Le froid lui mordit la chair et la petite ondine se figea, telle une statue de glace. La rivière qui coulait se transforma en une plaque de glace et les gouttes qui tombaient de la table devinrent des stalactites. L'air se fit de plus en plus glacial.
Ayant remarqué qu'en retirant les mains de la pierre, tout s'annulait, Espoir chercha à s'éloigner de la table. Hélas, ses mains étaient prises dans un étau de glace si serré qu'elle était coincée.
Elle commença à paniquer. Et le froid s'intensifia davantage, devenant polaire autour d'elle. Personne ne bougeait. Tout le monde était comme figé de stupeur. Ou de terreur.
– Calme-toi, jeune fille, intervint soudain une voix d'homme en s'avançant.
Espoir reconnut le Maître du feu.
– Plus tu paniqueras, pire ce sera. Reste sereine.
– J'ai froid !
– Respire profondément et calme-toi, répéta-t-il. Je me charge de réchauffer l'atmosphère. Mais il faut que tu arrêtes ce blizzard !
– Comment ?!
Alors qu'elle criait, elle vit les professeurs demander aux élèves de s'écarter. La crainte se lisait sur les visages à travers les cristaux de glace qui ne cessaient de s'étendre. Un feu ardent finit par dissimuler la foule à son regard. La chaleur augmenta un peu mais c'était encore insuffisant pour la réchauffer alors que la glace était en contact direct avec sa peau.
– Pense à quelque chose qui te calme ! ordonna l'homme. Il faut que tu sois sereine et en accord avec ton élément !
– C'est ce que je fais !
– Non ! Tu es terrorisée ! Maintenant calme-toi et écoute...
L'homme grogna de douleur et le feu perdit en puissance.
– Dante ! cria la Principale.
– Ca va ! C'est rien ! Storm ! Baker ! Allez chercher du secours ! Il faut la contenir ou ce sera une nouvelle ère glacière ! Solène, essaie de limiter l'expansion du blizzard !
Espoir se figea de terreur alors qu'elle assimilait la signification de ces ordres et le grognement qu'elle avait entendu. Elle venait de blesser un homme, un professeur. Encore ! Et elle était sur le point de provoquer un cataclysme ! Le nœud d'angoisse et de peur qui lui serrait l'estomac se serra davantage. Le blizzard s'intensifia, plongeant toute l'école dans une obscurité dangereuse et glaciale.
Elle voulait fuir. Elle voulait disparaître.
Espoir tira sur ses bras pour s'écarter de cette maudite table. Elle perçut la sensation de sa peau qui se déchire mais sans la douleur habituelle qui venait avec. La glace avait tout anesthésié. Alors elle tira plus fort. Tout pour se dégager, peu importait son état tant qu'elle cessait de faire du mal aux autres dont elle entendait clairement les hurlements de terreur dans la tempête. Parmi eux, Espoir crut reconnaître la voix d'Ambre dont elle s'était déjà habituée. Elle écarquilla les yeux alors qu'elle l'imaginait déjà avec les mêmes brûlures que cette vieille dame de son passé.
Elle posa son pied contre la table. Elle poussa de toute la force de sa jambe alors qu'elle tirait ses bras. Malgré le froid, elle sentit la douleur percer, sourde, sur toute la longueur de ses membres. Elle l'ignora et tira plus fort. Un cri s'échappa de ses lèvres sous l'effort.
La glace qui faisait déjà miroiter l'orange des flammes et la noirceur du ciel, commença à se teinter de rouge. A peine quelques petites taches minuscules qui s'étaient déjà cristallisées. Elle tira plus fort encore. Elle ne savait si c'était sous son acharnement ou sous les effets de la chaleur qui avait augmenté tout d'un coup, mais Espoir parvint finalement à se libérer. Elle percuta le mur de glace qui s'était formé autour d'elle. Ce dernier se brisa sous le choc, aminci par la tornade de feu. Elle se recroquevilla sur elle-même, les mains blessées, striées de gerçures et engelures, couvrant sa tête pour se protéger.
Assez vite, la glace disparut. Le ciel redevint clair et ensoleillé et un calme tendu s'installa sur la colline. La température était à nouveau estivale pour le pays. Espoir tremblait encore, développant sans le vouloir de petites fleurs de glace autour d'elle.
– Allez chercher des couvertures, dit une voix qu'elle ne reconnut pas.
Masculine, elle était froide et autoritaire.
– Si on ne la réchauffe pas assez vite, elle pourrait glacer tout l'espace autour d'elle.
– Elle doit juste croire en elle-même, siffla la voix du Maître de feu.
– Ce n'est pas toujours aussi simple, Black. Et si pour aider, tu faisais un feu pour la maintenir au chaud ?
La voix était cassante.
– J'ai pas d'ordre à recevoir de toi.
– Non, mais tu vas le faire quand même si tu ne veux pas risquer un autre blizzard !
Au même instant, deux mains solides se posèrent sur les épaules d'Espoir. Elle se tendit et poussa un petit cri.
– Je suis désolée ! s'excusa-t-elle. Je ne voulais pas ! Je le jure ! Je ne...
Elle se retourna et posa son regard turquoise sur l'homme qui l'avait approchée. Grand et élancé, il avait un visage pâle et émacié qui contrastait avec la noirceur de ses cheveux mi-longs attachés sur la nuque. Quelques mèches rebelles s'étaient échappées et assombrissaient encore plus les traits austères découpés au couteau.
– Du calme, jeune fille, dit-il en levant les mains en signe d'apaisement. Ca arrive. Rarement à ce point-là mais on a déjà vu ça par le passé. Ce n'est pas grave. Commençons par vous réchauffer, termina-t-il en ôtant sa veste pour la lui donner. Vous êtes gelée.
Il l'aida à se lever et la mena en dehors du cercle de mégalithes. Catherine Perrier suivit la marche tandis que le Maître de feu, Dante Black si Espoir avait bien entendu, était devant et créait déjà un feu de camp.
– Tu n'auras qu'à l'alimenter ! dit-il froidement à son collègue.
– Je ne suis pas feu.
– Mais tu es bois, rétorqua-t-il avant de retourner dans le cercle.
L'homme qui soutenait Espoir la mena près du feu. Là, il posa une main sur le sol et fit pousser un arbre à l'horizontal. Il l'invita à s'y asseoir.
– Comment...
– Calme et maîtrise, répondit-il en cassant une branche dans un grognement sans faire attention à ses habits.
Il venait de tacher son pantalon noir avec une tache de mousse et quelques copeaux d'écorce s'accrochaient ici et là. Il brisa la branche en plusieurs morceaux, manipulant le bois avec facilité, avant de les jeter dans le feu.
– Réchauffez-vous, l'invita-t-il. Quand la cérémonie sera finie, la Principale s'occupera de vous.
– Je suis eau, c'est ça, Monsieur... ?
– Storm. Je m'appelle Derrick Storm. Dendrokinésiste.
C'était donc lui, le professeur qui portait le même nom qu'elle. Elle le fixa quelques instants avant de reporter son attention sur le feu. Elle tendit les mains, accueillant cette chaleur avec un certain soulagement.
Mr Storm jeta encore quelques bouts de bois dans les flammes avant de s'accroupir devant.
– Et oui, finit-il par ajouter en se frottant les mains. Vous êtes hydrokinésiste. Mais d'un genre qu'on ne voit que très peu.
– C'est-à-dire ?
– Chaque maître a sa spécialité. Même si c'est plus rares pour les éléments primaires.
– Je ne comprends pas.
– Les éléments primaires sont simples et puissants chacun à leur façon. Ils peuvent être doux comme brutaux. Les éléments secondaires sont plus variés et à différents niveaux. Certains sont même à la limite entre de deux éléments.
Le ton était docte. Mr Storm parlait sans la regarder, les yeux tournés vers le feu. Entre ses doigts avait poussé une branche de bouleau qu'il faisait tourner lentement.
– Je suis dangereuse, c'est ça ?
– Oui. Mais tous les primaires le sont. Provoquez la colère de Mr Black et vous risquez de roussir un bon moment sous ses flammes. Quelle chance néanmoins qu'il se soit porté volontaire aujourd'hui pour la cérémonie. Sans lui, il aurait été impossible de vous arrêter.
Un frisson parcourut la colonne d'Espoir. Sa respiration se bloqua quelques secondes dans sa poitrine. Elle déglutit.
– Comment ça ?
– Vous n'êtes pas la première Maître des glaces que nous croisons, répondit Mr Storm.
– Il y en a d'autres ? Comme moi ? Ils sont dans cette école ?
– Non. Il n'y en a aucun de scolarisé ici pour le moment. Le don des glaces est rare. Très rare. Et la dernière personne que nous connaissons avec cette spécialité a assez mal tourné.
Il jeta la branche dans les flammes.
– Le bois vert ne brûle pas très bien, fit remarquer Espoir.
– C'était pour ça que je ne voulais pas rester. Je ne suis pas très utile pour vous réchauffer. Il vous faut de la vraie chaleur.
– Chocolat chaud, ça marche aussi.
– C'est une bonne façon de se réchauffer, admit-il en hochant la tête. Pensez à en demander à Mme Perrier quand la cérémonie sera finie.
Une collègue de Mr Storm arriva avec quelques couvertures et Espoir se retrouva assez vite réchauffée.
– Pardonnez-moi mais je dois retourner à la cérémonie, dit Mr Storm avant de se lever. N'oubliez pas, restez sereine. C'est la clef de la maîtrise.
Espoir hocha la tête. L'homme repartit d'un pas raide, la laissant au soin de sa collègue qui lui frottait les épaules pour la maintenir au chaud. Elle était rassurante et confirmait ce que Mr Storm avait dit.
– Vous comprendrez mieux une fois que les cours auront commencés.