"Allez, debout!"
Je sursaute en entendant une voix dans mon sommeil, avant dans reconnaître la tonalité rauque si envoûtante à qui elle appartient.
Aëna.
Ô somptueuse Aëna!
Elle est déjà prête et en armure, sa silhouette se dessinant dans l'ouverture de ma tente. Mais je n'ai aucun doute, ce n'est pas un rêve. On ne peut rêver d'une froideur aussi vive dans les yeux de quelqu'un. Assez pour éveiller complètement un homme endormi, et le faire bredouiller comme un enfant pris en flagrant délit de bêtise.
Je m'assois alors sur ma couche et j'ignore totalement ce que j'ai voulu dire sans même articuler. Elle souffle, levant les yeux au ciel. Même agacée, elle est belle.
"Tu as dix minutes pour te préparer, manger léger et me retrouver à l'entrée du camp.
- Heu, que... qu'est-ce... pourquoi ?
- Tu verras quand t'y seras, scribouilleur."
Elle s'en va, me laissant voir le ciel qui commence à peine à se teinter de la lueur de l'aube avant que la toile de tente ne retombe.
Je ne me souviens pas avoir été jamais réveillé à une heure pareille dans toute mon enfance. Avoir veillé si tard, oui, mais dans la vie des érudits, la journée commence que lorsque le cercle du soleil est complètement apparu dans le ciel.
Cependant je n'ai ni le temps, ni le loisir de me plaindre ou discuter. Aëna n'a pas l'air d'être le genre de personne supportant les retards. Ni même d'être contredite.
Alors je me dépêche, trébuchant sur ma bure comme un débutant, manquant de m'étouffer avec une miche de pain alors que je cours au point de rendez-vous.
Sans surprise, Aëna m'y attend déjà.
Elle parle à trois autres Draconistes, dans ce langage que je ne comprends pas. Ils ont l'air proches, et semblent se moquer gentiment de leur amie, comme on plaint quelqu'un de devoir dresser un chien mal éduqué. L'un d'entre eux m'aperçoit et fait un léger signe de tête. Je compris, à l'attitude, qu'ils parlent bien de moi.
D'abord vexé, j'ai envie de répondre quelque chose, mais je ne sais même pas de quoi on m'insulte. Gardant la tête haute, je m'approche plus lentement en les dévisageant chacun leur tour.
Celui qui m'a aperçu en premier est très grand. Je suis vraiment minuscule à côté du moindre Draconiste! Blond, ses cheveux étaient retenus par une coiffure entre la tresse guerrière et le chignon guerrier masculin. Une barbe naissante aussi blonde que ses cheveux lui mange ses joues taillées dans la roche. Ses yeux d'un bleu acier ressortent particulièrement grâce à sa peau très pâle pour un Draconiste. Le reste de son corps est dans la même armure que les autres, soulevant chez lui un corps athlétique aux muscles puissants et proportionnés.
Le deuxième est aussi brun que l'autre était blond. Et honnêtement très beau pour un homme. Il a des yeux en amande noirs, porte un chignon sobre et est imberbe des joues. Il est plus petit que le premier, mais paraît plus calme, moins fanfaron, donnant une impression de puissance bien plus grande que son compagnon d'arme.
La dernière est une fille rousse. Plus grande que moi et qu'Aëna, elle a de jolies taches de rousseur sur le nez, lui donnant l'allure d'une fée espiègle aux yeux dorés. Avec sa peau de lait, et son long sourire fin, elle ressemble à n'importe quelle autre fille de village un peu jolie, mais bien plus rapide. Elle a aussi l'air d'être la plus sociable des quatre Draconistes, et j'espère pouvoir attirer sa sympathie.
Je parviens à eux légèrement essoufflé, de sorte de pouvoir leur dire bonjour et de me présenter.
"Alors c'est toi, le scribouilleur ? Dit le blond. Effectivement, tu n'es pas bien grand pour un homme.
- C'est que je n'ai pas complètement fini ma croissance. Comprenez, j'ai seize ans.
- Je croyais que les érudits étaient au moins des êtres qui ne tétaient plus le lait de leur mère! Dit le brun.
Je vis soudain rouge. J'explose sans crier gare devant eux.
- Je suis jeune, mais je mérite mon titre ! J'ai travaillé très dur pour être le plus jeune érudit de la Couronne ! J'ai dû rabattre le caquet de centaines de gens qui voulaient je me contente de la voie facile, persuadés qu'il faut être quinquagénaire pour tout savoir, tout étudier, tout appréhender! Alors je ne suis peut-être qu'un érudit très jeune et non un Draconiste, mais respectez au moins une personne différente de vous qui a travaillé très dur pour en arriver là !"
Sans doute emporté par le stress, je me suis laissé emporter comme un enfant. Je rougis discrètement de honte de mon comportement, sous le regard surpris du quatuor.
Le brun me sourit alors, et m'adresse de nouveau la parole.
"C'est bien de se défendre. On n'aime pas les gens trop mous, par ici. On verra bien ce qu'on peut faire de toi! Je m'appelle Aldric Noir de Fer.
- Je m'appelle Bun Glace-Dent, dit le blond. Tu vois Aëna, il peut articuler !
- Oui, Bun-bun, maugrée-t-elle.
- Je suis Elwann de Golheim, dit la rousse. Peut-être que tu as tes chances. Sois gentille avec lui, Aëna ! Il n'est pas formé comme nous. Bon, on vous laisse. A ce soir!"
Elwann nous salue et entraîne les deux Draconistes avec elle, qui veulent apparemment assister à la séance. Mais, séance de quoi? Je ne sais pas ce qu'on attend de moi ici. Jusqu'à hier, je pensais que je n'aurais qu'à poser des questions, voir et écrire. Mais Sandor m'a laissé entendre que ce ne serait pas aussi simple. Et Aëna, qui ne desserre jamais les dents en ma présence, ne va certainement pas me faciliter la tâche.
Je décide de ne pas la regarder. Je la devine avec son air ennuyé se demander quoi faire de moi. Mais si je pose mes yeux sur elle, je ne serais plus capable d'être moi. Et j'ignore quelle sorcellerie peut ainsi m'entraver.
"Asthar de Minthe, as-tu déjà parcouru des montagnes ?
- Les Draconistes sont les rois des montagnes. Je viens de la ville. Hormis la mer, les plaines et les collines, mon chemin n'est jamais allé plus haut.
- Sais-tu pourquoi nous sommes les maîtres des montagnes ?
- Parce que vous êtes plus endurants, plus forts et que vous connaissez tous les secrets de la montagne.
- Et sais-tu comment nous avons acquis ces connaissances ?
- Grâce au dragons ? Hasardais-je.
- Non. Uniquement grâce à nous-mêmes. Tu viens d'en-bas, tu apprendras ici comment on vit dans les montagnes. C'est réellement dur, mais n'importe qui, bien préparé, peut y vivre. La preuve en est que nous ne sommes pas les seuls à vivre dans les montagnes.
- Mais aucun peuple ne vit dans des sommets aussi hauts que vous.
- Exact, pas dans ces montagnes.
- Il y a d'autres peuples du sommet des montagnes ?
- Nous avons vu le monde, scribouilleur. Le monde est vaste, et s'il y a bien une chose dont vous, en bas, ne vous rendez pas compte, c'est que nous ne sommes ni les seuls, ni les plus dangereux."
Je ne peux m'empêcher de relever la tête pour voir si elle se moque de moi. Mais non, Aëna n'a pas d'humour. Ses yeux ne rient pas. Ses lèvres ne sourient pas. Mais son regard émeraude est loin. Je le vois haut dans le ciel, voyant ce que je n'ai jamais vu et ne verrais peut-être jamais.
"Tu les as vus."
Pas une question, mais une affirmation.
Je suis un érudit. Jeune, certes, mais il est rare aujourd'hui que je ne sache pas quelque chose. Il était rare, jusque-là, que je me sente complètement ignorant face à quelqu'un qui n'a pas vécu plus de la moitié de sa vie. Mais ce qu'elle vient de me dire, c'est qu'on ignore encore beaucoup de choses. On ignore l'existence d'autres peuples. J'ignore ce qu'il y a au-delà des océans. Aëna n'est qu'une jeune femme parmi les siens. Si je ne suis qu'un simplet face à elle, que serais-je auprès de leurs sages ?
Loin d'avoir honte de moi, ma soif de connaissance s'accroît dans mon cœur.
Encore une fois, je fais le vœu d'apprendre tout ce que je verrai et pourrai voir, afin d'éclairer le monde de tout ce qu'il ignore encore.
Le regard lointain, Aëna se rapproche alors au son de ma voix, pour retomber sur moi. Elle a un soupir désapprobateur discret, et elle se met à articuler, d'un air résigné.
"Entraînement physique. Tu n'es pas capable de tenir le nôtre, mais tu dois bien commencer quelque part. On va entraîner ton cœur. On va courir un peu."
Et à la première foulée, déjà, je rêve.