Asthar
« Boggan, pourquoi Aldric m'a joué ce tour avec son dragon lié ? Je n'ai pas fait de vague, je suis plutôt peu dérangeant, il me semble, non ? Demandé-je au petit dragon de cuivre d'un air las.
- Tu restes quand même l'attraction du coin. C'est rare, tu sais, qu'un homme d'en-bas essaie de monter au village Draconiste. En soi, c'est plutôt un compliment.
- Un compliment ?
- Vu ta réaction, c'était réellement un compliment. Ça veut dire qu'on te pense suffisamment sérieux pour voir un petit tour de dragon. Mais ce qui a de plus important, c'est la réaction que tu as eu.
- Souffler sur de la fumée pour qu'elle se disperse, il n'y a rien de miraculeux » maugrée-je.
Nous sommes de retour dans ma tente. J'ai envie de voir Aëna, mais j'appréhende notre rencontre, aussi. Je ne sais pas pourquoi je me sens si déraisonnable en sa présence, mais je vois clairement qu'elle ne m'apprécie pas. Alors je préfère m'épargner son regard méprisant pour l'instant pour comprendre ce qu'il m'était arrivé.
« Alors tu n'étais pas au courant, vraiment ? m'interroge Boggan qui a l'air réellement intrigué.
- Au courant de quoi, voyons ? dis-je alors que je m'impatiente.
- On ne disperse pas une illusion de dragon comme ça, petit. Pas comme tu l'as fait.
- C'est-à-dire ?
- Un illusion du dragon implique de la magie draconique. Si tu n'as jamais été formé à la magie, tu ne peux pas t'en défaire. Tu ne peux même pas t'en rendre compte ! Mais toi, jeune Asthar, tu as réussi à forcer ton esprit à raisonner correctement, et tu as su repousser l'illusion avec des étincelles protectrices.
- Non, Boggan. J'ai soufflé sur de la fumée. Je n'ai pas fait de magie.
- Oh si, tu en as fait, même si c'est inconsciemment. Tu as un don inné, Asthar. N'as-tu jamais songé à devenir un mage ?
- Un mage ? Mais voyons, Boggan ! Un mage ! Non seulement ils sont rares, mais à part quelques tours de passe-passe, ils ne sont bons à rien du tout ! On peut même parler de charlatans !
- Je ne pensais pas que la profession ait autant dépéri à Tohrin Mar. Les mages, autrefois...
- Les mages d'autrefois étaient certes puissants, mais ils se sont tous laissés consumer par leur soif de pouvoir. Les érudits ont recensé leurs erreurs, et leurs fins. J'ai tout lu. Et être mage, vraiment, non merci.
- Oh, je vois. Et le grand Mage Eomas, comment est-il considéré ?
- Eomas ? Celui qui vit dans la Cité Blanche des Eléments ? Il parait qu'il s'est enfermé dans la tour du Maître et ne reçoit plus personne. Il n'a aucun apprenti et même le personnel dévoué de la Cité ne le voit plus, et ne reçoit leurs ordres que par les notes qu'ils laissent sur un panneau qui se trouve dans les cuisines. Et personne n'a le droit d'entrer dans la tour.
- Je vois qu'il ne s'est pas arrangé avec les années, alors. Il faudra qu'on aille le voir un jour. Il nous recevra.
- Boggan. Je n'ai pas l'intention d'aller voir la porte d'entrée d'Eomas. Je dois monter dans le village, faire un portrait des Draconistes, présenter mon rapport aux Erudits et à Son Altesse Aethel III et les répertorier dans la Bibliothèque du Savoir. C'est simple, non ? Simple, et votre culture est déjà très riche. J'en aurais peut-être pour plusieurs années à tout recenser. Je ne vais certainement pas aller voir un homme mégalomane qui n'en a rien à faire de son art et des gens en général ! »
Boggan me survole pour m'observer sous toutes mes coutures. J'ai pris l'habitude de m'exprimer ouvertement à lui sur mes opinions, ce que je n'ai pas pu faire aussi librement depuis que je suis entré en apprentissage, et je découvre qu'en soi, ça me fait plutôt du bien.
Mais je suis vexé qu'il pense que je puisse devenir un pauvre et médiocre mage. C'est quelque chose auquel je n'aspire pas du tout, et même s'il pense que je puisse avoir quelque talent dans cet art, ce n'est pas quelque chose que je veux voir en moi. J'ai lu de véritables horreurs sur ce qui a pu se passer autrefois pour quiconque a cherché la puissance. La magie ne doit pas être utilisée, c'est ce qui est sûr. Et la seule raison pour laquelle le mage Eomas est tranquille, c'est bien parce qu'il a l'intelligence de rester tranquille et enfermé depuis plus de quarante ans.
Le petit dragon de cuivre se pose alors sur ma tête, et je l'entends soupirer.
"Je crois que tu te trompes, Asthar. Mais je n'entrerai pas dans ce débat maintenant. Tu as effectivement une mission à accomplir auprès de nous, et je pense que lorsque tu l'auras achevé, tu seras transformé. Apaise donc ton esprit. Sache simplement que tu as gagné le respect des Draconistes en ayant déjoué ce tour qu'Aldric t'a joué. Tiens, d'ailleurs, en parlant du loup..."
Le voile de ma tente se relève et Aldric entre, ce qui me surprend et me fait me méfier immédiatement de lui. Cependant, il me fait un grand sourire amical et relève ses mains pour me montrer qu'il n'a rien à cacher.
"Bonsoir, Asthar. Je voulais discuter avec toi de ce qu'il s'est passé tout à l'heure.
- Pourquoi tu m'as fait voir un Miasque ? Est-ce que c'était drôle ? Est-ce que ma présence vous dérange à ce point ? m'écrié-je alors que je contiens difficilement ma colère sur cet incident.
- Non, rien de tout ça. Tu sais que tu es observé, toi aussi, Asthar. Et nous voulions savoir qui tu étais. On sait que même si tu n'aimes pas l'effort, tu sais t'y contraindre. On sait que tu aimes écrire et peindre. Tu aimes la compagnie de Boggan. Tu n'es pas un guerrier, aussi. Cela est évident. La seule raison pour laquelle on a voulu te jouer ce tour, c'était pour constater une autre part de toi. Ta réaction face au danger. Il faut comprendre qu'un trouillard ne pourrait rien faire parmi nous. Tu es un scribouilleur, Asthar, mais maintenant, on sait tous que tu n'es pas un trouillard. C'est ce qu'on voulait voir de toi, et on peut dire qu'on a pas été déçu ! Tu savais qu'on ne peut pas dissiper une illusion du dragon comme ça ? Mon dragon-lié, Galor Noir-Ombre, était même vexé !
- J'ai vexé un dragon ? répété-je, surpris.
- Galor est très fier de ses illusions, normalement, même pour un Draconiste, c'est difficile de ne pas se faire piéger par son souffle. Et tu t'en es sorti avec brio ! Peut-être devrais-tu t'intéresser à la magie. Je pense que ça t'aiderait beaucoup dans les temps futurs. Tu as l'étincelle, Asthar, c'est indéniable !"
Je rougis légèrement, fier, soudain, d'avoir pu percer l'illusion de Galor.
Puis, je secoue la tête en repensant encore une fois à la magie. Non, je ne veux vraiment pas m'approcher de cela ! J'allais répondre alors à Aldric quand Bun entre à son tour.
"Désolé de vous déranger, mais Asthar est demandé par Sandor et Aëna. T'as l'estomac accroché, petit ? Parce que les deux ont l'air d'être d'une humeur pas facile."
Je déglutis.
Oh, bon sang. Qu'est-ce qui va me tomber dessus encore ?