Espoir observa les arbres défiler devant ses yeux, curieuse de voir apparaître la fameuse académie qui serait sa nouvelle prison.
Une trouée se fit et le soleil l’éblouit pendant quelques instants. Puis, une série de jardins et de serres se mirent à défiler, remplis de plantes luxuriantes et colorées. Bon nombre de personnes circulaient seuls ou avec leurs amis, tirant ou portant derrière eux leurs valises.
– Attends… Est-ce que je viens vraiment de voir quelqu’un traverser le parc avec un parapluie hélicoptère ?!
– Un vapo ou un ferro, sûrement, fit Ambre en haussant les épaules.
Espoir la regarda quelques secondes avec des yeux ronds avant de reporter son attention vers l'extérieur.
L’autocar s’arrêta et tous les adolescents descendirent plus ou moins calmement. Espoir récupéra sa petite valise noire dans le compartiment à bagages et marcha quelques pas. Ambre, toute excitée, la rejoignit en sautillant.
– Hmmm… les premières années doivent rejoindre leur marraine ou parrain assigné à l’entrée qui leur a été indiquée. Tu es en première année ou… ?
– Je crois. Je dois rejoindre Emma Park à l’entrée principale.
– C’est dingue ! Moi aussi ! Trop de chance ! On aura qu’à la chercher ensemble !
– Pourquoi on a besoin d’une marraine ?
– La marraine, ou le parrain, est là pour nous guider durant la première année. C’est en général un élève de quatrième, parfois de troisième, en qui les professeurs de l’Académie ont confiance pour nous chaperonner.
– Nous chaperonner ?
– Ben oui, on est quand même nombreux. Les profs ne peuvent pas toujours être là pour nous tous. Alors pour les choses simples du quotidien, ce sont les parrains et marraines qui nous aident ou nous aiguillent.
Espoir pinça les lèvres. L'idée d'avoir un chaperon ne lui plaisait pas beaucoup. Cela ne faisait qu’accentuer cette impression d’avoir atterri dans une prison. Cependant, elle ne s'attendait pas trop à autre chose pour un internat.
Elle retint un grognement. Tirée par le bras par une Ambre surexcitée, pleine de vie et sans gêne, elle traversa la cour pavée qui menait de toute évidence vers le bâtiment principal.
Les murs tout en nuance de beige et de gris, Espoir était éblouie par ses larges fenêtres qui lui renvoyaient les rayons de soleil. Elle leva les yeux et avisa la haute tour centrale qui surplombait l'édifice déjà haut de trois étages. Une immense horloge indiquait bientôt 16 h 00.
Quelqu'un bouscula soudain Espoir. Elle retint un gémissement d'angoisse quand deux autres la frôlèrent. Ses yeux parcoururent la grande cour devant le bâtiment principal. Il y avait beaucoup trop de monde. Les adolescents riaient, se retrouvaient et profitaient du soleil qui, apparemment, n'était pas très présent dans ce pays.
Une boule lui enserra l'estomac tant elle n'était pas habituée à autant d’agitation. Elle avait toujours évité au mieux les grandes villes, effrayée à l’idée d’être retrouvée ou, pire, que quelqu’un soit blessé par sa faute. Et là, devant tous ces gens, elle ne désirait qu'une seule chose : s'enfuir. Qu’adviendrait-il si la glace revenait ?
Elle tenta tant bien que mal de chasser ces idées et suivit Ambre à travers la foule pour rejoindre l’entrée juste en dessous de l'horloge. Elles pénétrèrent à l'intérieur.
Le hall principal lui coupa le souffle. Dans la lumière qui traversait les larges fenêtres, la première chose qu'elle remarqua fut l'escalier. Situé au centre, il évoluait majestueusement dans une double révolution. Le bois avec lequel il avait été construit était sombre et noble. Malgré la distance qui la séparait et la foule, elle put discerner les magnifiques sculptures qui ornaient la rampe et les marches polies qui invitaient les visiteurs à explorer les étages supérieurs.
Les orbes turquoises glissèrent ensuite sur de grands tableaux aux cadres dorés. Gouache, peinture à l'huile ou acrylique, elle l'ignorait mais elle se doutait qu'elle passerait un peu de temps à les détailler quand elle aurait un peu de temps pour elle, loin de la foule. En même temps, d'un côté, elle voyait un homme dans une pose dynamique entouré de flamme un peu comme Zuko dans Le Dernier Maître de l'Air et de l'autre, elle voyait une de larges scènes avec de toute évidence une inspiration mythologique à en juger par les quelques femmes nues et tout juste vêtues de quelques feuilles et branches.
Baissant la tête, Espoir avisa le sol pavé de larges dalles en pierre naturelle, polie mais brute dans son essence. Etait-ce cela l'architecture de la région ? Les Ardennes si elle se souvenait bien des infos que lui avait donné le Remplaçant du Vieux Chou.
Retrouver Emma Park ne fut pas difficile. Sous la lumière douce et dorée des lustres en fer forgé, il y avait de nombreux tableaux noirs alignés qui détonnaient sur le décor. Sur chacun d'eux, il y avait des noms inscrits. Parmi eux, celui de sa marraine, à elle et Ambre. Elles la rejoignirent.
Devant les tableaux, Espoir scruta les visages d'adolescents qui devaient avoir quinze ou seize ans. Tous des parrains et des marraines autour desquels se rassemblaient des petits groupes assez jeunes, environ l'âge d'Ambre. Elle avait l'impression de sortir du lot. Plus grande, plus vieille, et probablement la plus ignare. Et sans aucun doute la plus regardée aussi.
Elle frissonna.
– Te fais pas de bile, lui fit Emma Park en mâchant son chewing-gum. Cela arrive parfois que des élémentalistes développent leurs pouvoirs plus tard. On en a au moins trois ou quatre par an. Respire et sois moins coincée.
Espoir l’observa avec plus d’attention. Derrière ses lunettes de soleil aux verres rosés, elle croisa un regard perçant et un brin calculateur. Emma devait avoir son âge ou peut-être un an plus âgée. A peine avait-elle prononcé quelques mots pour la rassurer qu’elle était retournée sur son Iphone 15. Entre ça, les vêtements bien coupés et son sac Dolce&Gabana, Espoir n’avait aucun doute qu’elle se trouvait devant une fille de riche. Ou du moins une fille qui aimait s’afficher. Et ce n’était jamais bon signe.
Elle resta à côté d’elle et écouta les propos surexcités d’Ambre qui ne cessait de pointer du doigt ou d’expliquer des choses qui passaient autour d’elles, les peintures dans les tableaux ou les quelques vitraux qu’elles pouvaient voir de là où elles se tenaient.
Espoir écouta d’une oreille distraite. Elle entendit simplement que les dieux des mythologies anciennes n’étaient en réalité pas que des mythes mais plutôt des élémentalistes qui avaient marqué l’histoire par des faits plus ou moins glorieux. Elle regretta toutefois de ne pas attendre à l’extérieur. Elle avait besoin de la chaleur du soleil. Pourquoi avait-il fallu que cette école soit dans le nord de l’Europe ?! Elle n’aurait pas pu être du côté de Marseille ? Ou mieux, Rome ? Là-bas, au moins, il fait chaud !
Espoir prit son mal en patience en serrant un peu plus sa veste autour d'elle. Elle ne rêvait que d’une chose : rejoindre rapidement sa future chambre, sortir son nécessaire de toilette et prendre la douche la plus chaude du siècle !
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Espoir se tenait sur le palier de sa chambre. Elle n’aimait pas ça. Un dortoir, ou plutôt un mini-appartement. Elle partageait un mini-appartement avec six autres filles, dont Emma Park. Elles avaient littéralement un chaperon de nuit ! Et comme si ce n’était pas déjà le pire des scénarios, elle partageait sa propre chambre avec quelqu’un : Ambre. Elle aurait décidément cette boule d’énergie tout le long de son séjour.
Oh ! Espoir la trouvait adorable ! Peut-être un peu trop excentrique et sans gêne mais elle était un véritable rayon de soleil et de bonne humeur. Il était difficile de ne pas sourire en sa présence et pourtant elle ne la connaissait que depuis quelques heures. Quant à son accent du nord, bien belge, elle l’adorait. Mais c’était d’elle-même dont elle avait peur.
Elle réprima l’horrible brûlure qui s’imposait à son esprit et le visage horrifié qui l’accompagnait, inspira un bon coup et s’approcha du lit proche de la fenêtre ensoleillée. Les rayons de milieu d'après-midi la réchauffèrent un peu à travers le verre.
– Bon ! fit soudain la voix d’Emma depuis le salon. Vous avez toutes quartier libre. Installez-vous comme vous voulez dans vos chambres tant que c’est dans le respect des règles de l’académie et le respect les unes des autres. Je suis votre marraine, pas votre nounou alors pour les petits problèmes, vous vous arrangez entre vous. Pour les grands, vous allez voir les surveillants, le préfet ou les professeurs. Prenez votre après-midi pendant que je vais vous chercher à manger.
Espoir l’entendit rire et se retourna pour rejoindre l’entrée de sa chambre. Ambre y était déjà. Emma Park se tenait au milieu du salon, les yeux sur son téléphone.
– Par contre, ne prenez pas l’habitude que je vous apporte à manger. Ce n’est que ce soir. Les autres jours, vous irez manger à la cantine ou vous rapporterez votre propre nourriture. Il y a le mini-magasin tenu par les dendro juste à côté des serres si vous voulez cuisiner vous-même. Je vous rassure, c'est gratuit tant que vous ne dépassez pas un certain quota. Vous avez toutes les informations dans ce fascicule.
Emma pointa d'un geste désinvolte un feuillet sur la table du salon.
– Et comme on me l’a demandé, ce soir, après le repas, on fera le tour des prénoms pour se connaître un peu mais sans plus.
Elle fit quelques pas vers la porte avant de lâcher son téléphone et se retourner.
– Et la première que je retrouve dans ma chambre, je la brûle jusqu’aux cendres.
Emma accentua ces derniers mots avec une petite flamme qu’elle faisait danser sur le bout de ses doigts avant de disparaître derrière la porte d’entrée de leur dortoir
– Je la déteste déjà, commenta Ambre avec une moue. On dirait une princesse ou une fille à papa.
– C’est une Park, répliqua une autre fille, métisse et aux cheveux frisés, en haussant les épaules. C’est normal.
Espoir la vit disparaître dans l’embrasure de sa propre chambre. Elle soupira alors pour retourner auprès de son lit, serrant les bras autour d’elle. Elle avait froid tout à coup. Plus qu’auparavant. Pas rassurée, elle attrapa ses affaires de toilette dans sa valise, s’excusa auprès d’Ambre et rejoignit la salle de bain en vitesse pour une bonne douche chaude à s’en rougir la peau.
Quand elle coupa le jet d’eau, Espoir se sentait mieux, réchauffée. Elle ne tremblait plus du tout. Elle entreprit alors de s’essuyer et de se faire un soin complet avec une crème hydratante bio spéciale peau sèche que, par elle ne savait quel miracle, le Remplaçant du Vieux Chou avait accepté de lui acheter. A vrai dire, il avait acheté sans commentaire tout ce qui avait trait à ses soins de corps.
Enfin, si. Il avait un commentaire. Un seul.
– Chacun a les désagréments de son élément, avait-il dit.
Elle n’avait pas cherché à comprendre plus loin. Elle était bien trop contente de pouvoir avoir le nécessaire pour sa peau sans avoir à voler ou jouer les chimistes. Elle se plaça face à la glace et effaça la buée comme elle le put avec sa serviette. Son reflet lui renvoya une image peu assurée et le plus important, sans mèche blanche. Que des nuances de noir et de rouge. Satisfaite, elle se rhabilla et sortit pour défaire le reste de sa valise.
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Emma revint quatre heures plus tard, vers vingt heures, en même temps que la commande qu’elle avait passée en cuisine et faite livrer à leur appartement, rien que ça ! Espoir rejoignit tout le monde, l’appel de la nourriture étant plus fort que sa peur de blesser quelqu’un. Au menu, fast-food spécial cantine ! Des burgers, des mitraillettes qui se révélèrent être des sandwichs américain une fois déballés - ces belges avaient une drôle de façon de s'exprimer -, un peu de salade assaisonnée mais surtout des frites.
– Alors… on fait un tour de table ou…, commença une blonde avec un accent anglais.
– Commence, Wood, fit Emma Park en lâchant enfin son téléphone.
– Bonjour, je m’appelle Helena Wood. J’ai douze ans, je viens de Londres parce que ma mère est venue travailler dans la région.
– C’est quoi ton élément ? demanda Ambre.
– Je suis dendro.
Emma émit un petit son dédaigneux que seule Espoir, assise juste à côté, entendit. Elle n'émit aucun commentaire. Elle était déjà assez mal à l’aise comme ça. Elle avait l’impression de ne rien savoir et vu comment Ambre avait parlé toute la soirée, il n’y avait aucun doute qu’elle avait beaucoup de choses à apprendre.
Elle observa silencieusement les autres filles se présenter dans une mauvaise imitation de réunion des alcooliques anonymes en se demandant si elle arriverait à enregistrer les noms ou si elle apparaîtrait pour la cruche du groupe.
Après l’anglaise Helena Wood, il y eut la métisse qui se présenta comme Naomi Graham, une parisienne de neuf ans, aérokinésiste, qui n'avait pas, semblait-il, la langue dans sa poche. Selon Emma Park, elle était une précoce. De ce fait, la petite avait déjà gagné une certaine forme de respect de la par de la pyro même si c'était pincé.
Vint ensuite le tour d’Ambre Descamps. Du haut de ses onze ans, elle débordait d’énergie et d’électricité, tant bien qu’elle en fit clignoter la lampe juste au-dessus de la table, faisant rire les autres.
Ella McCain, dix ans, était une belge du pays même si elle avait des origines étrangères de par ses arrière-grands-parents. Sa particularité, elle connaissait toute la géographie du coin en tant que géokinésiste.
Xie Wu était une autre pyrokinésiste, âgée de treize ans, qui venait tout droit de Shangaï pour un échange scolaire.
Espoir déglutit quand elle réalisa que c’était à son tour de parler.
– Bonsoir, je m’appelle Espoir Storm, j’ai quinze ans. Je viens du sud et…
– Attends, quand tu dis Storm, c’est comme dans Derrick Storm ? demanda Emma, curieuse et, surtout, avide de ragots.
– Qui ?
– Derrick Storm.
Espoir secoua la tête sans comprendre.
– Notre professeur d’herbologie.
– Je ne le connais pas.
– Tes parents s’appellent comment ?
– Je ne sais pas. Je suis orpheline.
Espoir fit tourner sa vieille gourmette à son poignet à chaque fois qu'elle avait à se présenter, mal à l'aise. Un lourd silence s’était installé autour de la table, à peine interrompue par les lentes mastications gênées. Emma Park fit une légère grimace malaisée en détournant le regard.
– Et c’est quoi, ton élément ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
– Je ne sais pas trop.
– Comment ça, tu ne sais pas trop ? demanda Helena.
– Tu es éveillée non ? questionna Ella.
– Comment tes pouvoirs sont sortis ? ajouta Xie
– Je… Je ne sais pas trop comment expliquer. Les toilettes ont juste… explosés.
– Vaporo ou hydro, statua encore Ambre avec un sourire.
Les autres hochèrent la tête, du même avis.
– Tu le sauras demain à la cérémonie des éléments, informa Emma en rejetant la frite qu’elle avait entre les doigts. Tu parles d’une histoire dégueu. Charmant.
Elle se frotta les mains et se redressa avec son téléphone.
– Bon. Passez une bonne soirée les filles. Veillez à être en forme pour demain car la cérémonie commence assez tôt. N’oubliez pas de débarrasser, termina-t-elle avant d’aller s’enfermer dans sa chambre.
– On lui dit qu’elle n’a pas débarrassé sa table ? demanda Ella.
– Oublie, c’est une Park, réfuta Naomi en secouant la tête. Ce sont des princes et des princesses. Si tu ne veux pas finir brûlée vive, laisse couler.
– Comment elle a pu finir marraine ? demanda Xie à son tour. Ils doivent être altruistes et montrer l’exemple !
– Je crois que cela dépend des écoles, rétorqua Naomi en haussant les épaules. Et avoir fait le parrainage apporte un certain prestige dans notre curriculum dans certaines boîtes, si j’en crois mes parents.
Elle se leva et débarrassa sa table, rapidement suivie par les autres. Espoir en fit autant et suivit Ambre dans le fauteuil.
– C’est quoi cette cérémonie exactement ? demanda-t-elle.
– Cela permet de savoir quel est vraiment ton élément, expliqua Xie avec un sourire. Si la majorité des élémentalistes savent ce qu’ils sont, il arrive parfois que cela soit ambigu. Un peu comme toi. Ou alors, cela peut déjà aider à déterminer notre spécialité.
– Notre spécialité ?
– Oui. Chaque élément a de nombreuses particularités.
– Et c’est encore plus vrai pour les éléments secondaires, commenta Ambre. Je suis électro mais je suis plus en connexion avec l’électricité en tant que telle alors que mon père a une préférence pour tout ce qui est électromagnétique.
– Pour les dendro, tu as ceux qui ont une affinité avec les arbres, d’autres, les plantes plus fragiles, l’agriculture ou encore les esprits de la forêt.
– Alors pourquoi appelé ça dendro. Cela ne résume que les arbres. Et… attends. Des esprits de la forêt ?!
Les filles échangèrent un regard entre la surprise, le choc et quelque chose comme si elles étaient surpassées par la situation.
– Oulah… Toi, tu ne sais vraiment rien de notre monde.
– Désolée, non.
– Pas grave. On va se faire un plaisir de montrer à notre née-moldue les secrets des éléments, sourit Helena.
– Née-moldue, sérieusement ?
Le visage d’Helena s’ouvrit dans une expression éberluée.
– Tu plaisantes. Tu ne connais pas Harry Potter ?!
– Bien sûr que si, rétorqua Espoir en levant les yeux au ciel.
– Ah ! Tu me rassures. J’ai cru que j’allais devoir te refaire toute ta culture cinématographique aussi.
– Alors, les films sont nuls. Je préfère les livres, répliqua Espoir avec un sourire amusé avant de terminer son coca.
Et je laisse ça pour Espoir 🔥🔥🔥