décidé que le gosse d’ouvrier de la soirée devait rentrer ivre mort chez lui, et dansé, enfin remué en rythme en tous cas, puisque c’était ce qu’on attendait de lui, et après…

Après il était nu, il avait la migraine et…

Oh, bordel ! Il était cul nu sous son jean ! Il… il avait oublié ses sous-vêtements chez l’inconnu ?

— Merde…

Une vieille dame tourna un regard outré vers lui. Il fallait admettre qu’il devait lui offrir une image conforme à ses opinions sur la jeunesse : les boucles brunes en désordre, la chemise froissée et boutonnée de travers, une haleine à faire fuir une hyène, des cernes violacés et des effluves d’alcool. Le portrait typique d’un étudiant le vendredi matin, après les soirées arrosées des jeudis. Il se retint très fort de brandir son majeur vers la vieille. Il n’avait absolument pas besoin de s’engueuler dans le bus. Et puis il avait trop froid. Trop mal et… trop à penser.

Pourtant, il s’endormit, le front contre la vitre. Il ne se réveilla qu’au terminus, pas loin d’une heure plus tard. Dans la banlieue la plus reculée de la ville, le vent était plus glacial encore que sur le campus. Pour ne pas mourir gelé, il trotta plus qu’il ne marcha jusque chez lui et c’est blême et essoufflé qu’il passa la porte de la petite maison hlm au crépi grisâtre.

— C’est à cette heure-ci que tu rentres ?

— Pardon Tata, murmura-t-il d’un air contrit.

La femme, aussi brune que lui, lui ébouriffa les cheveux en souriant.

— Je plaisante, Chaton. Je ne t’attendais pas avant au moins midi. Tu as le droit de vivre, tu sais ?

— Mmmh. Maman est bien rentrée ?

Sa tante opina, et le regarda plus attentivement.

— Tout va bien, Chaton ? Tu veux dormir un peu ? Je peux rester encore, rien ne presse, mon chéri.

Il secoua la tête.

— Je vais juste aller prendre une douche et puis ça ira. T’inquiète, j’ai l’habitude.

— Justem…

Il ne la laissa pas finir et s’enferma dans la petite salle de bain. Il n’aurait pas tenu plus longtemps. Il ouvrit le robinet pile à temps pour que le son de l’eau ruisselant sur les parois carrelées couvre le bruit : plié en deux au-dessus de la cuvette des WC, il vomit son trop-plein d’alcool et d’angoisse.

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3 Comments

3 days ago
On se figure bien les ambiances dans lesquelles évolue le protagoniste. Celui-ci est caractérisé efficacement. Globalement, le chapitre intrigue et donne envie de rentrer dans l'univers du personnage qu'on suit.
Le rythme est très bien géré, et constitue le gros point fort du chapitre à mes yeux.
Seul tout petit bémol (mais vraiment, je pinaille), peut-être un peu trop de verbes faibles en début du chapitre.
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2 days ago
Merci pour ton commentaire <3 J'ai un amour particulier pour les verbes dits "faibles", je crois, tu risques donc d'en trouver d'autres au fil du texte. Je ne réfléchis pas quand j'écris, d'où le côté spontané des pensées des personnages, surtout ici où on est directement dans la tête d'Eliott. Et, en toute franchise, quand tu te réveilles avec la gueule de bois, tu enrichis ton niveau de langue, toi ? :D (moi, non, vraiment!)
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2 days ago
Merci pour ton commentaire <3 J'ai un amour partic...
Effectivement, je n'avais pas vu la chose sous cet angle xD c'est vrai que ça semble pertinent avec la situation (mais, je ne me prononcerai pas avec une certitude de 100%, n'ayant jamais subi de gueule de bois et n'ayant pas l'intention de tenter l'expérience x))
C'est vrai que ça se justifie bien d'un point de vue personnage
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