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Chapitre 25

Depuis le début de son séjour ici, peu de personnes avaient daigné l’inclure dans la vie du palais ou ne serait-ce que lui adresser un regard. Maximilien pouvait aisément les compter de tête et Esthia en faisait partie. Alors quand il le vit se jeter vers lui, prêt à le terrasser pour des raisons obscures, il ressentit cela comme une petite trahison, une preuve que ses désillusions restaient bien réelles. Incapable de rendre les coups, non pas par manque de puissance, mais simplement parce qu’il ne désirait pas se battre, il ferma les yeux, prêt à encaisser. 

Sauf que rien ne lui parvint. Il ouvrit seulement un œil, les bras repliés devant lui pour se protéger, deux silhouettes se distinguèrent directement : Almagar et… Ulios. Ses yeux dévièrent sur sa droite, où se tenait Ajaris, elle aussi prête à le défendre – il ne l’avait même pas vu se déplacer. Seule Etsumi restait en arrière, profitant du spectacle qui s’offrait à elle. Osari, quant à lui, menaçait Esthia d’une lame, juste derrière lui.

– Je ne sais pas pour qui tu te prends, cracha-t-il, mais je ne me souviens pas d’avoir autorisé un quelconque combat. 

Le regard que lui renvoya l’archimage, quelque peu déboussolé, concordait aussi avec ses propres sentiments : n’avait-il pas mentionné qu’il aurait trouvé cela « intéressant » ? Mais Esthia décida d’ignorer ce détail : 

– Faut-il que j’attende les permissions des majestés pour tester les compétences d’un collègue ? À la guerre, les ennemis n’attendent pas que leur général leur permette de tuer, ou peut-être me serais-je trompé ?

– Nous ne sommes pas à la guerre, archimage, intervint Ulios. 

– Elle est toute proche, pourtant. 

L’animosité qui se dégageait de la scène rendait Maximilien fébrile, désabusé par cette constante hostilité dans ce palais où la trahison courrait les couloirs. Almagar baissa sa main, pointée plus tôt vers Esthia, et elle pivota vers lui, l’air sévère. Pourquoi était-elle ici, d’ailleurs ? Elle restait beaucoup avec Nora, ces temps-ci, et même si cette sensation n’avait rien de rationnel vu leur différence d’âge, une certaine envie le gagnait, une jalousie dépravée qui s’emparait de son esprit pour polluer son être. Il laissa tomber pour le moment, ce sentiment n’avait de bon sens que dans la bêtise. Almagar s’approcha de lui. 

– Même si son comportement n’est pas acceptable, je reste d’accord avec lui, tonna-t-elle à l’égard des autres. Nous avons besoin de Max ailleurs et sa place n’est pas sur un champ de bataille, du moins, pas encore. 

Son affirmation les laissa tous plus ou moins choqués, mis à part Esthia, qui parut simplement rassuré – pour des raisons qu’il ne comprenait pas. Les autres voulurent intervenir, Osari se mit entre lui et la dragonne, les yeux écarquillés d’incompréhension. 

– Nous avons besoin de nouvelles recrues pour se battre aux côtés de nos soldats, Almagar ! Et je…

– Troisième Stir, coupa Ulios, vous savez que vous pouvez compter sur mon soutien pour ce genre de choses. Ne vous tracassez pas à rameuter n’importe qui dans nos troupes, surtout quand ils ne savent ni se battre ni maîtriser le Kin. 

« Cela fait toujours plaisir à entendre… », mais il ne pouvait pas vraiment contredire les paroles du chef des Feliaris, aussi rudes et honnêtes fussent-elles. Ulios guigna sur lui, son impassibilité ressemblait parfois à une expression blasée, dépassée par ce monde brutal et cruel.

– Sincèrement, il ne nous sera pas utile. 

– Mais…, tenta Osari, mais Almagar l’arrêta dans son élan.

– Une recrue de plus ou une de moins ne changera pas la donne, et c’est un ordre de ton frère, Nora. Je dois emmener Max au cœur même de Laven pour réparer les dommages causés par l’attaque. 

À la mention du prénom du Stir, le cœur de Maximilien fit un bond dans sa poitrine, soudainement beaucoup plus docile à la suivre et ne pas s’entraîner avec les autres. « Encore cette émotion volatile… », cela commençait à le rendre fou. Almagar ne laissa le temps à personne de répondre qu’elle le poussa un peu pour le faire avancer et quitter les lieux, alors qu’Osari, dans son dos, râlait sur son « abruti de grand frère ».

Encore et toujours cette humeur changeante qui était insupportable à comprendre. 

Tous deux avancèrent dans les corridors pour se rendre hors des murs du palais, le silence les accompagnait depuis un petit moment, mais les questions ne cessaient de brûler les lèvres de Maximilien ; il finit par craquer : 

– Pourquoi m’appeler et m’interdire de me battre ? Pourquoi Esthia se comporte ainsi ? Vous avez pu trouver des indices sur l’attaque, d’ailleurs ? Des preuves de la culpabilité d’une ou plusieurs personnes ? Aussi, par rapport à mes ailes…

– Mon garçon, soupira la dragonne, enfin je ne sais même plus si je peux encore t’appeler ainsi. Quel âge as-tu ? 

– J’ai deux mille cinq cent soixante-quatre ans.

– C’est bien ce que je me disais…

Elle secoua la tête tandis qu’ils passaient la porte pour rejoindre la cité, ce fut la première fois qu’il la passait officiellement. Almagar le guidait dans les rues, alors qu’il attendait ses réponses. 

– Pour les combats, reprit-elle, il vaut mieux éviter de t’exposer au moindre choc, car ce que tu as dans le dos n’a pas disparu. Leur dimension a juste… changé. 

– Comment ça ? 

– La capacité unique de Nora, c’est d’être capable de déporter un sujet d’une dimension à une autre. Elle est créée de toutes pièces et c’est lui qui la maintient active, donc même si tu ne les vois pas, elles sont là, mais vu que nous ne connaissons pas assez tes pouvoirs et comment ils peuvent réagir aux nôtres, nous préférons prendre toutes nos précautions. Et pour Esthia…

Almagar posa son index sur ses lèvres, plongée dans une réflexion intense, au point d’en froncer les sourcils et de marmonner dans sa barbe. 

– Je ne saurais le dire, c’est la première fois qu’il agit de cette façon envers toi. Peut-être aurait-il senti quelque chose d’étrange ? Après tout, c’est un archimage et, pour tout te dire, quand nous avons fouillé son passé, ses souvenirs paraissaient faux, comme… préfabriqués. 

– La potion n’avait pas marché sur lui ? quémanda Maximilien, surpris. 

– Non, il était immunisé. 

Personne ne lui avait jamais parlé de ce sujet, du moins, tous avaient subi d’une manière similaire le sérum de vérité ou la fouille du passé, mais jamais il n’avait été mentionné d’autres exceptions comme lui. Quelques fois, à certains égards, quand son regard glissait vers Esthia, il se demandait sincèrement qui il était vraiment sous ses airs d’aigri inconditionnel, muni d’un tempérament tempétueux. Ils firent le reste du chemin en silence et, dès qu’ils passèrent les portes du palais pour descendre le long des rues, une nausée latente s’empara de son pauvre ventre : partout où ses yeux contemplaient ce paysage qu’il aimait tant, seules les ruines d’une ville en deuil se profilaient. Les habitants ramassaient les maigres affaires qui leur restaient, tentaient de construire des maisons détruites par la bataille, aidaient les blessés à survivre et pleuraient les morts, les malchanceux passés sous la lame d’un barbare anonyme. 

La mort avait toujours été sans nom. 

Alors il préféra détourner lâchement le regard des restes de Laven, trop honteux de se souvenir que la cause de ce désastre venait de son peuple, de fanatiques en proie à la folie. Après cinq minutes de marche étouffante, ils atteignirent enfin l’endroit où se trouvait Nora ; celui-ci donnait des ordres aux travailleurs présents, les bras croisés sur son torse et les muscles contractés. À l’origine, cela aurait dû être le travail d’Osari, mais ce dernier avait daigné vouloir rester dans le palais pour retracer tous les livres éducatifs des écoles. « Le savoir est important pour le peuple », avait-il marmonné, sans convaincre personne. En réalité, depuis l’attaque et la mort de son père, il semblait être dans un état second. 

Maximilien sortit de ses pensées et s’attarda sur le présent. Jamila se tenait à côté de Nora, accrochée à son pantalon, le regard au loin. La revoir lui donna une bouffée de joie, un grand sourire s’étira sur ses lèvres, même si le moment restait déconvenue. 

– Jamila ! 

Son exclamation la fit se retourner et elle afficha à son tour une expression de pur soulagement. Elle se détacha du deuxième Stir et courut vers lui pour sauter dans ses bras. 

– Max ! Je suis contente de te revoir ! 

Il la serra fort contre lui, les larmes naquirent au coin de ses yeux à la simple pensée qu’elle allait bien : depuis cette attaque, son état avait été instable, presque inquiétant, mais la voir en aussi grande forme le soulageait d’un poids immense. Nora s’approcha d’eux, en laissant ses yeux couler vers Almagar. 

– Merci de me l’avoir ramené, je vais pouvoir l’utiliser comme bon me semble. 

Maximilien le dévisagea, les traits plissés d’irritation, et il le fusilla du regard tandis qu’il se détachait légèrement de Jamila. 

– Je ne suis pas un objet que tu peux manier selon tes désirs, maugréa-t-il. 

– C’est vrai, mais je vais avoir besoin de toi pour une tâche bien précise. Et je te trouve beaucoup plus docile quand nous sommes seuls. 

La fin de sa phrase résonna seulement dans sa tête et glissa sur ses joues, rougissantes d’embarras devant l’audace de cet homme. Celui-ci ne lui rendit qu’un rictus amusé, mais il reprit aussitôt son attitude distante et lui tendit la main. 

– Je pense que tu vas pouvoir nous aider, alors dépêchons-nous. Je dois encore ratisser les terrains pour dégager les potentiels survivants sous les décombres et les objets importants. 

Une pointe de honte s’insinua dans le cœur de Maximilien, regrettant de montrer sa joie alors que d’autres accusaient encore le choc de cette attaque mortelle. Plutôt que de se lamenter sur son comportement, il prit la main de Nora et se redressa, mais à peine fut-il sur ses pieds qu’il se fit tirer en avant ; une bouche chaude se posa sur son oreille. 

– Je suis soulagé que tu sois là, murmura le Stir avant de se reculer. 

Il lâcha dans la foulée sa main, qu’il n’avait pas manqué de caresser de son pouce, d’une délicatesse tristement touchante au cœur de ces éclats de maisons et de larmes. Maximilien détourna le regard, troublé par la manière dont Nora ne se lassait pas de le rendre ainsi, et il se résolut à le suivre tandis que Jamila et Almagar les talonnaient, les doigts de l’elfe s’accrochaient à son pantalon. 

– Vous vous êtes drôlement rapprochés, quand même, souffla-t-elle. J’ai l’impression qu’il ne se comporte comme ça qu’avec toi. 

– De quel comportement tu parles ? 

– Taquin, clément, moins rigide, continua la dragonne, Nora n’est pas quelqu’un facile à accoster. Il aime prendre ses distances avec le reste du monde et il parait toujours flegmatique aux yeux des autres. Il doit t’avoir en haute estime, malgré les derniers événements. Je pense qu’il a pris la bonne décision en te laissant la vie, j’ai toujours eu confiance en son bon jugement.

– C’est pour ça que vous n’êtes pas intervenue quand vous avez découvert… mes origines.

– Exactement, sourit Almagar, puis j’aurais eu l’impression d’assister à une injustice si tu avais été exécuté devant nous. Nora a su faire le bon choix au bon moment.

Son attention se détourna sur le concerné de toute cette conversation, sa stature se démarquait à chaque fois des présences autour de lui, une aura royale, intouchable, aussi angoissante qu’attirante, éloignait tous ceux qui le croisaient. Rien ne l’ébranlait, rien ne le touchait. Maximilien ne savait jamais vraiment comment agir avec lui ni quelles étaient ses véritables intentions quant à lui, sa présence dans ce palais d’une beauté à l’absence bien ancrée. Il s’avança jusqu’au Stir en trottinant, bien décidé à le réprimander aussi sur sa fâcheuse manie de le croire trop faible pour se défendre. 

– Tu ne m’as pas dit ce que signifiait cette boucle d’oreille, marmonna Maximilien en désignant le bijou. Tout le monde semble m’éviter, du moins les servants restants, depuis que je la porte. Ou au contraire, ils essayent absolument de se rapprocher de moi…

– C’est juste pour signifier que je suis de ton côté, tout naturellement. 

Le petit sourire mutin qui étira pendant un quart de seconde ses lèvres ne le convainquit absolument pas. 

– C’est pour dire que je t’appartiens, en résumé ? siffla-t-il. Comme un objet.

– Ou comme un amant. 

À la prononciation du mot « amant », il s’étouffa avec sa salive, tout son esprit sur le point de défaillir alors que ce terme tournait dans sa tête, un écho qui tapait sur son crâne. 

– Tu… Mais quelle indécence ! 

Sans crier gare, il lui mit une tape sur l’épaule, furibond d’apprendre que les autres le regardaient bizarrement parce qu’ils le prenaient pour le concubin d’un Stir, mais surtout parce qu’il ne l’aurait jamais su sans demander. Nora émit un petit son contenu, un gémissement coincé dans sa gorge et ses yeux se posèrent sur lui tandis qu’il le lorgnait de haut en bas. 

– Je t’interdis de faire ça. Ne pose plus jamais la main sur moi ainsi. 

Pendant un instant, Maximilien crut avoir dépassé les bornes et sa culpabilité grimpa en flèche, mais elle redescendit bien vite. 

– Nous sommes en public, maintiens une image de sujet à Stir, interagit Nora par la pensée.

Même si cela le rassurait un peu, il baissa quand même la tête, désolé de ne pas être assez bon comédien pour tromper le monde. Ils tournèrent en direction d’un terrain sur lequel s’étendait une large plaine colonisée d’arbres en tout genre, avec très peu de monde, et Nora finit par se pencher vers lui pour glisser ses doigts le long de ses épaules. 

– Ne fais pas cette tête, tu es un peu trop spontané quelques fois. C’est tout. 

Maximilien frissonna des pieds à la tête, peu habitué à ce genre de contacts, à deux doigts de reculer. Il lança une œillade derrière lui, Almagar et Jamila regardaient ailleurs ; volontairement, sans aucun doute possible. Ses joues rosirent face à l’audace de Nora, une plainte se glissa sur ses traits tendus par la gêne et l’agacement. 

– Vous êtes vraiment impulsifs et sans pudeur, à Laven… 

– Ou vous êtes simplement trop chastes là d’où tu viens. 

Une réplique acerbe resta sur sa langue tandis qu’ils s’approchaient enfin vers l’objet de préoccupation de Nora : des cristaux, de taille hétérogène, et par dizaines. Leur essence se dégageait subtilement, toujours semblable à celle de son Dieu, mais si lointaine en même temps. 

– Pourquoi sommes-nous ici ? questionna Maximilien en même temps de s’approcher des pierres. 

– Parce que tu as peut-être une chance de nous éclairer sur la nature de ces cristaux, clama Almagar, près de lui. 

– Aucun d’entre nous, pas même moi, n’arrivons à comprendre comment ils fonctionnent ni d’où ils viennent, soupira Nora, alors je me disais que tu serais plus capable que nous vu que tu es… Tu m’as compris.

Plutôt dubitatif quant à leurs raisonnements, cohérents, mais sans fondements à proprement parlé, il acquiesça et s’approcha de l’objet de toutes leurs questions, s’accroupissant près des pierres pour mieux les examiner. 

– Elles sont donc apparues il y a quelques mois ? 

– Oui, neuf exactement, mais elles n’ont que commencé à émettre de l’énergie il y a presque cinq mois. 

« Donc un peu avant la première attaque sur leur cité… » et cela ne lui indiquait rien de bon. Sa main s’avança vers les pierres, pour au moins en prendre une et l’appréhender. 

– Et est-ce que…

Sa phrase se perdit dans le vide dès le moment où ses doigts frôlèrent la surface rugueuse d’un cristal. Il écarquilla les yeux de stupeur, un voile bleu l’entoura soudainement, s’échappant directement de son objet d’étude. Il ne put se retourner pour demander l’aide de Nora que tout s’effaça autour de lui. 

Mais il entendit très bien son prénom résonner, sans pouvoir ne rien y faire.

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