Les trois semaines d’essai s’étaient écoulées faisant le bonheur des étudiants de première année. Après s’être durement entraînés, ayant essayé plus d’une cinquantaine de sports et d’activités en tout genre, ils pouvaient enfin se reposer. Dans moins de vingt-quatre heures, les tests débutants bientôt, ils allaient enfin en apprendre plus sur l’école. 

Mais, en ce beau dimanche d’octobre, à la veille du choix qui préoccupait tous les esprits, Nela resta enfermée à la bibliothèque avec Mattéo pour travailler leur exposé d’histoire. 

— Tu vas choisir quoi comme activités pour les tests ? 

— Je ne sais pas. Je ne préfère pas y penser à vrai dire. 

Vu l’air inquiet de son amie, le jeune garçon n’osa pas insister. 

— Ce n’est pas grave, tu viendras m’encourager quand je serai le roi du surf. 

Nela rit de bon cœur. C’est vrai qu’elle n’y avait pas pensé ; demain, les choses sérieuses commenceraient réellement, mais pour l’adolescente, ce n’était qu’une source d’angoisse supplémentaire. Aucune activité qui lui avait été proposée ne lui plaisait. La jolie brune observait son camarade replongé dans son travail. Elle aimait le regarder, il était apaisant. Avec lui, il n’y avait jamais de problème ou de stress, c’était un garçon très calme. Tout le contraire d’elle, et de tout le groupe, c’était avec lui qu’elle s’entendait le mieux. Se surprenant en train de sourire bêtement, elle se pinça les lèvres et se remit au travail. 

Une demi-heure avant le dîner, ils rejoignirent leurs amis au parc, près de la fontaine. Nela s’étonna de voir son mentor, Jack, venir dans sa direction. Cela faisait un long moment qu’ils ne s’étaient pas vus. Chaque fois qu’elle avait besoin de lui, elle le trouvait avec une blonde, le regard dévorant, pouffant à chacun de ses mots. Elle avait alors décidé de se débrouiller seule. Après tout, pourquoi avoir un mentor qui ne fait rien pour vous aider ? 

— Hey, tu es un vrai fantôme ! dit-il. 

— C’est marrant, je pensais la même chose de toi. 

Le garçon de seconde année semblait désemparé par la réflexion de Nela. S’attendant à un accueil plus chaleureux, il perdit tout son entrain, se grattant l’arrière du crâne, mal à l’aise. 

— Hum… Alors, tu es prête pour ton choix de demain ?  

— Non. Et je ne vois pas en quoi ça a une telle importance, vous ne voulez pas me foutre la paix avec ça ? 

Regardant sa protégée s’éloigner d’un pas déterminé, Jack resta figé sans savoir quoi penser. 

Arrivée à hauteur de ses amis, Nela s’assit près de Fleure, posant sa tête sur son épaule, soupirant. 

— Tu as vraiment une sale tête, lui fit remarquer Johanna sans aucune diplomatie. 

Ses camarades lui jetèrent des regards noirs de reproches. Sans y prêter attention, Nela leur fit part de ses doutes. 

— C’est ce choix. Pourquoi est-ce si important ? Tout le monde en parle comme si c’était le truc de l’année. Ce n’est que du sport ! 

Elle plongea son visage dans ses mains, essayant de ne pas pleurer, Peter vint alors à sa rescousse. 

— Ça l’est ! Tu vas être notée sur tes activités et tes tests seront adaptés à tes choix. Je ne veux pas te déprimer, seulement tu n’as pas intérêt à te tromper. 

— Il y a bien quelque chose qui te plaît non ? lui demanda Alice songeuse. 

— Non, je suis nulle, une vraie empotée ! se lamenta Nela. 

— Il y a forcément quelque chose, s’exclama Johanna. Regarde, Mattéo est super à l’aise dans l’eau, un vrai poisson, il choisit alors des activités en rapport avec le milieu aquatique. Peter, c’est le combat, il est vraiment fort et rapide. Alice, le tir, elle est précise et calme. Diego, les jeux de balles, il est habile comme personne et a de très bons réflexes. Fleure, c’est l’art, elle a un incroyable coup de pinceau. Tandis que moi, c’est tout ce qui peut me donner de l’adrénaline. Tu vois, on a chacun notre passion, il y a forcément quelque chose qui te reflète. Si tu trouves la tienne, tu trouves tes activités, réfléchis-y. 

Personne ne répondit, il n’y avait rien à ajouter. Johanna, qui pourtant ne se révélait jamais sérieuse, avait soudainement fait preuve de bon sens et d’une très bonne logique à l’étonnement de tous. 

*** 

Le jour J arriva. Ce matin-là, les élèves de première année étaient réunis dans une salle de classe pour faire part de leur choix. Il était l’heure de passer aux choses sérieuses. Tous étaient excités à l’idée de découvrir la suite des événements. 

— Du calme s’il vous plaît. Taisez-vous ! exigea la directrice. 

Une fois le silence installé, la jeune femme reprit d’une voix plus douce. 

— Vous avez donc essayé une multitude d’activités durant ces dernières semaines. Vous allez en choisir trois, et selon vos choix, les tests seront adaptés à vos profils. Notre objectif est en premier lieu de découvrir votre potentiel, puis de vous aider à extérioriser ce qu’il y a de meilleur en vous pour qu’enfin vous puissiez développer votre capacité, et avoir un contrôle inébranlable sur vous-même. Je vais donc vous appeler chacun à votre tour afin que vous me fassiez part de vos choix. 

Tous les élèves s’agitaient, le brouhaha s’installa. Seule Nela restait silencieuse, jouant avec une mèche rebelle de son chignon, c’était angoissant. Lorsque son tour vint, elle n’avait toujours aucune idée de ce en quoi elle était douée, mais pourtant, il fallait qu’elle se décide. 

— Euh… peinture ? 

— Bien, il t’en faut deux autres Nela, la prévint gentiment sa directrice. 

— Course et volley, affirma-t-elle peu sûre. 

Cherchant une logique dans ce choix, Juliana l’observa quelques secondes. Il était vrai que ces trois activités n’avaient absolument rien en commun, et Nela ne pouvait se justifier, la peur avait parlé pour elle, l’énorme coup de pression pesant sur ses épaules laissa sortir les premières choses qui lui passèrent par la tête. 

La réunion se termina sur la distribution des emplois du temps. Le lundi après-midi, Nela serait avec Diego en volley, il pourrait l’aider, ça la rassura. En course, elle se retrouverait avec Héléna, une fille qu’elle n’appréciait guère, elle la trouvait sournoise, pleine de mauvaises intentions. Or, maintenant qu’elle serait amenée à passer tous ses jeudis après-midis avec elle, il était préférable qu’elles trouvent un terrain d’entente. Pour finir, le samedi matin elle serait en atelier d’art avec Fleure ; enfin une bonne nouvelle ! Cela devrait être le moins compliqué pour la jeune fille. 

En sortant de la salle, Nela vit Joey appuyé contre le mur, qui semblait l’attendre. 

— Alors sœurette, tu fais quoi comme activités ? 

— Art, volley, et course. Ne me demande pas pourquoi, j’ai paniqué. 

Il ne put s’empêcher de rire. 

— Mais qu’est-ce qu’il t’est passé par la tête ? Tu n’as aucune endurance et tu as peur des ballons. Tes notes vont être catastrophiques et tes résultats ne seront pas démonstratifs. Mais, tu as de la chance. Tu vas avoir le meilleur entraîneur de course de toute l’île. 

— Merci Joey, tu m’aides beaucoup, ironisa-t-elle. Bon, je dois y aller, mes amis m’attendent, on se voit plus tard. 

Son frère l’enlaça avant de la laisser partir. La pauvre Nela était angoissée, elle savait qu’elle n’avait pas fait le bon choix, mais il était trop tard, elle allait devoir s’entraîner dur si elle voulait avoir de bonnes notes. 

Finalement, elle n’alla pas rejoindre directement son groupe d’amis, mais fit un détour par la plage. Assise à l’endroit où son frère l’avait emmenée le premier soir, Nela admirait l’horizon, tressant nerveusement ses cheveux. Mais que faisait-elle ici ? Qu’est-ce que cette école cachait réellement ? Quel était le but de ces fameux tests ? De plus en plus de questions lui vinrent à l’esprit. Elle se concentra pour ne pas pleurer, elle avait l’impression d’être la seule à ne pas trouver ses marques, à juger cette école étrange, ce qui la fit encore plus douter quant à sa présence ici. 

Accablée, elle alla trouver Fleure et les autres. Ils passèrent deux heures à la bibliothèque à faire leurs devoirs, finalisant leurs exposés pour le lendemain. 

L’heure du déjeuner sonna. Cet après-midi, Nela avait son cours de volley. Son entraîneur était monsieur Chabrol, leur professeur de chimie qui était apparemment un passionné de balles également. Elle resta silencieuse durant le repas, inquiète. Tout le monde était enthousiaste en vue de ce nouveau programme. Il était vrai que faire du sport était toujours plus intéressant, mais il était loin d’être normal de négliger des mathématiques pour taper dans un ballon. 

Quand l’heure fut venue, le groupe de jeunes gens se sépara, chacun rejoignant le lieu de son activité. Mattéo fit une accolade amicale à Nela, la rassurant d’un sourire avant de la laisser partir aux côtés de Diego. 

*** 

— Silence s’il vous plaît ! Venez vous asseoir autour de moi, demanda monsieur Chabrol. Nous sommes neuf, très bien. Vous allez former des groupes et vous faire des passes en l’air pour que je voie comment vous vous débrouillez. 

Nela choisit Diego pour partenaire. Il lui expliqua comment elle devait s’y prendre. Les cinq premières passes furent catastrophiques et dès qu’elle commença à s’en sortir, elle reçut un ballon en pleine tête. Elle en perdit connaissance… 

La jeune fille se réveilla à l’infirmerie dans une salle ne contenant qu’un lavabo et une petite fenêtre. Elle ouvrit les yeux doucement, se laissant le temps de s’habituer à la lumière du soleil couchant qui éclairait l’étroite pièce aux murs blancs. Elle voulut s’asseoir, mais son crâne lui fit trop mal pour lui permettre ce luxe, alors elle se rendormit. Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit, laissant apparaître Jack et l’infirmière. Ils réveillèrent Nela et l’aidèrent à se redresser gentiment. Après avoir pris un verre d’eau et un comprimé d’aspirine, elle fut à nouveau sur pied. Jack lui demanda alors de le suivre. 

— Eh bah dis donc, les ballons, ce n’est vraiment pas ton truc. 

— Très drôle, où est-ce qu’on va ? 

Le beau blond lui prit la main et se mit à courir en riant. 

— Te changer les idées ma belle ! 

Ils traversèrent le bâtiment de l’infirmerie où se trouvaient également les salles de tests. C’était vide, il n’y avait personne, nulle part. Où étaient-ils tous passés ? Tout en se laissant entraîner par Jack, Nela regardait chaque fenêtre, cherchant un signe de vie, mais ils paraissaient être seuls. 

— Jack, où sont tous les autres ? 

— Tu as dormi toute la journée, il est vingt-deux heures, la directrice organise un spectacle fait par les troisième année. Et nous sommes en retard alors accroche-toi ! 

Une fois dehors, il saisit Nela par la taille et la souleva en courant à toute vitesse, jusqu’à ce que lui non plus ne touchât pas le sol. Se rendant compte de la hauteur qu’ils prenaient, Nela hurla de panique, elle serra son mentor de toutes ses forces. 

— Jack, mais qu’est-ce qu’il se passe ? On est au moins à dix mètres du sol, il faut appeler Juliana, il faut… On va… 

— N’aie pas peur, je contrôle la situation, fit en riant son ami. 

— Tu contrôles rien du tout ! On… on vole ! 

— Oui Nela, on vole ! C’est mon petit plus à moi, alors accroche-toi si tu ne veux pas tomber. 

Jack serrait Nela contre lui tout en prenant soin de ne pas lui faire mal, volant en direction de la forêt bordant la propriété de l’école, où tous les élèves étaient réunis pour assister à la prestation de leurs aînés. 

Il s’agissait plutôt d’une démonstration. C’était le moment où les anciens étudiants montraient aux plus jeunes la raison de leur venue ici. Chacun leur tour, ils présentaient alors leurs pouvoirs. 

Chaque année, les plus faibles faisaient des malaises ; voir de telles choses, en effet,  pouvait être déconcertant. Juliana avait demandé à Jack d’attendre que Nela fût réveillée pour l’emmener à l’initiation aux pouvoirs, afin qu’elle aussi bénéficiât de ce merveilleux spectacle. 

Quand ils arrivèrent, les élèves de première et deuxième année étaient tous assis à même le sol, formant un cercle, le regard rivé sur deux écoliers plus âgés au centre, se faisant passer une boule de feu avec une facilité stupéfiante. Jack les fit atterrir en retrait du groupe afin de ne pas attirer l’attention sur eux. Les yeux pétillants, Nela n’en revenait pas, elle venait de voler. Mais complètement abasourdie, elle ne sentait plus ses jambes, et ses mains ne cessaient de trembler. Elle ne savait pas encore bien s’il s’agissait d’un beau rêve duquel elle ne tarderait pas à se réveiller ou si c’était bel et bien la réalité. Il lui fallut quelques minutes pour reprendre ses esprits… Elle s’assit alors un moment, tentant de calmer sa respiration, réalisant enfin ce qu’il venait de se passer. 

Enfin prête à en voir davantage, Nela, accompagnée de son mentor, alla rejoindre les autres. Juliana, remarquant leur arrivée, bien que discrète, arrêta la prestation de deux de ces étudiants pour prendre la parole.