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rochimassoud
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Chapitre 7

Je suis sortie du parloir comme on sort d'un combat.

Les jambes raides, le cœur vidé, les nerfs à vif. Chaque pas était une blessure ouverte. Le monde extérieur me sembla brutalement trop lumineux, trop rapide. Un couple riait sur le trottoir, insouciant, ignorant la tempête qui rugissait en moi.

Une odeur de café brûlé flottait dans l'air glacé, amère comme un présage.

Tout me donnait la nausée, comme si l'univers entier conspiraient à tourner à l'envers.

Je marchais sans vraiment voir, sans vraiment penser.

Un automate livré à ses pensées, à ses démons.

Chaque pas me ramenait ses mots, tranchants comme des lames, qui déchiraient mon esprit :

« T'étais qu'un pion. Comme ton putain de père. »

Un pion.

Comme lui.

Comme s'il avait toujours su.

Ma robe rouge collait à mes cuisses, humide de sueur froide.

Mon manteau, entrouvert malgré le froid mordant, laissait s'immiscer le vent, cruel témoin de ma fragilité.

J'avais cette sensation d'être écorchée, à vif, exposée, vulnérable sous des regards invisibles.

Comme si tout le monde pouvait lire sur ma peau ses mots, gravés au fer rouge.

Je suis rentrée chez moi en métro, sans souvenir conscient des stations, des gestes, des visages autour.

Comment étais-je montée ? Descendue ? Repartie ?

Tout s'était fondu dans un brouillard épais, collant, une pâte noire qui envahissait mon esprit.

J'avais même oublié de retirer mes bottines.

Le parquet grinça sous mes talons, accusateur, comme s'il reprochait mon absence, ma défaite.

Je me suis laissée tomber sur le canapé, la tête rejetée en arrière, mes yeux fixant un plafond qui ne me renvoyait rien d'autre que son image.

Son regard. Froid, dur, impénétrable.

Cette façon qu'il avait de m'observer, de me scruter comme si j'étais un simple pion sur un échiquier dont il contrôlait toutes les pièces.

Et pourtant...

J'avais senti autre chose.

Une fissure sous sa carapace glacée.

Un battement de trop dans sa voix, une tension sourde qui vibrait dans ses silences pesants.

Je le haïssais.

Je le haïssais de m'avoir laissée seule, avec toutes ces questions affûtées comme des couteaux.

Je le haïssais de m'avoir abandonnée dans cette colère bouillonnante qui me dévorait les entrailles.

Il aurait pu m'aider.

Il aurait pu tendre la main, briser ce mur de glace.

Mais il avait choisi de me blesser, de m'écraser.

Je retirai mes bottines d'un geste sec, mécanique.

Ma robe glissa sur mes épaules quand je me relevai, sans force, comme un poids qui s'effondre.

Je la laissai tomber au sol, indifférente.

Direction la douche.

L'eau froide jaillit, glaciale, tranchante.

Je ne la réchauffai pas.

Je voulais que ça brûle, autrement.

Que ça rince cette douleur sourde, cette colère brute, cet affrontement intérieur.

En sortant, tremblante, je ne pris même pas la peine de sécher mes cheveux.

Je passai un sweat trop grand, celui de mon père, usé, avec une tâche d'encre sur la manche, souvenir silencieux.

J'enfonçai ma tête dans l'oreiller, cherchant l'oubli dans la nuit, mais le sommeil refusait de venir.

Juste cette phrase, obsédante, répétée en boucle dans ma tête :

« Comme ton putain de père. »

Je fermai les yeux, tentant de fuir, mais les images me happaient encore :

Un dossier déchiré, une photo floue, une silhouette inconnue.

Et ce message. Ce foutu message.

Arrête. Avant qu'il ne soit trop tard.

Je pensais à sa voix, basse, menaçante, quand il avait dit ça.

À cette menace déguisée en constat, une sentence froide.

T'es pas loin de devenir un nom sur un rapport d'autopsie.

Mon ventre se noua douloureusement.

Je serrai les draps contre moi, les doigts crispés, les dents mordant l'intérieur de ma joue pour ne pas hurler.

Quand le sommeil me prit enfin, ce ne fut pas un refuge.

Ce fut un effondrement brutal.

Un coma de colère et d'impuissance.

La nuit suivante, je n'ai pas fermé l'œil.

Mon cœur battait à un rythme fou, emporté par une certitude rampante, viscérale : je dérangeais.

Ce message, cette saleté de message, n'était pas une farce.

C'était une promesse.

Mais je refusais de me laisser figer dans la peur.

Alors j'avais fait ce que je savais faire de mieux : chercher.

Gratter sous les couches. Éplucher chaque indice, chaque détail, chaque silence.

Assise à mon bureau, les cheveux encore humides de la douche qui n'avait rien dissipé de ma fatigue, je repris les notes griffonnées dans la marge de mes dossiers. Une silhouette, une rencontre, une danse — et ce message.

Tout semblait désordonné, éclaté, mais je savais qu'il y avait un fil rouge. Et ce fil, c'était Artaï. Même enfermé, il tirait les ficelles, il était au centre de cette toile d'araignée.

Je cherchai à m'accrocher à un détail — une épine minuscule dans la chair du mystère. Le registre du vernissage, que Jasmine m'avait envoyé en photos volées, comme une preuve clandestine.

Mes yeux fouillèrent les noms, scrutant chaque lettre, chaque hésitation dans l'écriture. Puis, soudain, un nom surgit, familier comme une vieille cicatrice : Alban Desmeures.

Un nom qu'on ne trouve pas dans les registres officiels de la police, mais dans les recoins sombres d'anciens dossiers oubliés. Je lançai une connexion clandestine sur l'intranet, empruntant le VPN d'une amie journaliste — une faille risquée, mais à ce stade, le danger avait cessé de m'effrayer.

Alban Desmeures. Collectionneur d'art controversé, ancien historien radié d'un comité prestigieux pour des ventes douteuses à l'étranger. Il vivait dans le 14e arrondissement, un bail social toujours actif.

Le métro, ligne 6, m'emporta. L'odeur âcre de plastique brûlé, le cliquetis monotone, les visages fermés me renvoyaient à ma solitude. Je scrutais les reflets dans la vitre, guettant une

silhouette qui surgirait derrière moi. Rien. Juste le vide.

Le quartier avait changé. Plus calme, moins vivant. Les arbres maigres lançaient leurs ombres fines sur une rue étroite et déserte. Le bâtiment d'Alban se dressait là, un vieux corps de pierre fatigué, avec une grille rouillée qui protesta sous ma main quand je l'écartai.

Je frappai. Trois coups secs, déterminés.

La porte s'ouvrit lentement.

L'homme se tenait là, plus petit que je l'avais imaginé. Vieux, mais droit, un crâne clairsemé, barbe blanche taillée court. Ses yeux, d'un bleu délavé, étaient doux mais d'une fermeté impénétrable.

— Vous êtes de la police ? lança-t-il, la voix posée mais sur la défensive.

— Pas exactement, répondis-je. Je m'appelle Saturne. Mon père, Gabriel Legrand.

Un silence pesant.

Je crus discerner un frémissement furtif, presque imperceptible.

— Je ne reçois plus personne, murmura-t-il.

— Ce n'est pas une visite de courtoisie.

Je sentis qu'insister ne servirait à rien. Alors, j'adoptai un ton plus grave, plus direct.

— Je pense que quelqu'un veut ma mort. Et que vous savez peut-être pourquoi.

Il me dévisagea longuement, ses yeux sondant les miens, cherchant à deviner mes intentions.

Puis, il s'écarta et m'invita à entrer d'un geste sec.

L'intérieur était un sanctuaire figé dans le temps. Piles de livres délaissés, tableaux recouverts de draps épais. L'odeur mêlée de cire et de poussière flottait dans l'air. Le parquet craquait sous ses pas, comme un murmure ancien.

— Votre père, souffla-t-il, était un homme curieux. Trop curieux. Il posait des questions là où il ne fallait pas.

— Et vous ? lançai-je, la voix basse.

Un sourire triste étira ses lèvres.

— Moi, je n'entendais que les échos. Parfois, j'écrivais ce que j'entendais.

Je m'assis, le fauteuil grinçant sous mon poids.

— Il fréquentait un homme à l'époque, un certain Artaï.

Il se figea, comme frappé par un éclair. Le nom vibrait dans la pièce comme une menace.

— Vous ne devriez pas chercher à comprendre. Ce qu'il a vu, ce qu'il a su... ça lui a coûté la vie.

— Et moi, qu'est-ce que ça va me coûter ? crachai-je.

Il ne répondit pas. Mais je vis ses doigts trembler, trahissant une peur muette.

— Il y avait un tableau. Une toile que votre père cherchait. Peinte par un certain « Antek », pseudonyme, bien sûr. On disait qu'elle renfermait une clé — une carte, un code.

— Où est-elle ? demandai-je, la gorge serrée.

Son regard se fit fuyant, envahi par l'ombre.

— Elle a été volée. Peu après la mort de votre père. Par qui ? Personne ne le sait.

Un froid glacial s'insinua dans mon dos. Je me levai.

— Merci, dis-je, la voix blanche.

Il murmura presque, comme une supplique funèbre :

— Faites attention. Il y a des gens qui vivent du silence. Et vous... vous faites trop de bruit. Ne revenez pas. Partez. Loin.

Je sortis sans répondre. Mon cœur cognait. Le nom "Antek" me martelait le crâne. Une peinture. Une clé. Et peut-être, une vérité sur ce qu'il s'était passé, toutes ces années plus tôt.

Je pris le métro en sens inverse. Il faisait déjà nuit quand je remontai les escaliers de la station. Le ciel était bas, violet, menaçant. Et derrière moi, je crus entendre un pas. Puis un autre. Pas pressés. Répétés.

Je ne me retournai pas.

Je rentrai chez moi, refermai la porte à double tour, et glissai une chaise contre la poignée. Puis j'ouvris mon carnet.

Je notai un seul mot.

Antek.

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