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Prologue
Chapitre 1 - Et ainsi l'histoire commença
Chapitre 2 - La messe rouge
Chapitre 3 - Les stigmates d'une terre à sang
Chapitre 4 - Le discours qui souleva les cœurs meurtris
Chapitre 5 - L'enfant qui fit trembler la volonté
Chapitre 6 - La bénédiction donnée aux marins
Chapitre 7 - La mer de sang
Chapitre 8 - La Damnée
Chapitre 9 - Les Sanglants
Chapitre 10 - Les larmes versées par les défunts
Chapitre 11 - Cette douceur qui fut jadis celle de son père
Chapitre 12 - Les désirs qui l'importèrent sur la raison
Chapitre 13 - Les monarques
Chapitre 14 - La volonté d'un puresang
Chapitre 15 - Les larmes de celui qui souffrait
Chapitre 16 - La lame qui dansait sous le sang
Chapitre 17 - D'Od naquit la discorde ; du désespoir naquit Anela
Chapitre 18 - De l'amour naquit le regret
Chapitre 19 - Il y aura mille vies qui précéderont sa renaissance
Chapitre 20 - Le festin macabre offert par un fils
Chapitre 21 - L'enfant sauvage dont l'âme fut sauvé par la paix
Chapitre 22 - Le démêlé des Ducs, du Vicaire et du Monarque
Chapitre 23 - Le Duc de Beausang qui offrit son pardon
Chapitre 24 - Le chant qui fut porté à l'oreille du siffleur rouge
Chapitre 25 - L'aperçu d'un demain meilleur qu'aujourdhui
Chapitre 26 - La plume de la hardiesse et le Duchesse de Blansang
Chapitre 27 - La lettre de l'enfant
Chapitre 28 - Le cœur qui avait besoin de son semblable
Chapitre 29 - L'union d'un peuple : les Sanguinaires
Chapitre 30 - La malédiction des dieux
Chapitre 31 - À l'aube de la dernière bataille sanglante
Chapitre 32 - Les corps entrelacés
Chapitre 33 - Les derniers échanges des mangesangs
Chapitre 34 - Et ainsi, l'histoire se termina
Épilogue
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LeenFeuerwisp
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Chapitre 11 - Cette douceur qui fut jadis celle de son père


Anela

Le jour n'était pas encore levé lorsque je secouai Pero. Prenant garde de ne pas réveiller les autres, j'entrainai la petite avec moi, encore ensommeillée. Seul Beret, qui assurait son tour de garde, était éveillé. Assis au pied d'un arbre, nous nous mîmes quelques pas devant lui. J'aurais dû faire cela bien plus tôt. Au lieu de batailler avec Beret et Selene sur le bateau, nous aurions dû nous assurer que la petite savait se battre. Je me sentais profondément indigne de moi-même de ne pas l'avoir fait avant.

J'avais été cruel avec Pero et la petite ne s'était pas plainte de mon comportement exécrable. Elle avait assuré son rôle de Duchesse avec courage, malgré son jeune âge, et j'avais eu du mal à reconnaître cela. J'avais pris sa brave assurance pour une stupide bêtise. Nous pouvions en tirer parti et tout comme les anciens Ducs m'avaient pris sous leurs ailes à une époque, c'était à mon tour de le faire, de transmettre ce que mon père et les autres m'avaient inculqué.

Je m'agenouillai devant elle, son épée dans mes mains, et j'essayai de la dégainer afin d'essayer de comprendre pourquoi elle n'avait pas pu le faire durant le combat. Cependant, je ne rencontrais aucun problème. Avisant de l'air inquiet de la petite, je compris que lui faire un énième reproche ne serait guère la solution. J'allais juste ruiner la confiance qu'elle s'était forgée et qui lui avait permis de suivre nos pas presque sans trembler, sans se plaindre une fois.

— Ils ont dû mal polir ton épée avant de te la fournir, assurai-je avec suffisamment d'aplombs pour qu'elle me croie. Le fourreau de ton épée est unique. Chaque fourreau l'est : un fourreau pour une épée. Si l'épée est mal polie, alors son fourreau ne lui sied guère. Ça n'a pas été de ta faute.

Pero en fut profondément soulagé. Un sourire radieux illumina son jeune visage. C'était de cela que j'avais manqué avec elle jusqu'ici. J'avais terriblement manqué d'indulgence. Elle n'était qu'une enfant. Selene l'avait compris, lui. Alors, mentir à Pero pour qu'elle ne perde pas le panache qui lui était singulier était un sacrifice que je pouvais bien payer. Quand bien même le mensonge était indigne d'un puresang, je m'excusais auprès de notre Dieu Rodel pour cela.

Je posai la lame de Pero entre ses mains. Je laissai tomber son fourreau et dégainai la mienne.

— Une épée n'est pas juste une arme. Lorsque tu la tiens, tu tiens nos vies entre tes mains. Tu flanches, nous mourrons.

J'avisai de ses pieds mal positionnés et glissai le mien vers les siens pour les poster correctement. Puis, je repris place et levai mon épée face à moi.

— Sois bien ancrée au sol. Si un ennemi tente de te déséquilibrer, tu n'as pas le droit de tomber. Si tu tombes, c'est que tu l'as décidé.

Je lui donnai un léger coup vif, sans qu'elle ne s'y attende, et elle recula de plusieurs pas pour ne pas tomber.

— Repositionne-toi, ordonnai-je. L'ennemi peut venir de partout. Même tes pas les plus simples doivent être solides.

Elle hocha vigoureusement la tête et je retirai mon acte, plusieurs fois. Elle manqua de tomber à chaque fois et je recommençai. Nous allions veiller sur elle, mais j'étais bien placé pour savoir que les choses ne se passaient jamais comme elles étaient prévues sur La Damnée. Je voulais qu'elle sache se débrouiller seule, au moins un minimum. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle réussisse tout ce que je lui disais. Cependant, je voulais être satisfait.

Alors, lorsque je la bousculai une énième fois et que l'un de ses pieds recula pour lui assurer un appui stable, j'arrêtai. Je lui offris un sourire ravi et sa poitrine se gonfla de fierté. Ce petit geste, anodin pour certains, me toucha. Elle avait le désir de bien faire. Malgré son jeune, elle prenait les choses sérieusement. Dans un autre contexte, Pero aurait fait une Duchesse admirable. Je voulais lui assurer qu'elle rentrerait chez elle, mais je savais cela impossible.

Je ne pouvais assurer que mon sort, pas le sien, ni ceux des autres. Sachant cela, j'avais tout de même décidé d'embrasser Selene. Je me trouvais particulièrement cruel. Alors même que je savais l'attirance qu'il avait pour moi, je lui avais demandé une telle chose. Nous n'avions pas d'avenir ensemble. Demain était trop incertain. J'avais décidé de rendre la chose plus dure pour nous deux. Tout cela parce que je ne voulais pas qu'il disparaisse sans que je n'eusse gouté au moins une fois à ce qu'il pouvait m'offrir.

Ma cruauté me laissait sans souffle.

— Duc Anela ? s'enquit Pero. Est-ce que tout va bien ?

— Pardon, oui. J'étais... perdu dans mes pensées. Repre...

— Est-ce à cause du Duc Selene ?

Je ne sus quel visage je dus faire, mais elle gloussa. Je me sentis rougir, comme si j'avais été percé à jour. Cela dit, c'était un peu le cas. Je lui donnai une légère tape sur la tête et lui fit lever son épée.

— Reprenons. Concentre-toi. Je vais t'apprendre les mouvements de bases. C'est comme une danse. Avec eux, ton épée ne laissera aucune ouverture sur tes points faibles et tes ennemis n'auront aucune chance. Regarde.

Habitué à les réaliser, je fermai les yeux. Je ne lui avais pas menti. Les pas étaient comme une danse : graciles et légers, mais puissants et décidés. Je glissai mon pied en arrière en formant une arabesque ; arabesque que je traçai avec ma lame. Ce que mes pieds dessinaient, mon épée le reproduisait. Je laissai le vent créé par mes mouvements décider à quel point je devais aller vite. Il n'y avait pas besoin de musique pour suivre un rythme. Pas dans La Damnée. Cette dernière ne manquait pas de vie contre tout aspect.

Il suffisait d'écouter le chant perpétuel des siffleurs rouges. Je suivis leurs petits sifflements sinistres et ce, jusqu'à me retrouver dans ma pose initiale. J'ouvris les yeux, apaisé par ma danse. Je me redressai et me tournai vers Pero. Ses yeux étaient écarquillés d'émerveillement et je me sentis de suite mal à l'aise de voir cela. Je ne voulais pas d'admiration de sa part. Je ne voulais pas qu'elle me considère comme un exemple.

— Vous étiez magnifique ! On aurait dit que vous voguiez sur le vent ! Que... que les siffleurs rouges chantaient pour vous ! s'écria-t-elle euphorique.

Je tapai une nouvelle fois sa tête.

— Cesse de raconter des balivernes et concentre-toi. Reproduis au mieux ce que tu as vu. Ne t'arrête pas avant le matin.

Décidée, elle hocha vigoureusement la tête et, d'un petit bond, se mit en place et commença. Pour ma part, je reculai. Je n'allais pas la corriger si elle faisait des erreurs. En vérité, cette danse n'existait pas vraiment. Les puresangs se battaient chacun à leur façon. Nous étions entrainés à l'épée, mais ce genre de mouvement était perfectionné par soi-même. Je lui laissai le loisir de s'inspirer de mes mouvements, car je savais que ma façon de me battre était l'une des raisons pour lesquelles j'étais encore en vie aujourd'hui.

Si cela lui permettait de rester en vie à son tour, alors je voulais la laisser faire. Ce serait bien la seule chose que j'accepterais de transmettre. Je ne voulais rien laisser en ce monde pour qu'on se souvienne de moi. Si je n'étais pas voué à mourir, je l'étais à disparaître, d'une façon ou d'une autre. Je ne voulais pas qu'on se souvienne et qu'on admire « le Vicaire Sanglant ». Je ne voulais pas que des enfants, que les puresangs, grandissent, vie après vie, en pensant que me ressembler serait une bonne chose.

Je ne voulais pas pousser les générations à venir à la guerre. Je ne voulais pas donner de courage aux enfants de se battre.

Cependant, j'étais forcé d'admettre que j'avais déjà laissé une trace indélébile. Je ne savais pas comment effacer cela et ça me rendait si anxieux. Désolé, je me laissai tomber à côté de Beret.

— La petite a raison. Vos pas étaient magnifiques. C'était si beau que je suis presque navré de les voir être utilisés à des fins si sanglantes.

Je ne lui répondis pas. Il n'y avait rien à répondre. En vérité, je ne pouvais pas m'empêcher de penser comme lui. Lui aussi, je l'avais mal jugé. Il prenait les choses bien plus sérieusement que je ne l'avais pensé.

— Je... si notre monde n'avait pas été comme il est, j'aurais aimé en faire mon métier, confiai-je, gêné.

Beret redressa la tête, éberlué par mes paroles ou bien était-il profondément choqué parce que je me confiai à lui.

— Danser, je veux dire. Je le faisais souvent pour ma mère et lorsque père m'a appris à tenir une épée, cela m'a semblait logique d'y intégrer quelque chose que j'aimais profondément. J'aime manier l'épée, mais vous avez raison. Je n'aime pas le faire à des fins si sanglantes. C'est ironique, n'est-ce pas ?

Il laissa échapper un rire faux, semblant presque révolté par ce que je lui avouais.

— Pour être honnête avec vous Anela, les fois où je vous ai vu, vous aviez semblé si froid que j'ai pensé que vous aimiez cela : la guerre et le sang. Malgré votre jolie frimousse, je me suis dit que vous deviez être un sacré monstre sur le champ de bataille.

Je n'étais guère surpris par ses mots. Tout le peuple de Sang qui ne me connaissait pas devait penser cela. Je ne voulais guère me rendre sympathique, mais ils avaient quand même réussi à m'aimer et à compter sur moi, malheureusement.

— J'ai été profondément choqué de vous voir vous battre. Je suis... réconforté à chaque fois que je vous vois faire. Vos pas ne sont pas bruts ni hâtifs. On dirait que vous n'avez pas hâte de les tuer. Lorsque votre lame tranche nos ennemis, vous ne tentez pas de les faire souffrir. Malgré les apparences, je n'aime pas la violence gratuite. Vous n'êtes pas cruel. À vrai dire...

Lorsqu'il tourne la tête pour me regarder, je découvris un air calme à Beret, loin de son air graveleux habituel. Il était sincèrement apaisé. Il ne me mentait pas.

— À vrai dire, vous êtes l'homme le plus doux que j'ai pu voir. Vous me faites beaucoup penser à votre père. Je ne l'ai pas autant connu que Fratera, mais j'ai eu l'honneur de manger à sa table. Lui non plus ne prenait pas plaisir à tuer les mangesangs.

L'évocation de mon père fit doucement gonfler mon cœur d'un chagrin sournois. À Vilsang, personne ne parlait de lui. Il avait eu la chance de tomber dans l'oublie, même si moi je me souvenais de l'homme chaleureux et brisé qu'il avait été.

— Vous étiez aussi jeune que Pero lorsque vous avez été nommé Duc. Vous devriez lui raconter votre histoire. Peut-être cela pourrait-il l'aider. Regardez-là. Elle s'efforce de vous ressembler.

Et il n'avait pas tort. Elle ne tentait pas de s'approprier mes pas à sa façon, elle se contentait de maladroitement les reproduire. Je secouai la tête et soupirai.

— Je ne veux pas qu'on me ressemble. Je ne veux pas donner de courage à des gens pour qu'ils aillent se battre. Je ne veux pas pousser à la guerre.

— Si vous ne le faites pas, un autre le fera et peut-être que ce sera avec moins de bienveillance que vous. Il ne s'agit pas de se battre, mais de survivre. Et puis, il est trop tard pour être oublié, Anela.

Voyant que je ne répondrais pas, il posa sa main sur mon épaule.

— Je vais continuer mon tour de garde et veiller à ce que Pero continue. Allez donc vous reposer encore un peu.

Je n'essayai pas de résister. Les paroles de Beret m'avaient plus atteint que je ne l'aurais cru. Je me sentais morose et peiné. Je me relevai et regagnai notre camp, quelques pas derrière. J'allais retrouver ma couchette, mais mon regard accrocha le corps de Selene. Ce dernier dormait profondément. Je m'avançai alors silencieusement et m'allongeai à côté de lui. Je ne cherchai pas à le toucher, mais je laissai mes doigts survoler son visage. Ses traits durs avaient quelque chose d'enfantin lorsqu'il dormait.

« Si vous ne le faites pas, un autre le fera », m'avait dit Beret. Pour ma part, pour ce voyage, c'était Selene qui me donnait du courage. Avec sa présence, je n'avais pas l'impression de tout porter sur mes épaules. Avec nos camarades inexpérimentés, Selene donnait quelque chose de plus sûr et rassurant à cette quête. J'aimais ce sentiment de sûreté qu'il m'offrait. Je me sentais cruel de... le vouloir lorsque je savais être incapable de construire quoi que ce soit avec lui.

Mes doigts finirent par frôler sa joue et ses yeux s'ouvrirent d'un coup, me faisant sursauter. Je reconnaissais bien là le sommeil d'un puresang en expédition : à l'aspect profond, mais toujours léger et vigilant.

— Anela ? murmura-t-il surpris.

De la surprise, il passa à l'inquiétude en détaillant mon visage. Je ne le connaissais pas, mais l'envie de me reposer sur lui, de croire en lui était si forte que je l'avais fait naturellement. J'aimais ça.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

— Prenez-moi dans vos bras Selene. Serrez-moi et ne me lâchez pas.

Il n'hésita pas. Il ne posa pas plus de questions. Ses bras forts m'enveloppèrent immédiatement et je me retrouvai perdu entre ses muscles. J'inspirai profondément, groggy par son odeur. Il sentait... oui... il sentait comme les consanguines. Comme il sentait bon ! Je réfugiai un peu plus mon visage dans son cou. Sa peau était chaude. C'était si agréable d'être câliné. Quelque chose de doux se répandait dans mon corps et je l'invitai à me serrer plus fort encore.

— Pitié, Selene, ne me lâchez pas, suppliai-je.

Ses lèvres se déposèrent dans le creux de mon épaule et il gronda, pas comme un homme l'aurait fait, mais bien comme une bête. Et, perdu entre ses bras, son odeur et sa douceur, je me surpris à penser que mourir dévorer par une bête, par lui, ne serait pas si terrifiant.

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