— Bonsoir à tous. J’espère que vous n’êtes pas trop perturbés après cette démonstration très révélatrice.
Balayant son jeune public du regard, la directrice fit une pause, s’assurant que tout le monde était encore bien attentif.
— Si vous êtes là aujourd’hui, c’est que vous aussi vous avez un don enfoui en vous. Mon équipe et moi-même sommes là pour vous aider à le trouver et à le contrôler. Notre rôle est de vous apprendre à vivre avec cette différence sans nuire à quiconque, et encore moins à vous-mêmes. Nous avons alors trois ans pour cela, et ce n’est pas trop, croyez-moi. Les premiers signes de pouvoirs apparaissent à seize ans, pas avant. Ils reflètent votre personnalité, qui vous êtes. Ils représentent votre nature. Vous seuls pouvez réussir à les faire surgir, nous, nous ne sommes qu’une aide. Alors en attendant que vous trouviez les vôtres, je vous laisse découvrir ceux des troisième année, cela vous donnera un petit avant-goût. Profitez du spectacle et n’oubliez pas : l’école est ordinaire, c’est vous qui ne l’êtes pas.
Tous les élèves applaudirent, criant de joie à cette incroyable annonce.
A minuit, lorsque les démonstrations des élèves de troisième année furent terminées, la tête pleine de rêves, se demandant qu’ils étaient vraiment, quel pouvoir sommeillait en eux, tous montèrent dans les autobus pour rentrer à l’école.
Une fois arrivés, c’est dans le plus grand calme que les élèves allèrent se coucher, épuisés par les émotions de cette soirée.
***
Au petit matin, quand les réveils sonnèrent dans les chambres, les plus courageux prirent d’abord le chemin de la douche tandis que les autres descendaient prendre des forces au buffet. Nela, elle, les yeux gonflés, traînait des pieds jusqu’à la salle de bain du troisième étage, épuisée par la nuit blanche passée à se torturer l’esprit à la recherche du pouvoir caché en elle. Malheureusement, elle s’était simplement rendu compte qu’elle détestait le volley.
Après une bonne douche, elle rejoignit ses amis à leur table habituelle pour déjeuner, où ceux-ci, tout en discutant, étaient déjà en train de se goinfrer.
— Vous vous rendez compte, on est comme des héros en fait, disait Johanna toute excitée.
— Toi, tu es plus une super active qu’une super héro ! plaisantait Peter, un nouveau membre de leur bande d’amis, tapant dans la main de Diego.
— Et toi un super zéro, rétorquait la petite brune, avec une petite moue de dédain au moment où arrivait Nela.
— Oh ! Nela, te voilà. Tu arrives juste à temps, j’allais finir par les étriper, déclara aussitôt Fleure, ravie de voir arriver sa nouvelle camarade.
— Ta tête va mieux ? demanda Alice.
— Ça va, je m’en sors juste avec une grosse bosse. Celui qui a lancé ce ballon ne s’est pas loupé.
Le groupe resta à table jusqu’à la sonnerie de neuf heures, signifiant le début des cours.
Le reste de la semaine se passa dans une grande concentration, chacun donnant le meilleur de lui-même pour découvrir qui il était vraiment. C’était également le sujet principal des conversations.
Nela, quant à elle, était dépitée. À la course, elle était à la traîne. Son frère, car oui, c’était lui l’entraîneur génial, était dur avec elle, ce qui n’avait pour effet que de la décourager ! Mais elle ne disait rien, elle serrait les dents, maîtresse d’elle-même. Elle préférait ne pas protester ; ça n’en valait pas la peine.
Le samedi matin, elle se retrouva avec Fleure à l’atelier peinture, ce qui lui permit de passer enfin un bon moment. La consigne était simple : « dessiner quelque chose que l’on aime ». La rouquine dessina un magnifique potager lui rappelant sa grand-mère alors que Nela essayait tant bien que mal de représenter un sentier dans une forêt qui ne ressemblait malheureusement qu’à de vulgaires taches marron et vertes. Heureusement, son amie l’aidait à corriger ses erreurs en venant faire quelques petites améliorations. Fleure était une fille d’une grande patience, elle était dotée d’un calme à toute épreuve, ce qui aidait beaucoup Nela. C’était sûrement pour cela qu’elle se sentait si bien avec elle.
Nela profita alors de ce moment d’intimité avec sa camarade pour lui faire part de ses incompréhensions.
— Tu sais, je me dis qu’ils ont fait une erreur avec moi, je suis totalement normale.
— Je ne crois pas. Juliana sent s’il y a un pouvoir en nous ou non. Tu en as un. Il suffit de te donner du temps, tu trouveras ta voie, déclara Fleure pour la rassurer.
— Elle s’est peut-être trompée, après tout, c’est possible. On fait tous des erreurs.
— C’est vrai. Et la tienne d’erreur, c’est de ne pas croire en toi.
Fleure avait sans doute raison, il suffisait peut-être à Nela de découvrir qui elle était vraiment.
***
Le soir, lors du dîner, Nela partait du buffet, son assiette bien remplie, quand Jack lui coupa la route.
— Hey jolie Nela, ça te dit d’aller faire un tour après ton festin ?
Elle fut d’abord étonnée par cette invitation, puis devint vite intimidée devant ce sourire ravageur.
— Hum… Oui… D’accord, pourquoi pas ?
— On se retrouve derrière le deuxième bâtiment à la fin du repas, alors, à tout à l’heure.
Heureux qu’elle l’accepte, le blondinet lui adressa un dernier sourire qui la mit mal à l’aise avant de retrouver ses amis.
Silencieuses, les filles du groupe de Nela la regardaient s’asseoir, les yeux pleins de malice, avec un sourire lourd de sous-entendus, mais aucune d’elles n’osa parler de cette petite entrevue, sachant pertinemment qu’elles n’auraient aucune réponse de la part de leur camarade.
Le samedi, le couvre-feu était à vingt-trois heures trente, les élèves en profitaient alors pour aller à la plage, mais Nela prit une direction différente, espérant qu’on ne la remarquerait pas… En vain. Johanna l’interpella :
— Eh ! Tu vas où ?
— J’ai… J’ai oublié mon maillot. Euh… Allez-y, je vous rejoins !
— Tu vas le retrouver, hein ? lui chuchota Mattéo, se trouvant derrière elle.
Surprise, Nela se tourna vers lui, tombant sur un regard attristé qui la culpabilisa. Elle se pinça alors les lèvres, baissant les yeux.
— Matt… S’il te plaît, ne dis rien aux autres.
— Je te couvre, vas-y, mais fais attention à toi.
Les deux jeunes échangèrent une accolade avant de partir chacun de leur côté.
Jack avait donné rendez-vous à Nela à l’abri des regards. Lorsqu’elle arriva, il lui déposa un baiser sur sa joue, et sans même lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, il lui saisit la taille, s’envolant rapidement. Nela resta subjuguée par le magnifique paysage se trouvant en dessous d’elle, c’était incroyable. Mais elle était tout de même perturbée par tout cela !... Très heureuse, néanmoins, lorsqu’ils remirent pied à terre dans une clairière au milieu de la forêt traversée par une rivière.
— Tu aurais pu me laisser le temps de te parler avant de m’emporter dans les airs de cette façon !
— Tu n’avais rien à me dire Nela. Et je sais que tu as aimé ça.
— Ce n’est pas la question, répondit-elle décontenancée.
Jack rit, se passant la main dans les cheveux, un peu nerveux, c’était la première fois qu’ils se retrouvaient en tête à tête. Contemplant la magie que dégageait cet endroit charmant, sa petite protégée s’assit sur un rocher près du ruisseau, laissant tremper ses pieds dans l’eau transparente. Il se rapprocha alors d’elle tout en essayant de faire des ricochets avec des galets trouvés au bord de la source. Nela prit une mèche de ses cheveux qu’elle entortilla nerveusement avant de s’adresser à son mentor.
— Pourquoi est-ce que tu m’as conduite ici ?
— Tu le sauras une fois la nuit tombée.
Dans une demi-heure, le soleil serait couché, mais en attendant, allaient-ils vraiment devoir rester là sans parler ? Ce n’était pas possible pour Nela, cette situation était trop gênante, elle ne savait pas quoi faire, elle ne s’était jamais retrouvée seule avec un garçon avant Jack, alors, prise de panique, elle ne trouva pas de meilleure idée pour briser le silence qu’un sujet fâcheux.
— La blonde avec qui tu es souvent, c’est vraiment ta petite amie ?
— Stella ? Elle en est une parmi d’autres, plaisanta-t-il.
Nela l’éclaboussa avec ses pieds riant de sa mauvaise réponse, mais Jack ne se laissa pas faire, il riposta, partant dans une bataille d’eau, laissant retomber toutes tensions. Le beau blond finit par s’arrêter, prenant un air on ne peut plus sérieux en allant s’asseoir près de sa nouvelle amie.
— Tu sais Nela, tu ne dois pas avoir peur, ni baisser les bras. Tu trouveras qui tu es, il faut juste que tu te fasses confiance, et que tu te donnes du temps. Je suis sûr que tu as un super pouvoir.
Tout en bougeant ses pieds nonchalamment dans l’eau, Nela baissa la tête pour cacher ses joues rosées, réfléchissant à ces paroles.
— Tu l’as su à quel moment que ton pouvoir était de voler toi ? finit-elle par lui demander.
— Mon père était aviateur. Tous les matins, il m’emmenait avec lui faire un tour du secteur pour s’assurer que tout allait bien, et profiter du lever de soleil au-dessus de la mer, j’adorais ça…
Il fit une pause, lançant un galet avant de reprendre d’un ton moins enjoué, perdant cette petite lueur malicieuse qui enjôlait tant son regard.
— Mais un matin, il est parti sans moi, il a dit qu’il avait une mission importante… Il n’est jamais rentré. Il est mort dans les airs d’une crise cardiaque, l’avion s’est écrasé dans un champ à cinq kilomètres de chez moi. Depuis ce jour, je regarde le ciel chaque matin, pensant à lui. Il est là-haut maintenant, où il a toujours aimé être… Quand j’ai été plus grand, ma mère m’a appris les constellations et les planètes. Une fois la nuit tombée, on s’installait sur la terrasse et on restait des heures à observer les étoiles, imaginant ce qu’il se passait auprès d’elles… J’avais quinze ans quand elle est décédée d’un cancer. Je me suis alors retrouvé seul. Je m’étais juré de construire un avion pour qu’à chaque lever et coucher de soleil, je puisse survoler les environs, m’imaginant avec eux… C’était le seul moyen que j’avais trouvé pour me sentir proche d’eux.
— Et tu as réussi ?
— Non… Les services sociaux sont venus me chercher chez moi pour me placer en famille d’accueil. Dès qu’ils sont arrivés, je suis parti en courant, je ne voulais absolument pas y aller, c’est là que j’ai compris que je n’étais pas comme les autres. Plus j’avançais, plus j’avais une sensation forte en moi, quelque chose qui me faisait penser qu’avec assez d’élan je pourrais m’envoler, je pourrais partir et qu’ils ne me retrouveraient jamais !
— Et alors ? Tu as réussi ? Tu t’es envolé ? demanda Nela impatiente de connaître la suite.
— Non… Je me suis écrasé par terre et ils m’ont rattrapé. Mais l’un d’eux a insisté pour me prendre en charge, il m’a conduit jusqu’au frère de Juliana. Ils faisaient beaucoup de messes basses tous les deux, puis un jour, elle m’a emmené dans cette école et c’est là que j’ai découvert que mon impression de pouvoir voler n’était pas un rêve, je le pouvais réellement, seulement, je ne savais pas encore comment faire… Voilà, tu connais mon histoire, conclut-il avec un sourire où perçait une pointe de tristesse.
Compatissante, Nela regarda son ami sans savoir quoi dire. Quelle triste histoire ! Elle n’avait pas les mots pour le réconforter. Elle ne connaissait pas cette douleur, elle avait toujours vécu dans une belle maison avec sa famille, elle travaillait bien à l’école, elle n’avait jamais de problèmes et de bons amis ; enfin tout d’une vie banale. Après tout, il était sensé que ce garçon finisse par réussir à voler, c’était son destin, alors qu’elle n’était qu’une fille ordinaire… Cette histoire n’avait fait que la conforter dans son idée.
Ils restèrent silencieux, perdus dans leurs pensées.
La nuit tomba sans qu’ils ne s’en rendent compte quand tout à coup, les fleurs mauves qui étaient sous leurs pieds commencèrent à se mouvoir, libérant d’étranges petites lucioles violettes qui vinrent danser dans les airs autour de Nela en même temps que des gouttes d’eau s’élevaient de la source, tournoyant près des lucioles. Accompagné par la nature qui prenait vie, Jack prit la main de Nela pour la faire danser et sautiller tout en riant aux éclats. L’adolescente, les yeux pétillants de plaisir, regardait son mentor l’entraînant dans cette ronde au milieu des lucioles, lesquelles imitaient chacun des mouvements de la jeune fille, tandis que les gouttelettes d’eau cristalline tournaient en parfaite harmonie avec elle. Nela jouait avec ses bras dans cette féérie de lumière.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? C’est du délire !
— Des détecteurs de dons. Une fois la nuit tombée, ils prennent vie s’il y a une source de pouvoirs près d’eux, et apparemment, tu en es une grande !
Jack n’en revenait pas, il était venu ici des millions de fois, et jamais il n’avait vu une telle puissance magique. Cette fille devait vraiment être une perle rare.