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Prologue
Chapitre 1 - Et ainsi l'histoire commença
Chapitre 2 - La messe rouge
Chapitre 3 - Les stigmates d'une terre à sang
Chapitre 4 - Le discours qui souleva les cœurs meurtris
Chapitre 5 - L'enfant qui fit trembler la volonté
Chapitre 6 - La bénédiction donnée aux marins
Chapitre 7 - La mer de sang
Chapitre 8 - La Damnée
Chapitre 9 - Les Sanglants
Chapitre 10 - Les larmes versées par les défunts
Chapitre 11 - Cette douceur qui fut jadis celle de son père
Chapitre 12 - Les désirs qui l'importèrent sur la raison
Chapitre 13 - Les monarques
Chapitre 14 - La volonté d'un puresang
Chapitre 15 - Les larmes de celui qui souffrait
Chapitre 16 - La lame qui dansait sous le sang
Chapitre 17 - D'Od naquit la discorde ; du désespoir naquit Anela
Chapitre 18 - De l'amour naquit le regret
Chapitre 19 - Il y aura mille vies qui précéderont sa renaissance
Chapitre 20 - Le festin macabre offert par un fils
Chapitre 21 - L'enfant sauvage dont l'âme fut sauvé par la paix
Chapitre 22 - Le démêlé des Ducs, du Vicaire et du Monarque
Chapitre 23 - Le Duc de Beausang qui offrit son pardon
Chapitre 24 - Le chant qui fut porté à l'oreille du siffleur rouge
Chapitre 25 - L'aperçu d'un demain meilleur qu'aujourdhui
Chapitre 26 - La plume de la hardiesse et le Duchesse de Blansang
Chapitre 27 - La lettre de l'enfant
Chapitre 28 - Le cœur qui avait besoin de son semblable
Chapitre 29 - L'union d'un peuple : les Sanguinaires
Chapitre 30 - La malédiction des dieux
Chapitre 31 - À l'aube de la dernière bataille sanglante
Chapitre 32 - Les corps entrelacés
Chapitre 33 - Les derniers échanges des mangesangs
Chapitre 34 - Et ainsi, l'histoire se termina
Épilogue
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LeenFeuerwisp
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Épilogue


Perone

Des rires éclatèrent autour de moi en même temps qu'une petite cloche était sonnée. Je sursautai et me relevai brusquement. J'essuyai vivement la bave au coin de ma bouche et regardai autour de moi. Les autres rigolaient parce que je m'étais encore dormis et l'Anela seul savait dans quelle position farfelue je l'avais encore fait ! Certains d'entre eux fourragèrent dans mes cheveux en batailles en sortant de la salle de classe et je grognai comme une petite bête.

Je tentai de les suivre discrètement, mais une main se posa à l'arrière du col de ma chemise pour me retenir. Je fus presque soulevé du sol tandis que notre précepteur souhaitait une bonne journée aux autres. Je croisai rageusement les bras. Moi aussi j'avais à faire ! Ce n'était pas de ma faute si je m'endormais à chaque fois ! Dehors, on entendait déjà la fête qui se préparait pour plus tard ! Les Faiseurs d'Abysses étaient rentrés aujourd'hui et ils avaient à nouveau repoussé la nuit !

L'Anela allait festoyer avec eux pour les nouveaux jours sans obscurité qu'ils nous offraient et j'avais la chance de travailler dans le bar dans lequel le festin aurait lieu. Je n'avais pas le temps pour les remontrances !

— Perone, si tu continues à suivre mes cours avec tant d'assiduité, je pourrais être ébloui de ton travail !

— N'est-ce pas ? Maintenant que vous m'avez fait part de votre fierté à mon égard, puis-je rejoindre mon travail ? glissai-je avec une ironie exagérée.

Il me relâcha et son poing s'abattit doucement sur ma tête tandis qu'il me prévint de ne pas jouer à ce jeu-là trop longtemps. La façon dont il prononça mon nom suffit à me calmer. Je levai la tête pour lui accorder un sourire gêné. Il était très grand et il impressionnait la plupart des brigands qui en avaient après l'orphelinat. Il était notre précepteur, mais également notre gardien. Il prenait soin de nous, plus que n'importe qui, et subvenait au besoin de tout le monde dans l'institution.

— Est-ce que tu continues de rêver ?

Et puis, Etfra était d'une gentillesse paternelle que nul ne pouvait égaler ! Nous le considérions, moi et les autres enfants de l'orphelinat, comme notre père. Je ne pouvais pas repousser sa tendresse et jamais je ne l'aurais fait ! Je ne pouvais pas me montrer aussi ingrate ! Alors, je hochai piteusement la tête face à sa question. Il ouvrit la porte de classe et s'assit sur les marches, là où nous pouvions admirer la vaste ville scintillante d'où tous les bons mets garnissaient les maisons et les commerces. Etfra m'invita à faire de même.

Je m'assis entre ses jambes, comme à chaque fois qu'il tentait de me réconforter. Ses mains plongèrent dans mes cheveux et retirèrent toutes les boucles devant mes yeux. Je reconnus alors les mouvements de ses mains : il tressait mes cheveux. Habituée à cela, je pris la parole en première. J'étais consciente qu'Etfra souhaiterait savoir de quoi traiter mon rêve cette fois et je n'allais pas lui mentir. C'était important pour moi de savoir ce qu'il en pensait.

— Dans ce rêve, il y avait un champ immense de consanguine et un palais qui avait... cristallisé dans le sang. J'étais là-bas et des gens pleuraient sur mon corps. Je me souviens avoir ressenti de la peur, du chagrin et de l'amour aussi. C'était si...

— Réel ?

J'acquiesçai.

— J'avais véritablement mal. Mon cou me lance encore. J'ai... il y avait aussi cet endroit que je ne saurais décrire. Il y faisait bon et tout était si magnifique, si parfait !

Je relevai la tête vers l'immense statue de l'Anela. Je pinçai les lèvres, incertaine des mots que je devrais employer pour dire la suite. Etfra et même tous les sanguinaires ne pourraient pas accepter une calomnie et j'avais peur d'en dire une ! Je déglutis, mais oser en parler à mon précepteur. Tout au plus je pourrais avoir une remontrance de plus et si tel était le cas, j'étais prête à me taire à l'avenir, mais aujourd'hui, je devais essayer de lui en parler.

— J'ignore si... si c'est la vérité ou si j'ai pris des visages que je connaissais d'ici, ou qui y ressemble, mais... l'Anela pleurait sur mon corps. Il y avait aussi Runeja et vous. Parfois, je vois aussi Rèbett. Il est présent dans certains de mes rêves.

Etfra se leva, délaissant mes cheveux qui retombèrent sur mon visage. Je me retournai pour voir ce qu'il faisait et il se mit à fouiller dans ses affaires. Il revint avec un lourd bouquin et je levai les yeux au ciel. Je détestais lire ! Je préférais mille fois partir à l'aventure ! Malheureusement, il se rassit derrière moi et posa le livre sur mes jambes. Ce qu'il était lourd ! Je gémis de désespoir, mais Etfra l'ouvrit, me dévoilant une illustration qui fit mourir mes plaintes. Je me penchai rapidement vers celle-ci.

— Chez les anciens dieux, ceux que nous avons oubliés, l'un d'eux a écrit ceci. C'est un trésor de l'orphelinat. Quand l'un de vous quitte la maison, je lui conte ce livre, mais je pense que tu seras la seule à y croire et à ne pas y voir juste un roman.

Et Etfra me conta l'histoire. Elle se nommait « La loi du sang » et elle parlait de nous ; des sanguinaires ! Notre histoire s'était perdue au fil des siècles, mais Etfra me disait que celle-ci pouvait être réel, je le croyais ! Pour sûr !

— Autrefois, Sang était divisé en huit terres. Il n'existait pas d'Abysse qui emprisonnait la nuit ni même de royaume unifié. Il y avait une mer de sang et une terre spongieuse de tripes. Une guerre terrible écrasait Sang ; une guerre opposant les mangesangs, créatures impies et informes, contre les puresangs, chevaliers de grâce et de beauté.

Etfra remonta les pages, me dévoilant à quoi ressemblaient les deux camps. Je posai une main sur ma bouche devant l'horreur que devait être ce temps. L'illustration d'une terre noyée par le sang et les corps me donna la nausée. Une odeur vint presque chatouiller mes narines, comme si je l'avais un jour véritablement senti !

— Sur les huit terres, sept d'entre elles appartenaient à l'Asmérion, grand seigneur des terres puresangs, mais une seule appartenait aux mangesangs : la forêt de saunes et au-delà encore. La guerre faisait rage depuis la naissance du monde, né d'un conflit entre Od et El, dieux primordiaux et fils de notre Dieu Rodel.

J'écarquillai les yeux. Notre Dieu Rodel avait eu des fils ? Nous l'ignorions ! À nouveau, Etfra me montra un dessin. On y vit les deux fils se battre. Ce combat fut d'une grande violence, une violence que je ressentais encore à travers de simples coups de crayon.

— Cette guerre, née d'un combat entre dieux, entraîna des années de chaos et de sang. L'une des terres des puresangs fut détruite : le premier duché était tombé.

— Un duché ? m'enquis-je.

— Une parcelle de terre sous la direction d'un Duc. Les Ducs étaient les seigneurs de chaque duché : pour un duché, un duc, et pour un duc, un monarque. Ce dernier était un des fils ou filles d'Od que la guerre contre El avait mené à être déchu sur terre.

Alors, chaque duc était continuellement menacé par un monarque... C'était terrible.

— Un jour, l'Asmérion, manipulé par l'un des monarques, envoya cinq de ses Ducs tuer Od. Parmi eux, il y eut Beret, Duc de Noirsang ; Pero, Duchesse de Blansang ; Selene, Duc de Dursang ; Fratera, Duc de Beausang ; et Anela, Duc de Vilsang. Tu connais l'histoire de ce dernier, il a libéré le monde, et c'est pourquoi ses statues sont aussi présente que celle de Rodel.

Je caressai des doigts le portrait des Ducs. Pero n'était qu'une enfant, comme moi et les autres, mais... ses cheveux étaient... je portai une main aux miens et triturai l'une de mes mèches.

— Anela était connu sous le nom de Vicaire Sanglant. Il était l'enfant chéri de Rodel et vivait pour protéger les siens, les puresangs. C'est au cours de son voyage qu'Anela tomba amoureux de Selene. Une passion brûlante naquit entre eux et sous les yeux des autres Ducs, mais Selene, une fois le repère d'Od atteint, se révéla être Rune.

Rune... Oui. Il y avait une statue de lui perdue dans les bois de saunes ! Les racines et les feuilles le recouvraient. Sur le dessin, je le vis. Son corps et celui de Selene semblaient se séparait.

— Ce livre raconte que, même trahi, Anela ne parvint jamais à faire taire son amour pour Rune. Pourtant, jamais le Vicaire Sanglant n'oublia ni ne pardonna la peine causée à son peuple et tout le mal qu'avait commis Od. Ce dernier lui proposa de construire un nouveau monde ensemble et, en échange de son accord, Od apporterait la paix à tous les esprits qui seraient tués durant la dernière bataille.

— Il voulait tuer tout le monde ?

— Seuls quelques individus auraient été choisis pour survivre, dont les Ducs. Mais Anela refusa. Il fit taire sa colère durant des jours et il apprit à manier l'épée avec les dieux jumeaux, Raj et Jek. Lorsqu'il fut aussi fort qu'eux, il fit éclater sa rage et sa rancœur. Sa puissance fut telle qu'il parvint à blesser Od.

Mes doigts glissèrent sur la plaie du portrait d'Od. Le Vicaire Sanglant était si... époustouflant.

— Le Vicaire maudit les monarques les condamnant tôt ou tard à l'oubli et à payer pour leurs crimes.

— Que ce sont devenus tous les autres puresangs ?

Etfra tourna la page. Je n'eus guère besoin d'imaginer ce qu'il s'était passé. Le dessin était bien trop équivoque pour que je ne le comprenne pas de moi-même.

— Od avança l'attaque contre les puresangs. Il rassembla les mangesangs et à l'aube, lorsqu'il allait se mettre en marche avec ses fils et ses filles, Anela parvint à s'enfuir avec l'aide de Rune. Ce dernier avait choisi le Vicaire à sa famille. Le but d'Anela était simple : regagner les duchés et prévenir les siens de la vague ennemie qui arrivait.

Tout ce rouge sur cette illustration... j'en avais les yeux qui brûlaient.

— Cependant, qu'importe les chemins empruntés par le Vicaire. Chacun d'eux le ramena à son amour. Sa raison choisissait son peuple, mais son cœur ne pouvait se résoudre à abandonner Rune. Alors, il pria une dernière fois et Rodel répondit à sa prière. Un nuage de siffleur rouge s'abattit sur tous ceux qui se dressaient sur le chemin de son enfant et l'un des siffleurs rouges déposa à ses pieds une plume et un papier.

Il remonta la page d'avant pour me le montrer.

— Voici ce qu'il écrivit : « mes derniers mots sont apposés ici ; mon voyage se termine. Les ennemis arrivent avec le souhait d'un nouveau monde dans lequel vous seriez les malheureux. Les dieux sont mortels : Od saigne. Mais la grâce de Rodel n'est qu'avec vous. Battez-vous, une dernière fois. Je vous laisse ma volonté et ma gloire ; que Rodel guide vos épées. Le Vicaire Sanglant. ».

— Nous n'entendons que les chants des siffleurs rouges, mais pour le Vicaire Sanglant, ils se sont battus, m'émerveillai-je.

— Et l'oiseau à qui le message fut transmis vola à travers Sang pour le transmettre. À Vilsang, il fut déposé dans les mains de l'un des puresangs : Rake. Quant à Anela, il rejoignit Rune que la vie quittait. Le père de ce dernier, Od, fou de colère, avait torturé son fils afin que son pouvoir faiblisse et que son frère et sa sœur, monarques aussi, soient libérés de son emprise.

Un père pouvait-il faire cela à son enfant... ? Etfra ne l'aurait jamais fait lui !

— Lorsque Anela s'interposa entre Rune et Od, ce dernier tenta de lever la main sur le Vicaire Sanglant, mais ce fut notre dieu Rodel en personne qui intervint. Nul ne sait ce qu'il s'est passé pour Rune et Anela, mais la terre de Sang, elle, fut submergée par la mer. Elle avait débordé, car trop de sang y fut versé.

Et c'était cette illustration que j'avais sous les yeux. Un océan écarlate avait frappé les terres infestées.

— Les cadavres, les mangesangs, le sang et tout ce qui rendait la terre spongieuse, furent engloutis dans les profondeurs de l'eau ; là où, à jamais, les pires secrets de cette époque sordide seraient enfermés. Seuls les duchés furent épargnés.

— Et les dieux ? Od et les monarques ? Les Ducs ?

— Des corps furent portés par les flots : celui d'Od, des monarques, des Ducs, d'Anela et de Rune. Celui du dieu primaire, de ses enfants aînés et d'Anela et Rune arrivèrent inerte. Ce fut sous les yeux des puresangs que...

La page se tourna.

— Que leurs corps fanèrent comme les pétales de consanguines jusqu'à ne rien laisser. Il ne resta alors que les dieux jumeaux, Raj et Jek, et les Ducs de Dursang et Beausang, Selene et Fratera. Ils furent ceux qui forgèrent ce monde.

Et lorsque la dernière page arriva, j'écarquillai les yeux.

— Les premiers Faiseurs d'Abysse, murmurai-je. Ils étaient les premiers à qui Rodel a demandé de garder la nuit enfermée !

Etfra hocha la tête.

— La suite, tu la connais. Des fruits poussèrent sur les saunes, arbres qui avaient survécu au déluge, et ce ne fut que les prémices de nourritures riches sur une terre purgée. Au fil des ans, des êtres naquirent à l'image d'Anela : cheveux de sang et yeux écarlates les anelas. Mais une seule réincarnation était la véritable : l'Anela, une autre vie donnait au Vicaire Sanglant, encore et encore. Notre Anela est l'une de ces vies.

Oui ! Nous connaissions tous cette histoire. Si beaucoup de notre histoire avait été oublié, notre Anela était lui aussi précieux que notre Dieu. Il était le plus proche de lui et nous étions intimement convaincus de son statut de Dieu.

— Ce livre a été rédigé par Jek, le dernier des premiers Faiseurs d'Abysse. Je pense qu'il savait que tout cela serait oublié. Alors, il l'a écrit et donné à mon ancêtre, et nous nous le sommes transmis.

— Tu as une mine de savoir avec toi ! Pourquoi ne pas le dire à tout le monde ? m'indignai-je.

— Parce que je pense que se souvenir de tout cela n'apporterait rien de bon. De nombreuses statues jonchent les forêts de saunes, mais elles sont toutes oubliés. Seules demeurent celles du Vicaire Sanglant, portrait craché de l'Anela actuel, et de notre Dieu Rodel. Le passé qui a été englouti par les flots doit le rester.

Etfra releva mon menton pour que je le regarde. J'acquiesçai en maugréant.

— Si Anela a été réincarné, peut-être que les autres aussi. Dans ce cas, tes rêves sont peut-être plus que de simples rêves, glissa Etfra.

— Et Od... ?

— Il est né de Rodel, d'une goutte de sang. Il lui est revenu.

Je refermai le livre et me relevai. Je le lui tendis en souriant.

— Qu'importe le passé qui a été englouti. Aujourd'hui, je suis une orpheline et tu es mon gardien, Etfra. Les temps sont paisibles. Quand bien même je crois à cette histoire, tu as raison. Le passé doit rester englouti ! assurai-je.

J'étais heureuse aujourd'hui. Si... je ne voulais pas avoir l'arrogance de penser à une renaissance aussi honorable. Si tel était réellement le cas, qu'importait ! J'étais véritablement heureuse aujourd'hui et je refusai de laisser des rêves entacher ce bonheur. Etfra reprit le livre, mais je me promis de le lire en entier. J'étais consciente des raccourcis qu'avait pris Etfra. Il avait réussi à me remonter le moral, comme toujours. Je claquai un bisou sur sa joue.

— On se retrouve plus tard pour le festin ! Je serais à la taverne avec Runeja ! m'écriai-je en courant.

Etfra me fit un signe vigoureux de la main avant de disparaître dans la salle de classe. Pour ma part, je gagnai le bar dans lequel Runeja m'avait recruté, avec l'aide d'Etfra bien sûr. Je sautillai presque de joie. Je courrai si vite sous l'euphorie que même mes cheveux ne parvenaient pas à venir obscurcir ma vue. Quand bien même il y avait quelques tresses, ça ne suffisait pas à ce que ce soit pratique avec toute la masse que j'avais !

Sur la grande place, je passai au travers des immenses couronnes de consanguines qu'ils tressaient pour vêtir les statues de Rodel et du Vicaire Sanglant. Au-dessus de la fontaine d'où coulait toujours un vin fruité aux couleurs écarlates, de longues lianes de consanguines étaient hissées par des piliers pour décorer l'endroit. C'était si beau ! Mon attention fut happée par toutes les merveilleuses décorations lorsqu'une main se posa lourdement sur mon épaule.

Je la reconnus immédiatement, encore plus lorsque l'odeur des consanguines sembla augmenter.

— Regarde-moi ça ! Tu n'entres pas dans la taverne avec des cheveux comme ça !

Runeja, qui avait pris l'habitude de se balader avec un ruban autour du bras pour moi, le défit et ramena mes cheveux en une queue qu'il attacha de ce ruban rougeoyant. Je le suivis jusque dans la taverne où les odeurs de nourritures étaient plus fortes encore ! Je parvins à piquer un petit pain à la viande tandis que Runeja s'activait pour tout préparer en même temps qu'il essayait de me reprendre ma nourriture ! Tous les préparatifs nous prirent plusieurs heures. L'astre solaire était plus crépusculaire.

Nous savions à quoi ressemblait la nuit. L'Abysse dans laquelle elle était enfermée prenait ses couleurs, mais grâce aux Faiseurs d'Abysses, elle ne s'échappait jamais. Notre astre solaire ne disparaissait jamais, mais sa chaleur et sa lueur s'éteignaient légèrement pour quelques heures, comme actuellement. Sa lueur orangée baignait tout le royaume unifié ! Ses rayons pénétraient dans la taverne et illuminaient les lustres accrochés.

Lorsque l'heure fut venue, des musiques résonnèrent, encore plus joyeuses que celles qui étaient jouées d'ordinaire ! J'ouvris la porte de la taverne avec Runeja et beaucoup vinrent enfin prendre place sur les tables extérieures que nous avions placées sur toute la grande place. L'Anela fut le premier des illustres invités à nous rejoindre et, à ses côtés, son fidèle chevalier Rèbett. Il était un monstre de muscle et ses blagues n'étaient assurément pas pour les enfants comme moi.

Lorsque l'Anela me vit, habitué aux soirées que nous passions ensemble puisque je travaillais pour Runeja, sa main se posa sur ma joue et il la caressa avec un sourire tendre. Rèbett tapota mon épaule, hélant déjà certains des serveurs pour obtenir un verre d'alcool. Lorsque je portais mon attention sur Runeja, je me retins de me moquer. Son regard ne parvenait pas à décoller de l'Anela et à vrai dire... il en était de même pour ce dernier ! Ce n'était un secret pour personne que ces deux-là se plaisaient démesurément.

Des rumeurs circulaient déjà sur eux. Tout le monde savait que l'Anela était la réincarnation du Vicaire Sanglant, mais certain, comme moi, soupçonné Runeja d'être le premier amour du Vicaire Sanglant. La statue de Rune existait dans la forêt de saune et elle était la seule à ne pas être tombé en décrépitude. Seule la flore l'avait recouverte. Si nous ne savions majoritairement pas de qui il s'agissait, Rodel avait protégé celle-ci, alors nous étions conscients qu'il s'agissait d'un être important ! Nous assistions peut-être au même amour qu'il y a plusieurs siècles ! Beaucoup en étaient de fervents croyants, dont moi !

— Les Faiseurs d'Abysse sont là !

Je me retournai vivement vers la grande place. Vêtus de leurs armures rutilantes, ils étaient reconnaissables entre mille. Trois armures pour trois Faiseurs d'Abysse. Les Faiseurs d'Abysse étaient toujours quatre et c'était pour cela qu'aujourd'hui la fête était plus importante encore : bien qu'un Faiseur s'était éteint, un autre devait voir le jour. Chacun d'eux héritait toujours de l'armure de celui qui était mort ; des armures taillées par les plus doués d'entre nous, fait pour résister à l'obscurité et à la folie qu'elle révélait en chacun. Tartaros était vêtu d'une armure noire au casque de taureau ; Raziel d'une armure blanche au visage de hibou ; Aalrihaus d'une armure grise au visage d'ours. La dernière armure, absente aujourd'hui, représentait le soleil lui-même.

L'Anela s'avança et les Faiseurs d'Abysse s'agenouillèrent devant lui. Rèbett tendit une petite bourse à l'Anela qui en plongea sa main. Il la ressortit et fana sur nos protecteurs des pétales de consanguines. Ce fut semblable à une pluie écarlate, mais il ne s'agissait là que d'une bénédiction.

— Rodel et nous tous vous remercions pour avoir repoussé la nuit. En votre honneur, un festin a été préparé. Levez-vous et festoyez avec nous, Faiseurs.

D'une main tendue vers eux, et comme il en était coutume, les Faiseurs d'Abysses saisirent sa main et son bras pour se relever.

Ce jour-là nous festoyâmes. Etfra nous rejoignit peu après et, tous à la même table, les rires éclatèrent ; les cœurs hurlèrent de bonheurs. Chaque visage qui fut illuminé de joie offrit un peu plus de joie à Rodel. Qu'importait le passé, car les « nous » d'aujourd'hui partageaient la même table. Peut-être que nos âmes se reconnaissaient, que nos premières vies admiraient celles-ci avec des sourires. Et si nous n'étions rien de cela, alors ce quotidien n'en restait pas moins merveilleux.

Aujourd'hui, l'Anela veillait sur nous, dans ce monde sans nuit, sans obscurité, et Rodel garantissait avec ses Faiseurs d'Abysse que le monde qu'il avait construit ne s'éteigne pas.

La guerre était terminée il y a bien longtemps.

Aujourd'hui, nous avions gagné.

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