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1 - Préface
2 - Prologue
3 - Chapitre 1
4 - Chapitre 2
5 - Chapitre 3
6 - Chapitre 4
7 - Chapitre 5
8 - Chapitre 6
9 - Chapitre 7
10 - Chapitre 8
11 - Chapitre 9
12 - Chapitre 10
13 - Chapitre 11
14 - Chapitre 12
15 - Chapitre 13
16 - Chapitre 14
17 - Chapitre 15
18 - Chapitre 16
19 - Chapitre 17
20 - Chapitre 18
21 - Chapitre 19
22 - Chapitre 20
23 - Chapitre 21
24 - Chapitre 22
25 - Chapitre 23
26 - Chapitre 24
27 - Chapitre 25
28 - Chapitre 26
29 - Chapitre 27
30 - Chapitre 29
31 - Chapitre 29
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Chapitre 17

– C’est moi ou ce que vous avez fait pue les égouts ? 

Maximilien passait une fiole depuis quelques secondes sous son nez, les traits tordus dans une grimace de dégoût : la mixture, d’une couleur peu ragoûtante, possédait une flagrance qui vacillait entre les excréments et l’humidité. Esthia lui prit des mains alors qu’Ajaris se penchait légèrement pour sentir à son tour. 

– C’est vrai que c’est atroce, confirma l’elfe. 

– Atroce ? Je n’oserais même pas donner ça à mes ennemis, ricana Esthia avec un air rebuté. 

Nora, assis face à eux, les toisa tous les deux du regard, les doigts croisés face à lui. 

– Vraiment ? siffla-t-il. Atroce ? 

Les concernés se figèrent, se rendant compte de leur bêtise alors que Maximilien continuait de prendre des pétales de fleurs et quelques liquides nécessaires à la fabrication de parfum. 

– Non, je pense que ce produit pourrait être parfait avec quelques… modifications, rattrapa Ajaris, les yeux détournés. 

– Même beaucoup de modifications, souffla Esthia. 

Ce dernier gémit de douleur quand son collègue lui écrasa le pied, pour l’inciter à se taire – pour une fois. Nora les ignora royalement, se concentrant à nouveau sur la préparation de Maximilien, les bras croisés. 

– Je voulais juste tester, je n’en avais jamais fait avant, et je ne te permets pas de dire que ça sent mauvais, pesta Nora.

– C’est pourtant la vérité, ricana Maximilien, moi aussi, je n’en ai jamais fait et je me débrouille mieux que vous. 

La rencontre avec Kahl était dans presque deux semaines, Maximilien avait déjà testé deux à trois parfums différents, en compagnie d’Ajaris, d’Esthia et de Nora, qui l’aidaient tous pour son alternative à la mort. Le Stir avait voulu tenter l’expérience une semaine auparavant et tous testaient aujourd’hui les résultats de leur dur labeur après cette attente insoutenable. Pour l’instant, le premier qu’il avait reniflé était celui de Nora, qui ne donnait aucun résultat concluant. 

– En même temps, reprit Max, mélanger de la vanille, du thym et de la rose…

– Je ne souhaite recevoir aucun commentaire, siffla-t-il, essayons les tiens à la place. 

« Quel compétiteur, sérieusement ! », mais cela lui arracha un fin rire et il prit une des fioles du placard, celle avec une teinte bleu clair : après son apprentissage de plusieurs jours pour comprendre le fonctionnement d’un parfum, la fierté à la vue de ses premières créations gonfla son cœur, même s’il savait que ce n’était que des produits pour sa survie. Avec un peu d’appréhension, il déboucha la petite bouteille et Nora se rapprocha de lui pour humecter. 

– C’est une belle fragrance, s’étonna-t-il, peut-être un peu forte. J’ai l’impression d’être à la mer, marchant sur le sable chaud, avec des vents qui viennent me frapper en pleine tête.

– Je ne sais pas si j’ai bien dosé les différentes notes… J’aurais dû moins forcer sur celles du fond. J’ai mis du bois de cèdre avec un peu d’ambre.

– Et le deuxième ? intervint Ajaris, la mine blasée. J’aimerais vite reprendre mon entraînement. 

La seconde fiole brillait d’un rose pétillant, une couleur estivale et magnifique, et Nora s’en empara pour être le premier à la tester. Son regard s’illumina, la surprise comme la joie passa pendant un quart de seconde sur ses traits. 

– Il pourrait satisfaire Katrina ? maugréa Esthia. J’espère que oui. 

– Je pense que cela pourrait passer, soupira le Stir, sens. 

Il le tendit à Maximilien, ce dernier posa sa main sur la sienne pour attirer le flacon à lui et sentir sa création : pour les notes de tête, la pomme et la prune dominaient les effluves dans un premier temps – fruits soigneusement volés dans le jardin de Nora, ce qui l’avait légèrement agacé –, avec un cœur de jasmin qui lui plaisait tout particulièrement et un fond de vanille et de bois de santal pour conclure la diffusion du parfum. Même si le résultat n’était pas parfait, il en était néanmoins satisfait et espérait que cela serait pareil pour la concubine du Skal. 

– J’aime beaucoup, vous devriez…

Alors que Maximilien releva la tête vers Ajaris et Esthia, leurs regards choqués le freinèrent dans son élan. Il lâcha la main de Nora, dubitatif quant à leur attitude. 

– Un problème ? 

– Tu…, commença Esthia. 

– Rien du tout. Absolument rien. 

L’elfe pinça les côtés du mage, qui laissa échapper un râle agacé. 

– Arrête de me faire mal, murmura-t-il. 

– Arrête d’être un idiot. 

Pendant que les deux hommes se prenaient le bec entre eux, Maximilien reporta son attention sur Nora, avec l’impression qu’il loupait quelque chose sans savoir quoi exactement : était-ce à cause du contact physique ? Si ce n’était que cela, ils s’emballaient pour un rien… 

Ou simplement qu’être aussi proche d’un membre royal n’avait rien de normal. À l’heure actuelle, il s’en fichait éperdument et Nora ne semblait même pas s’intéresser au conflit entre leurs partenaires.

– Qu’ils sont bruyants…, soupira celui-ci, toujours les yeux rivés sur le flacon. 

– On devrait rajouter de quoi faire tenir le parfum et quelques doses de Kin, non ? proposa Maximilien. Vu que c’est un parfum estival, le plus pertinent serait d’y mettre un sortilège sur le fluide capable de rafraîchir une personne d’une seule pression. 

Le Stir acquiesça, avec un rictus aux lèvres, alors qu’il demanda à Esthia d’approcher : 

– À la place de vous disputer, venez nous aider. Toi, le mage, donne-moi la fiole où tu as liquéfié ton Kin. 

Même si l’appellation énerva Esthia – trop générale, comme s’il n’existait que par son statut –, il s’avança pour apporter l’objet désiré. 

– Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas vous qui donnez votre Kin, deuxième Stir, étant donné qu’il vient d’un sang morgasien, soit royal. 

– C’est justement parce que c’est royal que je ne le fais pas. 

Esthia versa quelques gouttes dans le parfum, quelques perles bleutées picotèrent dans l’eau avant de s’évaporer pour laisser place à la couleur rosée du début. Plus personne n’osa se prononcer, comme si ce qu’il tenait entre les mains allait imploser d’une minute à l’autre. 

– Quelqu’un a déjà tenté de mettre du Kin dans du parfum, avant ? finit par dire Maximilien, une goutte de sueur glissa dans son dos.

– Non, personne n’en trouvait l’utilité, susurra Nora. Laisse-moi essayer. 

Après avoir installé le petit dispositif sur la bouteille, il actionna le bouton pour asperger son poignet ; une seconde, puis deux, et un frisson parut parcourir tout le corps de son homologue. Pour l’étape du rafraîchissement, c’était une victoire, mais Maximilien voulait aussi savoir si l’odeur rendait bien sur la peau et il laissa ses doigts glisser sur le poignet de Nora pour se pencher et sentir les effluves. Sauf que le Stir retira aussitôt son bras, aussi vif que brutal. Pris de court par sa réaction brusque, Max laissa son regard couler sur le visage rosi de Nora. 

– Je…, tenta-t-il, déboussolé par son attitude. 

– Tu es bien trop tactile, restreins-toi. 

Son ton froid contrastait avec sa mine troublée, il frottait l’endroit où il l’avait touché avec peu de force, son regard verdoyant se posait partout excepté sur lui. Maximilien avait encore du mal à s’habituer à la culture de Laven, surtout par rapport à la pudeur du contact physique, qui était aux antipodes de leur considération de la sexualité complètement libertine : à Sarcoce, hormis la nudité considérée comme une normalité, le contact de la peau rejoignait ce principe de pureté morale, soit que tout le monde restait très tactile sans aucune arrière-pensée étrange ou malvenue. À l’instar, la sexualité demeurait un sujet tabou, presque sacré, pour être abordé aussi tranquillement.

Alors oui, il se permettait de toucher les autres un peu trop familièrement et il n’arrivait pas à s’en empêcher. Ce qui le chagrinait, étant donné que son but n’était pas de mettre mal à l’aise ses alliés. 

– Je ne voulais pas vous froisser, culpabilisa Max, j’ai un peu de mal avec vos manières de faire, je… 

– Ce n’est pas grave, je te le dirais si tu es trop insistant. 

La tolérance de Nora parut estomaquer Esthia tandis qu’Ajaris haussa un sourcil, comme amusé par la situation. Son regard se posa sur lui, mais il ne fit aucun commentaire déplacé, juste un silence qu’il n’arrivait pas à interpréter. Même si l’elfe n’avait jamais porté atteinte à son intégrité physique et morale, le sonder relevait de l’impossible tant rien ne transparaissait sur son visage. 

Tout le contraire de ce mage trop franc. 

– Eh bien, siffla ce dernier avec les mains sur les hanches, votre relation se porte à merveille maintenant, peut-être même…

– Un mot de plus et tu peux dire adieu à ta petite langue de commère. 

La menace du Stir fonctionna un peu trop bien, l’air renfrogné d’Esthia provoqua un petit rire chez Maximilien tandis qu’il attrapait la fiole et qu’il se leva pour trouver une bouteille plus attrayante.

– Je pense que je vais choisir ce parfum, il faut que je choisisse un nom pour le vendre à Katrina comme un bon produit, je dois aussi préparer un discours pour la convaincre… Le chant des fleurs, c’est plutôt pas mal, non ? 

Il se tourna vers les autres et la légère moquerie qui étira les lèvres de Nora lui plut moyennement. 

– Tu remplis vraiment bien ton rôle, ironisa-t-il, on croirait presque que tu as fait ça toute sa vie. 

Désormais, il prenait un malin plaisir de se ficher de lui ? Maximilien posa les bouteilles devant le Stir et lui adressa un sourire mutin. 

– En même temps, il faudrait être complètement idiot pour se louper sur quelque chose d’aussi simple. 

Quand il vit l’expression de Nora défaillir, il sut qu’il avait gagné. Mais ce n’était pas pour le blesser, alors il poussa les deux fioles vers lui. 

– Mais j’ai foi en vos goûts esthétiques, donc dites-moi si mon choix de bouteille est bon ou non. 

Même si sa moue agacée faillit le faire rire, Maximilien feignit une expression innocente, et Nora soupira avec un certain dépit avant de prendre le récipient pour l’analyser. 

– C’est joli, mais je pense que quelque chose de plus extravagant plairait davantage à Katrina. Essaye celle posée sur l’étagère là-bas. 

 Le flacon en question n’était pas à son goût avec ses quelques froufrous et les étoiles dessus, mais il suivit les conseils du Stir et versa la mixture dedans puis referma le tout. Esthia s’approcha et posa sa main sur le parfum, une faible lueur illumina sa paume alors que l’eau reçut comme un rayon éclatant pour devenir à nouveau normale. Il venait d’ajouter les conservateurs nécessaires pour maintenir l’odeur et le produit dans le temps. Maximilien pivota vers Nora, soulagée, mais perplexe. 

– Tu pourrais m’en dire plus sur Katrina ? J’irai lui remettre ce parfum aujourd’hui, en toute discrétion, tu vas aussi devoir m’y emmener sans que ton père le sache. Mais je crains que… rien ne fonctionne.

– Essaye de ne pas te focaliser sur la défaite, mais sur la victoire, si tu pars du postulat que ça ne marchera pas, ce sera forcément le cas, gronda Ajaris. 

Ses paroles ne l’aidèrent pas vraiment à se calmer et la seule chose qui l’importait pour l’instant, c’était de réussir sa mission. Nora se leva de sa chaise et s’approcha de lui. 

– Katrina est une personne qui aime le luxe, l’argent, en plus d’être choyée par tout le monde à cause de sa position de favorite. Son goût pour les hommes est aussi bien connu, alors je te conseille quand même de rester sur tes gardes. 

Sa description ne le rassura absolument pas, car elle se trouvait à l’opposé de tous ses principes premiers : il n’avait aucune idée de comment se comporter avec ce genre de personnes. La seule chose qui restait à faire désormais, c’était d’attendre le moment opportun.

Et de prier. 

⋅•⋅⊰∙∘☽༓☾∘∙⊱⋅•⋅

Leurs pas feutrés parcouraient les couloirs, les gardes ne leur accordaient que peu d’importance, mais Maximilien était sûr que l’un d’entre eux allait rapporter leur venue dans les quartiers des Délicates – celui des concubines – surtout en compagnie du deuxième Stir. Theol était parti en rendez-vous diplomatique depuis une bonne heure et jusqu’au lendemain, alors ils en profitaient pour s’infiltrer dans la chambre de Katrina et leur faire valoir leur offre. Nora, à ses côtés avec une mine concentrée, fonçait sans même regarder s’il suivait sa cadence ; ses grandes jambes le distançaient légèrement, alors Maximilien appuyait sur ses genoux pour accélérer. 

– Nora…

– Deuxième Stir, corrigea-t-il, évitons les problèmes inutiles. 

– Deuxième Stir, quand est-ce que nous arrivons à la chambre de la concubine du Skal ? Cela fait déjà plusieurs minutes que nous marchons… 

Il ne s’était pas imaginé un quartier aussi grand, mais cela ne l’étonnait pas vraiment depuis qu’il avait appris le côté dévergondé de ce peuple, surtout le souverain qui collectionnait les femmes – ce qui le dégoûtait accessoirement. Même si leur nudité ne le choquait pas, la manière dont ils se comportaient, si. Nora lui jeta un coup d’œil sans s’arrêter. 

– C’est la toute dernière, il faut aller au bout du bâtiment, le palais est vraiment grand, nous y sommes dans moins d’une minute, donc… 

– Qu’est-ce que vous faites ici ? 

Une voix survint de leur droite alors qu’ils passaient dans un carrefour de couloirs et les deux hommes s’arrêtèrent en même temps, comme si le temps s’était suspendu d’un coup. Maximilien se tourna doucement vers leur locuteur et il sentit comme une pierre tomber dans son ventre quand il reconnut Daryl Qhuan, dans une armure dorée aux accessoires ostentatoires et inutiles. Depuis le début de son périple, il n’avait que peu croisé cet homme et il ne lui avait jamais parlé, à son plus grand bonheur : il savait que le chef des Qhuan n’aimait pas sa présence dans le palais et qu’il attendait avec hâte le combat entre lui et Kahl. Si Theol détestait simplement les Catals, Daryl ne désirait que les exterminer jusqu’au dernier. Merilda avait conté que son paternel avait déjà exécuté des dizaines et des dizaines de Catals publiquement comme intimement avec des tortures antérieures extrêmes. Alors il avait tout fait pour l’éviter. 

Jusqu’à aujourd’hui. 

Le chef lui lança un regard qui aurait pu le tuer sur place, le fiel tirait ses traits au point de lui créer des veines sur son front. Nora se plaça entre lui et Daryl. 

– Nous avons affaire, des affaires qui ne te regardent pas, rembarra le Stir. 

– Tout ce qui touche au palais me regarde, deuxième Stir, depuis que je suis le bras droit de votre père. En particulier quand vous trainez avec… ça. 

Il cracha le dernier mot, sans le quitter du regard et il s’avança tranquillement vers eux, la mâchoire serrée. 

– Je réitère : qu’est-ce que vous faites ici ? 

La menace planait comme une lame prête à les planter, ce qui suffisait à faire angoisser Maximilien étant donné qu’il craignait sincèrement la violence des autres à Laven : si Daryl Qhuan était le bras droit de Theol Morgas, tyran violent et négligent, ce n’était pas par hasard. Nora ne se laissa pourtant pas faire, lui qui ne cessait d’affronter tous ceux qui osaient s’interposer dans sa lutte contre l’injustice. 

– Étant donné que ce quartier est dédié au plaisir et au partage, j’ai décidé d’initier Max à nos coutumes, asséna le Stir, surtout depuis qu’il est sous mon aile et qu’il me l’a demandé personnellement. 

À la fin de son explication, le silence plana entre eux et quand l’information lui monta au cerveau, Maximilien sentit ses joues brûler sous la honte. Nora venait réellement de sortir cette excuse ? Qu’il allait faire des choses… de ce genre avec quelqu’un d’autre sous sa demande ? Daryl fronça les sourcils, un peu déconcerté et incrédule face au motif exposé par le Stir. 

– Vous faites entrer un étranger dans les quartiers des concubines ? Peut-être qu’il est porteur de maladie. Puis mélanger le sang d’un Catal avec celui de nos Délicates ? C’est inacceptable, deuxième Stir. Déjà qu’utiliser des femmes pour satisfaire les besoins de certains est écœurant…

– Vous n’êtes pas en position de m’interdire quoi que ce soit, Daryl. 

La manière dont il s’était adressé au susnommé – en l’appelant par son prénom – parut l’irriter plus qu’il n’en fallait, mais il ne répliqua rien par rapport à cela. Au contraire, il ignora cette provocation. 

– Vous savez que votre père en sera informé, souligna le chef des Qhuan, et qu’une fois qu’il aura eu vent de ce que vous avez fait, il y aura de fortes conséquences sur votre petit protégé qui ne cesse d’enchaîner les mauvaises décisions concernant ses… fréquentations. 

Même si ce n’était qu’une hypothèse, Maximilien devina assez vite que ces fameuses « fréquentations » concernaient surtout sa fille, Merilda, dont il n’avait apparemment aucun attachement et c’était peu dire : il ne les voyait jamais ensemble. Bien qu’il passât parfois du temps avec elle, ils ne se parlaient qu’assez peu : elle n’était pas vraiment « bavarde » et elle laissait plutôt ses pensées prendre le pas sur la réalité. Il n’avait pas plus d’informations que cela sur leur relation et leur situation en règle générale. Mais au vu de la rage qui animait son regard à son égard et de la froideur de sa considération envers sa fille, il les mettait dans le même lot : des parias à ignorer et à isoler. Nora n’hésita pas une seule seconde à le confronter, face à face, il le dépassait de quelques centimètres : 

– Informez-le, allez donc pleurer dans ses jupes et lui dire à quel point ses habitudes sexuelles vous dérangent et vous dégoûtent, se moqua-t-il, même si cela risquerait de vous faire perdre votre place de bras droit. Je serais intéressé de voir sa réaction. 

Sa réplique eut don de faire mouche et Daryl les dévisagea en silence, les yeux plissés d’amertume. Au bout de quelques secondes, il finit par déclarer forfait et il passa à côté d’eux sans leur adresser un regard. Pourtant, le chef des Qhuan s’arrêta d’un coup, presque à ses côtés, et il guigna sur lui, l’expression empreinte d’une colère froide. 

– Que tu vives est déjà une tare, murmura-t-il, mais que tu oses te lier d’une pseudo-amitié avec Merilda juste pour avoir des personnes qui soutiennent ta cause est un affront envers les Qhuan. Sa voix n’a aucune valeur ici, alors revois tes relations. 

Sur ces dernières paroles, il les quitta avec ses pas qui résonnaient en un son métallique, claquant contre le marbre du sol. Maximilien garda obstinément la tête baissée, la transpiration coulait le long de son dos tandis que ses mains tremblaient autant de rage que de peur : cet homme pouvait l’abattre à tout moment et ne cherchait qu’une excuse. Pour l’instant, ce qui l’arrêtait restait la promesse de sa mort pendant le combat entre lui et Kahl. Mais si le plan fonctionnait, il deviendrait sûrement la principale menace quant à sa survie. Maximilien crut réellement défaillir quand il revit le regard de Daryl dans son esprit, de véritables armes qui désarçonnaient ceux qui les défiaient, sans parler de l’aura autoritaire et méprisante qui s’émanait de lui. Quand Daryl finit par tourner au bout du couloir, il reprit enfin sa respiration qu’il avait maintenue pendant tout l’échange. Nora se tourna vers lui et lui attrapa le poignet pour le tirer avec lui. 

– Nous devons nous dépêcher, Daryl a tendance à être une commère, marmonna-t-il, ses doigts tremblotaient de colère.

Maximilien n’acquiesça même pas, l’anxiété l’empêchait d’articuler le moindre mot et, pour tenter de revenir à la réalité, il tenta des exercices de respiration, en vain : le mélange de la fatigue, de la peur de ces dernières semaines et de ses angoisses de plus en plus récurrentes commençait à lui provoquer de véritables crises de panique dans des situations parfois hasardeuses. Mais quand il avait compris que Daryl représentait un véritable danger pour sa vie, toutes les émotions en lui contenues depuis son arrivée explosaient en quelque chose de nouveau : la terreur. Avec le peu de force qui lui restait et le souffle sur le point de totalement se bloquer, tandis que son corps se dissociait de la réalité, comme un moyen de se protéger de ses sentiments trop lourds et des vertiges qui le prenaient, il s’agrippa au bras de Nora avec son autre main. Sa tentative d’appel à l’aide marcha directement, parce que le Stir s’arrêta aussitôt qu’il sentit sa paume sur sa peau et il pivota vers lui, l’air agacé. 

– Max, nous n’avons pas le… 

Peut-être était-ce dû à son teint pâle, ses yeux dans le vague ou simplement son expression, mais Nora n’eut même pas besoin de poser une seule question qu’il prit son menton en coupe et il le força à le regarder. 

– Autorise-moi à alléger ton esprit. 

Lentement, Maximilien hocha la tête sans détourner les yeux de ce vert flamboyant de volonté et de revanche. Ses doigts se raffermirent sur son visage et une étrange onde se propagea dans tout son corps jusqu’à pénétrer son esprit. 

– Tu dois absolument te calmer, susurra Nora, nous devons être convaincants et ton angoisse risque de te perdre. Tu pourras exprimer toutes tes émotions après, quitte à hurler, pleurer ou que sais-je, mais pour l’instant, tu dois rester maître de toi-même, d’accord ? 

La force dans sa voix lui donna un peu de courage, même si sa peur persistait à dévorer le peu d’espoir qui lui restait. Dans un geste désespéré, il posa ses mains sur celles de Nora et les serra aussi fort qu’il le put, en fermant les yeux pour se détacher quelques instants de son environnement et se reconnecter avec lui-même. Cela prit quelques minutes pour retrouver un peu de contenance, mais Maximilien parvint à rouvrir les yeux, toujours dans la même position. Le Stir était resté là, à surveiller ses réactions tout en compressant son Kin pour manipuler ses émotions et l’apaiser. 

– Respire un grand coup, nous repartons, souffla Nora tandis qu’il se reculait légèrement en lui reprenant son poignet, cette fois-ci avec douceur. 

Il ne répondit pas, trop obnubilé par le fait de ne pas se laisser sombrer dans la panique et de gérer ses sentiments pour éviter toute angoisse malvenue. Ils reprirent leur chemin sans un mot, ce qui réussit aussi à restreindre son surplus d’émotions.

Quand leur destination fut atteinte et qu’il avait repris des couleurs, les hautes portes de la chambre de Katrina choquèrent Maximilien par l’or voyant qui s’étalait dessus, incrustées de certaines pierres précieuses à la vue de tous, un côté ostentatoire qui l’exacerbait toujours. Nora entra dans la pièce sans même déclarer sa présence. 

– Katrina, c’est Nora, je suis là pour te présenter un parfumeur. 

Son poignet fut à nouveau tiré avec une certaine fermeté, mélangée à de la douceur, pour l’inciter à entrer. À l’intérieur de la chambre, dont la décoration lui piquait les yeux tant elle semblait onéreuse, à l’égal de son inutilité, ses yeux tombèrent sur une femme, couverte par une simple robe rose et transparente, avec un pantalon beaucoup plus opaque. Sa longue chevelure d’or cascadait sur les coussins où elle était allongée et son regard de la même couleur s’arrêta sur eux, de longs cils surplombaient cet océan de tournesol et sa peau bronzée lui donnait un air presque mystique, comme une splendide sorcière qui jouait des apparences. Elle se releva, l’air enjoliveur, les coins de sa bouche s’étirèrent. 

– Encore ? Je pensais que Theol avait abandonné la tâche de me satisfaire… 

Mais quand elle détailla davantage Maximilien, la suspicion traversa son visage : elle devait savoir qui il était, à coup sûr. Pourtant, à sa grande surprise, elle bondit sur ses jambes et glissa jusqu’à lui, un air étrange déformait ses traits. 

– Quel beau cadeau nous avons là… 

Son murmure déclencha chez lui tout un dégoût, presque de la rage, surtout quand elle prit sa main pour la poser sur son sein. Nora s’interposa directement entre eux, même si Katrina ne le lâchait pas. 

– Pourquoi viens-tu nous déranger, deuxième Stir ? Tu m’as bien emmené ce bel homme pour moi, non ? 

– Oui, comme parfumeur, cracha-t-il, pas comme amant, pauvre folle. 

Bien que l’insulte fût rude, elle ne la releva pas et elle adressa un petit sourire à Maximilien.

– Peut-être que lui en a envie, tu ne crois pas ? 

Son ventre fut comme retourné par la proposition de la concubine et il s’extirpa de sa poigne, les sourcils froncés par l’outrage qu’elle venait de commettre. Cela faisait déjà la seconde fois que quelqu’un lui prêtait des intentions purement charnelles aujourd’hui, même si la première était une simple excuse pour évincer les soupçons de Daryl Qhuan.

– Ma Dame, siffla Maximilien, je n’éprouve aucun intérêt pour une quelconque relation sexuelle avec vous, ni même qui que ce soit d’autre. Je ne suis pas intéressé par la sexualité ou que sais-je. N’y voyez aucune offense de ma part, mais je ne ressens aucun désir pour vous. 

Katrina le dévisagea, les yeux ronds, avant d’éclater d’un rire tonitruant, qui ne collait absolument pas avec son physique sensuel.

– Mon garçon, je te charrie, je les préfère un peu plus vieux ! se gaussa-t-elle. Mais c’est toujours un plaisir à prendre d’avoir un homme près de soi capable de se contrôler ! 

Avec une dextérité déroutante, elle s’empara du sac où reposait le parfum et en sortit la bouteille, un regard empli de malice, avant de presser le capuchon pour s’asperger la nuque. Nora resta en partie devant lui, les bras croisés et le regard dur, la lavande envahit les narines de Maximilien, le jasmin venait se coller à sa peau et… une odeur boisée qu’il n’arrivait toujours pas à identifier. 

Il aimerait faire un parfum qui ressemblait au Stir, jusqu’au plus profond de son âme.

Cette simple pensée lui conféra quelques rougeurs malvenues et il secoua la tête pour reprendre ses esprits ; avait-il perdu la tête, à ce stade ? Quelle dépravation de sa part que de penser à lui de cette manière ! 

Katrina, sa bienfaitrice du moment, le sortit de ses drôles de pensées. 

– Je le prends comme parfumeur. 

Sa réplique fit mouche pour les deux hommes, éberlués par sa décision rapide et surréaliste. Nora laissa son regard couler sur Maximilien, ce dernier frissonna de honte et détourna les yeux : il ne ferait aucun parfum pour lui, ce serait bien trop étrange. 

– Explique-toi, Katrina, car tu n’as testé qu’un parfum d’un novice, contrairement à tant d’autres experts que tu as pu rencontrer avant. 

– Le parfum n’est pas parfait, je peux trouver mieux, mais l’homme, lui, est totalement à mon goût ! 

– Je t’ai déjà dit que c’est un parfumeur que je te confie et non pas un amant ! 

Pour la première fois depuis son arrivée, Nora avait haussé la voix, excédé par l’attitude libertine de la femme face à lui, et Maximilien ne sut pas s’il était réellement choqué ou apeuré par l’expression glaciale de son comparse. Cela ne semblait pas déstabiliser Katrina une seule seconde et, bizarrement, elle parut devenir bien plus sérieuse. 

– Je l’avais bien compris, souffla-t-elle, et je le choisis justement parce qu’il sera uniquement mon parfumeur. Puis j’ai conscience aussi que c’est une relation d’intérêt autant pour lui que pour moi. 

Un petit pincement saisit son cœur alors qu’il percutait un peu mieux la situation de la femme à qui il parlait, tandis que Nora avait l’air d’être sur le point d’exploser : ce qu’elle cherchait se limitait seulement à un parfumeur. Pas à un courtisan, un profiteur, un obsédé, mais seulement un parfumeur. 

Avec son corps considéré comme objet de désir dans ce monde, sa position sociale avantageuse aux yeux de tous, trouver une personne digne de ce nom pour la servir relevait du miracle. 

Même si ses manières restaient odieuses et horripilantes. 

Alors que Nora s’apprêtait à la remettre à sa place, il posa sa main sur son bras pour le faire taire, déterminé à faire-valoir son avis, surtout quand cela concernait son avenir. 

– Deuxième Stir, s’imposa-t-il, j’accepte sa proposition. C’est ce que nous voulions depuis le début, non ? Alors suivons notre plan initial et cela me permettra de ne pas mourir. Puis si elle trouve aussi un quelconque intérêt dedans…

Intérêt qu’il ne parvenait pas à dégager pour l’instant et dont il aimerait savoir l’envers du décor. Il ne put rien demander sur ce qu’elle attendait de lui en retour, car le Stir ouvrit la bouche, sur le point de lui rétorquer quelque chose, mais un violent coup à la porte l’interrompit brusquement. 

– Sortez tous immédiatement d’ici ! 

Les portes s’ouvrirent avec une violence inouïe et le cœur de Maximilien cessa de battre à la simple vue de l’homme qui s’avançait vers eux, aux côtés de tous les chefs de famille, dont Daryl Qhuan.

Theol Morgas était rentré plus tôt que prévu.

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